Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

INSTRUCTION

Crim., 10 novembre 2021, n° 21-84.948, (B)

Rejet

Détention provisoire – Décision de prolongation – Débat contradictoire – Demande de renvoi – Rejet du juge des libertés et de la détention – Motivation – Nécessité – Exposé oral des motifs lors des débats – Possibilité

Le juge des libertés et de la détention qui rejette une demande de report du débat contradictoire aux fins de prolongation de la détention provisoire doit motiver sa décision. Ces motifs, lorsqu'ils ont été exposés oralement lors des débats, peuvent être recherchés dans le procès-verbal de débat contradictoire.

Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui, pour écarter le moyen de nullité tiré du défaut de réponse à la demande de renvoi formée à l'ouverture du débat contradictoire par la personne mise en examen, énonce que l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire vise le procès-verbal de débat contradictoire, lequel mentionne que le renvoi est impossible en raison d'un précédent renvoi.

Détention provisoire – Décision de prolongation – Débat contradictoire – Demande de renvoi – Réquisitions du ministère public – Nécessité (non)

Le juge des libertés et de la détention n'est pas tenu de recueillir les réquisitions préalables du ministère public sur une demande de renvoi présentée à l'ouverture du débat contradictoire aux fins de prolongation de la détention provisoire. Est inopérant le moyen pris de ce que la chambre de l'instruction aurait considéré à tort que les réquisitions avaient été recueillies sur la demande de renvoi.

M. [M] [F] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles en date du 2 août 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 23 novembre 2020, M. [F] a été mis en examen des chefs précités et placé en détention provisoire.

3. Le 7 juillet 2021, son avocat a été convoqué pour un débat contradictoire sur la prolongation de la détention provisoire fixé au 19 juillet suivant.

4. A cette date, avant l'ouverture du débat, l'avocat a adressé au juge des libertés et de la détention une télécopie l'informant qu'il ne pourrait être présent.

5. La personne mise en examen a alors sollicité le report du débat.

6. Cette demande a été rejetée par le juge des libertés et de la détention, qui a ordonné la prolongation de la détention provisoire.

7. M. [F] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité de l'ordonnance tiré de l'absence de motivation du refus du renvoi alors :

« 1°/ que toute personne poursuivie, qui ne souhaite pas se défendre elle-même, a droit à l'assistance d'un défenseur de son choix et que les juges ne peuvent, sans motiver leur décision, refuser le renvoi d'une affaire, sollicité par cette personne en raison de l'absence de l'avocat choisi ; que la chambre de l'instruction qui, après avoir constaté que le juge des libertés et de la détention n'avait pas, dans son ordonnance, motivé son refus de la demande de renvoi formulée à l'ouverture du débat contradictoire par le mis en examen, dont l'avocat était absent, s'est retranchée, pour écarter la nullité de cette ordonnance, derrière les mentions du procès-verbal du débat contradictoire, a méconnu les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 137-3 du code de procédure pénale ;

2°/ que le droit à l'assistance d'un avocat implique sa présence à l'audience ; qu'en retenant, pour estimer que le juge des libertés et de la détention avait pu à bon droit écarter la demande de renvoi de M. [F], qui n'était pas assisté, que son avocat avait préalablement fait parvenir ses pièces, la chambre de l'instruction, qui a privé le mis en examen de la présence de son avocat à l'audience, a méconnu les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que le report du débat contradictoire ensuite d'une demande de renvoi peut intervenir par simple avis, sans qu'il soit nécessaire de respecter le délai prévu par l'article 114, alinéa 2, du code de procédure pénale ; qu'en retenant encore, pour statuer comme elle l'a fait, qu'au regard de la date d'expiration du titre de détention, il n'était pas possible de convoquer à nouveau l'avocat en respectant le délai de cinq jours, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 114 et 145-1 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Les règles applicables à la convocation pour le débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention sont fixées par renvoi de l'article 145-1 du code de procédure pénale à l'article 114 du même code, applicable à l'interrogatoire devant le juge d'instruction.

10. Il résulte de ces textes que le juge des libertés et de la détention a seul la maîtrise de son audiencement, qu'il peut reporter ou avancer la date du débat contradictoire par simple émission d'une nouvelle convocation, qu'il n'est pas tenu, comme la juridiction de jugement, de réunir les parties à la date initialement fixée avant de statuer sur une demande de renvoi par une décision formalisée, et qu'il peut faire connaître par tous moyens les motifs de sa décision sur cette demande.

11. Il résulte par ailleurs des articles 137-1, alinéa 2, et 145 du code de procédure pénale que le débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention donne lieu à l'établissement d'un procès-verbal attestant du déroulement des débats, qui est signé par le juge, le greffier et la personne mise en examen.

12. Il se déduit des textes et principes ci-dessus énoncés qu'il est possible de rechercher dans ce procès-verbal, dont la Cour de cassation a le contrôle, les motifs de la décision du juge des libertés et de la détention de rejeter une demande de renvoi, lorsque ce dernier les a exposés oralement au cours des débats et que le procès-verbal en fait état.

13. Pour écarter le moyen de nullité tiré du défaut de réponse à la demande de renvoi formée à l'ouverture du débat par la personne mise en examen, l'arrêt attaqué énonce que l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire vise le procès-verbal de débat contradictoire, lequel mentionne que le renvoi est impossible en raison d'un précédent renvoi.

14. En l'état de ces motifs, et dès lors que la réponse à la demande de renvoi figure en l'espèce dans le procès-verbal de débat contradictoire, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

15. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité de l'ordonnance tiré de ce que le ministère public n'avait pas pris de réquisitions sur la demande de renvoi alors « que le juge des libertés et de la détention ne peut, à peine de nullité, prononcer sur la demande de renvoi formée à l'audience par la personne mise en examen qu'après avoir recueilli préalablement les réquisitions du ministère public ; qu'il résulte du procès-verbal du débat contradictoire du 19 juillet 2021 que ce n'est qu'après que le juge des libertés et de la détention a informé M. [F] qu'il n'accéderait pas à sa demande de renvoi que le ministère public a été entendu en ses réquisitions, qui consistaient uniquement en une demande de prolongation de la détention provisoire, de sorte qu'en retenant qu'il résultait du procès-verbal que le ministère public avait présenté ses réquisitions sur la demande de renvoi, la chambre de l'instruction a dénaturé ce procès-verbal et écarté à tort le moyen de nullité tiré de l'absence de réquisitions du ministère public sur la demande de renvoi, méconnaissant ainsi les articles 145, alinéa 6, 145-1 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

17. Aux termes de l'article 145, alinéa 6, du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention se prononce sur la prolongation de la détention provisoire après un débat contradictoire au cours duquel sont entendus le ministère public, puis la personne mise en examen et, le cas échéant, son avocat.

18. Ce texte ne prévoit de réquisitions du ministère public que sur le principe de la détention provisoire et le cas échéant sur la publicité des débats.

19. La Cour de cassation, interprétant ces dispositions, juge que la participation du ministère public au débat contradictoire n'est exigée devant le juge des libertés et de la détention que le temps des réquisitions prévues par la loi, sa présence constante n'étant impérative que devant les juridictions de jugement (Crim., 12 mai 2009, pourvoi n° 09-81.384, Bull. crim., 2009, n° 91).

20. Elle juge par ailleurs que les dispositions précitées autorisent le juge des libertés et de la détention à répondre à une demande de renvoi par un écrit adressé à l'avocat de la personne mise en examen, avant le débat contradictoire et sans intervention du ministère public, à la condition que l'éventuel rejet fasse l'objet d'une motivation spécifique (Crim., 6 novembre 2018, pourvoi n° 18-84.703).

21. Il se déduit de ce qui précède que le juge des libertés et de la détention n'est pas tenu de recueillir les réquisitions préalables du ministère public sur une demande de renvoi, sur laquelle il peut valablement statuer en son absence et sans son avis.

22. En conséquence, le moyen est inopérant.

23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Charmoillaux - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : Me Laurent Goldman -

Textes visés :

Article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 114, 137-3 et 145-1 du code de procédure pénale ; articles 145, alinéa 6, 145-1 et 593 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 12 décembre 2018, pourvoi n° 18-85.154, Bull. crim. 2018, n° 215 (rejet), et l'arrêt cité. En sens contraire : Crim., 16 mars 2021, pourvoi n° 20-87.057, Bull. crim. 2021 (cassation sans renvoi). En sens contraire : Crim., 8 juin 2021, pourvoi n° 21-82.017, Bull. crim. 2021 (cassation sans renvoi) ; A rapprocher : Crim., 10 novembre 2021, pourvoi n° 21-85,182, Bull. crim. 2021 (rejet).

Crim., 10 novembre 2021, n° 21-85.182, (B)

Rejet

Détention provisoire – Décision de prolongation – Débat contradictoire – Demande de renvoi – Réquisitions du ministère public – Droits de la défense – Parole en dernier du mis en examen ou de son conseil – Mention au procès-verbal de débat contradictoire

Il se déduit des articles 5 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 145 du code de procédure pénale que la personne qui comparait devant le juge des libertés et de la détention dans le cadre d'un débat contradictoire en matière de détention provisoire, ou son avocat, doivent avoir la parole les derniers.

Le juge des libertés et de la détention, saisi d'une demande de renvoi par la personne mise en examen ou son avocat, n'est pas tenu de solliciter les réquisitions du ministère public sur cette demande ; néanmoins, lorsqu'il le fait, la personne mise en examen ou son avocat doivent avoir la parole après ces réquisitions.

Lorsque tel n'est pas le cas, la nullité du débat contradictoire qui en résulte relève de l'article 802 du code de procédure pénale.

Pour vérifier l'existence d'une telle irrégularité, la chambre de l'instruction peut, lorsque les énonciations de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention sont insuffisantes ou inexistantes, se référer aux mentions du procès-verbal de débat contradictoire.

N'encourt pas la censure l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, à tort, d'une part s'est déterminée au visa de l'article 513 du code de procédure pénale non applicable devant le juge des libertés et de la détention et d'autre part a retenu que l'intéressé avait eu la parole en dernier, dès lors que celui-ci n'allègue aucun grief résultant pour lui de cette irrégularité.

M. [U] [I] a formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 13 juillet 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, blanchiment aggravé, en récidive, association de malfaiteurs et recel, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [I] a été mis en examen des chefs susvisés et placé sous mandat de dépôt correctionnel le 23 juin 2020.

3. Par ordonnance en date du 21 juin 2021, le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de l'intéressé pour une durée de quatre mois.

4. M. [I] a relevé appel de cette décision.

Examen de la recevabilité des pourvois

5. M. [I] ayant épuisé son droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, par l'exercice qu'il en a fait le 23 juillet 2021, son avocat était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre la même décision, le 30 juillet 2021.

6. Seul est recevable le pourvoi formé par l'intéressé le 23 juillet 2021.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a écarté la nullité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, alors « que la personne mise en examen doit avoir la parole en dernier sur tout incident qui n'est pas joint au fond ; qu'il résulte du procès-verbal du débat contradictoire que M. [I], qui a formulé une demande de renvoi en raison de ce qu'il n'était pas assisté, n'a pas eu la parole après que le ministère public ait été entendu sur cette demande de renvoi et que le juge des libertés et de la détention statue sur cet incident qu'il n'a pas joint au fond, de sorte qu'en écartant la nullité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention la chambre de l'instruction a méconnu les articles 145, alinéa 6, et 145- 1, alinéa 2, du code de procédure pénale et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

8. Il se déduit des articles 5 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 145 du code de procédure pénale que la personne qui comparait devant le juge des libertés et de la détention dans le cadre d'un débat contradictoire en matière de détention provisoire, ou son avocat, doivent avoir la parole les derniers.

9. Par arrêt de ce jour (Crim., 10 novembre 2021, pourvoi n°21-84.948, Bull. crim. 2021, (rejet)), la Cour de cassation a jugé que le juge des libertés et de la détention n'est pas tenu de recueillir les réquisitions préalables du ministère public sur une demande de renvoi, présentée à l'occasion d'un tel débat, sur laquelle il peut valablement statuer en l'absence du procureur de la République et sans l'avis de celui-ci.

10. Néanmoins, lorsque le ministère public est entendu, au cours de ce débat, sur une demande de renvoi présentée par la personne mise en examen ou son avocat, ceux-ci doivent pouvoir prendre à nouveau la parole après les réquisitions sur cette demande.

11. Lorsque tel n'est pas le cas, la nullité du débat contradictoire qui en résulte relève de l'article 802 du code de procédure pénale.

12. Saisie d'un grief pris de ce que la défense n'a pas eu la parole en dernier sur une demande de renvoi, la chambre de l'instruction peut, lorsque les énonciations de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention sont insuffisantes ou inexistantes, en examiner le bien fondé en se référant aux mentions du procès-verbal de débat contradictoire.

13. En l'espèce, pour écarter l'exception de nullité de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, prise du fait que M. [I], bien qu'ayant demandé le report du débat contradictoire au motif que son avocat était absent, n'a pas eu la parole après les réquisitions du ministère public sur cet incident, lequel n'a pas été joint au fond, l'arrêt attaqué énonce, au visa de l'article 513 du code de procédure pénale, que c'est par une décision motivée que le juge des libertés et de la détention a refusé de faire droit à la demande de renvoi, en relevant que la période de détention provisoire en cours expirait le lendemain de l'audience alors qu'un premier renvoi avait déjà été accordé à l'intéressé sur sa demande.

14. Les juges ajoutent qu'il résulte des mentions combinées du procès-verbal de débat contradictoire et de l'ordonnance contestée que l'intéressé s'est expliqué sur cette nouvelle demande de renvoi, et de celles du seul procès- verbal de débat contradictoire qu'il a eu la parole en dernier.

15. La chambre de l'instruction en déduit qu'il n'en résulte aucun manquement au droit à un procès équitable, ni aucune violation des droits de la défense, dès lors que M. [I] s'est exprimé sur la demande de renvoi sollicitée, que le ministère public a été entendu en ses réquisitions sur cette demande et qu'il résulte du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention que l'intéressé a eu la parole en dernier.

16. C'est à tort que la chambre de l'instruction, d'une part, s'est déterminée au visa de l'article 513 du code de procédure pénale, qui n'est pas applicable devant le juge des libertés et de la détention, d'autre part, a retenu que l'intéressé avait eu la parole en dernier, alors que, selon les mentions du procès-verbal de débat contradictoire, M. [I], s'il s'est exprimé à l'issue du débat sur la détention, n' a pas été mis en mesure de prendre la parole après les observations du ministère public sur sa demande de renvoi.

17. L'arrêt attaqué n'encourt cependant pas la censure, dès lors que M. [I] n'allègue aucun grief qui résulterait pour lui de l'irrégularité susvisée.

18. Ainsi le moyen doit être écarté.

19. Par ailleurs l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour

DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi formé le 30 juillet 2021 ;

REJETTE le pourvoi formé le 23 juillet 2021.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Seys - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : Me Laurent Goldman -

Textes visés :

Articles 5 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 145, 513 et 802 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 10 novembre 2021, pourvoi n° 21-84.948, Bull. crim. 2021 (rejet).

Crim., 9 novembre 2021, n° 21-82.533, (B)

Rejet

Expertise – Ordonnance aux fins d'expertise – Notification aux avocats des parties – Dérogation – Insuffisance de motivation – Nullité – condition – Allégation et établissement d'un grief

Lorsque l'urgence ou le risque d'entrave aux investigations ne sont pas suffisamment explicités pour justifier l'absence de transmission aux parties d'une ordonnance de commission d'expert conformément aux dispositions de l'article 161-1 du code de procédure pénale, l'annulation de cette ordonnance et des opérations subséquentes est subordonnée au fait que la partie requérante justifie que l'impossibilité de solliciter l'adjonction d'un expert ou que l'énoncé de la mission de l'expert désigné ont porté atteinte à ses intérêts.

Si c'est à tort que la chambre de l'instruction énonce que l'absence de transmission de l'ordonnance de commission d'expert n'a pas porté atteinte aux droits de la défense, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que le demandeur n'a pas établi ni même allégué l'existence d'un grief résultant de l'absence de transmission de cette ordonnance.

M. [O] [G] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Caen, en date du 6 avril 2021, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de meurtre, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 14 juin 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. À la suite de l'ouverture d'une information judiciaire du chef d'homicide volontaire, le juge d'instruction, par ordonnance du 25 mai 2020, a nommé deux experts aux fins de procéder à l'autopsie de la victime.

Les conclusions du rapport d'autopsie ont été notifiées aux parties le 14 décembre suivant.

3. Par requête du 20 novembre 2020, M. [G], qui avait été mis en examen du chef de meurtre le [Date décès 1] 2020, a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en nullité de l'ordonnance de commission d'expert et du rapport d'expertise.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande en nullité visant l'ordonnance du juge d'instruction prescrivant une expertise en urgence aux fins d'autopsie, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article 161-1 du code de procédure pénale, la désignation d'un expert intervient après une procédure contradictoire permettant aux parties – et notamment au mis en examen de modifier ou compléter la mission de l'expert (les questions posées) ou de modifier ou compléter la désignation même de l'expert (adjonction d'un autre expert) ; que la violation de ces dispositions et la méconnaissance du contradictoire qu'elles édictent emportent par elles-mêmes la violation des droits de la défense ; qu'il ne peut y être dérogé qu'en cas d'urgence et lorsque les opérations d'expertise ne peuvent être différées pendant le délai de dix jours imparti pour la procédure contradictoire de l'article 161-1, § 1, ou de risque d'entrave à l'accomplissement des investigations ; qu'en l'absence de l'une ou de l'autre de ces conditions, l'absence du respect de la procédure de l'article 161-1 du code de procédure pénale constitue en elle-même une atteinte aux droits de la défense ; que la chambre de l'instruction qui ne constate aucune des hypothèses dérogatoires de l'article 161-1, § 3, du code de procédure pénale, et se borne à se fonder sur l'attitude du mis en examen après le dépôt du rapport (absence de demande de contre-expertise) pour exclure toute atteinte aux droits de la défense, a violé les articles 161-1, 206 et 593 du code de procédure pénale, l'article préliminaire du code de procédure pénale et les droits de la défense ;

2°/ qu'une expertise aux fins d'autopsie ne comporte aucun caractère d'urgence en soi ; que faute d'établir la moindre urgence de nature à justifié le recours à l'article 161-1, § 3, du code de procédure pénale et l'absence du respect de la procédure de l'article 161-1, § 1, du même code, la chambre de l'instruction a encore violé ce texte, outre les droits de la défense. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article 161-1 du code de procédure pénale, le juge d'instruction adresse sans délai copie de la décision ordonnant une expertise au procureur de la République et aux parties, qui disposent d'un délai de dix jours pour lui demander de modifier ou compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à l'expert ou aux experts désignés tout expert de leur choix. Il ne peut être dérogé à cette obligation que lorsque les opérations d'expertise et le dépôt des conclusions par l'expert doivent intervenir en urgence et ne peuvent être différés pendant le délai de dix jours susvisé ou lorsqu'il existe un risque d'entrave aux investigations.

6. La Cour de cassation juge que la transmission de l'ordonnance de commission d'expert aux parties est une formalité substantielle, prévue à peine de nullité (Crim., 13 octobre 2009, pourvoi n° 09-83.669, Bull. crim. 2009, n° 167), et que l'urgence ou le risque d'entrave aux investigations permettant d'y déroger doivent être précisément caractérisés par le juge d'instruction ou par la chambre de l'instruction (Crim., 11 mars 2014, n° 13-86.965, Bull. crim. 2014, n° 71 et Crim., 15 juin 2016, n° 16-80.347, Bull. crim. 2016, n° 185).

7. Il résulte toutefois des articles 802 et 171 du code de procédure pénale que la méconnaissance d'une formalité substantielle n'entraîne la nullité de l'acte vicié que lorsqu'il en est résulté une atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne.

8. Ainsi, lorsque l'urgence ou le risque d'entrave aux investigations ne sont pas suffisamment explicités pour justifier l'absence de transmission aux parties d'une ordonnance de commission d'expert, l'annulation de cette ordonnance et des opérations subséquentes est subordonnée au fait que la partie requérante justifie que l'impossibilité de solliciter l'adjonction d'un expert ou que l'énoncé de la mission de l'expert désigné ont porté atteinte à ses intérêts.

9. En l'espèce, pour écarter le moyen de nullité selon lequel l'ordonnance de commission d'experts aux fins d'autopsie n'a pas été communiquée au demandeur, l'arrêt attaqué retient que les conclusions du rapport d'expertise ont été notifiées à l'intéressé qui n'a pas formulé d'observation ni déposé de demande tendant à une contre-expertise ou un complément d'expertise, de sorte qu'il n'a pas été porté atteinte aux droits de la défense.

10. C'est à tort que la chambre de l'instruction énonce qu'il n'a pas été porté atteinte aux droits de la défense, dès lors que la transmission de l'ordonnance de commission d'expert aux parties prévue par l'article 161-1 du code de procédure pénale a pour objectif de permettre une discussion contradictoire au stade de l'instruction quant à la possibilité d'adjoindre un expert aux experts désignés et au contenu de leur mission.

11. Pour autant, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que le demandeur n'a pas établi ni même allégué l'existence d'un grief résultant de l'absence de transmission de cette ordonnance.

12. Ainsi le moyen doit être écarté.

13. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme de Lamarzelle - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 161-1 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 13 octobre 2009, pourvoi n° 09-83.669, Bull. crim. 2009, n° 167 (cassation partielle).

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