Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DOUANES

Crim., 17 novembre 2021, n° 20-82.300, (B)

Rejet

Agents des douanes – Pouvoirs – Opérations de contrôle – Procès-verbal – Absence de signature du représentant légal de l'entrepositaire agréé – Exigence normative (non)

L'article L. 80 M du livre des procédures fiscales n'implique pas que chacune des opérations effectuées par les agents des douanes en application des prérogatives qui leur sont reconnues par la loi soit réalisée en présence de la personne contrôlée.

L'article L. 34 du livre des procédures fiscales, qui n'exige pas la présence du représentant légal de l'entrepositaire agréé dans les locaux duquel est effectué un contrôle au titre des contributions indirectes, n'impose pas que le procès-verbal établi lors de ces opérations soit signé par lui.

N'encourt pas la censure l'arrêt, qui, pour écarter l'exception de nullité tirée de ce que les procès-verbaux relatant les opérations de contrôle qui se sont déroulées dans les locaux d'un entrepositaire agréé n'ont pas été signés par un représentant de ce dernier, énonce qu'aucun texte normatif n'impose ce formalisme.

M. [H] [V], la société [1] et l'administration des douanes et des droits indirects ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers, en date du 19 février 2020, qui, pour infractions à la législation sur les contributions indirectes, a condamné les deux premiers à des amendes et pénalité fiscales et a ordonné une mesure de confiscation.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [H] [V] est l'unique associé et gérant de la société [1], ayant une activité de production d'alcools et bénéficiant du statut d'entrepositaire agréé.

3. Les 15 et 23 avril 2015, puis le 8 juin 2015, l'administration des douanes a réalisé des contrôles concernant la comptabilité matière, le stock physique de boissons et le respect des obligations déclaratives et de recensement des produits soumis à accise.

4. Ces opérations de contrôle ont fait l'objet de procès-verbaux d'intervention en date des 20 et 27 avril 2015 et 15 juin 2015.

5. Le 17 août 2015, l'administration des douanes a adressé par lettre recommandée avec avis de réception, à la société [1], un avis préalable de taxation, pour un montant total de 33 904 euros.

6. Par ce courrier, qui détaillait les manquants constatés, l'administration a invité le dépositaire agréé à présenter ses observations et produire tout justificatif sous un délai de 30 jours.

7. Par courrier du 16 septembre 2015, M. [V] a présenté à l'administration des douanes des observations sur l'avis préalable de taxation, auxquelles il a été répondu par courrier du 5 octobre 2015.

8. Le 3 novembre 2015, l'administration des douanes a notifié à M. [V], ès qualités de gérant de la société [1] un procès-verbal de notification portant sur les infractions de manquants anormaux de whisky, de pastis et d'alcool surfin, défaut de tenue de registres de fabrication, de manipulation et de mise en bouteilles, fausses déclarations récapitulatives mensuelles et fausse déclaration annuelle d'inventaire.

9. La proposition de transaction présentée par l'administration des douanes et droits indirects n'ayant pas été suivie d'effet, l'administration a fait citer M. [V] et la société [1] devant le tribunal correctionnel.

10. Par jugement en date du 24 octobre 2017, le tribunal correctionnel a annulé les procès-verbaux rédigés à la suite des contrôles, ainsi que la procédure douanière subséquente et la citation.

11. L'administration des douanes a formé appel de cette décision.

Déchéance du pourvoi formé par l'administration des douanes et des droits indirects

12. L'administration des douanes et des droits indirects n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens

13. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement entrepris et a rejeté les exceptions de nullité et de prescription élevées par la société [1], alors « qu'en matière de contributions indirectes et de réglementations assimilées, toute constatation susceptible de conduire à une taxation donne lieu à un échange contradictoire entre le contribuable et l'administration ; qu'il s'évince d'une telle exigence que les enquêteurs ne peuvent établir un procès-verbal de recensement, qui constitue le support de l'accusation, sans inviter la personne poursuivie à prendre connaissance des informations qui s'y trouvent et à signer le procès-verbal ; qu'en énonçant qu'aucun texte normatif n'imposait une telle exigence, lorsque celle-ci s'évinçait du respect du contradictoire et des droits de la défense, la cour d'appel a violé l'article L. 80 M du livre des procédures fiscales et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

15. Pour infirmer le jugement et écarter le moyen de nullité, selon lequel l'article L. 80 M du livre des procédures fiscales imposant que toute constatation susceptible de conduire à une taxation en matière de contributions indirectes donne lieu à un échange contradictoire entre le contribuable et l'administration, les procès-verbaux relatant les opérations de contrôle qui se sont déroulées dans les locaux de la société [1], qui n'ont pas été signés par un représentant de cette dernière sont irréguliers, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'aucun texte normatif n'impose ce formalisme.

16. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

17. En effet, d'une part, l'article L. 34 du livre des procédures fiscales, qui au contraire réglemente l'hypothèse de son absence, n'exige pas la présence du représentant légal de l'entrepositaire agréé dans les locaux duquel est effectué un contrôle au titre des contributions indirectes.

18. D'autre part, si ce texte commande que la copie du procès-verbal établi lors des opérations soit transmis à l'occupant des locaux contrôlés, ni lui, ni aucun autre texte n'impose que ce procès-verbal soit signé par l'entrepositaire agréé.

19. Enfin, l'article L. 80 M du livre des procédures fiscales, qui impose un échange contradictoire entre l'administration et le contribuable au cours de la procédure aboutissant à l'établissement d'un procès-verbal de notification d'infraction à la législation sur les contributions indirectes, n'implique pas que chacune des opérations effectuées par les agents des douanes en application des prérogatives qui leur sont reconnues par la loi soit réalisée en présence de la personne contrôlée.

20. Ainsi, le moyen doit être écarté.

21. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par l'administration des douanes et des droits indirects :

CONSTATE la déchéance du pourvoi ;

Sur les pourvois formés par M. [H] [V] et la société [1] :

LES REJETTE.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : M. Bougy - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles L. 34 et L. 80 M du livre des procédures fiscales.

Crim., 17 novembre 2021, n° 20-82.972, (B)

Cassation partielle

Procédure – Appel correctionnel – Appel de l'administration des douanes – Effet – Appel du ministère public – Irrecevabilité (non)

L'administration des douanes dont les agents ont été saisis au stade de l'enquête en application des I et II de l'article 28-1 du code de procédure pénale, autorisée par le ministère public à exercer l'action pour l'application des sanctions fiscales en application de l'article 343, 3°, du code des douanes, est en droit, sans qu'il soit nécessaire que cette autorisation soit renouvelée, de former appel des dispositions douanières du jugement.

Cette autorisation n'a pas pour effet de priver le ministère public du droit d'exercer les voies de recours par lesquelles l'action pour l'application des sanctions fiscales se poursuit.

Encourt en conséquence la cassation, l'arrêt qui, pour déclarer irrecevable l'appel du procureur de la République sur les dispositions douanières du jugement déféré, énonce que ce dernier avait autorisé l'administration des douanes à exercer l'action fiscale devant le tribunal correctionnel, de sorte qu'elle seule avait la possibilité de soutenir un appel.

La [2], partie poursuivante, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-14, en date du 9 mars 2020, qui a déclaré irrecevable l'appel du ministère public sur les dispositions douanières du jugement, a condamné Mme [C] [S] et M. [K] [J], pour importation en contrebande de marchandises prohibées et détention et transport de marchandises soumises à justificatif, à une amende douanière et a ordonné une mesure de confiscation.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Contrôlé par des agents des douanes dans le train Thalys alors qu'il se rendait à Anvers, M. [J] a été trouvé en possession de trente-cinq bijoux en or dont il n'a pu justifier l'origine. Il a déclaré travailler pour le compte de la société [1], dont Mme [S] est la gérante, et se rendre à Anvers pour faire fondre ces bijoux.

3. A la suite d'une enquête préliminaire, confiée par le procureur de la République aux services de la douane judiciaire, en application de l'article 28-1 du code de procédure pénale, M. [J] et Mme [S] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel, le premier des chefs de transport et détention de bijoux sans document justificatif régulier, tenue non conforme du registre de police et achat par un fabricant ou un marchand de bijoux à une personne inconnue, la seconde des chefs de transport et détention de bijoux sans document justificatif régulier, blanchiment douanier et travail dissimulé.

4. Le 20 janvier 2017, le ministère public a autorisé l'administration des douanes à exercer l'action pour l'application des sanctions fiscales dans la procédure suivie contre M. [J] et Mme [S].

5. Par jugement en date du 16 octobre 2017, le tribunal correctionnel a relaxé M. [J] des chefs de tenue non conforme du registre de police, achat par un fabricant ou un marchand de bijoux à une personne inconnue et l'a condamné pour détention et transport de bijoux sans document justificatif régulier à une amende douanière de 1 000 euros.

6. Les premiers juges ont condamné Mme [S] à des amendes douanières de 5 000 euros pour détention de bijoux sans document justificatif régulier et 16 000 euros pour blanchiment douanier et l'ont relaxée pour le surplus. Ils ont ordonné la confiscation des scellés.

7. Mme [S], M. [J] et le procureur de la République ont formé appel.

8. Le ministère public a autorisé l'administration des douanes à exercer l'action fiscale en appel par une décision du 9 janvier 2020.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable l'appel du ministère public sur les dispositions douanières du jugement déféré, alors :

« 1°/ qu'en considérant que seule l'administration des douanes était recevable à former appel des dispositions douanières du jugement entrepris du fait qu'elle avait été autorisée par le ministère public à exercer l'action fiscale, quand l'autorisation qui lui avait été délivrée le 20 janvier 2017 ne valait que pour l'exercice de l'action fiscale en première instance, de sorte que le ministère public avait toute latitude pour former lui-même appel des dispositions douanières du jugement déféré, la cour d'appel a violé l'article 343, § 3, du code des douanes ;

2°/ qu'en toute hypothèse, en considérant que seule l'administration des douanes était recevable à former appel des dispositions douanières du jugement entrepris du fait qu'elle avait été autorisée par le ministère public à exercer l'action fiscale, quand le ministère public, même lorsqu'il a accordé à l'administration des douanes une autorisation générale pour exercer l'action fiscale, peut toujours exercer lui-même une telle action, la cour d'appel a violé l'article 343, § 3 du code des douanes ;

3°/ qu'en considérant que seule l'administration des douanes était recevable à former appel des dispositions douanières du jugement entrepris du fait qu'elle avait été autorisée par le ministère public à exercer l'action fiscale, quand l'autorisation qui lui avait été délivrée le 9 janvier 2020 ne l'avait été que postérieurement à l'expiration du délai d'appel, de sorte que le ministère public était recevable à former lui-même appel, dans ce délai, des dispositions douanières du jugement déféré, la cour d'appel a violé l'article 343, § 3 du code des douanes. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 343, 3°, du code des douanes :

10. Aux termes du premier alinéa de ce texte, dans les procédures dont les agents des douanes ont été saisis en application des I et II de l'article 28-1 du code de procédure pénale, le ministère public exerce l'action pour l'application des sanctions fiscales.

11. Aux termes du deuxième alinéa, le ministère public peut accorder à l'administration douanière l'autorisation d'exercer cette action.

12. Ainsi que la Cour de cassation le juge à l'égard du pourvoi (Crim., 20 avril 2017, pourvoi n° 15-83.595), l'administration douanière autorisée à agir en première instance est en droit, sans qu'il soit nécessaire que cette autorisation soit renouvelée, de former appel des dispositions douanières du jugement.

13. Pour autant, cette autorisation n'a pas pour effet de priver le ministère public du droit d'exercer les voies de recours par lesquelles l'action pour l'application des sanctions fiscales se poursuit.

14. En effet, cette autorisation n'emporte pas renonciation du ministère public à exercer l'action douanière.

15. Une telle interprétation est en cohérence avec la jurisprudence selon laquelle, lorsque le ministère public, par application de l'article 343 2° du code des douanes, exerce l'action pour l'application des sanctions fiscales accessoirement à l'action publique, l'administration des douanes est recevable à former appel du jugement rendu en son absence (Crim., 16 juin 2011, pourvoi n° 10-86.808, Bull. crim. 2011, n° 138).

16. En l'espèce, pour déclarer irrecevable l'appel du procureur de la République sur les dispositions douanières du jugement déféré, l'arrêt attaqué énonce que ce dernier avait autorisé l'administration des douanes à exercer l'action fiscale devant le tribunal correctionnel, de sorte qu'elle seule avait la possibilité de soutenir un appel.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe rappelé au paragraphe13.

18. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

19. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions par lesquelles l'appel du ministère public sur les dispositions douanières du jugement déféré a été déclaré irrecevable ainsi que celles relatives aux infractions douanières et aux sanctions fiscales prononcées.

Les dispositions relatives au délit de droit commun seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 9 mars 2020, mais en ses seules dispositions ayant déclaré irrecevable l'appel des dispositions douanières du jugement déféré formé par le ministère public et relatives aux infractions douanières et aux sanctions fiscales prononcées, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénal.

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 28-1, I et II, du code de procédure pénale ; article 343, 3°, du code des douanes.

Rapprochement(s) :

Crim., 16 juin 2011, pourvoi n° 10-86.808, Bull. crim. 2011, n° 138 (cassation partielle).

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