Numéro 11 - Novembre 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

CONTROLE JUDICIAIRE

Crim., 4 novembre 2021, n° 21-85.144, (B)

Rejet

Obligations – Obligation de ne pas se livrer à certaines activités professionnelles – Conditions – Infraction commise dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de cette activité – Applications diverses – Activité bénévole – Fonction religieuse

En application de l'article 138, 12°, du code de procédure pénale, toute personne placée sous contrôle judiciaire peut se voir interdire l'exercice d'une activité de nature professionnelle ou sociale lorsque l'infraction a été commise dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de cette activité et lorsqu'il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise.

Doit être approuvée, la décision de la chambre de l'instruction qui prononce cette mesure à l'égard d'un imam dès lors qu'une fonction religieuse, fut-elle bénévole, entre dans le cadre de cette disposition et que les conditions posées par le § 2 de l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont remplies.

M. [H] [K] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, en date du 23 juillet 2021, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de viol aggravé et agressions sexuelles aggravées, a réformé partiellement l'ordonnance du juge d'instruction le plaçant sous contrôle judiciaire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mme [O] [B] a porté plainte contre son beau-père, M. [H] [K], qui exerce les fonctions d'imam, en raison de faits d'agression sexuelle et de viol qui ont débuté alors qu'elle était mineure.

3. Par une ordonnance du 23 juin 2021, le juge d'instruction a placé M. [K] sous contrôle judiciaire en le soumettant à plusieurs obligations.

4. Le procureur de la République a relevé appel de cette ordonnance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a réformé partiellement l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire en y ajoutant l'interdiction d'exercer les fonctions d'imam en application de l'article 138, 12° du code de procédure pénale et l'interdiction d'exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs, alors :

« 1°/ que les mesures prises dans le cadre du contrôle judiciaire qui peuvent conduire à interdire à la personne mise en examen d'exercer son activité professionnelle suppose que l'infraction ait été commise dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice d'une activité professionnelle ; qu'en interdisant en l'espèce à M. [K] d'exercer ses fonctions d'imam sans s'interroger sur le point de savoir si cette fonction pouvait être considérée comme une activité professionnelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 138, alinéa 2, 12°, du code de procédure pénale ;

2°/ que si le contrôle judiciaire peut être ordonné et soumettre la personne mise en examen à l'obligation de ne pas se livrer à certaines activités de nature professionnelle, c'est à la condition que l'infraction ait été commise dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ces activités et lorsqu'il est à redouter qu'une nouvelle infraction soit commise ; qu'il appartient à la juridiction qui prononce la mesure de justifier de ces deux conditions cumulatives ; qu'il ressort des éléments de fait du dossier que les infractions imputées à M. [K] auraient été commises dans le cadre privé, à son domicile et pratiquées sur un membre de sa famille ; qu'en s'abstenant de préciser en quoi les fonctions d'iman, qui n'implique pas de contact avec les enfants, avait été et était de nature à favoriser la reproduction de l'infraction alléguée, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 138, alinéa 2, 12°, du code de procédure pénale ;

3°/ que le juge statuant en matière de contrôle judiciaire doit veiller à ce que les mesures prononcées ne portent pas atteinte de manière disproportionnée à une liberté fondamentale ; qu'en interdisant en l'espèce à M. [K] d'exercer sa fonction d'imam sans s'assurer que cette interdiction ne portait pas atteinte de manière disproportionnée à l'exercice de sa religion, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 9 de la Cour européenne des droits de l'homme.

Réponse de la Cour

6. Pour réformer partiellement l'ordonnance plaçant M. [K] sous contrôle judiciaire en y ajoutant l'interdiction d'exercer les fonctions d'imam et celle d'exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs, les juges relèvent qu'il existe des indices graves et concordants que le mis en examen aurait imposé à sa belle-fille, en profitant de ses fonctions d'imam, des Rouqyas (désenvoutements musulmans) lors desquels il a abusé d'elle et s'est livré à des caresses et à des attouchements entre ces séances.

7. En l'état de ces énonciations la chambre de l'instruction a fait l'exacte application du texte visé au moyen pour les motifs qui suivent.

8. En premier lieu, une fonction religieuse, fut-elle bénévole, constitue une activité de nature professionnelle ou sociale au sens de l'article 138, 12°, du code de procédure pénale.

9. En deuxième lieu, les agissements incriminés ont été commis dans le cadre des fonctions d'imam et laissent redouter qu'une nouvelle infraction soit commise.

10. En troisième lieu, le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que l'interdiction prononcée aurait méconnu l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle répond aux conditions posées par le second paragraphe de cette disposition.

En effet, d'une part, l'interdiction est prévue par la loi, d'autre part, elle répond aux objectifs de protection de l'ordre et de la sécurité publique, enfin, elle est proportionnée en ce qu'elle est temporaire, qu'elle est prononcée à titre de mesure de sûreté, et, qu'en dehors de ses seules fonctions d'imam, elle ne porte aucune atteinte à la pratique religieuse personnelle de l'intéressé.

11. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

12. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. de Lamy - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 138, 12°, du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 24 mai 2018, pourvoi n° 18-81.240, Bull. crim. 2018, n° 101 (rejet), et l'arrêt cité ; Crim., 4 novembre 2021, pourvoi n° 21-80.413, Bull. crim. 2021, (rejet).

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