Numéro 11 - Novembre 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

CASSATION

Crim., 25 novembre 2020, n° 18-86.955, (P)

Cassation partielle

Arrêt – Arrêt de revirement – Règle nouvelle – Application dans le temps – Détermination

CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par la société Iron mountain France SAS contre l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, chambre correctionnelle, en date du 26 septembre 2018, qui, dans les procédures suivies contre elle et la société Intradis du chef de destruction involontaire par explosion ou incendie, a ordonné la jonction des procédures, fixé le montant de la consignation mise à la charge des parties civiles et ordonné un supplément d'information.

Par ordonnance en date du 26 décembre 2019, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. A l'issue de l'information judiciaire ouverte après l'incendie, le 28 janvier 2002, de ses entrepôts de stockage d'archives, la société Intradis, par acte du 24 juillet 2017, a été convoquée à l'audience du tribunal correctionnel du 23 novembre 2017, du chef de destruction involontaire de bien appartenant à autrui par l'effet d'un incendie provoqué par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi.

3. Le 31 mars 2017, la société Recall France et sa filiale Intradis avaient été absorbées par la société Iron Mountain dans le cadre d'une opération de fusion-absorption.

4. La société Ebenal, M. V... F..., M. P... X... et la société Kering, parties civiles, ont fait citer la société Iron Mountain à comparaître à l'audience du 23 novembre 2017.

En outre, cette dernière société est intervenue volontairement à la procédure ouverte après information judiciaire.

5. Par jugement en date du 8 février 2018, le tribunal correctionnel a fixé le montant des consignations à verser par les parties civiles en application de l'article 392-1 du code de procédure pénale et ordonné un supplément d'information afin de déterminer les circonstances de l'opération de fusion-absorption, et de rechercher tout élément relatif à la procédure en cours, notamment s'agissant de l'infraction de destruction involontaire initialement poursuivie à l'encontre de la société Intradis.

6. La société Iron Mountain a formé appel de cette décision.

7. Par ordonnance en date 22 février 2018, le président de la chambre des appels correctionnels a ordonné l'examen immédiat de l'appel.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens

Enoncé des moyens

8. Le premier moyen est pris de la violation des articles1844-5, 1844-7 du code civil, 2, 3, 6, 151 à 155, 388, 463, 591 à 593 du code de procédure pénale.

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté la société Iron Mountain France de sa demande de nullité du supplément d'information ordonné par le tribunal correctionnel d'Amiens visant à entendre M. U... J..., responsable en activité au sein des sociétés concernées par l'opération de fusion-acquisition du 31 mars 2017 et le pénalement responsable de la société Iron Mountain France, alors :

« 1°/que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en vertu de l'article 121-1 du code pénal, sont interdites les poursuites pénales à l'encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière ait perdu son existence juridique ; qu'en l'espèce, la société Recall France, ayant pour filiale la société Intradis, a fait l'objet d'une fusion-absorption par la société Iron Mountain France ; qu'en confirmant la mesure d'instruction destinée à entendre M. U... J..., responsable en activité au sein des sociétés concernées par l'opération de fusion-acquisition du 31 mars 2017 et le pénalement responsable de la société Iron Mountain France, aux motifs inopérants qu'elle permettrait de déterminer si la fusion-absorption avait été entachée de fraude et ainsi retenir la responsabilité pénale de la société Iron Mountain France dans les faits de destruction involontaire d'un bien appartenant à autrui par l'effet d'un incendie reprochés à la société absorbée Intradis, bien que l'action publique ne pouvait pas être engagée à son égard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

2°/ que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que les tribunaux répressifs ne sont compétents pour connaître de l'action civile en réparation du dommage né d'une infraction accessoirement à l'action publique, que lorsqu'il a été préalablement statué au fond sur l'action publique ; qu'en l'espèce, dès lors qu'aucune décision au fond sur l'action publique n'avait été prononcée, la juridiction correctionnelle ne pouvait connaître de l'action civile à l'encontre de la société Iron Mountain France ; qu'en refusant néanmoins d'annuler le supplément d'information, aux motifs inopérants qu'il permettrait de déterminer si la fusion-absorption avait été entachée de fraude et ainsi retenir la responsabilité pénale de la société Iron Mountain France dans les faits de destruction involontaire d'un bien appartenant à autrui par l'effet d'un incendie reprochés à la société absorbée Intradis, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés. »

10. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 463, 512, 538, 591 à 593 du code de procédure pénale.

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, avant dire droit au fond, ordonné un supplément d'information visant à entendre M. U... J..., responsable en activité au sein des sociétés concernées par l'opération de fusion-acquisition du 31 mars 2017 et le pénalement responsable de la société Iron Mountain France, sur les raisons, les modalités et les conditions de la fusion-acquisition des sociétés Intradis, Recall France et Iron Mountain France, sur l'existence d'une telle opération de reprise dans les autres pays européens où s'exerce l'activité de la société Iron Mountain France, ainsi que sur tout élément relatif à la procédure en cours et notamment l'infraction de destruction involontaire poursuivie initialement à l'encontre de la société Intradis, alors « que le supplément d'information ne doit porter que sur les faits et prévenus objets des poursuites ; qu'en l'espèce, en confirmant le jugement ayant ordonné le supplément d'information visant à rechercher la responsabilité pénale de la société Iron Mountain France, bien qu'il ait relevé qu'il intervenait dans le cadre de la procédure d'instruction visant uniquement la société Intradis, la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés ».

Réponse de la Cour

12. Les moyens sont réunis.

13. Les moyens posent la question de savoir dans quelles conditions, en cas de fusion-absorption, la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits commis, avant la fusion, par la société absorbée.

14. Pour répondre à cette question, il importe de déterminer s'il existe un principe général de transfert de la responsabilité pénale en cas de fusion-absorption (paragraphes 15 à 37) et si, le cas échéant, ce principe s'applique immédiatement (paragraphes 38 et 39). Ce n'est qu'en cas de réponse négative à l'une ou l'autre de ces deux sous-questions qu'il sera nécessaire de déterminer si la solution doit être différente en cas de fraude (paragraphes 40 à 42).

15. Aux termes de l'article 121-1 du code pénal, nul n'est responsable pénalement que de son propre fait.

16. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, ce principe, dont l'interprétation doit respecter l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, s'oppose à ce qu'à la suite d'une opération de fusion-absorption, la société absorbante soit poursuivie et condamnée pour des faits commis antérieurement à ladite opération par la société absorbée, dissoute par l'effet de la fusion (Crim., 20 juin 2000, pourvoi n° 99-86.742, Bull. crim. 2000, n° 237 ; Crim., 14 octobre 2003, pourvoi n° 02-86.376, Bull. crim. 2003, n° 189).

17. La Cour de cassation a maintenu sa jurisprudence même après que la Cour de justice de l'Union européenne eut dit pour droit que les dispositions de l'article 19, § 1, de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiées à l'article 105, § 1, de la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés, doivent être interprétées en ce sens qu'une fusion par absorption entraîne la transmission à la société absorbante de l'obligation de payer une amende infligée après cette fusion pour des infractions au code du travail commises par la société absorbée avant la fusion (CJUE, arrêt du 5 mars 2015, Modelo Continente Hipermercados SA c/ Autoridade para as Condições de Trabalho, C-343/13).

18. Elle a en effet considéré que, d'une part, l'article 121-1 du code pénal ne pouvait s'interpréter que comme interdisant que des poursuites pénales soient engagées à l'encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière ne perde son existence juridique par l'effet d'une fusion-absorption, d'autre part, ledit article ne pouvait être écarté comme contraire à la directive du 9 octobre 1978 puisqu'une directive ne peut pas produire un effet direct à l'encontre d'un particulier (Crim., 25 octobre 2016, pourvoi n° 16-80.366, Bull. crim. 2016, n° 275).

19. Cette interprétation de l'article 121-1 du code pénal se fonde sur la considération que la fusion, qui entraîne la dissolution de la société absorbée, lui fait perdre sa personnalité juridique et entraîne l'extinction de l'action publique en application de l'article 6 du code de procédure pénale.

La société absorbante, personne morale distincte, ne saurait en conséquence être poursuivie pour les faits commis par la société absorbée.

20. Elle repose sur l'assimilation de la situation d'une personne morale dissoute à celle d'une personne physique décédée.

21. Or, cette approche anthropomorphique de l'opération de fusion-absorption doit être remise en cause car, d'une part, elle ne tient pas compte de la spécificité de la personne morale, qui peut changer de forme sans pour autant être liquidée, d'autre part, elle est sans rapport avec la réalité économique.

22. En effet, selon l'article L.236-3 du code de commerce, la fusion-absorption, si elle emporte la dissolution de la société absorbée, n'entraîne pas sa liquidation. De même, le patrimoine de la société absorbée est universellement transmis à la société absorbante et les actionnaires de la première deviennent actionnaires de la seconde.

En outre, en application de l'article L.1224-1 du code du travail, tous les contrats de travail en cours au jour de l'opération se poursuivent entre la société absorbante et le personnel de l'entreprise.

23. Il en résulte que l'activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée, qui constitue la réalisation de son objet social, se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de cette opération.

24. La Cour européenne des droits de l'homme, se fondant sur la continuité économique existant entre la société absorbée et la société absorbante, en déduit que « la société absorbée n'est pas véritablement " autrui " à l'égard de la société absorbante » et juge en conséquence que le prononcé d'une amende civile, à laquelle est applicable le volet pénal de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, à l'encontre d'une société absorbante, pour des actes restrictifs de concurrence commis avant la fusion par la société absorbée, ne porte pas atteinte au principe de personnalité des peines (CEDH, décision du 24 octobre 2019, Carrefour France c. France, n°37858/14).

25. Ainsi, la continuité économique et fonctionnelle de la personne morale conduit à ne pas considérer la société absorbante comme étant distincte de la société absorbée, de sorte que l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne s'oppose pas à ce que l'article 121-1 du code pénal soit désormais interprété comme permettant que la première soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d'une infraction commise par la seconde avant l'opération de fusion-absorption.

26. L'article 6 du code de procédure pénale, qui ne prévoit pas expressément l'extinction de l'action publique lors de l'absorption d'une société, ne s'oppose pas non plus à cette interprétation.

27. Dès lors que la nouvelle interprétation de l'article 121-1 du code pénal est possible, elle devient nécessaire si elle est la seule à même, en l'état du droit interne, de permettre de tirer les conséquences de l'arrêt de la Cour de justice du 5 mars 2015, précité.

28. Il convient en effet de rappeler que les juridictions nationales ont l'obligation d'interpréter le droit interne dans un sens conforme au droit de l'Union, sous la seule réserve que cette interprétation ne les conduise pas à faire produire aux dispositions d'une directive un effet direct à l'encontre d'un particulier (CJCE, arrêt du 26 sept. 1993, Arcaro, C-168/95 ; CJCE, arrêt du 3 mai 2005, Berlusconi e.a., C-387/02, C-391/02 et C-403/02). Cette limite est respectée lorsque le texte national peut être interprété dans le sens de la directive, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de l'écarter pour donner son plein effet à cette dernière.

29. Or, dans l'arrêt précité du 5 mars 2015, la Cour de justice de l'Union relève que l'opération de fusion par absorption entraîne de façon automatique non seulement la transmission universelle de l'ensemble du patrimoine actif et passif de la société absorbée à la société absorbante, mais aussi la cessation de l'existence de la société absorbée. Elle en déduit que sans la transmission à la société absorbante de la responsabilité contraventionnelle, cette responsabilité serait éteinte.

30. Cette juridiction retient qu'une telle extinction serait en contradiction avec la nature même de la fusion par absorption telle que définie à l'article 3 paragraphe 1 de la directive 78/855, dans la mesure où, aux termes de ces dispositions, une telle fusion consiste en un transfert de l'ensemble du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante par suite d'une dissolution sans liquidation.

31. Elle ajoute que cette interprétation répond également à l'objectif posé par la directive de protection des tiers, parmi lesquels figurent les entités qui, à la date de la fusion, ne sont pas encore à qualifier de créanciers ou de porteurs d'autres titres, mais qui peuvent être ainsi qualifiées après cette opération en raison de situations nées avant celle-ci. Tel est le cas de l'Etat membre dont les autorités sont susceptibles d'infliger une sanction pour une infraction commise avant la fusion.

32. Elle relève encore que, si la transmission d'une telle responsabilité était exclue, une fusion constituerait un moyen pour une société d'échapper aux conséquences des infractions qu'elle aurait commises, au détriment de l'État membre concerné ou d'autres intéressés éventuels.

33. Selon la Cour de justice de l'Union, cette conclusion n'est pas infirmée par l'argument selon lequel la transmission de la responsabilité contraventionnelle d'une société absorbée moyennant une fusion serait contraire aux intérêts des créanciers et des actionnaires de la société absorbante, dans la mesure où ces derniers ne seraient pas à même d'évaluer les conséquences économiques et patrimoniales de cette fusion.

En effet, d'une part, lesdits créanciers doivent, en vertu de l'article 13, paragraphe 2, de la directive 78/855, avoir le droit d'obtenir des garanties adéquates lorsque la situation financière des sociétés qui fusionnent rend cette protection nécessaire, le cas échéant en saisissant l'autorité administrative ou judiciaire compétente pour obtenir de telles garanties. D'autre part les actionnaires de la société absorbante peuvent être protégés, notamment, par l'insertion d'une clause de déclarations et de garanties dans l'accord de fusion.

En outre, rien n'empêche la société absorbante de faire effectuer avant la fusion un audit détaillé de la situation économique et juridique de la société à absorber pour obtenir, en plus des documents et des informations disponibles en vertu des dispositions législatives, une vue plus complète des obligations de cette société.

34. En l'état actuel du droit interne, l'interprétation de l'article 121-1 du code pénal autorisant le transfert de responsabilité pénale entre la société absorbée et la société absorbante est la seule voie permettant de sanctionner pécuniairement la société absorbante pour des faits commis avant la fusion par la société absorbée.

35. Il se déduit de ce qui précède qu'en cas de fusion-absorption d'une société par une autre société entrant dans le champ de la directive précitée, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d'amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d'une infraction commise par la société absorbée avant l'opération.

36. La personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière, qui bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, peut se prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer.

37. En conséquence, le juge qui constate qu'il a été procédé à une opération de fusion-absorption entrant dans le champ de la directive précitée ayant entraîné la dissolution de la société mise en cause, peut, après avoir constaté que les faits objet des poursuites sont caractérisés, déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner à une peine d'amende ou de confiscation.

38. Cependant, cette interprétation nouvelle, qui constitue un revirement de jurisprudence, ne peut s'appliquer aux fusions antérieures à la présente décision sans porter atteinte au principe de prévisibilité juridique découlant de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme dont il résulte que tout justiciable doit pouvoir savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef.

39. Elle ne s'appliquera, en conséquence, qu'aux opérations de fusion conclues postérieurement au prononcé du présent arrêt et sera donc sans effet dans la présente affaire.

40.Cependant, le supplément d'information critiqué par les moyens ayant notamment pour objet de mettre à jour une éventuelle fraude, il apparaît nécessaire de déterminer si un régime particulier s'applique dans une telle hypothèse.

41. A cet égard, il doit être considéré que l'existence d'une fraude à la loi permet au juge de prononcer une sanction pénale à l'encontre de la société absorbante lorsque l'opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale. Cette possibilité est indépendante de la mise en œuvre de la directive du 9 octobre 1978, précitée.

42. Si la Cour de cassation n'a pas eu l'occasion de se prononcer sur ce point, sa doctrine, qui ne saurait ainsi constituer un revirement de jurisprudence, n'était pas imprévisible. Elle est donc applicable aux fusions-absorptions conclues avant le présent arrêt.

43. Il en résulte qu'en ordonnant un supplément d'information dans le but, notamment, de déterminer si l'opération avait été entachée de fraude, la cour d'appel n'a pas méconnu le droit applicable au moment où elle a statué.

44. En conséquence, les moyens doivent être écartés.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

45. Le moyen est pris de la violation des articles 463, 512, 591 à 593 du code de procédure pénale.

46. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, avant dire droit au fond, ordonné un supplément d'information et désigné le commandant de la compagnie de gendarmerie de Versailles pour y procéder, alors « que la juridiction qui ordonne un supplément d'information doit obligatoirement désigner pour y procéder un des membres qui a prononcé la décision ; qu'en refusant d'annuler le supplément d'information ordonné par le tribunal correctionnel, qui avait désigné le commandant de la compagnie de gendarmerie de Versailles pour y procéder au lieu d'un de ses membres, la cour d'appel a méconnu les règles de compétence d'ordre public et violé les textes susvisés ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 463 et 512 du code de procédure pénale :

47. Selon ces textes, s'il y a lieu de procéder à un supplément d'information, la cour d'appel commet, par arrêt, un de ses membres qui dispose des pouvoirs prévus aux articles 151 à 154-1 du code de procédure pénale. Ce supplément d'information obéit aux règles édictées par les articles 114 et 119 à 121 du même code.

48. La cour d'appel a confirmé le supplément d'information ordonné par les premiers juges, ainsi que les dispositions du jugement désignant le commandant de la compagnie de gendarmerie de Versailles pour y procéder.

49. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de désigner l'un de ses membres pour procéder au supplément d'information qu'elle ordonnait, la cour d'appel a violé les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

50. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Amiens en date du 26 septembre 2018, mais en ses seules dispositions ayant désigné le commandant de la compagnie de gendarmerie de Versailles pour procéder au supplément d'information ordonné.

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d' Amiens autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme ; directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes ; directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 ; article 121-1 du code pénal.

Rapprochement(s) :

En sens contraire : Crim., 25 octobre 2016, pourvoi n° 16-80.366, Bull. crim. 2016, n° 275 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Crim., 17 novembre 2020, n° 20-84.817, (P)

Rejet

Pourvoi – Effet suspensif – Chambre de l'instruction – Arrêt – Caractère exécutoire – Conditions – Délais de pourvoi expirés – Intérêt à se pourvoir – Absence d'influence

Il se déduit de l'article 570, alinéas 2 et 3, du code de procédure pénale que l'arrêt de la chambre de l'instruction distinct de l'arrêt au fond n'est pas exécutoire tant que les délais de pourvoi du ministère public et de toutes les parties à la procédure ne sont pas expirés, peu important que celles-ci aient ou non un intérêt à former un tel recours, dès lors qu'il revient à la seule Cour de cassation, saisie d'un pourvoi, d'en apprécier la recevabilité.

Justifie dès lors sa décision la chambre de l'instruction, qui, pour écarter l'exception de nullité du débat contradictoire formée par la personne mise en examen prise de ce qu'au jour de ce débat figuraient toujours en procédure des pièces annulées par un arrêt contre lequel elle alléguait qu'elle, ou une autre personne mise en examen, était dépourvue d'intérêt à se pourvoir, énonce qu'au jour de la tenue de ce débat, cet arrêt n'avait pas force exécutoire, le délai pour former un pourvoi contre celui-ci n'ayant pas expiré.

REJET du pourvoi formé par M. D... F... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 29 juillet 2020, qui, dans la procédure suivie notamment contre lui, des chefs de récidive d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime, recel en bande organisée, usage de fausse plaque d'immatriculation et infractions à la législation sur les armes, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. F... a été mis en examen le 8 juillet 2019 des chefs susvisés et placé en détention provisoire le même jour.

3. Sa détention provisoire a été prolongée par ordonnances successives du juge des libertés et de la détention des 6 novembre 2019, 26 février et 6 juillet 2020.

4. Lors du débat de prolongation de la détention qui s'est tenu le 6 juillet 2020, le dossier de la procédure remis au juge des libertés et de la détention a comporté un certain nombre de pièces, en particulier relatives à la garde à vue de l'intéressé, et les actes subséquents, qui ont été annulés par arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 22 juin 2020.

5. M. F... a relevé appel de l'ordonnance prolongeant sa détention provisoire.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit n'y avoir lieu d'ordonner la mise en liberté d'office de M. F... et d'avoir au contraire confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant prolongé la détention provisoire de M. F... pour une durée de quatre mois alors « que les pièces annulées par arrêt d'une chambre de l'instruction doivent être retirées du dossier de la procédure dès lors qu'est expiré le délai dont disposaient, pour se pourvoir, les parties qui auraient eu intérêt à solliciter la cassation du chef de l'arrêt annulant ces pièces ; qu'en retenant, pour juger que les pièces relatives à la garde à vue de MM. F..., M... et K..., annulées par trois arrêts du 22 juin 2020, pouvaient se trouver dans le dossier le 6 juillet 2020, qu'à cette date, M. K... pouvait encore se pourvoir contre l'arrêt du 22 juin 2020, et que MM. F... et M... s'étaient effectivement pourvus contre cet arrêt, quand MM. F..., K... et M... étaient dépourvus d'intérêt à se pourvoir contre le chef de l'arrêt ayant annulé leurs garde à vue et les pièces subséquentes, et qu'il lui appartenait donc de rechercher si ces chefs de dispositif étaient encore susceptibles, le 6 juillet 2020, d'être cassés sur le pourvoi d'une autre partie, la chambre de l'instruction s'est déterminée par des motifs inopérants en violation des articles 174, 568, 591 et 593 du code de procédure pénale.»

Réponse de la Cour

7. Il se déduit de l'article 570, alinéas 2 et 3, du code de procédure pénale que l'arrêt de la chambre de l'instruction distinct de l'arrêt au fond n'est pas exécutoire tant que les délais de pourvoi du ministère public et de toutes les parties à la procédure ne sont pas expirés, peu important que celles-ci aient ou non un intérêt à former un tel recours, dès lors qu'il revient à la seule Cour de cassation, saisie d'un pourvoi, d'en apprécier la recevabilité.

8. Pour rejeter l'exception de nullité prise de l'irrégularité alléguée du débat contradictoire en vue de la confirmation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire de l'intéressé, la chambre de l'instruction énonce, notamment, que le fait que l'ordonnance rendue le 6 juillet 2020 par le juge des libertés et de la détention à l'encontre de l'intéressé ait pu contenir des éléments tirés des auditions en garde à vue de M. K..., autre partie à la procédure, annulées par arrêt de la chambre de l'instruction du 22 juin précédent, n'apparaît pas emporter d'irrégularité qui justifierait d'en prononcer l'annulation.

9. Les juges précisent que M. K... a reçu le 24 juin 2020 notification de l'arrêt du 22 juin 2020 portant annulation de sa garde à vue et en tirant les conséquences.

10. Ils relèvent qu'il résulte du premier alinéa de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 que les délais fixés par les dispositions du code de procédure pénale pour l'exercice d'une voie de recours sont doublés sans pouvoir être inférieurs à dix jours, de sorte que le délai de droit commun de cinq jours francs pour se pourvoir en cassation en application de l'article 568 du code de procédure pénale a été doublé et, s'agissant de M. K..., a couru à partir du 25 juin 2020, jusqu'au samedi 4 juillet suivant.

11. Ils constatent que le délai prévu par une disposition de procédure pénale pour l'accomplissement d'un acte ou d'une formalité qui expirerait normalement un samedi ou un dimanche ou un jour férié ou chômé étant prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant, conformément à l'article 801 du code de procédure pénale, M. K... était recevable à se pourvoir en cassation contre l'arrêt du 22 juin 2020 jusqu'au lundi 6 juillet 2020 inclus.

12. Ils en déduisent que le 6 juillet 2020, lorsqu'a été rendue l'ordonnance portant prolongation de la détention provisoire de M. F..., l'arrêt du 22 juin 2020 n'avait pas force exécutoire de sorte que, ni la présence à cette date dans le dossier d'actes et de mentions dont la chambre de l'instruction avait prononcé quelques jours auparavant l'annulation ou la cancellation, ni une référence faite à ces éléments n'est de nature à entacher d'irrégularité l'ordonnance prise par le juge des libertés et de la détention.

13. Ils ajoutent que ni M. K..., ni sa défense ne s'étant pourvus contre l'arrêt le concernant rendu par la chambre de l'instruction le 22 juin 2020, l'arrêt est devenu définitif et la consultation de la procédure permet de constater que n'y figurent plus aucune des pièces ni aucune des mentions dont la cour a ordonné l'annulation ou la cancellation.

14. Les juges concluent qu'en cet état, il n'apparaît exister aucun motif d'ordonner d'office la remise en liberté de M. F... dans le cadre de cette procédure.

15. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

16. Par ailleurs, l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour,

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Maziau - Avocat général : Mme Caby - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 570, alinéas 2 et 3, du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 23 juin 1999, pourvoi n° 99-82.187, Bull. crim. 1999, n° 150 (cassation), et l'arrêt cité.

Crim., 17 novembre 2020, n° 20-84.819, (P)

Rejet

Pourvoi – Effet suspensif – Chambre de l'instruction – Arrêt – Caractère exécutoire – Conditions – Délais de pourvoi expirés – Intérêt à se pourvoir – Absence d'influence

Il se déduit de l'article 570, alinéas 2 et 3, du code de procédure pénale que l'arrêt de la chambre de l'instruction distinct de l'arrêt au fond n'est pas exécutoire tant que les délais de pourvoi du ministère public et de toutes les parties à la procédure ne sont pas expirés, peu important que celles-ci aient ou non un intérêt à former un tel recours, dès lors qu'il revient à la seule Cour de cassation, saisie d'un pourvoi, d'en apprécier la recevabilité.

Justifie dès lors sa décision la chambre de l'instruction, qui, pour écarter l'exception de nullité du débat contradictoire formée par la personne mise en examen prise de ce qu'au jour de ce débat figuraient toujours en procédure des pièces annulées par un arrêt contre lequel elle alléguait qu'elle, ou une autre personne mise en examen, était dépourvue d'intérêt à se pourvoir, énonce qu'au jour de la tenue de ce débat, cet arrêt n'avait pas force exécutoire, le délai pour former un pourvoi contre celui-ci n'ayant pas expiré.

REJET du pourvoi formé par M. A... E... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 29 juillet 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les armes, usage de fausse plaque d'immatriculation, recel en bande organisée, association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. E..., mis en examen des chefs précités, a été placé en détention provisoire le 8 juillet 2019.

3. Par arrêt en date du 22 juin 2020, la chambre de l'instruction a annulé l'ensemble des actes et procès-verbaux établis au cours de la garde à vue de l'intéressé.

4. Le 6 juillet 2020, le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. E....

5. La personne mise en examen a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches

6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu d'ordonner la mise en liberté d'office de M. E... et a au contraire confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant prolongé la détention provisoire de M. E... pour une durée de quatre mois alors :

« 2°/ que les pièces annulées par arrêt d'une chambre de l'instruction doivent être retirées du dossier de la procédure dès lors qu'est expiré le délai dont disposaient, pour se pourvoir, les parties qui auraient eu intérêt à solliciter la cassation du chef de l'arrêt annulant ces pièces ; qu'en retenant, pour juger que les pièces relatives à la garde à vue de M. E..., annulées par arrêt du 22 juin 2020, pouvaient se trouver dans le dossier le 6 juillet 2020, qu'à cette date, M. E... pouvait encore se pourvoir contre l'arrêt du 22 juin 2020, quand M. E... était dépourvu d'intérêt à se pourvoir contre le chef de l'arrêt ayant annulé sa garde à vue et qu'il lui appartenait donc de rechercher si ce chef était encore susceptible, le 6 juillet 2020, d'être cassé sur le pourvoi d'une autre partie, la chambre de l'instruction s'est déterminée par des motifs inopérants en violation des articles 174, 568, 462, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Il se déduit de l'article 570, alinéas 2 et 3, du code de procédure pénale que l'arrêt de la chambre de l'instruction distinct de l'arrêt au fond n'est pas exécutoire tant que les délais de pourvoi du ministère public et de toutes les parties à la procédure ne sont pas expirés, peu important que celles-ci aient ou non un intérêt à former un tel recours, dès lors qu'il revient à la seule Cour de cassation, saisie d'un pourvoi, d'en apprécier la recevabilité.

9. Pour écarter l'exception de nullité du débat contradictoire prise de ce qu'au jour de ce débat figuraient toujours en procédure les pièces annulées par l'arrêt du 22 juin 2020 et confirmer l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire, la chambre de l'instruction énonce que le 6 juillet 2020, jour de la tenue de ce débat, l'arrêt prononçant sur les nullités n'avait pas force exécutoire.

10. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

11. En effet, l'arrêt du 22 juin 2020 a été notifié à M. E... le 24 juin 2020.

12. Dès lors, et en application des articles 568 et 801 du code de procédure pénale et 4 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, applicable jusqu'au 11 août 2020, le délai dont disposait M. E... pour se pourvoir en cassation expirait le 6 juillet 2020, minuit.

13. En conséquence, l'arrêt de la chambre de l'instruction prononçant sur les nullités n'était pas exécutoire au jour du débat contradictoire.

14. Le grief ne peut dès lors être accueilli.

15. L'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Labrousse - Avocat général : Mme Caby - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 570, alinéas 2 et 3, du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 23 juin 1999, pourvoi n° 99-82.187, Bull. crim. 1999, n° 150 (cassation), et l'arrêt cité.

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