Numéro 11 - Novembre 2019

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

SAISIES

Crim., 20 novembre 2019, n° 18-86.781, (P)

Cassation

Saisies spéciales – Saisie portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels – Saisie d'une somme d'argent versée sur un compte bancaire – Conditions – Caractère confiscable – Défaut – Portée

Il appartient à la chambre de l'instruction saisie d'un appel formé à l'encontre d'une ordonnance emportant saisie spéciale de biens rendue au cours d'une enquête ayant, à la date où elle statue, fait l'objet de poursuites, de s'assurer du caractère confiscable des biens saisis au regard des seules infractions poursuivies.

Encourt la cassation l'arrêt qui confirme une ordonnance de saisie spéciale au motif que l'appelant, soupçonné de blanchiment à la date de la saisie, encourt la peine de confiscation de patrimoine, alors que l'intéressé alléguait être désormais poursuivi devant le tribunal correctionnel pour deux infractions ne lui faisant pas encourir une telle peine, sans s'assurer du caractère confiscable des biens saisis au regard des seules infractions poursuivies.

CASSATION sur le pourvoi formé par M. D... L..., contre l'arrêt n° 141 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Basse-Terre, en date du 25 octobre 2018, qui, dans la procédure suivie contre lui notamment du chef de travail dissimulé, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale du juge des libertés et de la détention.

LA COUR,

Vu le mémoire produit ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée des chefs susvisés et de blanchiment, M. L... a été soupçonné d'avoir procédé de manière non déclarée au transport aérien rémunéré de passagers entre la Guadeloupe et les îles environnantes, au moyen d'un aéronef immatriculé aux Etats-Unis dont il a fait l'acquisition par l'intermédiaire d'un trustee ; que le 15 mai 2018, sur autorisation du procureur de la République, un officier de police judiciaire a saisi la somme de 13 000 euros figurant sur un compte bancaire dont est titulaire M. L... à la Caisse régionale du Crédit agricole mutuel Brie-Picardie ; que, le 15 mai 2018, cet établissement bancaire a adressé à l'officier de police judiciaire un courrier lui indiquant que la somme de 13 000 euros avait été virée sur le compte de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués ; que, par ordonnance du 22 mai 2018, le juge des libertés et de la détention a autorisé le « maintien de la saisie du solde créditeur » de ce compte ; que M. L... a relevé appel de la décision ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 131-21 du code pénal 706-141, 706-141-1, 706-148, 706-153, 706-154 et 591 du code de procédure pénale, 1er du protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs et manque de base légale ;

en ce que I'arrêt attaqué a confirmé I'ordonnance de maintien de la saisie pénale portant sur le « solde créditeur » du compte bancaire ouvert par M. L... dans les livres de la Caisse régionale de crédit agricole mutuelle de Brie-Picardie pour garantir la peine complémentaire de confiscation ;

alors que la saisie de sommes inscrites au crédit d'un compte bancaire n'est régulière que si I'ordonnance de maintien de la saisie, prise par le juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction, indique le montant exact des sommes sur laquelle a porté la saisie ; qu'en décidant néanmoins que la saisie des sommes inscrites au crédit du compte bancaire détenu par M. L... devait être maintenue à hauteur du « solde créditeur » du compte bancaire, sans indiquer le montant exact de la somme dont la saisie a été autorisée, la chambre de l'instruction a exposé sa décision à la cassation » ;

Attendu que, si c'est à tort que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ne mentionne pas le montant des sommes saisies, M. L... ne saurait s'en faire un grief dès lors que, d'une part, ce magistrat a ordonné le maintien de la saisie du solde créditeur du compte dont le demandeur est titulaire, d'autre part, l'ordonnance attaquée a été rendue au visa de l'enquête préliminaire susvisée au cours de laquelle, ainsi que la Cour de cassation est en mesure de s'en assurer, la somme de 13 000 euros a été saisie par un officier de police judiciaire sur le compte de M. L..., enfin, il ne ressort pas des motifs de l'ordonnance contestée que le juge des libertés et de la détention aurait cantonné la saisie, ce dont il se déduit que le montant des sommes saisies n'est pas indéterminé ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8224-3 du code du travail, 131-21 et 324-7 du code pénaI, 6, 706-141, 706-141-1, 706-148, 706-153, 706-154, 591, 593 du code de procédure pénale et 1er du protocole n°1 à la Convention européerme des droits de I'homme, défaut de motifs et manque de base légale ;

en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance de maintien de la saisie pénale portant sur le « solde créditeur » du compte bancaire ouvert par M. L... dans les livres de la Caisse régionale de crédit agricole mutuelle de Brie-Picardie pour garantir le peine complémentaire de confiscation ;

« 1°) alors que la mesure de saisie ne peut être ordonnée que sur des biens pouvant faire l'objet d'une confiscation et dont la personne poursuivie est propriétaire ou a la libre disposition ; que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision et que l'insuffisance de motifs équivaut à leur absence ; qu'en se bornant à affirmer, pour décider que M. L... était le seul titulaire du compte bancaire sur laquelle avait été opérée la saisie, qu'en l'état d'éléments contradictoires, il convenait de se référer aux seules pièces d'identité versées aux débats par M. L... et qu'un procès-verbal de saisie d'une somme d'argent, établi par les enquêteurs, mentionnait que le titulaire du compte était M. L..., sans indiquer en quoi de tels éléments étaient de nature à établir avec certitude l'identité du propriétaire du compte bancaire litigieux, la chambre de l'instruction a privé sa décision de motifs ;

2°) alors que la mesure de saisie ne peut être ordonnée que sur des biens pouvant faire l'objet d'une confiscation et dont la personne poursuivie est propriétaire ou a la libre disposition ; qu'il appartient au ministère public, demandeur à une mesure de saisie, d'apporter la preuve de ce que les biens sont susceptibles de confiscation ; qu'en affirmant néanmoins, pour décider que la saisie des sommes inscrites au crédit du compte bancaire devait être maintenue, que M. L... ne produisait aucun élément permettant d'établir qu'il n'était pas le seul titulaire du compte bancaire litigieux, la chambre de l'instruction, qui a inversé la charge la preuve, a exposé sa décision à la cassation ;

3°) alors que, si les biens appartenant à des tiers sont susceptibles d'être saisis, c'est à la condition qu'il soit démontré que la personne poursuivie en a la libre disposition et que le tiers n'est pas de bonne foi ; que la circonstance qu'un bien est détenu en indivision ne permet de présumer, ni la libre disposition du propriétaire indivis sur la part » qui ne lui appartient pas, ni la mauvaise foi du tiers ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer, pour décider que la saisie des sommes inscrites au crédit du compte bancaire détenu en indivision par M. L... et par M. N... devait être maintenue, que la confiscation peut porter sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis et qu'il appartient ultérieurement au coindivisaire de faire valoir ses droits au stade de la mise à exécution de la peine, sans que cette question puisse être tranché au moment de la saisie, sans rechercher si M. L... avait la libre disposition des fonds qui ne lui appartenaient pas et si M. N..., tiers à la procédure, était de mauvaise foi, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;

4°) alors qu'il appartient à la chambre de l'instruction, saisie d'un appel formé à l'encontre d'une ordonnance emportant saisie de biens appartenant à une personne mise en cause par une enquête préliminaire, de s'assurer, même d'office, que les conditions légales de la saisie, dont celle du caractère confiscable des biens, demeurent réunies ; qu'elle doit procéder à une telle appréciation au regard des indices et présomptions rassemblés par l'enquête et de Ia nature des infractions reprochées, au jour où elle statue ; qu'en affirmant néanmoins, pour décider que la saisie des sommes inscrites au crédit du compte bancaire détenu par M. L... devait être maintenue, que ce dernier était, au moment où la saisie a été effectuée, soupçonné de f infraction de blanchiment de fraude fiscale, pour en déduire que les sommes inscrites sur le compte litigieux, détenu en indivision par M. L..., pouvaient être saisies, bien qu'il soit résulté des éléments de l'enquête que ce dernier, au jour où elle statuait, n'était plus poursuivi pour une telle infraction, de sorte que la saisie litigieuse n'était plus justifiée, Ia chambre de l'instruction a exposé sa décision à la cassation ;

5°) alors qu'il appartient à la chambre de I'instruction, saisie d'un appel formé à I'encontre d'une ordonnance emportant saisie de biens appartenant à une personne mise en cause par une enquête préliminaire, de s'assurer, même d'office, que les conditions légales de la saisie, dont celle du caractère confiscable des biens, demeurent réunies ; qu'elle doit procéder à une telle appréciation au regard des indices et présomptions rassemblés par l'enquête et de la nature des infractions reprochées, au jour où elle statue ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer, pour décider que la saisie des sommes inscrites au crédit du compte bancaire détenu par M. L... devait être maintenue, que ce dernier était poursuivi pour l'infraction de travail dissimulé, laquelle permettait la confiscation d'un bien indivis, sans rechercher, par elle-même, s'il existait des indices et des présomptions laissant soupçonner que M. L... avait commis une telle infraction, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;

6°) alors que le juge qui prononce une mesure de saisie de tout ou partie du patrimoine doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée aux droits de l'intéressé ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer que la saisie opérée était proportionnée à la gravité des infractions commises, ainsi qu'à la situation personnelle de M. L..., sans rechercher si la saisie des sommes inscrites sur le compte bancaire de ce dernier, en ce qu'elles concernaient également des fonds insusceptibles de constituer le produit de l'infraction, portait une atteinte disproportionnée au droit de propriété de M. L..., la Chambre de I'instruction n'a pas légalement justifié sa décision » ;

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches :

Vu l'article 567-1-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche :

Vu les articles 131-21, 706-153, 706-154 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'il appartient à la chambre de l'instruction saisie d'un appel formé à l'encontre d'une ordonnance emportant saisie spéciale de biens rendue au cours d'une enquête ayant, à la date où elle statue, fait l'objet de poursuites, de s'assurer du caractère confiscable des biens saisis au regard des seules infractions poursuivies ;

Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'arrêt relève, en substance, après avoir énoncé les indices pesant à l'encontre de M. L... d'avoir commis les faits poursuivis, que ce dernier encourt la peine complémentaire de confiscation dans les conditions de l'article 131-21 du code pénal comme étant soupçonné de travail dissimulé et de blanchiment et que, en répression du délit de blanchiment, l'intéressé encourt la peine de confiscation de patrimoine ; que les juges ajoutent qu'il est indifférent que M. L... soit dorénavant poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs d'infractions faisant encourir la seule confiscation de biens ayant servi à commettre l'infraction ou qui en sont le produit, dès lors qu'à la date de la saisie il était soupçonné de blanchiment de fraude fiscale, infraction faisant encourir la confiscation de patrimoine, et que l'appréciation de la chambre de l'instruction doit se faire à ce stade de la procédure sans préjudice de l'appréciation faite ultérieurement par la juridiction de jugement ni quant à l'étendue de sa saisine in rem, ni quant aux qualifications retenues, ni quant à la validité de la confiscation ; que les juges précisent encore que M. L... a porté au crédit de ses comptes bancaires la somme totale de 153 136,39 euros en chèques et de 18 030 euros en espèces, que l'examen de ces comptes a permis aux enquêteurs d'évaluer le bénéfice qui aurait été réalisé par l'intéressé à la somme de 51 982 euros, cette évaluation ne prenant pas en compte les paiements reçus en espèces et non identifiables, qu'il est établi que M. L..., dont les ressources déclarées s'élevaient, pour l'année 2016, à 23 948 euros, avait un fort train de vie durant la période de référence et qu'il en résulte que la saisie est proportionnée à la gravité des infractions commises, ainsi qu'à la situation personnelle du mis en cause ;

Mais attendu qu'en prononçant par ces motifs, alors que M. L... alléguait être désormais poursuivi devant le tribunal correctionnel pour deux infractions ne lui faisant pas encourir la confiscation de patrimoine, la chambre de l'instruction, qui s'est abstenue de rechercher si l'intéressé était poursuivi pour blanchiment et, à défaut, de s'assurer du caractère confiscable des biens saisis au regard des seules infractions poursuivies, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y a lieu de prononcer sur les cinquième et sixième branches du second moyen proposées :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Basse-Terre, en date du 25 octobre 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : Mme Moracchini - Avocat(s) : SCP Richard -

Textes visés :

Articles 706-153 et 706-154 du code de procédure pénale.

Crim., 20 novembre 2019, n° 18-82.066, (P)

Déchéance

Saisies spéciales – Saisie portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels – Saisie en valeur d'une créance – Ordonnance du juge des libertés et de la détention – Recours – Qualité à agir – Tiers ayant des droits – Débiteur d'une créance (non)

Le débiteur d'une créance saisie en application de l'article 706-153 du code de procédure pénale n'est pas un tiers ayant des droits sur ce bien au sens de ce texte et n'a donc pas qualité pour exercer un recours contre l'ordonnance de saisie ni pour se pourvoir en cassation.

Il appartient au débiteur, lorsqu'il conteste devoir consigner la somme due auprès de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, de saisir le magistrat qui a ordonné ou autorisé la saisie ou le juge d'instruction en cas d'ouverture d'une information judiciaire postérieurement à la saisie d'une requête relative à l'exécution de celle-ci sur le fondement de l'article 706-144 du code de procédure pénale.

DECHEANCE et IRRECEVABILITE DU POURVOI sur les pourvois formés par M. P... E..., la société E... Investment Group Ltd, la société Sun Pacific Investment, contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Papeete, en date du 27 février 2018, qui, dans la procédure suivie contre M. N... F..., des chefs d'abus de biens sociaux, organisation frauduleuse d'insolvabilité et blanchiment, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale du juge des libertés et de la détention.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

I - Sur le pourvoi formé par la société Sun Pacific Investment :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

Qu'en conséquence, la société Sun Pacific Investment doit être déchue de son pourvoi, par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale ;

II - Sur le pourvoi en ce qu'il est formé par M. P... E... :

Sur sa recevabilité :

Attendu que le représentant légal d'une société, qui n'invoque aucune atteinte à un intérêt qui lui serait personnel, est irrecevable à se pourvoir en cassation en son nom personnel ;

III - Sur le pourvoi en ce qu'il est formé par la société E... Investment Group Ltd :

Sur sa recevabilité :

Attendu que la demanderesse au pourvoi, en sa qualité de débitrice de la créance dont la société Sun Pacific Investment est titulaire, n'a pas de droit, au sens de l'article 706-153 du code de procédure pénale, sur le bien saisi et n'a donc pas qualité pour se pourvoir en cassation contre l'arrêt de la chambre de l'instruction confirmant l'ordonnance de saisie du juge des libertés et de la détention ;

Que, lorsque le débiteur d'une créance ayant pour objet une somme d'argent conteste devoir consigner la somme due auprès de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, il lui appartient de saisir le magistrat qui a ordonné ou autorisé la saisie ou le juge d'instruction en cas d'ouverture d'une information judiciaire postérieurement à la saisie d'une requête relative à l'exécution de celle-ci sur le fondement de l'article 706-144 du code de procédure pénale ;

D'où il suit que le pourvoi n'est pas recevable ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Par ces motif :

I - Sur le pourvoi de la société Sun Pacific Investment :

CONSTATE la déchéance du pourvoi ;

II - Sur le pourvoi de M. E... et de la société E... Investment Group Ltd :

Le déclare IRRECEVABLE.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : Mme Moracchini - Avocat(s) : SCP Monod-Colin-Stoclet -

Textes visés :

Articles 706-144 et 706-153 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la qualification, pour des parties civiles, de tiers ayant des droits sur le bien saisi au sens de l'article 706-153 du code de procédure pénale, à rapprocher : Crim., 21 novembre 2018, pourvoi n° 16-82.315, Bull. crim. 2018, n° 196 (irrecevabilité).

Crim., 14 novembre 2019, n° 18-82.324, (P)

Rejet

Scellés – Destruction – Notification – Défaut – Nullité – Grief – Nécessité

Le défaut de notification à la personne mise en cause de la décision de destruction des scellés prise par le procureur de la République, en vertu de l'article 41-5 du code de procédure pénale, n'est une cause de nullité que si la personne qui l'invoque justifie d'un grief.

REJET des pourvois formés par M. N... V..., M. W... Z..., M. X... B... et M. F... M... contre l'arrêt de la cour d'appel de Nouméa, chambre correctionnelle, en date du 13 mars 2018, qui, pour infractions à la législation sur les stupéfiants, les a condamnés : le premier, à neuf ans d'emprisonnement, le deuxième, à six ans d'emprisonnement, le troisième, à dix ans d'emprisonnement, et, le quatrième, à huit ans d'emprisonnement, a prononcé leur interdiction du territoire français pendant dix ans, et a ordonné la confiscation des scellés.

LA COUR,

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire a été produit.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Les quatre demandeurs constituaient l'équipage du voilier [...], battant pavillon britannique de Gibraltar.

Les autorités françaises, suspectant un transport de stupéfiants, ont demandé aux autorités britanniques, Etat du pavillon, conformément à l'article 17 de la Convention des Nations-Unies contre le trafic des stupéfiants et des substances psychotropes, conclue à Vienne, le 20 décembre 1988, de se dessaisir de leur compétence juridictionnelle relative aux infractions de trafic de stupéfiants pouvant être constatées à bord de ce navire.

Les autorités britanniques, conformément à l'article 17 précité, ont autorisé les autorités françaises à arraisonner le navire [...] dans les eaux internationales, et à le visiter, indiquant qu'elles abandonneraient leur compétence juridictionnelle au profit des autorités françaises dans le cas où des stupéfiants seraient découverts à bord.

3. Le 27 juillet 2017, le voilier [...] a été arraisonné et visité en haute-mer, au large des îles Tonga, par l'équipage de la frégate [...], de la Marine nationale. Une quantité de 1 438 kg de cocaïne pure a été découverte à bord du voilier. Une enquête judiciaire a alors été ouverte.

Le voilier a été dérouté vers Nouméa et les membres de son équipage ont fait l'objet d'une mesure de privation de liberté prolongée par le juge des libertés et de la détention, jusqu'à leur arrivée à Nouméa. Ils ont été traduits devant le tribunal correctionnel de Nouméa devant lequel ils ont contesté la régularité de la procédure.

Par jugement du 17 novembre 2017, le tribunal correctionnel a rejeté les exceptions de nullité et reconnu les prévenus coupables.

Les demandeurs ont relevé appel de cette décision, ainsi que le ministère public.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen est pris de la violation des articles 5, § 2 et 5, § 33 de la Convention européenne des droits de l'homme, 4 et 16 de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994, L. 1521-16 du code de la défense, préliminaire, 41-5, 591 et 593 du code de procédure pénale.

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué : « en ce que la cour d'appel a rejeté les exceptions de nullité et déclaré les prévenus coupables des faits qui leur étaient reprochés » :

« 1°) alors qu'il résulte des articles 4 et 16 de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 que les commandants de navire peuvent procéder à la recherche des auteurs d'actes de piraterie et d'infractions en matière de trafic de stupéfiants lorsqu'ils y sont spécialement habilités ; qu'en constatant que M. I..., capitaine de frégate, ne disposait pas de cette habilitation spéciale, tout en jugeant régulière la fouille qui a suivi l'arraisonnement du navire, aux motifs erronés que cette mesure a eu lieu sur le fondement de l'article 14 de la loi, aucune infraction n'étant constatée à ce stade, lorsqu'il résulte des mentions mêmes de la décision que l'exercice des pouvoirs de police en mer dans la lutte contre le trafic de stupéfiants est régi par les dispositions de l'article 16 de ce texte et que le haut commissaire de la Nouvelle-Calédonie a signé un certain nombre d'habilitations spéciales pour rechercher et constater les infractions en matière de piraterie et de trafic de stupéfiants, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de ce texte ;

2°) alors qu'en application de l'article 16 de la loi du 15 juillet 1994, sauf extrême urgence, il ne peut être procédé à des perquisitions et à la saisie des produits stupéfiants qu'avec l'autorisation du procureur de la République ; qu'a violé ce texte la cour d'appel qui a jugé que l'autorisation du procureur n'était pas nécessaire dès lors que les mesures de fouille sont intervenues sur le fondement de l'article 14 de la loi, lorsque l'exercice des pouvoirs de police en mer dans la lutte contre le trafic de stupéfiants est régi par les dispositions de l'article 16 de la loi du 15 juillet 1994 ;

3°) alors que toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle ; qu'en jugeant qu'il était matériellement impossible à la marine nationale de traduire ces ordonnances, la cour d'appel a méconnu le droit à la sûreté garanti par l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°) alors que la décision du procureur relative à la destruction des scellés doit être motivée, notifiée par tous moyens aux personnes ayant des droits sur le bien si celles-ci sont connues et aux personnes mises en cause et mentionner les voies de recours ; qu'en relevant, pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'absence de notification de cette décision, que le non-respect de la notification ne peut causer un préjudice que lorsque le bien saisi et détruit est susceptible d'être restitué, la cour d'appel, qui a ajouté une condition au texte, a méconnu le sens et la portée de l'article 41-5 du code de procédure pénale ».

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

6. Les prévenus ont soutenu que la procédure était nulle, le voilier [...] ayant été arraisonné et fouillé par le commandant du navire [...], qui ne disposait pas d'une habilitation spéciale à cette fin.

7. Pour rejeter cette exception, la cour d'appel indique qu'en vertu de l'autorisation de l'Etat du pavillon, l'équipage de la frégate de la Marine nationale [...] a pu valablement arraisonner et visiter, dans les eaux internationales, au large des îles Tonga, le voilier [...].

L'arrêt retient que ces mesures ont été accomplies selon les modalités prévues par l'article 14 de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994, qui dispose que, lorsqu'il visite un navire avec l'accord de l'Etat du pavillon, le commandant d'un bâtiment de la Marine nationale peut faire procéder à la saisie des stupéfiants découverts à bord du bâtiment visité, des objets et des documents qui paraissent liés à un trafic de stupéfiants, les faire placer sous scellés en présence d'un membre de l'équipage du navire visité, et ordonner le déroutement de celui-ci, ce texte ne nécessitant pas une information préalable du procureur de la République, ni une habilitation particulière du commandant du navire.

L'arrêt ajoute qu'en vertu de l'article L. 1521-11 du code de la défense, les membres de l'équipage du voilier ont pu être interpellés et privés de liberté au cours de cette visite.

Les juges du second degré énoncent que ces mesures conservatoires ont été régulièrement accomplies, au regard des textes précités, applicables en l'espèce, et qu'elles précédaient l'ouverture d'une enquête pénale, laquelle, conformément à l'autorisation de l'Etat du pavillon, ne pouvait intervenir qu'après la découverte de la drogue.

8. L'arrêt relève que, dès la saisie de la cargaison, composée de 1 438 kg de cocaïne pure, les dispositions de l'article 16 de la loi précitée du 15 juillet 1994 ont reçu application, le procureur de la République à Nouméa ayant immédiatement été informé de la découverte des stupéfiants et des mesures de coercition mises en oeuvre, ce qui l'a conduit à ordonner l'ouverture d'une enquête de flagrant délit, confiée au Groupement Interministériel de Recherches et à la gendarmerie de Nouméa, qui a été aussitôt mise en oeuvre par les enquêteurs présents sur la frégate [...].

9. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs suivants :

10. D'une part, le commandant était habilité, en raison de ses seules fonctions, comme tous les commandants des bâtiments de l'Etat, et sans qu'il fût besoin d'une habilitation spéciale, par application des articles 13 et 14 de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 modifiée, à arraisonner et faire procéder à la visite et à la fouille du voilier, ainsi qu'à la saisie des produits stupéfiants.

11. D'autre part, dès l‘information donnée au procureur de la République, les actes de police judiciaire ont été accomplis par des officiers habilités du navire et les officiers de police judiciaire présents.

12. Les griefs ne peuvent donc être admis.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

13. Les prévenus ont soulevé la nullité, faute de notification dans une langue qu'ils comprenaient, des ordonnances du juge des libertés et de la détention ayant prolongé, en application de l'article L. 1521-14 du code de la défense, les mesures de privation de liberté prises à leur encontre, jusqu'à l'arrivée, à Nouméa, de la frégate [...] à bord de laquelle ils étaient retenus.

14. Pour écarter cette exception, la cour d'appel énonce que la notification de ces ordonnances n'est pas prescrite à peine de nullité, laquelle ne peut être prononcée que si la personne qui l'invoque démontre que l'irrégularité lui a fait grief.

L'arrêt ajoute qu'il était matériellement impossible, pour la Marine nationale, de faire traduire ces ordonnances dans la langue des prévenus. Il relève que les droits des prévenus n'ont pas été méconnus pendant leur privation de liberté à bord du [...], dès lors qu'ils ont été examinés par un médecin dont ils ont reçu la visite quotidienne, qu'ils ont communiqué avec des membres de l'équipage, que le juge des libertés et de la détention, qui a reçu les certificats médicaux établissant leur aptitude à la mesure de privation de liberté, a prolongé celle-ci par des ordonnances régulièrement transmises, les prévenus n'ayant formulé aucune observation sur le cahier de rétention à leur disposition, et qu'aucun grief ne résulte pour eux de l'absence de notification de ces ordonnances, insusceptibles de recours.

15. En statuant ainsi, dès lors que l'existence et la régularité des ordonnances en cause ne sont pas contestées, et que les demandeurs ne soutiennent pas qu'ils ignoraient les raisons de leur arrestation et de leur retenue à bord du [...], la cour d'appel a justifié sa décision.

16. Ainsi, le grief n'est pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa dernière branche

17. Les prévenus n'invoquent aucun grief tiré de l'absence de notification de la décision par laquelle le procureur de la République, sur le fondement de l'article 41-5 du code de procédure pénale, a ordonné la destruction des scellés.

18. Il suit de là que le moyen ne peut être accueilli.

19. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. de Larosière de Champfeu - Avocat général : Mme Moracchini - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Article 17 de la Convention des nations-Unies contre le trafic des stupéfiants et des substances psychotropes conclue à Vienne le 20 décembre 1988 ; articles 13 et 14 de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 ; article 41-5 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions d'application de l'article 17 de la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, signée à Vienne le 19 décembre 1988, à rapprocher : Crim., 20 décembre 2017, pourvoi n° 17-84.085, Bull. crim. 2017, n° 294 (rejet) et les arrêts cités.

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