Numéro 11 - Novembre 2019

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Partie III - Décisions des commissions et juridictions instituées auprès de la Cour de cassation

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION

Com. nat. de réparation des détentions, 19 novembre 2019, n° 19CRD008, (P)

Accueil du recours

Commission nationale de réparation des détentions – Saisine – Caractère définitif de la décision – Justification – Défaut – Portée

Il incombe en premier lieu au requérant de justifier du caractère définitif de la décision qu'il invoque au soutien de son recours.

Toutefois, lorsqu'il établit que ses démarches à cette fin n'ont pu aboutir, il revient au premier président d'user du pouvoir d'investigation qu'il tient de l'article R. 34 du code de procédure pénale, afin de procéder à toutes vérifications utiles.

ACCUEIL du recours formé par M. D... M..., contre la décision du premier président de la cour d'appel de Lyon en date du 27 février 2019 qui a déclaré sa requête irrecevable sur le fondement de l’article 149 du code précité.

LA COUR,

LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,

Attendu que M. D... M..., né le [...], a été mis en examen des chefs de trafic de stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, et placé en détention provisoire du 27 mai au 26 septembre 2016 ; qu’il a été relaxé par un jugement du tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse en date du 31 janvier 2018 ;

Attendu que par requête en date du 30 avril 2018, M. M... a sollicité l’indemnisation des préjudices découlant de la détention provisoire subie et demandé :

- 3 570,28 euros en réparation de son préjudice matériel ;

- 2 500 euros en remboursement des frais d'avocat engagés ;

- 50 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- ainsi que 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Que par décision du 27 février 2019, le premier président de la cour d’appel de Lyon a déclaré la requête irrecevable, faute pour le demandeur de justifier du caractère définitif du jugement de relaxe ;

Attendu que, par déclaration du 8 mars 2019, M. M... a formé un recours contre cette décision ; qu’au terme de ses écritures déposées les 11 mars et 4 juin 2019, il a conclu à la recevabilité de sa requête et repris ses demandes initiales ;

Qu’il fait valoir, sur la recevabilité, que l’article R. 26 du code de procédure pénale, dont les dispositions ne sont pas prescrites à peine d'irrecevabilité de la requête, ne prévoit pas la production d’un certificat de non-appel par le requérant, et qu’en application de l'article R. 34 du même code, le premier président de la cour d'appel peut procéder à toutes mesures d'instruction utiles, dont celles permettant de compléter le dossier du demandeur ; qu’il précise n’avoir pu obtenir du greffe un certificat de non-appel dans la mesure où le jugement du tribunal correctionnel du 31 janvier 2018 avait été frappé d’appel par d’autres prévenus ;

Qu’au soutien de sa demande au titre du préjudice matériel, M. M... expose, d’une part, que son incarcération lui a fait perdre une chance de trouver un emploi, ses recherches à cette fin ayant été interrompues, d’autre part, qu’il est redevable d'une facture d’honoraires d’avocat de 2 500 euros ;

Qu’au titre de son préjudice moral, M. M... fait valoir qu’il a été mis en examen et incarcéré pour des faits délictuels pour lesquels il encourait une importante peine d'emprisonnement ; qu’il a été particulièrement choqué par les accusations portées contre lui et a ressenti son incarcération comme une injustice ; qu’il a dû être suivi par un psychiatre de l'unité sanitaire du centre pénitenciaire de [...] et a fait une demande de prise en charge psychologique qui n’a pu aboutir en raison du délai d’attente ; qu’en outre, sa demande de consultation dentaire est longtemps restée sans réponse ; qu’enfin, il vivait en concubinage au moment de son incarcération et que sa détention provisoire n'a pas permis la réalisation de son projet de mariage ;

Attendu que par conclusions du 25 avril 2019, l’agent judiciaire de l’État a sollicité le rejet du recours, en faisant valoir que, selon l'article 149-4 du code de procédure pénale, le premier président de la cour d'appel et la commission nationale statuent en tant que juridictions civiles, qu’il appartient au demandeur de justifier de son droit à réparation et au juge de vérifier la régularité de sa saisine, et que la justification du caractère définitif de la décision d'innocence constitue une condition de fond de la recevabilité de la requête en indemnisation ;

Qu’il soutient, sur l’indemnisation des préjudices, que les pièces produites ne justifient pas les demandes formées au titre du préjudice matériel et, qu’au titre du préjudice moral, M. M..., qui était domicilié chez sa mère, n’établit pas les circonstances particulières qu’il invoque, notamment quant à la difficulté d’accès aux soins et à la réalité d’un projet de mariage ;

Attendu que, dans ses conclusions du 30 avril 2019, l’avocat général observe que la recevabilité de la requête en indemnisation est subordonnée à l'existence d'une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive et que l'énoncé, indicatif, à l'article R. 26 du code de procédure pénale, des pièces qui doivent être produites à l’appui de la requête n’est pas de nature à mettre à néant cette obligation ;

SUR CE,

Vu les articles 149 à 150 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe, ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté ;

Attendu que, par ces textes, le législateur a instauré le droit pour toute personne d’obtenir de l’État réparation du préjudice subi à raison d’une détention provisoire fondée sur des charges entièrement et définitivement écartées ;

Sur la recevabilité de la requête :

Attendu que s'il incombe en premier lieu au requérant de justifier du caractère définitif de la décision qu'il invoque au soutien de son recours, il revient au premier président, lorsque le requérant établit que ses démarches à cette fin n'ont pu aboutir, d'user du pouvoir d'investigation qu'il tient de l'article R. 34 du code de procédure pénale, afin de procéder à toutes vérifications utiles ;

Et attendu qu’à l’occasion de la présente procédure devant la commission nationale, il a été établi contradictoirement, tant par les investigations du rapporteur désigné que par le conseil de M. M..., que les appels interjetés contre le jugement du tribunal correctionnel du 31 janvier 2018 n’ont pas porté sur la décision de relaxe prononcée au bénéfice de ce dernier ; qu’à son égard, cette décision est en conséquence définitive ;

Qu’il y a lieu, dès lors, de déclarer recevable la requête de M. M... et de statuer sur ses demandes ;

Sur le préjudice matériel :

Attendu que M. M..., qui ne produit aucun élément de preuve avérant de recherches d’emploi antérieurement à son incarcération, n’établit pas le caractère sérieux de la perte de chance qu’il invoque ;

Que, par ailleurs, la facture d’honoraires d’avocat qu’il produit, ne détaillant pas les prestations qu’elle couvre, ne permet pas de vérifier qu’elle ne concerne que des diligences en lien exclusif avec la détention provisoire, seules de nature à être indemnisées dans le cadre de la présente procédure ;

Qu’il s’ensuit que les demandes de ces chefs ne peuvent être accueillies ;

Sur le préjudice moral :

Attendu que M. M..., qui n’avait jamais été incarcéré auparavant, a subi entre le 27 mai et le 26 septembre 2016, à l’âge de 22 ans, une détention d’une durée de cent vingt-trois jours alors qu’il encourait une importante peine d’emprisonnement ;

Qu’il justifie, par un courrier d’un chargé de mission de la commune de son domicile, qu’il devait se marier le 2 juillet 2016 ; qu’il est établi que son état psychologique avait conduit le juge d’instruction à recommander un entretien avec un psychiatre dès la mise sous écrou, mais que le requérant n’a cependant pu obtenir un rendez-vous avant le 3 août 2016 et n’a pu rencontrer un psychologue ; qu’en revanche, le sentiment d’injustice qu’il a ressenti face aux accusations portées contre lui à tort ne découle pas directement de la détention, mais des poursuites qui ont été engagées à son encontre et ne peut ainsi donner lieu à indemnisation dans le cadre de la présente procédure ;

Qu’en l’état de ces éléments, l’indemnité propre à réparer le préjudice moral subi sera fixée à 15 000 euros ;

Sur l’article 700 du code de procédure civile :

Attendu qu’en application de ce texte, il apparaît conforme à l’équité d’allouer à M. M... une somme de 3 000 euros ;

PAR CES MOTIFS :

ACCUEILLE le recours de M. M... et, statuant à nouveau :

DÉCLARE sa requête recevable ;

ALLOUE à M. M... la somme de 15 000 euros (QUINZE MILLE EUROS) au titre du préjudice moral ainsi que celle de 3 000 euros (TROIS MILLE EUROS) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE les demandes au titre du préjudice matériel.

- Président : M. Besson - Rapporteur : M. Béghin - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : Me Charle ; Sarl Meier-Bourdeau, Lécuyer Et Associés -

Textes visés :

Article R. 34 du code de procédure pénale.

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