Numéro 10 - Octobre 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

ENQUETE DE FLAGRANCE

Crim., 17 octobre 2023, n° 23-80.379, (B), FRH

Rejet

Stupéfiants – Pesée des substances saisies – Conditions

Les dispositions de l'alinéa 2 de l'article 706-30-1 du code de procédure pénale ne sont pas applicables à la pesée effectuée au titre des constatations faites par une personne qualifiée requise en application de l'article 60 du code de procédure pénale et qui a prêté le serment prévu par ce texte.

M. [B] [Z] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 6 janvier 2023, qui, dans l'information suivie contre lui, notamment, du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 11 avril 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 30 janvier 2021, deux véhicules de marque Audi, l'un de type A3 et l'autre de type S3, ont été découverts abandonnés et accidentés sur l'autoroute A10.

3. Les premiers intervenants ont constaté la présence de valises susceptibles de contenir des produits stupéfiants à l'arrière du véhicule Audi S3.

4. Une enquête de flagrance des chefs d'association de malfaiteurs et d'infractions à la législation sur les stupéfiants a été ouverte.

5. Des techniciens d'identification criminelle de la gendarmerie nationale, requis par officier de police judiciaire, ont procédé à des constatations dans ces deux véhicules, ont placé sous scellés divers objets qu'ils ont appréhendés, dont les produits stupéfiants, qui ont été pesés et sur lesquels des échantillons ont été prélevés.

6. Sur autorisation du procureur de la République, les produits stupéfiants ont été détruits.

7. Le 21 mai 2021, une information a été ouverte contre les personnes concernées notamment du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants.

8. M. [B] [Z] a été interpellé en exécution d'un mandat d'arrêt le 2 mai 2022 puis mis en examen des chefs susvisés.

9. Par requête du 22 juillet 2022, son avocat a contesté notamment la régularité de la fouille des véhicules et de la destruction des produits stupéfiants.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit la requête de M. [Z] mal fondée et a rejeté la demande d'annulation relative aux opérations de constatations et examens techniques et scientifiques opérés sur les véhicules Audi S3 immatriculé [Immatriculation 3] et Audi A3 immatriculé [Immatriculation 2], alors :

« 1°/ d'une part que dès lors qu'elle ne comporte pas de risque grave pour la sécurité des personnes et des biens, la fouille d'un véhicule arrêté dans un lieu accessible au public n'est régulière qu'à la condition d'avoir été réalisée en présence de son conducteur, de son propriétaire, ou d'un tiers étranger au service d'enquête requis à cet effet ; que les enquêteurs ne sauraient, sauf à commettre un détournement de procédure, contourner ce formalisme en prétendant ne réaliser sur le véhicule fouillé qu'une simple mesure de police technique ou scientifique ; qu'au cas d'espèce, il résulte clairement de la procédure, et en particulier du procès-verbal de « transport, constatations, d'opérations de police technique et scientifique et de saisie » relatif au véhicule Audi immatriculé [Immatriculation 3] et du rapport d' « opération technique » relatif au véhicule Audi immatriculé [Immatriculation 2] que les services de gendarmerie requis par les enquêteurs ont, sous couvert de constatations techniques et scientifiques, également organisé la fouille des véhicules litigieux, cette fouille s'étant matérialisée par l'appréhension et la saisie de divers objets contenus dans ce véhicule, sans lien avec les constatations et opérations menées ; que ces mesures se sont toutefois déroulées en l'absence du conducteur de l'un ou l'autre de ces véhicules, de leur propriétaire ou même d'un tiers étranger au service d'enquête requis à cet effet ; qu'en se bornant à affirmer, pour écarter l'irrégularité de ces fouilles, que « M. [Z] [...] n'établit pas que les constatations sur ces biens auraient été effectuées en violation d'une quelconque disposition applicable en matière de constations de police technique et scientifique », et en refusant ainsi de constater que les services de gendarmerie requis avaient, dans le cadre de leur mission, procédé à une fouille déguisée des véhicules litigieux, la chambre de l'instruction, qui a dénaturé les éléments de la procédure produits, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 78-2-3, 78-2-2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ d'autre part que dès lors qu'elle ne comporte pas de risque grave pour la sécurité des personnes et des biens, la fouille d'un véhicule arrêté dans un lieu accessible au public n'est régulière qu'à la condition d'avoir été réalisée en présence de son conducteur, de son propriétaire, ou d'un tiers étranger au service d'enquête requis à cet effet ; que cette exigence ayant pour objet d'authentifier les recherches et découvertes effectuées, sa méconnaissance peut être invoquée par quiconque y a un intérêt ; qu'au cas d'espèce, il résulte clairement de la procédure, et en particulier du procès-verbal de « transport, constatations, d'opérations de police technique et scientifique et de saisie » relatif au véhicule Audi immatriculé [Immatriculation 3] et du rapport d' « opération technique » relatif au véhicule Audi immatriculé [Immatriculation 2] que les services de gendarmerie requis par les enquêteurs ont, sous couvert de constatations techniques et scientifiques, également organisé la fouille des véhicules litigieux, cette fouille s'étant matérialisée par l'appréhension et la saisie de divers objets contenus dans ce véhicule, sans lien avec les constatations et opérations menées ; que ces mesures se sont toutefois déroulées en l'absence du conducteur de l'un ou l'autre de ces véhicules, de leur propriétaire ou même d'un tiers étranger au service d'enquête requis à cet effet ; qu'en se bornant à affirmer, pour refuser à Monsieur [Z] la qualité à agir en annulation de ces mesures, que « les deux véhicules qui ont fait l'objet des constatations décrites en pièces D25 à D34 et D84 à D104, ont été découverts accidentés et vides d'occupants, qu'ils ne sont pas la propriété de M. [Z] (D12 à D13, D14 à D15,D79), lequel ne peut donc se prévaloir d'aucun droit sur ces véhicules en cause qui appartiennent à des tiers », quand Monsieur [Z] invoquait la méconnaissance du formalisme d'authentification des fouilles réalisées, de sorte qu'il était recevable à agir en nullité pourvu qu'il y ait intérêt à agir, la chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs impropres à écarter moyen de nullité soulevé par la défense, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 78-2-3, 78-2-2, 171, 802, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ enfin que dès lors qu'elle ne comporte pas de risque grave pour la sécurité des personnes et des biens, la fouille d'un véhicule arrêté dans un lieu accessible au public n'est régulière qu'à la condition d'avoir été réalisée en présence de son conducteur, de son propriétaire, ou d'un tiers étranger au service d'enquête requis à cet effet ; que cette exigence s'impose même en dehors de tout contrôle d'identité ; qu'au cas d'espèce, il résulte clairement de la procédure, et en particulier du procès-verbal de « transport, constatations, d'opérations de police technique et scientifique et de saisie » relatif au véhicule Audi immatriculé [Immatriculation 3] et du rapport d' « opération technique » relatif au véhicule Audi immatriculé [Immatriculation 2] que les services de gendarmerie requis par les enquêteurs ont, sous couvert de constatations techniques et scientifiques, également organisé la fouille des véhicules litigieux, cette fouille s'étant matérialisée par l'appréhension et la saisie de divers objets contenus dans ce véhicule, sans lien avec les constatations et opérations menées ; que ces mesures se sont toutefois déroulées en l'absence du conducteur de l'un ou l'autre de ces véhicules, de leur propriétaire ou même d'un tiers étranger au service d'enquête requis à cet effet ; qu'en retenant, pour écarter cette irrégularité, que « les opérations décrites par le procès-verbal du 02 février 2021 comme par le rapport du 31 janvier 2021 ne sauraient pas davantage être assimilées, comme le fait à tort le requérant, à des opérations devant être qualifiées de fouille prévues par les dispositions de l'article 78-2-3 du code de procédure pénale, lesquelles concernent seulement la visite d'un véhicule circulant ou arrêté sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public dans le cadre de procédure de contrôle d'identité prévue au chapitre III du même code », quand le formalisme précité a vocation à s'appliquer à toutes les fouilles de véhicules réalisées en enquête de flagrance, de sorte qu'une telle fouille n'est régulière qu'à la condition d'avoir été réalisée en présence de son conducteur, de son propriétaire, ou d'un tiers étranger au service d'enquête requis à cet effet, la chambre de l'instruction a violé les articles 78-2-3, 78-2-2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

11. Il résulte de l'article 78-2-3 du code de procédure pénale que le droit de visite prévu à cet article ne peut porter que sur des véhicules circulant ou arrêtés sur la voie publique ou dans les lieux accessibles au public lorsqu'il existe à l'égard du conducteur ou d'un passager une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis, comme auteur ou comme complice, un crime ou un délit flagrant.

12. Il s'ensuit que le moyen est inopérant, dès lors qu'en l'espèce les véhicules étaient abandonnés sur la voie publique.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation relative aux opérations de pesée de produits stupéfiants prétendument découverts à l'occasion des fouilles des véhicules Audi S3 immatriculé [Immatriculation 3] et Audi A3 immatriculé [Immatriculation 2], alors : « que les substances stupéfiantes saisies au cours de l'enquête ne peuvent être pesées qu'en présence de la personne qui détenait les substances et qui en avait l'appréhension matérielle au moment de leur saisie, ou, à défaut, en présence de deux témoins requis à cet effet et choisis en dehors des personnes relevant de leur autorité ; qu'il s'en déduit, d'une part que lorsque le détenteur des stupéfiants est identifiable, les enquêteurs doivent tout mettre en oeuvre pour retrouver celui-ci afin qu'il participe aux opérations de pesée, et d'autre part que lorsque la présence du détenteur des stupéfiants n'est pas possible, fût-ce parce qu'il n'a pas été identifié, les enquêteurs doivent toujours effectuer la pesée en présence de deux témoins requis çà cet effet et choisis en dehors des personnes relevant de leur autorité ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que lors de la fouille du véhicule Audi immatriculé [Immatriculation 3], les gendarmes de la [1] ont, après avoir prétendument découvert divers « valises artisanales » contenant des produits identifiés comme stupéfiants, procédé à la pesée de ces produits ; que ces opérations de pesée n'ont toutefois été effectuées ni en présence des éventuels détenteurs des stupéfiants - en l'occurrence, les utilisateurs des véhicules -, ni en présence de deux tiers requis à cet effet ; qu'en affirmant toutefois, pour dire ces pesées régulières, que « la pesée et la saisie ont été effectuées, en l'absence de toute personne entre les mains de laquelle les produits stupéfiants ont été saisis, dès lors qu'elles ont été réalisées au cours d'opérations de police technique et scientifique en application des dispositions de l'article 60 du code de procédure pénale », quand il lui incombait de constater qu'en l'absence de tout détenteur, la pesée devait être réalisée en présence de deux témoins extérieurs à la procédure, la chambre de l'instruction a violé l'article 706 30-1 du code de procédure pénale, ensemble les articles 591 et 593 du même code. »

Réponse de la Cour

14. L'article 60 du code de procédure pénale permet aux personnes qualifiées, requises par l'officier de police judiciaire pour procéder à des constatations ou des examens techniques ou scientifiques, d'appréhender les objets résultant de leur examen et de les placer sous scellés.

15. La prestation de serment prévue par le troisième alinéa de ce texte a pour objet d'authentifier la sincérité des constatations et prélèvements opérés par la personne ainsi requise.

16. Il en résulte que la pesée effectuée, le cas échéant, par la personne qualifiée requise, qui constitue une mesure de constatation, n'est pas soumise aux exigences de l'article 706-30-1 du code de procédure pénale.

17. Dès lors, le moyen, qui invoque la violation de dispositions inapplicables en l'espèce, est inopérant.

18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Violeau - Avocat général : M. Lagauche - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 78-2-3 du code de procédure pénale ; articles 60 et 706-30-1 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 11 décembre 2019, pourvoi n° 19-82.454, Bull. crim. (rejet), et les arrêts cités.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.