Numéro 10 - Octobre 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

Crim., 25 octobre 2023, n° 23-84.958, (B), FRH

Cassation sans renvoi

Article 6, § 1 – Tribunal – Impartialité – Juge des libertés et de la détention – Incompatibilités – Cas – Magistrat ayant précédemment refusé d'homologuer la peine dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

Le juge ayant refusé d'homologuer la peine proposée par le procureur de la République dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, pour un motif distinct du cas de rétractation de cette reconnaissance de culpabilité par la personne en cause, ne peut intervenir ensuite en qualité de juge des libertés et de la détention, tenu à ce titre de s'assurer de l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de celle-ci aux faits reprochés pour ordonner son placement en détention provisoire, sans porter atteinte au principe d'impartialité.

M. [K] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Caen, en date du 16 août 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de refus d'obtempérer, arrestation, enlèvement, détention ou séquestration arbitraires, violences aggravées, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [K] [R] a été interpellé le 1er août 2023 à la suite d'une agression suivie de l'enlèvement de la victime, commise le 29 juillet 2023.

3. A l'issue de sa garde à vue, il a été présenté au procureur de la République en vue d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité des chefs des infractions précitées.

4. Par ordonnance du 3 août 2023, le juge délégué a refusé d'homologuer la peine proposée.

5. Le procureur de la République a ouvert une information.

6. Mis en examen des mêmes chefs, M. [R] a été placé en détention provisoire par ordonnance du même jour, rendue par le même juge, statuant en qualité de juge des libertés et de la détention.

7. M. [R] a relevé appel de cette ordonnance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté comme irrecevable la demande d'annulation de l'ordonnance de placement en détention provisoire du 3 août 2023, alors « que l'impartialité du juge des libertés et de la détention peut être mise en cause à l'occasion de l'appel d'une ordonnance de placement en détention provisoire, nonobstant l'absence de mise en œuvre préalable d'une procédure de récusation, dès lors que le mis en examen n'a pas été en mesure de demander la récusation du magistrat dans le respect des dispositions de l'article 669 du code de procédure pénale ; qu'en l'espèce, pour rejeter comme irrecevable la demande d'annulation de l'ordonnance de placement en détention provisoire de M. [R], la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Caen a énoncé en substance que le mis en examen aurait pu mettre en œuvre la procédure de récusation dès lors que présenté au juge des libertés et de la détention, il l'avait nécessairement reconnu comme étant le même magistrat que celui ayant quelques heures plus tôt refusé d'homologuer la proposition de peines présentée par le procureur de la République et qu'il aurait pu alors soulever la difficulté et en cas de refus de déport du magistrat, mettre en œuvre immédiatement la procédure de récusation, ce qu'il n'avait pas fait ; qu'en statuant ainsi, quand le prononcé de l'ordonnance de placement en détention immédiatement à l'issue du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention ne permettait pas le dépôt d'une requête en récusation dans le respect des dispositions de l'article 669 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction de la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 669 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme :

9. La Cour de cassation juge (Crim., 19 juin 2018, pourvoi n° 17-84.930, Bull. crim. 2018, n° 113) que le refus du juge d'homologuer la peine proposée par le procureur de la République dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ne fait pas en soi obstacle à ce que ce magistrat intervienne ensuite dans la même affaire en qualité de juge des libertés et de la détention et ordonne le placement en détention provisoire du prévenu dans l'attente de son jugement en comparution immédiate.

10. Il ne peut toutefois plus être jugé systématiquement ainsi, dès lors que la Cour de cassation juge (Crim., 14 octobre 2020, pourvoi n° 20-82.961, publié au Bulletin) que le juge chargé de statuer sur les mesures de sûreté, à chacun des stades de la procédure, doit s'assurer que les conditions légales de la détention provisoire sont réunies, et notamment l'existence, pour motiver un placement en détention, d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés.

11. Il doit donc désormais être jugé que le juge ayant refusé d'homologuer la peine proposée par le procureur de la République dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, pour un motif distinct du cas de rétractation de cette reconnaissance de culpabilité par la personne en cause, ne peut intervenir ensuite en qualité de juge des libertés et de la détention, tenu à ce titre de s'assurer de l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de celle-ci aux faits reprochés pour ordonner son placement en détention provisoire, sans porter atteinte au principe d'impartialité.

12. Pour dire n'y avoir lieu à annulation de l'ordonnance pour défaut d'impartialité du juge, l'arrêt attaqué énonce que le moyen est irrecevable en l'absence de procédure de récusation présentée lors du débat contradictoire.

13. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé.

14. D'une part, en l'absence de convocation préalable au débat contradictoire, il n'est pas établi que M. [R] avait connaissance de l'identité du juge des libertés et de la détention avant ce débat et qu'il pouvait, effectivement et dans l'urgence, formaliser une requête devant le premier président, de sorte qu'il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir engagé de procédure de récusation.

15. D'autre part, le juge, après avoir refusé d'homologuer la peine proposée par le procureur de la République en raison d'une éventuelle qualification criminelle des faits reprochés, ne pouvait, en qualité de juge des libertés et de la détention, placer la personne en cause en détention provisoire.

16. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

17. La cassation aura lieu sans renvoi et M. [R] doit être remis en liberté, sauf s'il est détenu pour autre cause.

18. Cependant, les dispositions de l'article 803-7, alinéa 1er, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des formalités prévues par ce même code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du même code.

19. En l'espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [R] ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.

20. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin de :

 - empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices, en ce que des divergences existent entre M. [R] et les autres protagonistes sur le rôle de chacun et que le commanditaire désigné doit être identifié et interpellé ;

 - garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice, en ce que M. [R] s'apprêtait à quitter la région ornaise lorsqu'il a été interpellé et qu'il ne dispose d'aucune attache familiale ou professionnelle dans la région ;

 - mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement, en ce que le mobile de l'agression pourrait être crapuleux.

21. Afin d'assurer ces objectifs, M. [R] sera astreint à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.

22. Le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.

23. Le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Caen, en date du 16 août 2023 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONSTATE que M. [R] est détenu sans titre depuis le 3 août 2023 dans la présente procédure ;

ORDONNE la mise en liberté de M. [R] s'il n'est détenu pour autre cause ;

ORDONNE le placement sous contrôle judiciaire de M. [R] ;

DIT qu'il est soumis aux obligations suivantes :

 - ne s'absenter de son domicile ou de sa résidence, qu'il convient de fixer [Adresse 1], qu'aux conditions suivantes : chaque jour de 7 heures à 19 heures ;

 - se présenter, le lendemain de sa libération, avant 17 heures, et ensuite chaque jour, entre 9 heures et 17 heures, au commissariat central d'[Localité 3], [Adresse 2] ;

 - s'abstenir de recevoir ou de rencontrer, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit, les personnes suivantes : MM. [N] [J], [E] [C], Mme [G] [Y], M. [I] [F], Mme [S] [W], MM. [X] [P], [A] [T] ;

DÉSIGNE le magistrat chargé de l'information aux fins d'assurer le contrôle de la présente mesure de sûreté ;

RAPPELLE qu'en application de l'article 141-2 du code de procédure pénale, toute violation de l'une quelconque des obligations ci-dessus expose la personne sous contrôle judiciaire à un placement en détention provisoire ;

DIT que le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Caen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Piazza - Avocat général : M. Bougy - Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand -

Textes visés :

Article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Crim., 19 juin 2018, pourvoi n° 17-84.930, Bull. crim. 2018, n° 113 (rejet), et l'arrêt cité ; Crim., 14 octobre 2020, pourvoi n° 20-82.961 (cassation), et l'arrêt cité.

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