Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

PEINES

Crim., 26 octobre 2022, n° 21-84.618, (B), FRH

Rejet

Prononcé – Motivation – Application – Elément à considérer – Droit de garder le silence – Portée

La garantie de l'effectivité du droit de garder le silence impose de proscrire qu'une déclaration de culpabilité soit fondée exclusivement ou essentiellement sur le silence de l'accusé ou sur son refus de répondre à des questions.

M. [N] [P] a formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'assises de la Saône-et-Loire, en date du 9 juillet 2021, qui, pour vol avec arme, en récidive, l'a condamné à quinze ans de réclusion criminelle, avec période de sûreté fixée aux deux tiers de la peine, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par ordonnance du 15 novembre 2018, M. [N] [P] a été mis en accusation devant la cour d'assises de la Côte-d'Or du chef de vol avec arme, en récidive.

3. Par arrêt du 16 mai 2019, cette juridiction l'a condamné à quinze ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté fixée aux deux tiers de la peine, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation.

Par arrêt distinct du même jour, la cour a prononcé sur les intérêts civils.

4. L'accusé a relevé appel des arrêts pénal et civil.

Le ministère public et les parties civiles ont formé appel incident.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé pour M. [P]

5. Le demandeur, ayant épuisé, par l'exercice qu'il en avait fait personnellement le 15 juillet 2021, le droit de se pourvoir contre les arrêts attaqués, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre les mêmes décisions, par l'intermédiaire de son avocat.

6. Seul est recevable le pourvoi formé par l'accusé.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa première branche

7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [P] coupable, alors :

« 2°/ que le jury a tiré des conclusions en défaveur du prévenu en raison de son silence sans avoir reçu aucune instruction à cet égard ; que l'article 353 du code de procédure pénale étant dans cette mesure inconstitutionnel, comme cela est soutenu par un mémoire de question prioritaire de constitutionnalité distinct et motivé, la procédure a été irrégulière et l'arrêt ne répond pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale, en violation de l'article 591 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'une condamnation ne saurait être fondée exclusivement ou essentiellement sur le silence du prévenu ou sur son refus de répondre à des questions ou de déposer ; qu'en l'espèce, pour déclarer M. [P] coupable des faits qui lui étaient reprochés, l'arrêt attaqué s'est essentiellement fondé sur son silence et sur l'insuffisance de ses explications, et ce alors même qu'il résulte de la procédure que l'accusé n'a pas été informé sur les éventuel effets juridiques de son silence et qu'aucune instruction sur les conclusions en sa défaveur pouvant être tirées de son silence n'a été donnée au jury ; qu'en statuant ainsi, l'arrêt attaqué a porté atteinte tant au principe de la présomption d'innocence qu'au droit de se taire et a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

9. La Cour de cassation ayant, par arrêt du 21 avril 2022, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, le grief est devenu sans objet.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

10. Selon l'article 328 du code de procédure pénale, après l'avoir informé de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, le président de la cour d'assises interroge l'accusé et reçoit ses déclarations.

11. S'agissant des conséquences pouvant être tirées de l'exercice par un accusé de son droit au silence, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 8 février 1996, Murray c. Royaume-Uni, n° 18731/91) a énoncé que le droit de garder le silence n'est pas absolu. Elle a précisé, d'une part, qu'il est manifestement incompatible avec le droit de se taire et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination de fonder une condamnation exclusivement ou essentiellement sur le silence du prévenu ou sur son refus de répondre à des questions ou de déposer. Elle a ajouté, d'autre part, qu'il est tout aussi évident que ces interdictions ne peuvent et ne sauraient empêcher de prendre en compte le silence de l'intéressé, dans des situations qui appellent assurément une explication de sa part, pour apprécier la force de persuasion des éléments à charge.

12. La garantie de l'effectivité du droit de garder le silence impose donc de proscrire qu'une déclaration de culpabilité soit fondée exclusivement ou essentiellement sur le silence de l'accusé ou sur son refus de répondre à des questions.

13. Pour déclarer l'accusé coupable de vol avec arme, l'arrêt attaqué énonce que, en dépit de dénégations répétées et d'explications fluctuantes accueillies pour la première fois, près de trois années après la clôture de l'instruction au cours de laquelle l'intéressé avait fait le choix de demeurer particulièrement taisant, il ne parvient toujours pas à expliquer de manière cohérente et circonstanciée la présence de son ADN sur le serflex ayant servi à entraver l'une des victimes, et abandonné sur les lieux.

14. Il relève que cet élément probant est corroboré notamment par l'exploitation des données téléphoniques qui ont permis d'établir la présence de l'accusé dans l'agglomération dijonnaise le jour des faits, et ce alors même qu'il multipliait sur cette même période des allers-retours entre la Bourgogne et le Sud de la France, outre une interruption de toute utilisation de son téléphone sur une tranche horaire couvrant la commission du vol à main armée.

15. La cour d'assises ajoute que l'accusé a par ailleurs admis avoir fréquenté le magasin dans lequel a été commis le vol, à plusieurs reprises dans le courant de l'année 2015.

16. Elle retient en outre que les témoignages, concordants sur ce point, soulignent une certaine maîtrise et le contrôle des opérations de celui des deux auteurs qui a contraint une salariée à lui remettre les fonds, avant de l'attacher à l'aide du serflex sur lequel on a retrouvé le profil génétique de M. [P].

17. Elle précise que l'auteur non identifié à ce jour a été décrit comme remplissant un rôle d'exécutant dans la neutralisation des deux autres membres du personnel du magasin, cette distribution des rôles n'étant pas sans faire écho à certains des précédents passages à l'acte, judiciairement sanctionnés, de l'accusé.

18. En statuant ainsi, et dès lors qu'elle n'a pas fondé la déclaration de culpabilité exclusivement ou essentiellement sur le silence de l'accusé, la cour d'assises n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

19. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

20. Par ailleurs, aucun moyen n'est produit contre l'arrêt civil, la procédure est régulière et la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé pour M. [P] :

Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;

Sur le pourvoi formé par M. [P] :

LE REJETTE.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Leprieur - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 328 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

CEDH, arrêt du 8 février 1996, Murray c. Royaume-Uni, n° 18731/91. A rapprocher : Crim., 1er octobre 2008, pourvoi n° 08-81.338, Bull. crim. 2008, n° 201, et l'arrêt cité ; Crim., 16 décembre 2020, pourvoi n° 19-87.622, Bull. crim.

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