Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

MINEUR

Crim., 11 octobre 2022, n° 22-81.126, (B), FRH

Rejet

Administrateur ad hoc – Désignation – Conditions – Opposition d'intérêts entre le mineur et ses représentants légaux – Caractérisation – Nécessité

Selon l'article 20 de la directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012, le mineur victime a, par principe, le droit d'être accompagné, lors d'une enquête pénale, de son représentant légal ou d'une personne de son choix, sauf décision contraire motivée.

Il en résulte que la seule circonstance que les faits sont qualifiés d'incestueux ne peut suffire à justifier la désignation d'un administrateur ad hoc en application de l'article 706-50 du code de procédure pénale. Le magistrat qui procède à une telle désignation doit motiver l'insuffisante capacité des représentants légaux à assurer complètement la protection du mineur, à partir de son appréciation souveraine des faits.

Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui, pour infirmer l'ordonnance de désignation d'un administrateur ad hoc, énonce que la mère de l'enfant victime n'a pas été défaillante dans la protection des intérêts de sa fille, ayant notamment accompli des démarches pour la protéger, une fois les faits d'agression sexuelle portés à sa connaissance, et accompagnée à chaque étape de la procédure.

Mme [P] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 6 janvier 2022, qui, dans l'information suivie contre M. [J] [Y], des chefs de viol et d'agression sexuelle aggravés, a infirmé l'ordonnance du juge d'instruction la désignant en qualité d'administratrice ad hoc.

Par ordonnance en date du 14 avril 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Une enquête a été diligentée à la suite des révélations faites par [S] [Y] d'agressions sexuelles commises sur sa personne par son frère, [J] [Y].

3. Le 7 avril 2021, une information judiciaire a été ouverte des chefs d'agressions sexuelles incestueuses sur mineure de 15 ans et de viols incestueux sur mineure de 15 ans, pour lesquels M. [Y] a été mis en examen.

4. Le 15 avril 2021, un avis à se constituer partie civile a été adressé aux représentants légaux de [S] [Y].

5. Le 18 juin 2021, à la suite d'une erreur de distribution, le juge d'instruction a transmis un nouvel avis à la mère de la mineure, Mme [W] [K].

6. Par ordonnance du 5 juillet 2021, le juge d'instruction a désigné Mme [P] [U] en qualité d'administratrice ad hoc dans l'intérêt de [S] [Y].

7. Le 12 juillet 2021, le juge d'instruction a reçu la constitution de partie civile de Mme [K] en tant que représentante légale de sa fille mineure.

8. L'avocat de Mme [K] a interjeté appel de l'ordonnance précitée de désignation d'un administrateur ad hoc.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa troisième branche

9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé l'ordonnance du 5 juillet 2021, a considéré qu'il n'y avait pas lieu de désigner un mandataire ad hoc pour représenter [S] [Y] dans le cadre de la procédure ouverte du chef d'agressions sexuelles incestueuses sur mineur de 15 ans et de viols incestueux sur mineur de 15 ans, alors « qu'après avoir constaté que Maître [X], représentant de Mme [U], a déposé un mémoire en cours de l'audience du 2 décembre 2021 (arrêt, p. 2 alinéa 9), l'arrêt relève que « les avocats des parties civiles, régulièrement avisées, étaient absentes » (ibid., pénultième alinéa) ; qu'il est entaché d'une contradiction et encourt la censure pour violation des articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

11. La demanderesse ne saurait se faire un grief des éventuelles mentions contradictoires de l'arrêt quant à la présence à l'audience de son avocat, dès lors que la chambre de l'instruction a répondu aux moyens péremptoires du mémoire transmis la veille de l'audience, qui était seul recevable.

12. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé l'ordonnance du 5 juillet 2021, il a considéré qu'il n'y avait pas lieu de désigner un mandataire ad hoc pour représenter [S] [Y] dans le cadre de la procédure ouverte du chef d'agressions sexuelles incestueuses sur mineur de 15 ans et de viols incestueux sur mineur de 15 ans, alors :

« 1°/ que le procureur de la république ou le juge d'instruction, saisi de faits commis volontairement à l'encontre d'un mineur, désigne un administrateur ad hoc lorsque la protection des intérêts de celui-ci n'est pas complètement assurée par ses représentants légaux ou par l'un d'entre eux ; qu'en décidant que la mère de la victime, l'enfant [S] [Y], pouvait assurer la protection de ses intérêts, quand elle était par ailleurs la mère de l'enfant mineur [J] [Y] auteur des faits et, en tant que telle, pouvait être déclarée civilement responsable des actes de ce dernier, les juges du fond ont violé l'article 706-50 du code de procédure pénale ;

2°/ que la désignation d'un mandataire ad hoc s'impose lorsque la protection des intérêts de l'enfant n'est pas complètement assurée par ses représentants légaux ; qu'en énonçant, à propos du conflit d'intérêt lié au fait que Mme [K] est à la fois la mère de l'auteur des faits et la mère de la victime, les juges du fond ont relevé que M. [J] [Y] est majeur et vit avec son père, pour rajouter : « ce qui permet de limiter fortement le risque d'interférence avec les décisions que sa mère pourrait être amenée à prendre pour elle » ; qu'en s'abstenant de rechercher si, quand bien même les risques seraient limités, cette situation n'était pas de nature à établir que la protection de [S] [Y] n'était pas complètement assurée, les juges du fond ont insuffisamment motivé leur décision au regard de l'article 706-50 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

14. Selon l'article 20 de la directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, le mineur victime a, par principe, au cours d'une enquête pénale, le droit d'être accompagné de son représentant légal ou d'une personne de son choix, sauf décision contraire motivée.

15. Aux termes de l'article 706-50 du code de procédure pénale, le procureur de la République ou le juge d'instruction, saisi de faits commis volontairement à l'encontre d'un mineur, désigne un administrateur ad hoc lorsque la protection des intérêts de celui-ci n'est pas complètement assurée par ses représentants légaux ou par l'un d'entre eux.

16. Il en résulte que, d'une part, la seule circonstance que les faits sont qualifiés d'incestueux ne peut suffire à justifier la désignation d'un administrateur ad hoc.

17. D'autre part, il appartient au magistrat qui procède à une telle désignation, de motiver l'insuffisante capacité des représentants légaux à assurer complètement la protection du mineur, à partir de son appréciation souveraine des circonstances des faits.

18. En l'espèce, pour infirmer l'ordonnance de désignation d'un administrateur ad hoc, l'arrêt attaqué énonce notamment que la mère de [S] [Y], Mme [K], a accompli un certain nombre de démarches pour protéger sa fille mineure, une fois les faits d'agression sexuelle portés à sa connaissance, et l'a accompagnée à chaque étape de la procédure.

19. Ils relèvent qu'elle n'a aucunement cherché à couvrir ou à minimiser les agissements sexuels qu'[J] [Y] avait commis sur sa soeur et a séparé la fratrie afin d'éviter toute réitération dès qu'elle en a eu connaissance.

20. Les juges ajoutent en substance que le retard pris à se constituer partie civile est imputable non à sa négligence, mais à l'acheminement des courriers.

21. Ils énoncent que l'existence d'un conflit d'intérêts lié au fait que Mme [K] soit la mère à la fois de l'auteur et de la victime des faits n'est pas de nature à entraver la protection des intérêts de [S] [Y].

22. Les juges en déduisent que Mme [K] n'a pas été défaillante dans la protection des intérêts de sa fille et qu'aucun élément ne justifie la désignation d'un administrateur ad hoc.

23. En l'état de ces énonciations, dénuées d'insuffisance comme de contradiction, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

24. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

25. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Violeau - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article 20 de la directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 ; article 706-50 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 12 septembre 2000, pourvoi n° 00-81.971, Bull. crim. 2000, n° 266 (rejet) ; 1re Civ., 25 octobre 2005, pourvoi n° 03-14.404, Bull. 2005, I, n° 390 (2) (rejet).

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