Numéro 10 - Octobre 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

EXTRADITION

Crim., 11 octobre 2022, n° 22-80.120, (B), FRH

Cassation

Etat étranger requérant – Etat non-membre de l'Union européenne – Ressortissant de l'Union européenne – Conditions – Etat du ressortissant mis en mesure de délivrer un mandat d'arrêt européen

En application des articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, il appartient à la chambre de l'instruction, saisie d'une demande d'extradition émanant d'un Etat tiers à l'Union européenne, d'un citoyen ressortissant d'un autre État membre, de s'assurer que ce dernier Etat a été suffisamment mis en mesure d'exercer, le cas échéant, le pouvoir discrétionnaire, relevant de sa souveraineté en matière pénale, d'exercer des poursuites pour les faits visés dans la demande d'extradition et de délivrer à cette fin un mandat d'arrêt européen.

Encourt la censure l'arrêt qui émet un avis favorable à une demande d'extradition, alors qu'il n'était pas justifié d'une telle information de l'Etat membre dont l'intéressé est le ressortissant.

M. [C] [O] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5e section, en date du 15 décembre 2021, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement russe, a émis en avis favorable.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [C] [O], ressortissant russe et maltais interpellé à l'aéroport de [1], a fait l'objet, de la part des autorités russes, d'une demande d'arrestation aux fins d'extradition provisoire, suivie d'une demande d'extradition aux fins de poursuites pénales, pour des faits commis entre le 9 décembre 2014 et le 1er septembre 2017 qualifiés de détournement de fonds, soustraction ou vol du bien d'autrui avec abus de la position officielle au sein d'un groupe organisé, à une échelle particulièrement grande.

3. M. [O] a déclaré ne pas consentir à sa remise.

4. Par arrêt avant dire droit du 28 avril 2021, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a ordonné un complément d'information afin de permettre, le cas échéant, aux autorités de la République de Malte de solliciter la remise de l'intéressé sur mandat d'arrêt européen.

5. L'affaire a été renvoyée à l'audience du 30 juin 2021, puis au 19 octobre 2021.

6. Le procureur général a transmis à la chambre de l'instruction, le jour de l'audience, un échange de courriel avec le bureau de l'entraide pénale internationale (BEPI) du ministère de la justice, précisant que « les autorités maltaises avaient bien été interrogées dès le mois de mars 2021 et nous avaient confirmé leur intention de ne pas émettre un MAE [...] ».

Examen des moyens

Sur le premier moyen

7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition, alors :

« 2°/ qu'il ne résulte d'aucune des mentions de l'arrêt que le courriel du bureau de l'entraide pénale internationale du ministère de la justice du 18 octobre 2021 évoqué par le parquet général dans des réquisitions déposées le 19 octobre 2021, veille de l'audience, ait été concomitamment déposé au dossier de la procédure ni communiqué à la défense lors des débats ; en fondant sa décision sur ce courriel, la chambre de l'instruction a violé le principe du contradictoire et les droits de la défense, ensemble les articles préliminaire du code de procédure pénale et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

9. La chambre de l'instruction a pu valablement se référer au courriel du BEPI du ministère de la justice produit la veille de l'audience par le ministère public, dès lors que l'avocat de la personne réclamée, entendu à l'audience en ses observations, ne s'est pas prévalu de cette irrégularité et n'a pas sollicité le renvoi de l'audience.

10. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

Sur les troisième et quatrième moyens

Enoncé des moyens

11. Les troisième et quatrième moyens critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition, alors que cet avis, pris au regard de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, qui est une convention du Conseil de l'Europe, a perdu tout fondement légal, à raison de l'exclusion de la Russie du Conseil de l'Europe.

Réponse de la Cour

12. Les moyens sont réunis.

13. Par résolution adoptée le 16 mars 2022, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a décidé, dans le cadre de la procédure lancée en vertu de l'article 8 du statut dudit Conseil, que la Fédération de Russie cessait immédiatement d'en être membre (CM/Del/Dec(2022)1428ter/2.3).

14. Par résolution adoptée le 23 mars 2022, le même Comité des ministres a décidé que la Fédération de Russie a cessé au 16 mars 2022 d'être partie contractante aux conventions et protocoles conclus dans le cadre du Conseil de l'Europe qui ne sont ouverts qu'aux Etats membres de l'organisation, mais qu'elle continuera à être partie contractante aux conventions et protocoles conclus dans le cadre du Conseil de l'Europe auxquels elle a exprimé son consentement à être liée, et qui sont ouverts à l'adhésion d'États non-membres (CM/Del/Dec(2022)1429bis/2.3).

15. Or, l'article 30 de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 dispose, en son premier alinéa, que le Comité des ministres du Conseil de l'Europe pourra inviter tout Etat non-membre du Conseil à adhérer à la présente Convention.

16. Il en résulte que la Fédération de Russie continue à être partie contractante à ladite convention, nonobstant son exclusion du Conseil de l'Europe.

17. Dès lors, les moyens ne sont pas fondés.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition, alors :

« 1°/ que l'avis est défavorable si les conditions légales de l'extradition ne sont pas remplies, ce qu'il incombe à la chambre de l'instruction de contrôler elle-même ; il résulte d'un arrêt du 6 septembre 2016 (C-182/15) de la Cour de justice de l'Union européenne qu'un Etat membre, saisi d'une demande d'extradition par un Etat tiers a l'obligation d'informer l'État membre de la nationalité de l'intéressé, et le cas échéant, à la demande de ce dernier État, de lui remettre ce citoyen, conformément aux dispositions relatives au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres ; par arrêt avant dire droit du 28 avril 2021, la chambre de l'instruction a ordonné un complément d'information à cette fin, auprès des autorités de la République de Malte et précisé que la réponse devra lui être transmise avec sa traduction en langue française ; en s'en tenant, pour dire n'y avoir lieu de refuser l'extradition, en l'absence de réponse au dossier des autorités maltaises elles-mêmes, au contenu d'un courriel du bureau de l'entraide pénale internationale du ministère de la justice interrogé par le parquet général, selon lequel les autorités judiciaires de la République de Malte auraient confirmé en mars 2021 leur intention de ne pas émettre un mandat d'arrêt européen, la chambre de l'instruction s'en est ainsi remise au pouvoir exécutif, n'a pas exercé le contrôle qui lui incombait personnellement et a privé sa décision en la forme, des conditions essentielles de son existence légale ; »

Réponse de la Cour

Vu les articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne et 593 du code de procédure pénale :

19. Selon les deux premiers de ces textes, lorsqu'un État membre dans lequel un citoyen de l'Union, ressortissant d'un autre État membre, s'est déplacé, se voit adresser une demande d'extradition par un État tiers avec lequel il a conclu un accord d'extradition, il est tenu d'informer l'État membre dont ledit citoyen a la nationalité et, le cas échéant, à la demande de ce dernier État membre, de lui remettre ce citoyen, conformément aux dispositions de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, pourvu que cet État membre soit compétent, en vertu de son droit national, pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (CJUE, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C-182/15).

20. Conformément au principe de coopération loyale, il incombe à l'État membre requis d'informer les autorités compétentes de l'État membre dont la personne réclamée a la nationalité non seulement de l'existence d'une demande d'extradition la visant, mais encore de l'ensemble des éléments de droit et de fait communiqués par l'État tiers requérant dans le cadre de cette demande d'extradition.

21. Il incombe également à l'État membre requis de tenir lesdites autorités informées de tout changement de la situation dans laquelle se trouve la personne réclamée, pertinent aux fins de l'éventuelle émission contre elle d'un mandat d'arrêt européen (CJUE, arrêt du 17 décembre 2020, By, C-398/19).

22. Cet échange d'informations a pour objet de mettre l'Etat membre, dont la personne réclamée a la nationalité, en mesure d'exercer le pouvoir discrétionnaire, relevant de sa souveraineté en matière pénale, d'exercer des poursuites pour les faits visés dans la demande d'extradition et de délivrer à cette fin un mandat d'arrêt européen.

23. Selon le troisième de ces textes, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

24. En l'espèce, pour émettre un avis favorable à la demande d'extradition, l'arrêt attaqué énonce en substance que le courriel du 18 octobre 2021 du BEPI du ministère de la justice, évoqué par le ministère public dans ses réquisitions écrites, permet d'apprendre que les autorités judiciaires de la République de Malte ont confirmé, dès mars 2021, leur intention de ne pas émettre de mandat d'arrêt européen à l'encontre de M. [O].

25. Les juges en déduisent qu'il est justifié de l'information des autorités maltaises de l'existence d'une demande d'extradition de la part des autorités russes concernant l'intéressé, dès le mois de mars 2021.

26. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

27. En effet, il lui incombait, en application des principes rappelés aux paragraphes 19 à 21, de s'assurer que cet État membre avait effectivement été mis en mesure d'apprécier l'opportunité d'émettre un mandat d'arrêt européen aux fins de poursuites pour les faits objet de la demande d'extradition, pour autant que son droit national le permette, ce qui ne pouvait résulter du simple échange de courriels entre le procureur général et le BEPI tel que soumis à la chambre de l'instruction.

28. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 15 décembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Violeau - Avocat général : M. Aldebert - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ; article 593 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

CJUE, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C-182/15.

Crim., 11 octobre 2022, n° 22-80.654, (B), FRH

Rejet

Etat étranger requérant – Etat non-membre de l'Union européenne – Ressortissant de l'Union européenne – Conditions – Etat du ressortissant mis en mesure de délivrer un mandat d'arrêt européen – Forme de la réponse de l'Etat du ressortissant – Détermination

En application des articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, il appartient à la chambre de l'instruction, saisie d'une demande d' extradition émanant d'un Etat tiers à l'Union européenne, d'un citoyen ressortissant d'un autre Etat membre, de s'assurer que ce dernier Etat a été suffisamment mis en mesure d'exercer, le cas échéant, le pouvoir discrétionnaire, relevant de sa souveraineté en matière pénale, d'exercer des poursuites pour les faits visés dans la demande d'extradition et de délivrer à cette fin un mandat d'arrêt européen.

L'Etat membre dont la personne réclamée a la nationalité n'a pas l'obligation de rendre une décision formelle, dûment motivée et susceptible d'un recours juridictionnel.

Justifie dès lors sa décision la chambre de l'instruction qui émet un avis favorable à une demande d'extradition formée par les Etats-Unis d'Amérique d'un ressortissant luxembourgeois, après avoir constaté que, d'une part, les autorités françaises ont informé les autorités judiciaires luxembourgeoises que cette demande était relative à des faits commis entre 2014 et 2019, qualifiés de fraude électronique et blanchiment en lien avec la vente d'une crypto-monnaie, l'intéressé étant accusé d'avoir fourni « des services d'espionnage industriel et de blanchiment d'argent » et des informations de police confidentielles aux principaux accusés, ainsi que d'avoir poursuivi ses activités délictuelles au moyen d'une société enregistrée à son nom aux Emirats arabes unis, d'autre part, les autorités luxembourgeoises ont indiqué par courriel ne pas vouloir reprendre les poursuites ni délivrer de mandat d'arrêt européen pour ces faits.

M. [J] [G] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 19 janvier 2022, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement américain, a émis un avis favorable.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 29 avril 2021, M. [J] [G], ressortissant luxembourgeois, a fait l'objet d'une arrestation provisoire aux fins d'extradition, sur la base d'un mandat d'arrêt délivré le 24 septembre 2020, par une juge d'une cour de district de New York, pour des faits de complot en vue de commettre une fraude électronique et complot en vue de commettre un blanchiment commis courant 2014 à 2019 notamment aux Etats-Unis et au Luxembourg.

3. Le même jour, M. [G] a été placé sous écrou extraditionnel.

4. Le 2 juillet 2021, le procureur général lui a notifié la demande d'extradition transmise par les autorités judiciaires américaines pour ces faits.

5. M. [G] a déclaré ne pas consentir à sa remise.

6. Par arrêt du 21 juillet 2021, la chambre de l'instruction a ordonné, avant dire droit, un complément d'information pour que, d'une part, les autorités luxembourgeoises soient consultées sur l'extradition de leur ressortissant, d'autre part, les autorités américaines précisent les modalités de poursuite et d'exécution des peines relatives aux infractions reprochées à M. [G].

7. Le procureur général a transmis à la chambre de l'instruction des échanges de courriels, datés des 3 et 4 mai 2021, avec les autorités judiciaires luxembourgeoises, aux termes desquels le parquet général du tribunal d'arrondissement de Luxembourg a indiqué : « je n'entends pas reprendre les poursuites menées contre [J] [G] par les autorités américaines.

Par conséquent, je peux vous confirmer que le Luxembourg n'adressera dans ce contexte pas de mandat d'arrêt européen à la France. »

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa première branche

8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a délivré un avis favorable à l'extradition de M. [G], alors « que l'Etat requis doit transmettre à l'Etat dont la personne a la nationalité, l'ensemble des informations communiquées par l'Etat requérant dans la demande d'extradition ; que la chambre de l'instruction a relevé que « les autorités françaises ont informé [...] les autorités luxembourgeoises de la demande d'arrestation provisoire » et constaté qu'à cette date, les autorités françaises n'étaient pas saisies de la demande d'extradition ; qu'en estimant cependant la procédure régulière, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 et 14 de la convention des droits de l'homme, 21 et 45 de la Charte des droits fondamentaux, 18 et 21 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, 591, 593 et 696-8 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que les articles 18 et 21 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu'un Etat membre dans lequel un citoyen de l'Union, ressortissant d'un autre Etat membre, s'est déplacé, se voit adresser une demande d'extradition par un Etat tiers avec lequel le premier Etat membre a conclu un accord d'extradition, il est tenu d'informer l'Etat membre dont ledit citoyen a la nationalité et, le cas échéant, à la demande de ce dernier Etat membre, de lui remettre ce citoyen, conformément aux dispositions de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil du 26 février 2009, pourvu que cet Etat membre soit compétent, en vertu de son droit national, pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (CJUE, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhin, C-182/15).

11. Elle a précisé que, conformément au principe de coopération loyale, il incombe à l'Etat membre requis d'informer les autorités compétentes de l'Etat membre dont la personne réclamée a la nationalité non seulement de l'existence d'une demande d'extradition la visant, mais encore de l'ensemble des éléments de droit et de fait communiqués par l'Etat tiers requérant dans le cadre de cette demande d'extradition.

12. La CJUE a ajouté qu'il incombe également à l'Etat membre requis de tenir lesdites autorités informées de tout changement de la situation dans laquelle se trouve la personne réclamée, pertinent aux fins de l'éventuelle émission contre elle d'un mandat d'arrêt européen (CJUE, arrêt du 17 décembre 2020, By, C-398/19).

13. Cet échange d'informations a pour objet de mettre l'Etat membre dont la personne réclamée a la nationalité en mesure d'exercer le pouvoir discrétionnaire, relevant de sa souveraineté en matière pénale, d'exercer des poursuites pour les faits visés dans la demande d'extradition et de délivrer à cette fin un mandat d'arrêt européen.

14. Une telle interprétation garantit l'exercice du droit à la libre circulation tout en évitant, dans la mesure du possible, le risque que l'infraction poursuivie demeure impunie (CJUE, arrêt du 6 septembre 2016 précité).

15. Par ailleurs, la CJUE a dit pour droit que pour autant qu'il ait dûment informé l'Etat membre dont la même personne a la nationalité de l'existence de la demande d'extradition, aux conditions rappelées ci-dessus aux paragraphes 11 à 13, l'Etat membre requis peut extrader cette personne sans être tenu d'attendre que l'Etat membre dont elle a la nationalité renonce, par une décision formelle, à l'émission d'un tel mandat d'arrêt, portant à tout le moins sur les mêmes faits que ceux visés dans la demande d'extradition, lorsque ce dernier Etat membre s'abstient de procéder à une telle émission dans un délai raisonnable que lui a accordé à cet effet l'Etat membre requis, tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'affaire (CJUE, arrêt du 17 décembre 2020 précité).

16. Il s'évince de cette interprétation, justifiée par la mise en oeuvre des mécanismes de coopération et d'assistance mutuelle existant en matière pénale en vertu du droit de l'Union et afin de ne pas retarder indûment la procédure d'extradition, que l'Etat membre dont la personne réclamée a la nationalité n'a pas l'obligation de rendre une décision formelle, dûment motivée et susceptible d'un recours juridictionnel.

17. En l'espèce, pour émettre un avis favorable à la demande d'extradition, l'arrêt attaqué énonce que les autorités judiciaires luxembourgeoises ont été avisées par courriel du 3 mai 2021 de l'interpellation de M. [G], de nationalité luxembourgeoise, au titre d'une demande formelle d'arrestation provisoire des Etats-Unis d'Amérique aux fins d'extradition.

18. Les juges relèvent qu'il y était précisé que l'intéressé a été placé sous écrou extraditionnel pour l'exercice de poursuites pénales au titre d'un mandat d'arrêt décerné le 24 septembre 2020 par une juge américaine pour des faits commis entre 2014 et 2019, qualifiés de fraude électronique et blanchiment en lien avec la vente d'une crypto-monnaie, OneCoin.

19. Ils ajoutent que les autorités françaises ont précisé aux autorités luxembourgeoises que l'intéressé était plus précisément accusé par les autorités américaines d'avoir fourni « des services d'espionnage industriel et de blanchiment d'argent » et « des informations de police confidentielles aux principaux accusés permettant à l'un des deux fondateurs de la société et du montage pyramidal/système de Ponzi d'échapper à une arrestation », ainsi que « d'avoir poursuivi les activités de OneCoin au moyen d'une société enregistrée à son nom aux Emirats-Arabes-Unis ».

20. Les juges retiennent que par courriel du 4 mai 2021, les autorités luxembourgeoises ont indiqué ne pas vouloir reprendre les poursuites ni délivrer de mandat d'arrêt européen pour ces faits.

21. Ils concluent en substance que les informations communiquées par les autorités françaises sont suffisamment précises quant à l'existence de la demande d'extradition émanant des autorités américaines et quant aux éléments de fait et de droit communiqués par les Etats-Unis d'Amérique à la France, pour permettre aux autorités luxembourgeoises d'exercer des poursuites à l'encontre de M. [G].

22. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

23. En effet, la réception de la demande d'extradition ne pouvait être analysée, en l'espèce, comme un changement pertinent de la situation de M. [G], dès lors que les informations communiquées par le ministre français de la justice, après arrestation provisoire du requérant, mentionnaient expressément l'existence d'une demande d'extradition pour poursuites pénales et étaient suffisamment précises pour permettre aux autorités judiciaires du Luxembourg d'apprécier l'opportunité de délivrer un mandat d'arrêt européen contre lui.

24. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

25. Par ailleurs, s'agissant des questions préjudicielles présentées à titre subsidiaire, il n'y a pas lieu de transmettre la première qui porte sur l'étendue de l'échange d'informations entre Etats membres, dont la substance est identique à une question à laquelle la CJUE a répondu dans son arrêt du 17 décembre 2020 précité, ni les deuxième et troisième relatives à la forme de la décision de refus de délivrance d'un mandat d'arrêt européen et à l'existence d'un recours contre celle-ci, leur réponse se déduisant de l'arrêt susvisé de la CJUE.

Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

26. Le moyen, en sa secondre branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a délivré un avis favorable à l'extradition de M. [G], alors :

« 2°/ que l'existence d'un « risque » de subir un traitement inhumain et dégradant impose le refus de l'extradition ; qu'après avoir établi la pratique répandue de la détention et de l'isolement cellulaire, la chambre de l'instruction a accordé l'extradition en ce que la détention n'est pas automatiquement prononcée et que ses modalités sont incertaines ; qu'en imposant la certitude que soit prononcé un tel traitement tandis que seul le « risque » de le subir suffit pour refuser l'extradition, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 3 et 6 de la Convention des droits de l'homme, 4 et 19 de la Charte des droits fondamentaux, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

27. La CJUE énonce qu'en l'absence d'émission d'un mandat d'arrêt européen par l'Etat membre dont la personne réclamée a la nationalité, l'Etat membre requis peut procéder à son extradition, à condition d'avoir vérifié que cette extradition ne portera pas atteinte aux droits visés à l'article 19, alinéa 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

28. Pour ce faire, cet Etat membre, conformément à l'article 4 de la Charte précitée qui interdit les peines ou les traitements inhumains ou dégradants, ne saurait se limiter à prendre en considération les seules déclarations de l'Etat tiers requérant ou l'acceptation, par ce dernier Etat, de traités internationaux garantissant, en principe, le respect des droits fondamentaux.

L'autorité compétente de l'Etat membre requis doit se fonder, aux fins de cette vérification, sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés, éléments pouvant résulter, notamment, de décisions judiciaires internationales, telles que des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, des décisions judiciaires de l'Etat tiers requérant ainsi que des décisions, des rapports et d'autres documents établis par les organes du Conseil de l'Europe ou relevant du système des Nations unies (CJUE, arrêt du 6 septembre 2016 précité ; arrêt du 2 avril 2020, Ruska Federacija, C-897/19).

29. En l'espèce, pour écarter le grief tiré du risque de traitement inhumain et dégradant, l'arrêt attaqué énonce, en substance, que les documents produits par la défense, notamment les rapports établis courant 2014 du Comité contre la torture des Nations unies et du Comité des droits de l'homme des Nations unies, ainsi que le rapport pour l'année 2020 du groupe de travail sur la détention arbitraire du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, font état d'inquiétudes et de préoccupations sur des pratiques pénitentiaires et des agressions sur des détenus estimées trop répandues, sans que l'isolement cellulaire ne soit identifié comme systématique.

30. Les juges en déduisent que ces éléments ne constituent pas un tableau objectif, fiable, précis et dûment actualisé des éventuelles conditions de détention de M. [G], détention qui par ailleurs en l'état actuel de la procédure est hypothétique dans son principe et incertaine dans ses modalités.

31. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

32. En effet, elle a exactement retenu qu'aucun élément objectif, fiable, précis et dûment actualisé caractérisait l'existence d'un risque, pour la personne réclamée, d'être soumise à une détention dans des conditions portant atteinte à la dignité humaine.

33. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

34. En l'absence de doute raisonnable, il n'y a pas lieu de transmettre la question préjudicielle présentée à titre subsidiaire portant sur la nécessité, pour l'Etat membre requis, de lancer la procédure de consultation prévue à l'article 17, § 2, de l'accord d'extradition entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique, lorsqu'il n'est pas en mesure de s'assurer que les droits et libertés consacrés par le droit de l'Union seraient garantis en cas d'extradition ou que celle-ci aurait des conséquences manifestement disproportionnées.

35. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Violeau - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles 6 et 14 de la Convention des droits de l'homme ; articles 21 et 45 de la Charte des droits fondamentaux ; articles 18 et 21 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; articles 591, 593 et 696-8 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 11 octobre 2022, pourvoi n° 22-80.120, Bull. crim. (cassation) ; CJUE, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhin, C-182/15 ; CJUE, arrêt du 17 décembre 2020, By, C-398/19.

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