Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

MANDAT D'ARRET EUROPEEN

Crim., 5 octobre 2021, n° 21-84.194(B)

Cassation

Emission – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 27 – Principe de spécialité – Détention provisoire – Fondement – Infraction ayant motivé la remise ou infraction visée au mandat – Contestation – Office de la chambre de l'instruction – Vérification du respect du principe de spécialité – Demande de versement de la décision de remise des autorités judiciaires requises

Il se déduit des articles 27 de la décision-cadre n° 2002/584/JAI relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres et 695-18 du code de procédure pénale qu'une personne remise à la France en exécution d'un mandat d'arrêt européen et qui n'a pas renoncé au principe de spécialité ne peut faire l'objet d'une mesure de détention provisoire pour une infraction autre que celle qui a motivé sa remise, avant que son consentement ait été obtenu, sauf si cette mesure privative de liberté est légalement justifiée par les autres chefs d'accusation figurant dans le mandat d'arrêt européen. Dès lors, en cas de contestation soulevée devant elle sur ce point, il appartient à la chambre de l'instruction de s'assurer du respect du principe de spécialité et, dans le cas où le demandeur fait valoir que ne figure pas en procédure la décision de remise des autorités judiciaires requises, d'en demander le versement au dossier, une telle demande constituant une vérification au sens de l'article 194, alinéa 4, du code de procédure pénale.

Encourt la cassation l'arrêt, qui, pour écarter le moyen pris de la violation du principe de spécialité, énonce qu'il résulte du procès-verbal de notification du mandat d'arrêt que l'intéressé a été mis en examen exclusivement pour les faits pour lesquels le mandat d'arrêt européen a été délivré, alors qu'en l'absence à la procédure de la décision de remise des autorités judiciaires étrangères, il appartenait à la chambre de l'instruction de rechercher si la personne mise en examen avait été placée en détention provisoire pour des chefs d'accusation pour lesquels ces autorités avaient ordonné, au moins pour partie, sa remise.

M. [D] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 25 juin 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de direction d'un groupement ayant pour objet le trafic de stupéfiants, infractions à la législation sur les stupéfiants, blanchiment, blanchiment en bande organisée, association de malfaiteurs, importation de produits stupéfiants en bande organisée, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre d'une information judiciaire, M. [N] a fait l'objet d'un mandat d'arrêt en date du 27 juin 2019, mis à exécution par mandat d'arrêt européen le lendemain.

3. Le 30 mai 2021, il a été interpellé à Lisbonne.

4. Il a été remis par les autorités judiciaires portugaises aux autorités françaises le 11 juin 2021, présenté au juge d'instruction et mis en examen des chefs précités.

5. Par ordonnance en date du 16 juin 2021, le juge des libertés et de la détention a écarté son argumentation prise de la violation du principe de spécialité en raison de l'absence au dossier de la procédure de la décision de remise des autorités portugaises et a ordonné son placement en détention provisoire.

6. M. [N] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire de M. [N] en écartant le moyen tiré de la violation de la règle de la spécialité, alors « que la règle de la spécialité interdit de poursuivre la personne livrée ou de la juger pour une infraction autre que celle qui a fondé le mandat d'arrêt européen ; qu'au cas concret, a méconnu son office et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 27, § 2, de la décision cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002, préliminaire, 695-18, 695-19, 695-21 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction, qui a confirmé l'ordonnance entreprise admettant ellemême que ne figurait pas au dossier la décision de remise de l'intéressé aux autorités françaises, tout en écartant le moyen de nullité qui en résultait, aux motifs, radicalement inopérants, que la notification du mandat d'arrêt à M. [N], qu'il a reconnu s'appliquer à sa personne en donnant son accord à sa remise, démontrait qu'il avait « été bien mis en examen exclusivement pour les faits pour lesquels le mandat d'arrêt a(vait) été délivré » quand ces éléments, tirés de la seule notification, élémentaire, de ce mandat d'arrêt pour des faits visés par leur seule qualification pénale, sans aucune précision et sans renonciation au bénéfice de la règle de la spécialité, n'était aucunement de nature à suppléer l'absence - non contestée - au dossier de la procédure de toute décision de remise permettant de s'assurer du respect de cette règle. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 27 de la décision-cadre n° 2002/584/JAI relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, 695-18 et 593 du code de procédure pénale :

8. Il résulte du premier de ces textes, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, qu'en présence d'une infraction autre que celle qui a motivé la remise, le consentement de la personne remise doit être demandé, conformément au paragraphe 4 dudit texte, et obtenu s'il y a lieu de faire exécuter une peine ou une mesure privatives de liberté.

La personne remise peut être poursuivie et condamnée pour une telle infraction avant que ce consentement ait été obtenu, pour autant qu'aucune mesure restrictive de liberté n'est appliquée au cours de la phase de poursuite ou de jugement relative à cette infraction.

L'exception visée à cet article 27, paragraphe 3, sous c), ne s'oppose toutefois pas à ce que la personne remise soit soumise à une mesure restrictive de liberté avant que le consentement soit obtenu, dès lors que cette mesure est légalement justifiée par d'autres chefs d'accusation figurant dans le mandat d'arrêt européen (CJUE, arrêt du 1er décembre 2008, [Y] [H], C-388/08).

9. En vertu du deuxième, lorsque le ministère public qui a émis le mandat d'arrêt européen a obtenu la remise de la personne recherchée, celle-ci ne peut être poursuivie, condamnée ou détenue en vue de l'exécution d'une peine privative de liberté pour un fait quelconque antérieur à la remise et autre que celui qui a motivé cette mesure, sauf dans l'un des cas énumérés audit article.

10. Selon le troisième, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

11. Il s'ensuit qu'une personne remise à la France en exécution d'un mandat d'arrêt européen et qui n'a pas renoncé au principe de spécialité ne peut faire l'objet d'une mesure de détention provisoire pour une infraction autre que celle qui a motivé sa remise, avant que son consentement ait été obtenu, sauf si cette mesure privative de liberté est légalement justifiée par les autres chefs d'accusation figurant dans le mandat d'arrêt européen.

12. Dès lors, en cas de contestation soulevée devant elle sur ce point, il appartient à la chambre de l'instruction de s'assurer du respect du principe de spécialité, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne.

13. Dans le cas où le demandeur fait valoir que ne figure pas en procédure la décision de remise des autorités judiciaires requises, il appartient à la chambre de l'instruction d'en demander le versement au dossier, une telle demande constituant une vérification au sens de l'article 194, alinéa 4, du code de procédure pénale.

14. En l'espèce, pour écarter le moyen pris de la violation du principe de spécialité, l'arrêt énonce qu'il résulte du procès-verbal de notification du mandat d'arrêt que M. [N] a été mis en examen exclusivement pour les faits pour lesquels le mandat d'arrêt européen a été délivré.

15. En prononçant ainsi, par des motifs inopérants, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

16. En effet, il lui appartenait de demander le versement en procédure de la décision de remise des autorités judiciaires portugaises puis de rechercher si M. [N] avait été placé en détention provisoire pour des chefs d'accusation pour lesquels ces autorités avaient ordonné, au moins pour partie, sa remise.

17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 25 juin 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Labrousse - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Spinosi -

Textes visés :

Articles 27 de la décision-cadre n° 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres ; articles 695-18 et 194, alinéa 4, du code de procédure pénale.

Crim., 20 octobre 2021, n° 21-85.583(B)

Rejet

Exécution – Conditions d'exécution – Absence d'atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale

Les juges doivent apprécier la proportionnalité de l'atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale de la personne recherchée par l'exécution du mandat d'arrêt européen, et non par sa délivrance par les autorités de l'Etat d'émission.

Mme [B] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5e section, en date du 22 septembre 2021, qui a autorisé sa remise aux autorités judiciaires allemandes, en exécution d'un mandat d'arrêt européen.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 2 juin 2021, Mme [B] [E], de nationalité française, s'est vue notifier un mandat d'arrêt européen décerné le 16 août 2019 par les autorités judiciaires allemandes aux fins de l'exercice de poursuites pénales pour des faits qualifiés de « cambriolage d'un logement privé en combinaison avec des dommages matériels », commis à Munich, le 8 novembre 2018.

3. Elle a comparu devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel le 9 juin 2021 et n'a pas consenti à sa remise. Elle a été placée sous contrôle judiciaire le même jour.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, et le troisième moyen, pris en sa seconde branche

4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la remise de Mme [E] aux autorités judiciaires de la République Fédérale d'Allemagne en exécution d'un mandat d'arrêt européen émis aux fins d'exercice de poursuites pénales, alors :

« 1°/ qu'en se bornant à examiner si « la délivrance d'un mandat d'arrêt par les autorités judiciaires allemandes apparaît proportionnée à la gravité de l'infraction » « en dépit des éléments que présente Mme [E] quant à sa vie privée et familiale en France », cependant qu'il lui était demandé de rechercher si la remise de Mme [E], c'est-à-dire l'exécution du mandat d'arrêt, portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, la chambre de l'instruction, qui a de surcroît excédé ses pouvoirs, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

6. Pour rejeter le moyen de Mme [E] pris d'une atteinte disproportionnée au droit au respect à la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et autoriser sa remise aux autorités judiciaires allemandes, l'arrêt attaqué énonce notamment que l'intéressée vit depuis de nombreuses années à Aulnay-sous-Bois, qu'elle est mère de quatre enfants, tous à sa charge et scolarisés en France.

7. Les juges ajoutent que les faits qui sont imputés à la personne recherchée, punis par le code pénal allemand d'une peine maximale de dix ans d'emprisonnement, sont graves au regard du mode opératoire et de l'importance du préjudice financier causé et que le bulletin n°1 de son casier judiciaire porte mention de deux condamnations, dont l'une prononcée en Allemagne pour des faits de tentative de cambriolage en réunion.

8. Ils en concluent qu'en dépit des éléments relatifs à la vie privée et familiale de l'intéressée, la délivrance d'un mandat d'arrêt européen par les autorités judiciaires allemandes est proportionnée à la gravité de l'infraction, au montant particulièrement élevé de la peine encourue, à l'importance du préjudice causé et aux antécédents de la personne recherchée, notamment sur le territoire allemand, lesquels établissent sa mobilité géographique.

9. C'est à tort que les juges se sont prononcés sur la proportionnalité de l'atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale de la demanderesse par la délivrance du mandat d'arrêt européen par les autorités allemandes.

10. En effet, les juges doivent apprécier la proportionnalité de l'atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale de la personne recherchée par l'exécution du mandat d'arrêt européen, et non par sa délivrance.

11. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte de ses énonciations que la remise de Mme [E] aux autorités judiciaires allemandes ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale.

12. Ainsi, le moyen doit être écarté.

13. Par ailleurs l'arrêt a été rendu par une chambre de l'instruction compétente et composée conformément à la loi, et la procédure est régulière.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Leprieur - Avocat général : Mme Mathieu - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Crim., 12 avril 2016, pourvoi n° 16-82.175, Bull. crim. 2016, n° 132 (cassation et désignation de juridiction), et l'arrêt cité.

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