Numéro 10 - Octobre 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

INSTRUCTION

Crim., 5 octobre 2021, n° 21-82.331(B)

Rejet

Droits de la défense – Copie de la procédure – Délivrance – Absence de copie de travail de DVD sous scellé non annexée à un procès-verbal – Nullité (non)

La copie de travail d'un support numérique de stockage placé sous scellé ne constitue pas une pièce de la procédure devant être communiquée aux avocats des parties dans les conditions prévues par l'article 114 du code de procédure pénale. Elle ne peut être consultée, comme l'original, que dans les conditions prévues par l'article 97, alinéas 6 et 7, du code de procédure pénale.

Justifie sa décision la cour d'appel qui, pour rejeter le moyen de nullité pris de la communication incomplète du dossier aux avocats de la personne mise en examen, énonce qu'il leur appartenait de solliciter la mise à disposition de la copie de travail d'un DVD-Rom, placé sous scellé, qui n'a pas été annexée à un procès-verbal.

Mme [S] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 8 avril 2021, qui, dans l'information suivie contre elle du chef de prise illégale d'intérêts, a prononcé sur sa demande d'annulation d'actes de la procédure.

Par ordonnance en date du 1er juin 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 3 janvier 2013, Tracfin a adressé au procureur de la République de [Localité 1] une note d'information concernant les opérations financières atypiques réalisées par l'association pour l'organisation des festivals, présidée par M. [V] [U].

3. Entre janvier 2010 et octobre 2012, cette association aurait enregistré sur son compte bancaire des flux créditeurs supérieurs à 260 000 euros provenant, notamment, de l'office du tourisme de [Localité 2], lui-même subventionné par la municipalité au conseil de laquelle siégeait Mme [Y], fille de M. [U].

4. Le 13 juin 2013, à l'issue de l'enquête préliminaire, le procureur de la République a ouvert une information judiciaire contre personne non dénommée des chefs d'abus de confiance, de prise illégale d'intérêts, ainsi que de complicité et de recel de ces délits.

5. Les investigations ont révélé que Mme [Y], en sa qualité de première-adjointe au maire, avait participé, personnellement ou par procuration, aux différents votes intervenus entre le 11 décembre 2009 et le 31 mai 2013, portant sur les budgets, les comptes financiers et les conventions d'objectifs de l'Office du tourisme de la ville, ainsi qu'aux délibérations relatives à l'attribution de ses subventions, notamment celle concernant le Festival des jeunes réalisateurs, organisé par l'association pour l'organisation des festivals.

6. Mme [Y] a été mise en examen pour prise illégale d'intérêt.

7. Par arrêt du 27 février 2020, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles a prononcé l'annulation de son audition libre, d'une réquisition judiciaire du 21 décembre 2016 tendant à la communication de procès-verbaux de délibération du conseil municipal, des procès-verbaux de réception et d'exploitation de ces documents et ordonné en conséquence la cancellation d'un certain nombre de pièces.

8. Par arrêt du 10 novembre 2020 (pourvoi n° 20-81.601), la Cour de cassation a cassé sans renvoi cet arrêt et ordonné des cancellations complémentaires.

9. Les fonctionnaires de police ont, sur commission rogatoire, diligenté une perquisition au sein de la mairie de [Localité 2] et procédé à la saisie d'un disque dur contenant les archives des enregistrements sonores des conseils municipaux sur la période de 2008 à 2016.

10. Un investigateur en cybercriminalité en a extrait les fichiers correspondant aux neufs séances du conseil municipal tenues entre 2009 et 2013 en relation avec les faits objet de l'information judiciaire, lesquels ont été gravés sur DVD-Rom, placé sous scellé.

11. Une copie de travail de ce scellé a été remise aux enquêteurs, qui ont procédé, sur cette base, à une retranscription partielle des propos en relation avec l'enquête.

12. Le 23 janvier 2020, Mme [Y] a été interrogée par le juge d'instruction qui, compte tenu des contestations de l'intéressée, a procédé à l'écoute des enregistrements litigieux, à partir de la copie de travail précitée.

13. Le 21 juillet 2020, les avocats de Mme [Y] ont déposé une requête en annulation.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité de l'interrogatoire de Mme [Y] du 23 janvier 2020 et a dit seulement y avoir lieu à cancellation des passages de cet interrogatoire visés à son dispositif en conséquence de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 2020, alors :

« 1°/ que les prescriptions de l'article 114 du code de procédure pénale, qui ont pour objet de permettre à l'avocat de la personne mise en examen de prendre connaissance de l'ensemble du dossier de l'information quatre jours ouvrables au plus tard avant chaque interrogatoire de la personne mise en examen, sont essentielles aux droits de la défense et doivent être observées à peine de nullité ; qu'en retenant, pour rejeter le moyen de nullité de l'interrogatoire de Mme [Y] du 23 janvier 2020 en l'absence de mise à disposition de ses conseils préalablement à cet interrogatoire de la copie de travail sur laquelle étaient gravés les enregistrements audio des séances des conseils municipaux ayant eu lieu sur la période visée par les faits objets de l'information, que la copie de travail ne constitue pas une pièce de la procédure faute d'avoir été annexée à un procès-verbal de la procédure et qu'elle n'était pas de fait mise d'office en procédure (arrêt p. 12), cependant que la chambre de l'instruction a constaté que les avocats de la mise en examen n'avaient pas pu prendre connaissance, durant le délai prévu par l'article 114 du code de procédure pénale, de l'ensemble du dossier de l'information et spécialement de la copie de travail, sous forme de DVD-Rom, des enregistrements des séances des conseils municipaux ayant eu lieu pendant la période des faits qui, n'ayant pas été placée sous scellés et déposée au greffe à titre de pièces à conviction, fait partie du dossier de la procédure au sens de l'article 114 du code de procédure pénale, peu important qu'elle n'ait pas été annexée à un procès-verbal de la procédure, et en relevant dès lors de façon inopérante, pour exclure toute atteinte aux droits de la défense, que les conseils de la mise en examen avaient connaissance de la teneur des enregistrements par les retranscriptions établies par les policiers, qu'ils auraient pu solliciter pendant la consultation du dossier la mise à disposition de la copie de travail avec le matériel nécessaire pour préparer l'interrogatoire, ce qu'ils se sont abstenus de faire, et qu'enfin la mise en examen, à qui a été donnée lecture des retranscriptions des enquêteurs et qui a pu entendre les enregistrements, a pu discuter utilement les retranscriptions lors de son interrogatoire, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 114 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'en tout état de cause, tout accusé a droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; que démontre la réalité de l'atteinte aux droits de la défense qu'il a subie le mis en examen qui établit avoir été interrogé sur un élément de preuve n'ayant pas été mis à la disposition de ses conseils avant son interrogatoire, lesquels ont élevé immédiatement une contestation sur ce point, et dont la teneur a été portée à sa connaissance pour la première fois en cours d'interrogatoire ; qu'en retenant qu'au cours de son interrogatoire, le juge d'instruction avait donné lecture du contenu des quatre retranscriptions faites par les enquêteurs des enregistrements et avait procédé à la diffusion des enregistrements correspondants, que la mise en examen pouvait utilement discuter les retranscriptions et que ses conseils ne démontraient dès lors aucun grief (arrêt p. 13), cependant que le juge d'instruction a fait entendre à la mise en examen pour la première fois pendant son interrogatoire les enregistrements audio gravés sur une copie de travail qui n'avait pas été mise à la disposition de ses conseils préalablement à l'interrogatoire, ce que ceux-ci ont fait valoir sur le champ, et l'a interrogée immédiatement sur le contenu de ces enregistrements dont elle n'a pas pu avoir connaissance antérieurement par le biais des procès-verbaux de retranscriptions établis par les enquêteurs dont le magistrat instructeur a reconnu lui-même à plusieurs reprises le caractère erroné (arrêt p. 13), la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 114 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

15. Pour rejeter le moyen de nullité pris de la communication incomplète du dossier aux avocats de l'intéressée, l'arrêt attaqué énonce, en substance, que les fichiers correspondant aux enregistrements sonores litigieux ont été gravés sur un DVD-Rom, lequel a été placé sous scellé.

16. Les juges retiennent que ce scellé n'avait pas à être mis à disposition des avocats des parties, pas plus que la copie de travail faite expressément à la demande du juge d'instruction, qui ne constitue pas une pièce de la procédure, dès lors qu'elle n'était pas annexée à un procès-verbal.

17. Ils relèvent que les avocats avaient connaissance de l'existence des enregistrements en cause ainsi que de leur teneur, de par les retranscriptions établies par les policiers, et qu'ils avaient la possibilité de solliciter l'ouverture du scellé contenant les fichiers originaux.

18. Les juges ajoutent qu'ils pouvaient ainsi utilement préparer l'interrogatoire prévu en discutant les retranscriptions avec la personne mise en examen et, au vu de ses constatations quant aux retranscriptions faites, solliciter pendant la consultation du dossier, la mise à disposition de la copie de travail avec le matériel nécessaire pour préparer l'interrogatoire, ce qu'ils se sont abstenus de faire.

19. Ils en déduisent qu'il ne peut être utilement soutenu que la procédure était incomplète.

20. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision pour les raisons suivantes.

21. En premier lieu, la copie de travail d'un support numérique de stockage placé sous scellé ne constitue pas une pièce de la procédure devant être communiquée aux avocats des parties dans les conditions prévues par l'article 114 du code de procédure pénale. Elle ne peut être consultée, comme l'original, que dans les conditions prévues par l'article 97, alinéas 6 et 7, du code de procédure pénale.

22. En second lieu, la demanderesse ne saurait se prévaloir d'une atteinte aux droits de la défense, dès lors qu'il lui appartenait de solliciter la mise à disposition du scellé en cause ou de sa copie de travail, mentionnée en procédure, selon les modalités de l'article 82-1 du code précité et dans les formes prévues par l'article 81, alinéa 10, du même code.

23. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

24. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la cancellation exclusivement de passages de l'interrogatoire de Mme [Y] du 23 janvier 2020, alors « que doit être cancellée toute référence directe et explicite aux actes irréguliers ; qu'en retenant, alors qu'elle était saisie par la défense de la personne mise en examen d'une requête en nullité du rapport de synthèse coté D3308 à D3311 et des études et transcriptions partielles du conseil municipal cotées D3335 à D3353 en ce que ces pièces faisaient référence aux réquisitions cotées D2255 à D2265 qui ont été annulées définitivement par arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles du 27 février 2020, que la Cour de cassation a déjà répondu à la défense en indiquant qu'elle était en mesure de s'assurer que les déclarations effectuées par Mme [Y] dans le cadre de la procédure d'audition libre et qui ont été annulées n'en étaient pas le support (arrêt p. 13), cependant que la chambre criminelle, dans son arrêt du 27 février 2020, s'est bornée à retenir que les pièces cotées au-delà de la pièce D3301 n'avaient pas pour support nécessaire les déclarations effectuées par l'exposante lors de l'audition libre et à exclure qu'elles puissent être annulées par voie de conséquence, la chambre de l'instruction, qui aurait dû ordonner, en conséquence de l'arrêt du 27 février 2020 devenu définitif ayant annulé le procès-verbal coté en D2255 à D2265, la cancellation du rapport de synthèse et des études et transcriptions partielles du conseil municipal en leurs passages faisant référence à cette pièce annulée, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 174 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

25. Pour refuser d'examiner la régularité des pièces cotées D3302 à D3353, l'arrêt attaqué énonce que l'arrêt de la chambre de l'instruction du 27 février 2020 permet de relever que le dossier de la procédure lui a été soumis jusqu'à la cote D3353.

26. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

27. En effet, la personne mise en examen était irrecevable à solliciter l'annulation de pièces déjà soumises au contrôle de la chambre de l'instruction, au motif qu'elles trouveraient leur fondement exclusif et nécessaire dans des pièces précédemment annulées par l'arrêt du 27 février 2020, dès lors qu'il lui appartenait de contester utilement l'étendue de l'annulation prononcée à l'occasion du précédent pourvoi formé contre cet arrêt.

28. Dès lors, le moyen doit être écarté.

29. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Violeau - Avocat général : M. Aldebert - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Articles 97 et 114 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 12 novembre 2015, pourvoi n° 15-85.266, Bull. crim. 2015, n° 248 (rejet).

Crim., 19 octobre 2021, n° 20-82.172(B)

Cassation

Nullités de l'instruction – Annulation d'actes pour violation de l'article 6-1 du code de procédure pénale – Effets – Interdiction de tirer des actes et pièces annulés aucun renseignement contre les parties – Article 174 du code de procédure pénale – Portée – Ordonnance de non-lieu – Effet

Lorsqu'au regard des dispositions impératives de l'article 6-1 du code de procédure pénale, l'annulation d'un acte ou d'une pièce de procédure est un préalable nécessaire à l'exercice de l'action publique du chef du crime ou délit prétendument commis à l'occasion d'une poursuite judiciaire, une telle annulation ne saurait faire obstacle à une poursuite subséquente, sauf à méconnaître le droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Il en résulte que, si l'article 174 du code de procédure pénale interdit de tirer des actes ou des pièces ou parties d'actes ou de pièces annulés aucun renseignement contre les parties, une telle interdiction ne s'applique pas à la personne qui, bénéficiant de l'annulation d'actes portant atteinte à ses intérêts, s'en prévaut dans le cadre de cette procédure subséquente.

Encourt dès lors la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, pour confirmer le non-lieu du chef de collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite, retient que le délit ne peut plus être constitué faute d'élément matériel qui n'apparaît pas à la procédure et a cessé d'exister à la suite de l'annulation de réquisitions téléphoniques contraires à l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 protégeant le secret des sources des journalistes, prononcée dans une procédure à laquelle le journaliste concerné n'était pas partie.

M. [G] [C], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 29 novembre 2019, qui, dans l'information suivie, sur sa plainte, contre MM. [V] [X] et [U] [T], du chef de collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Suite à la diffusion sur une chaîne de télévision le 21 mars 2010 d'un reportage de M. [C], journaliste, révélant des faits de corruption d'un fonctionnaire de police, l'inspection générale des services a ouvert une enquête préliminaire.

3. Le policier dirigeant l'enquête, M. [T], a été autorisé par M. [W], procureur de la République de Nanterre, à requérir la liste des appels téléphoniques de M. [C] auprès de son opérateur téléphonique.

4. M. [X], agissant sous les ordres de M. [T], a effectué les réquisitions nécessaires le 9 avril 2010.

L'exploitation de la réponse a permis d'identifier la personne susceptible d'avoir corrompu le fonctionnaire de police.

5. Celle-ci, mise en examen notamment pour corruption, a obtenu devant la chambre de l'instruction, par arrêt du 24 février 2012, l'annulation par voie de conséquence de la procédure la concernant, suite à l'annulation des réquisitions téléphoniques concernant M. [C], jugées contraires aux dispositions de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 protégeant le secret des sources des journalistes.

6. Le 27 juin 2012, M. [C] a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef de collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite, infraction prévue et réprimée à l'article 226-18 du code pénal.

7. Dans le cadre de l'information qui a suivi, M. [W] a été placé sous le statut de témoin assisté.

Le juge d'instruction n'a pas effectué d'autres investigations.

8. Par ordonnance du 2 décembre 2014, ce magistrat a dit n'y avoir lieu à suivre.

9. M. [C] a relevé appel de cette décision.

La chambre de l'instruction a, avant dire droit, ordonné deux suppléments d'information, qui ont abouti à l'identification et à la mise en examen de MM. [T] et [X].

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu, alors :

« 1°/ que ne sont nuls, par voie de conséquence, que les actes d'instruction qui procèdent d'actes dont l'annulation a été prononcée dans la même procédure ; que la Chambre de l'instruction n'était pas fondée à justifier sa décision de non-lieu par l'existence de réquisitions annulées, lorsque cette annulation n'a pas été prononcée dans le cadre de la présente information, et qu'aucune demande d'annulation visant un acte de la présente procédure qui se référerait à l'acte annulé n'a été réalisée ; que la violation des articles 174, 212 et 593 du code de procédure pénale sera constatée ;

2°/ que l'article 174 du code de procédure pénale, dont il résulte que des actes annulés ne peuvent être réutilisés, ne s'applique pas à l'hypothèse où cette autre procédure porte sur des faits et des personnes distincts ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction ne pouvait tirer un quelconque argument de l'annulation des réquisitions de septembre 2010, prononcée dans une information judiciaire à laquelle M. [C] n'était pas partie, au bénéfice d'un tiers, pour prononcer un non-lieu du chef du délit de collecte de données à caractère personnel commis à l'occasion de ces réquisitions ;

3°/ que l'article 174 du code de procédure pénale exige que tous les exemplaires, en original et en copie, des pièces annulées soient retirés du dossier d'information, mais cette obligation « ne s'étend pas, toutefois, aux requêtes en annulation, et aux pièces des procédures ainsi qu'aux décisions auxquelles elles donnent lieu, même si celles-ci se réfèrent aux pièces dont l'annulation est demandée et les analysent, pour en apprécier la régularité » (Crim. 17 juin 2020, n° 19-87.188) ; que n'encourait dès lors aucun grief « l'arrêt de la quatrième chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris en date du 24 février 2012 », seul figurant à la présente procédure, à l'exception des réquisitions litigieuses elles-mêmes ; que c'est encore en violation des articles 174, 212 et 593 du code de procédure pénale que la chambre de l'instruction s'est prononcée ;

4°/ que lorsqu'une infraction est commise à l'occasion de la mise en oeuvre de règles de procédure pénale par des autorités publiques, l'annulation de l'acte litigieux ne fait pas obstacle à ce que soit menées des investigations sur celui-ci dans le cadre d'une procédure ultérieure ; qu'il peut d'autant moins en aller ainsi que l'article 6-1 du code de procédure pénale subordonne la recevabilité des poursuites à un constat d'illégalité préalable ; qu'en ordonnant un non-lieu au motif que « la plainte de [G] [C] repose exclusivement sur les réquisitions qui ont été adressées à son opérateur téléphonique », lorsque l'acte procédural par lequel l'infraction s'était matérialisée avait fait l'objet d'une annulation au regard de sa contrariété à la loi, et que ce constat d'illégalité constituait un préalable indispensable aux poursuites, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 6-1, 174 et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ qu'enfin, en se prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a érigé un obstacle disproportionné au droit d'accès au juge et au droit à un recours effectif de M. [C], journaliste, celui-ci se trouvant de facto dans l'impossibilité de se plaindre d'une infraction pénale de collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, qui s'est matérialisée par des actes annulés pour violation du secret des sources, lorsque ce constat d'illégalité préalable est imposé par l'article 6-1 du code de procédure pénale comme une condition d'exercice de l'action publique ; que la violation des articles 6, § 1, 10 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sera constatée. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 174 du code de procédure pénale :

11. Lorsqu'au regard des dispositions impératives de l'article 6-1 du code de procédure pénale, l'annulation d'un acte ou d'une pièce de procédure est un préalable nécessaire à l'exercice de l'action publique du chef du crime ou délit prétendument commis à l'occasion d'une poursuite judiciaire, une telle annulation ne saurait faire obstacle à une poursuite subséquente, sauf à méconnaître le droit d'accès à un tribunal garanti par le premier de ces textes.

12. Il en résulte que, si le second de ces textes interdit de tirer des actes et des pièces ou parties d'actes ou de pièces annulés aucun renseignement contre les parties, une telle interdiction ne s'applique pas à la personne qui, bénéficiant de l'annulation d'actes portant atteinte à ses intérêts, s'en prévaut dans le cadre de cette poursuite subséquente.

13. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce qu'à l'appui de sa plainte, M. [C] a fourni l'arrêt en date du 24 février 2012 de la chambre de l'instruction, d'où il résulte que partie des pièces de la procédure diligentée à la suite de la diffusion du reportage, dont les réquisitions du 9 avril 2010 adressées à l'opérateur de téléphonie mobile de M. [C], a été annulée.

14. Il ajoute, après avoir rappelé les termes de l'article 174 du code de procédure pénale, que la plainte de l'intéressé du 27 juin 2012 repose exclusivement sur ces réquisitions qui, annulées antérieurement, n'avaient plus d'existence et ne pouvaient fonder des poursuites et que le délit de collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite ne peut être constitué faute d'élément matériel qui n'apparaît pas à la procédure et n'a pas d'existence.

15. Il en conclut que c'est à bon droit que le juge d'instruction a estimé que le délit dénoncé avait cessé d'exister à la date de la plainte.

16. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés, pour les motifs qui suivent.

17. Même si M. [C] n'était pas partie à la procédure dans le cadre de laquelle les réquisitions visant ses appels téléphoniques ont été annulées, l'annulation de ces actes, prononcée au visa de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 qui protège le secret des sources des journalistes, lui a bénéficié autant qu'au requérant à la nullité, qui était sa source journalistique, en le rétablissant dans sa liberté d'investigation.

18. Sa plainte avec constitution de partie civile, en ce qu'elle poursuivait la mise en cause de personnes ayant ignoré le principe de protection des sources des journalistes, n'était pas susceptible de porter atteinte aux droits du requérant à la nullité ayant bénéficié de l'annulation d'actes par ricochet et dès lors, l'interdiction découlant de l'article 174 du code de procédure pénale de tirer des actes annulés aucun renseignement contre les parties, qui protège les seuls intérêts du bénéficiaire de la nullité, ne pouvait lui être opposée.

19. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 29 novembre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Thomas - Avocat général : M. Lagauche - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles 6-1 et 174 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 13 octobre 2020, pourvoi n° 20-80.490, Bull. crim. 2020, (cassation).

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