Numéro 10 - Octobre 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Partie I - Arrêts et ordonnances

ACTION CIVILE

Crim., 21 octobre 2020, n° 19-87.492, (P)

Rejet

Partie civile – Constitution – Constitution à l'instruction – Constitution abusive ou dilatoire – Amende civile – Prononcé – Motivation – Eléments à considérer – Ressources et charges – Défaut – Portée

Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui confirme l'amende civile prononcée par le premier juge, dès lors qu'il ne résulte ni du mémoire déposé par la partie civile, ni des énonciations de l'arrêt, que l'intéressé, représenté par son avocat, et qui n'a fourni aucun élément concernant ses ressources et ses charges, se soit prévalu devant la juridiction du second degré de l'absence de prise en compte de celles-ci par le premier juge.

REJET du pourvoi formé par M. K... J... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 5 novembre 2019, qui, dans la procédure suivie sur sa plainte contre personne non dénommée, des chefs de fausse attestation et usage, tentative d'escroquerie, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction et sa condamnation à 1 000 euros d'amende civile.

Un mémoire a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 29 mai 2015, M. J... a porté plainte et s'est constitué partie civile des chefs susvisés, en raison d'attestations produites devant le juge aux affaires familiales par la mère de son enfant.

3. Par ordonnance du 8 janvier 2019, le juge d'instruction a dit n'y avoir lieu à suivre, et a condamné M. J... à une amende civile de 1 000 euros.

4. Il en a relevé appel.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation de l'article 212-2 du code de procédure pénale.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance infligeant à M. J... une amende civile, alors « que la juridiction d'instruction qui prononce une condamnation à une amende civile doit motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du plaignant ; qu'en l'espèce la chambre de l'instruction ni aux termes des motifs de son arrêt, ni aux termes des motifs de l'ordonnance du juge d'instruction n'a motivé sa décision en tenant compte des ressources et des charges de M. J....»

Réponse de la Cour

8. Pour condamner à une amende civile de 1 000 euros M. J..., l'arrêt énonce qu'il a été débouté de sa demande devant les juridictions civiles sur le seul critère de l'intérêt de l'enfant, et non en considération des attestations contestées ; que son action pénale, au soutien de son action civile, apparaît d'autant moins justifiée qu'elle semble faire fi de l'intérêt de son enfant, comme souligné par la cour d'appel dans l'arrêt du 9 juin 2016 rejetant la requête en adjonction de prénom, ainsi que par le magistrat instructeur dans l'ordonnance querellée.

9. Les juges ajoutent que c'est donc par une juste motivation que le magistrat instructeur a considéré comme abusive la constitution de partie civile de M. J... et que la condamnation à une amende civile sera confirmée.

10. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

11. En effet, il ne ressort ni du mémoire déposé par la partie civile devant la chambre de l'instruction, versé au dossier de la procédure, ni des énonciations de l'arrêt, que M. J..., représenté par son avocat, et qui n'a fourni aucun élément concernant ses ressources et ses charges, se soit prévalu devant la juridiction du second degré de l'absence de prise en compte de celles-ci par le premier juge qui a prononcé une amende civile.

12. Dès lors, le moyen ne peut être accueilli.

13. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Turcey - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SCP de Nervo et Poupet -

Textes visés :

Article 212-2 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

S'agissant de la nécessité de motiver le montant d'une amende civile en tenant compte des ressources et des charges du plaignant, à rapprocher : Crim., 5 septembre 2018, pourvoi n° 17-84.980, Bull. crim. 2018, n° 145 (cassation partielle).

Crim., 13 octobre 2020, n° 19-87.341, (P)

Rejet

Partie civile – Constitution de partie civile – Recevabilité – Conditions – Cas – Violation du secret professionnel – Préjudice direct – Médecin (non)

Il résulte de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique que toute personne prise en charge par un professionnel participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Le secret médical est ainsi instauré dans le seul intérêt du patient.

Ne peut donc être qu'indirect, pour un médecin ou la société au sein de laquelle il exerce ses fonctions, le préjudice résultant de l'atteinte que porterait à leur réputation la violation d'un tel secret par une salariée de cette société.

REJET des pourvois formés par M. A... F..., Mme M... Q... épouse F... et la société Savardet contre l'arrêt de la cour d'appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 28 juin 2019, qui a déclaré irrecevable leur constitution de partie civile contre Mme S... U... du chef de violation du secret professionnel.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. et Mme F..., respectivement cardiologue et chirurgien-dentiste, et la société Savardet, au sein de laquelle les précités exercent, ont fait citer devant le tribunal correctionnel Mme U... du chef de violation du secret professionnel, en exposant qu'elle avait produit, dans le cadre du litige prud'homal qui l'opposait à la société précitée, son ancien employeur, des carnets de rendez-vous et de correspondance ainsi que le dossier médical d'un patient et qu'une telle divulgation de documents soumis au secret professionnel avait porté atteinte, d'une part, à l'intérêt de leur patient, d'autre part, à leur réputation.

3. Les juges du premier degré ont déclaré M. et Mme F..., ainsi que la société Savardet irrecevables en leur action.

4. Ces derniers ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le second moyen

5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. et Mme F... et la Selarl Savardet irrecevables en leur action, alors « que l'action civile en réparation du préjudice causé par un délit appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; que le médecin, dépositaire du secret médical, doit, quel que soit son mode d'exercice, personnellement veiller à ce que les personnes qui l'assistent soient instruites de leurs obligations en matière de secret professionnel et s'y conforment ; que la violation de ce secret par une assistante salariée de la Selarl dans le cadre de laquelle M. et Mme F... exercent leur activité de médecin, porte atteinte, auprès des patients, à la réputation de la Selarl, employeur de la salariée, comme à celle de ces médecins qu'elle assiste ; qu'il en résulte un préjudice direct et personnel tant pour la Selarl Savardet que pour M. et Mme F... ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l‘article 2 du code de procédure pénale ; les articles L. 1110-4 et R. 4127-72 du code de la santé publique, et l'article 226-13 du code pénal. »

Réponse de la Cour

7.Il résulte de l'article 2 du code de procédure pénale que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.

8. L'infraction prévue à l'article 226-13 du code pénal est destinée à protéger la sécurité des confidences qu'un particulier est dans la nécessité de faire à une personne dont l'état ou la profession, dans un intérêt général et d'ordre public, fait d'elle un confident nécessaire.

9.En conséquence, la violation du secret professionnel ne porte directement préjudice qu'à l'intérêt général et à l'auteur de ces confidences.

10. Pour déclarer les époux F... et la société Savardet irrecevables en leur action, l'arrêt énonce qu'il résulte de l'article R. 4217-4 du code de la santé publique que le secret médical a été institué dans l'intérêt du patient et non pas dans celui du médecin.

11.Les juges en déduisent que l'employeur, victime indirecte d'une violation du secret professionnel par son salarié, n'est pas habilité à mettre en mouvement l'action publique en application de l'article 2 du code de procédure pénale.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.

13. En effet, d'une part, il résulte de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique que toute personne prise en charge par un professionnel participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.

14. Il s'ensuit que le secret médical étant un droit propre au patient, son médecin n'est pas recevable à se constituer partie civile du chef de violation du secret professionnel, dans l'intérêt de celui-ci.

15. D'autre part, ne peut être qu'indirect, pour un médecin ou la société dans le cadre de laquelle il exerce ses fonctions, le préjudice résultant de l'atteinte que porterait à sa réputation la violation du secret professionnel par une salariée de cette société.

16. Le moyen doit en conséquence être écarté.

17. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Labrousse - Avocat général : M. Lagauche - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 2 du code de procédure pénale ; article L. 1110-4 du code de la santé publique.

Crim., 20 octobre 2020, n° 19-84.641, (P)

Cassation

Préjudice – Réparation – Partage de responsabilité – Faute de la victime – Victime d'une infraction intentionnelle contre les biens – Faute ayant concouru à la réalisation du dommage

Il résulte des articles 2 du code de procédure pénale et 1382, devenu 1240, du code civil que lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l'appréciation appartient souverainement aux juges du fond. Est de nature à constituer une telle faute le fait, pour la victime, de ne pas avoir pris les précautions utiles pour éviter le dommage.

Encourt par conséquent la cassation l'arrêt qui, pour condamner un prévenu au paiement de dommages-intérêts correspondant à l'intégralité du préjudice subi, énonce que, dans les rapports entre voleur et victime, la circonstance selon laquelle le propriétaire d'un bien n'aurait pas pris toutes les mesures utiles pour éviter d'être dépossédé ne s'analyse pas en une faute de nature à limiter son droit à indemnisation.

CASSATION sur le pourvoi formé par Mme V... U... contre l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 20 mai 2019, qui, dans la procédure suivie contre elle du chef de vol, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Mme U..., chargée de l'approvisionnement du distributeur de billets de banque d'un centre commercial appartenant à la société Saumur Distribution, a été déclarée coupable par le tribunal correctionnel du vol de la somme de 120 720 euros commis entre le 31 août 2007 et le 31 août 2015.

3. Elle a été condamnée à payer à cette société, constituée partie civile, la somme de 125 000 euros à titre de dommages intérêts au titre du préjudice tant matériel que moral.

4. Elle a relevé appel du seul dispositif civil de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen est pris de la violation des articles 1382 et 1383 devenus 1240 et 1241 du code civil, et le droit au respect des biens de Mme U... garanti par le protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme.

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement du 14 décembre 2017 en ce qu'il a condamné Mme U... à payer à la société Saumur distribution une somme de 120 720 euros en réparation de son préjudice matériel, alors « que le principe de réparation intégrale commande de réparer sans perte ni profit pour aucune des parties le préjudice résultant de quelque infraction que ce soit ; qu'il en résulte que toute faute de la victime ayant concouru à la production de son propre dommage, notamment une négligence, conduit à laisser à sa charge la part des dommages-intérêts correspondant au préjudice qu'elle s'est elle-même causé, entre autres quand ce préjudice découle d'un vol ; qu'en décidant, à l'inverse, que la faute consistant à n'avoir pris aucune mesure de sécurité que Mme U... reprochait à la société Saumur distribution n'était pas de nature à limiter le droit à indemnisation de la victime dans ses rapports avec le voleur de sorte que ladite exposante devait intégralement réparer le dommage, la cour d'appel a violé le principe sus rappelé. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2 du code de procédure pénale et 1382, devenu 1240 du code civil :

7. Il résulte de ces textes que lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l'appréciation appartient souverainement aux juges du fond.

Est de nature à constituer une telle faute le fait, pour la victime, de ne pas avoir pris les précautions utiles pour éviter le dommage.

8. Pour déclarer la prévenue entièrement responsable du préjudice subi et la condamner au paiement de dommages-intérêts correspondant à l'intégralité du préjudice matériel, l'arrêt attaqué énonce que, dans les rapports entre voleur et victime, la circonstance selon laquelle le propriétaire d'un bien n'aurait pas pris toutes les mesures utiles pour éviter d'être dépossédé ne s'analyse pas en une faute de nature à limiter son droit à indemnisation.

9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Angers en date du 20 mai 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Angers autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Samuel - Avocat général : M. Croizier - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 2 du code de procédure pénale ; article 1382, devenu 1240 du code civil.

Rapprochement(s) :

Crim., 25 juin 2014, pourvoi n° 13-84.450, Bull. crim. 2014, n° 163 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Crim., 23 septembre 2014, pourvoi n° 13-83.357, Bull. crim. 2014, n° 194 (rejet).

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