Numéro 10 - Octobre 2019

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

SAISIES

Crim., 23 octobre 2019, n° 18-85.820, (P)

Rejet

Restitution – Refus – Produit de l'infraction – Propriété (non)

La victime d'escroquerie et d'abus de confiance ne peut être considérée comme propriétaire des fonds qui en sont le produit au sens de l'article 99, alinéa 4, du code de procédure pénale, lorsque ceux-ci ont été déposés sur un compte bancaire ou versés à titre de primes d'un contrat d'assurance-vie ouverts au nom de la personne mise en examen ou de membres de sa famille.

La mise en liquidation judiciaire de la personne poursuivie, qui ne s'oppose pas à son éventuelle condamnation à une peine de confiscation et à une mesure préalable de saisie destinée à garantir l'exécution de celle-ci, la confiscation ne pouvant s'analyser comme une action en paiement, fait obstacle à toute demande de restitution au stade de l'information.

Justifie dès lors sa décision, la chambre de l'instruction qui rejette la requête d'une partie civile, qui serait victime des faits d'escroquerie et d'abus de confiance, objet de l'information en cours, en restitution de fonds déposés sur un compte bancaire ou versés sur un contrat d'assurance-vie ouverts au nom de la personne mise en examen en retenant que la partie civile ne peut en revendiquer la propriété et que la personne poursuivie fait l'objet d'une procédure collective.

REJET du pourvoi formé par la société Nacarat, partie civile, contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 6 juillet 2018, qui, dans l'information suivie contre M. K... I... et Mme E... H... des chefs d'escroquerie, abus de confiance, blanchiment et recel, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction refusant de restituer un bien saisi.

LA COUR,

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789, 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, L. 622-21 du code de commerce, 99 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

« en ce que la chambre de l'instruction a rejeté la demande de restitution de la société Nacarat ;

1°) alors qu'en l'absence de l'un des motifs de non-restitution visés par le quatrième alinéa de l'article 99 du code de procédure pénale, la restitution à la victime d'un bien dont elle est le propriétaire s'impose nonobstant la circonstance que ce bien constitue, du fait des circonstances frauduleuses de son appropriation par l'auteur de l'infraction, le produit direct ou indirect de l'infraction ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que les comptes bancaires ouverts au nom de M. I..., de son épouse et de leurs enfants mineurs et ceux ouverts au nom de sociétés dont M. I... était l'associé et le gérant ont bénéficié de virements provenant directement des comptes de la société Nacarat et que l'immeuble dont le produit de la vente était réclamé avait été construit au moyen des fonds détournés ; qu'en excluant toute restitution des sommes inscrites sur ces comptes et de celles issues de la vente de l'immeuble aux motifs inopérants que des sommes d'argent sont par nature fongibles et que d'autres parties civiles se sont constituées dans la procédure, la chambre de l'instruction a méconnu les textes précités ;

2°) alors en tout état de cause que le caractère fongible d'un bien ne fait pas, par lui-même, obstacle à sa restitution, de sorte que celle-ci peut aboutir dès lors que le bien en cause n'a pas été confondu avec d'autres de la même espèce ; qu'ayant retenu que les saisies avaient été pratiquées afin de garantir l'exécution d'une peine de confiscation sur la chose qui est le produit de l'infraction, ce dont il résultait que les sommes concernées étaient celles qui avaient été détournées et étaient, de ce fait, non confondues avec des fonds ayant d'autre origine que les détournements visés par les poursuites et commis au détriment de la société Nacarat, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a méconnu les textes précités ;

3°) alors qu'en déduisant de la seule circonstance que d'autres parties civiles étaient constituées dans la procédure, que la société Nacarat ne pouvait revendiquer la propriété des sommes placées sous main de justice, sans constater que la propriété des fonds était contestée par les intéressées, la chambre de l'instruction n'a pas légalement motivé sa décision ;

4°) alors que la restitution à la victime de sommes lui appartenant qui ont été placées sous main de justice afin de garantir l'exécution d'une peine de confiscation ne constitue ni un paiement, ni une procédure d'exécution ni une procédure de distribution donnant lieu à l'application de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles ; qu'en retenant que la procédure collective ouverte à l'encontre de monsieur I... faisait obstacle à la restitution des sommes ayant donné lieu à une saisie en tant que produit direct ou indirect de l'infraction, la chambre de l'instruction a méconnu les textes précités ;

5°) alors en tout état de cause qu'en se bornant à constater l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de M. I... uniquement, circonstance impropre à faire obstacle à la restitution des fonds saisis sur des comptes dont étaient titulaires l'épouse et les enfants de ce dernier, la chambre de l'instruction n'a pas légalement motivé sa décision ;

6°) alors que la déclaration d'inconstitutionnalité du quatrième alinéa de l'article 99 du code de procédure pénale en tant qu'elle rendrait impossible la restitution à la victime d'un bien dont elle est le propriétaire dès lors qu'il constitue le produit direct ou indirect de l'infraction fera obstacle à ce que la décision puisse être justifiée par le motif pris de ce que les sommes revendiquées constituaient le produit de l'infraction ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que la société Nacarat, qui exerce une activité de promotion immobilière et gère, à ce titre, trois cent sociétés civiles de construction vente (SCCV), a dénoncé les agissements de son directeur administratif et financier, M. I..., qui, en recourant à plusieurs comptes bancaires ouverts au nom de son employeur mais non enregistrés en comptabilité, aurait détourné des fonds pour un montant total de 12 601 723 euros dont 8 263 392,15 euros ont servi au règlement de dépenses personnelles, dont la construction et l'aménagement d'un bien immobilier au nom du mis en examen, l'acquisition d'un bien immobilier au profit de ses beaux-parents, tandis que la somme de 3 224 122 euros a été déposée sur des comptes bancaires et des contrats d'assurance-vie au nom des époux I... et de leurs enfants ainsi que sur les comptes des sociétés Lille Car et Logimmo Conseil, dirigées par le mis en examen ; qu'au cours de l'enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention a autorisé le procureur de la République à saisir, en valeur, le solde créditeur des dix-huit comptes bancaires et contrats d'assurance-vie ouverts susvisés, ainsi que plusieurs biens immobiliers dont l'un a été vendu, après autorisation du même magistrat, pour une somme de 850 000 euros qui a été consignée par le notaire sur un compte de la caisse des dépôts et consignation et affecté au paiement de la société Nacarat en substitution de l'hypothèque judiciaire prise par cette dernière le 12 février 2015 ; que, dans le cadre de l'information ouverte à la suite des premières investigations, M. I... a été mis en examen des chefs d'escroquerie, abus de confiance et blanchiment tandis que son épouse l'a été du chef de recel de ces délits ; que, parallèlement, par jugement du 26 mai 2015, le tribunal de commerce de Lille a ouvert, à l'encontre de la société Logimmo Conseil, une procédure de liquidation judiciaire qui a été étendue à M. I... par décision du 28 mars 2017 ; que, le 18 juillet 2017, la société Nacarat, partie civile, a sollicité la restitution des fonds saisis sur les comptes bancaires et les contrats d'assurance-vie ainsi que de ceux résultant de la vente du bien immobilier, ce que le juge d'instruction a refusé par ordonnance du 20 juillet 2017 dont la demanderesse a interjeté appel ;

Attendu que, pour confirmer l'ordonnance de refus de restitution rendue par le juge d'instruction, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les dispositions du quatrième alinéa de l'article 99 du code de procédure pénale, et souligné que les mis en examen encourent la peine de confiscation conformément aux dispositions des articles 313-7, 4°, 314-10, 6°, 324-7, 8° et 131-21 du code pénal, notamment, pour la chose étant le produit de l'infraction, énonce que la restitution sollicitée n'est pas de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité et ne présente aucun danger pour les personnes ou pour les biens, que les sommes figurant sur les comptes bancaires étant par nature fongibles, la société Nacarat, qui n'est pas la seule partie civile, ne peut pas en revendiquer la propriété et que, par ailleurs, M. I... fait l'objet d'une procédure collective qui interdit tout paiement direct aux créanciers qui doivent produire à ladite procédure ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;

Qu'en effet, d'une part, la victime d'escroquerie et d'abus de confiance ne peut être considérée comme propriétaire des fonds qui en sont le produit au sens de l'article 99, alinéa 4, du code de procédure pénale, lorsque ceux-ci ont été déposés sur un compte bancaire ou versés à titre de primes d'un contrat d'assurance-vie ouverts au nom de la personne mise en examen ou de membres de sa famille ;

Que d'autre part, la mise en liquidation judiciaire de la personne poursuivie, qui ne s'oppose pas à son éventuelle condamnation à une peine de confiscation et à une mesure préalable de saisie destinée à garantir l'exécution de celle-ci, la confiscation ne pouvant s'analyser comme une action en paiement, fait obstacle à toute demande de restitution au stade de l'information ;

Attendu qu'il peut être relevé que les droits de la partie civile qui a bénéficié d'une décision définitive lui accordant des dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait d'une infraction pénale sont préservés par la faculté dont elle dispose, en application de l'article 706-164 du code de procédure pénale, d'obtenir de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués que ces sommes lui soient payées par prélèvement sur les fonds ou sur la valeur liquidative des biens de son débiteur dont la confiscation résulte d'une décision définitive ;

D'où il suit que le moyen, qui pris en sa sixième branche est devenu sans objet, la Cour de cassation ayant refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 99 du code de procédure pénale au Conseil constitutionnel par arrêt du 3 avril 2019, doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Planchon - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article 99 du code de procédure pénale.

Crim., 23 octobre 2019, n° 18-87.097, (P)

Cassation

Saisies spéciales – Saisie portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels – Saisie ordonnée à l'encontre d'un tiers au dossier – Procédure – Communication des pièces du dossier motivant la saisie – Nécessité

Il résulte de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme que la chambre de l'instruction, saisie d'un recours formé contre une ordonnance de saisie spéciale au sens des articles 706-141 à 706-158 du code de procédure pénale, qui, pour justifier d'une telle mesure, s'appuie sur une ou des pièces précisément identifiées de la procédure est tenue de s'assurer que celles-ci ont été communiquées à la partie appelante.

Encourt, dès lors, la cassation la chambre de l'instruction qui, pour confirmer une ordonnance de saisie immobilière rendue par le juge des libertés et de la détention, se fonde, dans ses motifs décisoires, sur les déclarations des mis en cause, sans s'assurer au préalable qu'une copie de ces déclarations a été communiquée au propriétaire de l'immeuble saisi, demeuré tiers à la procédure.

CASSATION sur le pourvoi formé par :

- M. M... J...,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, en date du 4 octobre 2018, qui, dans la procédure suivie contre MM. B... et D... G... des chefs d'abus de biens sociaux, banqueroute, abus de confiance, escroquerie, blanchiment et travail dissimulé, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale du juge des libertés et de la détention.

LA COUR,

Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 du code pénal, préliminaire, 706-141-1, 706-150, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation de la loi, insuffisance de motifs, contradiction de motifs ;

en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a autorisé la saisie de l'immeuble d'habitation situé sur la commune de Villecroze au [...] figurant au cadastre Section [...], propriété de M. J..., en vue de garantir l'exécution de la peine complémentaire de confiscation selon les conditions définies à l'article 131-21, alinéa 3, et 9 de code pénal ;

1°) alors que la contradiction de motifs équivaut à l'absence de motifs ; que le juge des libertés et de la détention peut autoriser par ordonnance motivée la saisie des immeubles dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal ; que la confiscation peut porter sur le produit direct ou indirect de l'infraction ; que la confiscation en valeur, modalité d'exécution de la confiscation, peut porter sur tous biens, quelle qu'en soit la nature, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ; que le bien confisqué en valeur ne peut être le bien qui est lui-même le produit de l'infraction ; qu'en affirmant que l'immeuble litigieux n'était pas le produit direct ou indirect de l'infraction, ce qui venait justifier sa confiscation en valeur (arrêt p. 10) tout en relevant que les responsabilités pénales des frères G... et de M. J... pourraient être recherchées du chef de blanchiment de sorte que l'immeuble apparaissait comme le produit de cette dernière infraction, la chambre de l'instruction s'est contredite ;

2°) alors que l'insuffisance de motifs équivaut à l'absence de motifs ; que la confiscation peut porter sur le produit direct ou indirect de l'infraction ; que la confiscation en valeur, modalité d'exécution de la confiscation se substituant à la confiscation impossible d'un bien en nature, peut porter sur tous biens, quelle qu'en soit la nature, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ; que le bien confisqué en valeur ne peut être le bien qui est lui-même le produit de l'infraction ; qu'en ordonnant la saisie pénale en valeur de l'immeuble, d'une valeur équivalente au produit de l'infraction sans constituer lui-même le produit de l'infraction, tout en relevant que M. J... pourrait se voir reprocher l'infraction de blanchiment dont l'immeuble serait nécessairement le produit, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 131-21 du code pénal ;

3°) alors que l'insuffisance de motifs équivaut à l'absence de motifs ; que le juge des libertés et de la détention, qui autorise la saisie des immeubles dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal, doit préciser le fondement de la mesure ; que la confiscation peut porter sur le produit direct ou indirect de l'infraction ; que la confiscation en valeur, modalité d'exécution de la confiscation, peut porter sur tous biens, quelle qu'en soit la nature, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ; que le bien confisqué en valeur ne peut être le bien qui est lui-même le produit de l'infraction ; qu'en affirmant que l'immeuble litigieux n'était pas le produit direct ou indirect de l'infraction et pouvait faire l'objet d'une confiscation en valeur dès lors que sa valeur correspondait au montant du produit de l'infraction, que les frères G... en avaient la libre disposition et que M. J..., son propriétaire, n'était pas de bonne foi tout en relevant par ailleurs que les responsabilités pénales des frères G... et de M. J... pourraient être recherchées du chef de blanchiment de sorte que l'immeuble apparaissait comme le produit de cette infraction, la chambre de l'instruction, qui s'est prononcée par des motifs ne permettant pas de déterminer le fondement juridique de la mesure, n'a pas justifié légalement sa décision ;

4°) alors que toute personne est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ; que méconnaît la présomption d'innocence la motivation d'une décision de justice donnant à penser que le juge considère l'intéressé comme coupable ; que la confiscation en valeur d'un bien, qui suppose la mauvaise foi de son propriétaire, ne requiert pas que le juge constate que ce propriétaire aurait commis une infraction pénale ; qu'en retenant, par motifs propres, que la responsabilité pénale de M. J... pourrait être retenue du chef de blanchiment et, par motifs adoptés, que M. J... a manifestement prêté son concours à une opération de blanchiment (ordonnance p. 2), la chambre de l'instruction a violé les textes et le principe susvisés ;

5°) alors que la chambre de l'instruction saisie d'un recours formé contre une ordonnance de saisie spéciale au sens des articles 706-141 à 706-158 du code de procédure pénale, qui, pour justifier d'une telle saisie, s'appuie sur une ou des pièces précisément identifiées de la procédure, est tenue de s'assurer que celles-ci ont été communiquées à la partie appelante ; qu'en se fondant, pour retenir la mauvaise foi de M. J..., sur plusieurs éléments issus de l'enquête préliminaire, à savoir les déclarations de M. D... G... en garde à vue et, pour retenir que les frères G... avaient la libre disposition de l'immeuble, sur les constatations opérées par les enquêteurs sur le site Abritel relatives à la location saisonnière de la villa ainsi que sur les déclarations de M. B... G... en garde à vue selon lesquelles le montant des loyers aurait été versé par Abritel sur le compte J et Co en Roumanie, la chambre de l'instruction, qui ne s'est pas assurée de ce que M. J..., tiers à la procédure puisque ni mis en examen ni poursuivi devant les juridictions du fond, avait été destinataire d'une copie des déclarations de MM. D... et B... G... en garde à vue et des constatations opérées sur le site Abritel sur lesquelles elle s'est pourtant fondée pour confirmer la saisie, a méconnu les textes et principe susvisés ;

6°) alors que tout accusé a le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, ce qui implique le droit d'accéder au dossier de la procédure ; que l'accusation commence avec la notification officielle du reproche d'avoir commis une infraction ; qu'en autorisant la saisie pénale de l'immeuble litigieux sans s'assurer que M. J..., auquel a été reprochée par l'ordonnance de saisie du juge des libertés et de la détention sa participation à une opération de blanchiment, avait eu accès aux éléments de l'enquête préliminaire, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure pénale ;

7°) alors que la confiscation en valeur peut porter sur tous biens, quelle qu'en soit la nature, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ; qu'il ne saurait être porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété ; qu'à cet égard, pour ordonner la saisie pénale en valeur d'un bien, les juges doivent établir avec un soin particulier en quoi des tiers ont la libre disposition de ce bien, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à faire subir au propriétaire du bien saisi une charge spéciale et excessive ; qu'en se bornant à relever, pour retenir que MM. D... et B... G... avaient la libre disposition de l'immeuble et étaient les propriétaires économiques réels de l'immeuble, qu'ils avaient mis en location sur internet la villa pour la saison estivale en mentionnant comme nom du propriétaire celui de M. B... G... et que ce dernier aurait déclaré que le montant des loyers perçus étaient virés sur le compte de la société J&Co lorsqu'il ressortait des constatations de l'arrêt attaqué que, d'une part, l'annonce de location de la villa publiée sur le site Abritel en 2017 comportait des énonciations ambigües puisque, si elle mentionnait le nom de M. B... G... comme propriétaire des lieux, elle figurait une photographie de M. J... et d'autre part, M. B... G... a fait état seulement de deux locations de la villa via Abritel sur la période de l'été, la chambre de l'instruction, qui a insuffisamment caractérisé en quoi les frères G... avaient la libre disposition de la villa, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des textes et principes susvisés ;

8°) alors que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que la confiscation en valeur peut porter sur tous biens, quelle qu'en soit la nature, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ; que les modalités de financement de l'acquisition d'un bien immobilier ne peuvent établir la mauvaise foi du propriétaire que si le financement du bien effectué par des tiers ne présente aucune cause ; qu'est nécessairement de bonne foi le propriétaire d'un bien se comportant comme son réel propriétaire en assurant son entretien et en assumant ses charges ; qu'en se bornant, pour retenir la mauvaise foi de M. J..., à relever que celui-ci aurait servi de « prête-nom » aux frères G... et que ces derniers avaient financé l'achat du terrain puis la construction de la villa sans répondre aux articulations essentielles du mémoire de M. J... établissant, justificatifs à l'appui, sa bonne foi en tant que propriétaire du terrain et de la villa en l'état, d'une part, du financement du terrain au moyen de fonds versés à lui par la société J&Co en contrepartie du travail effectué pour cette société de 2011 à 2013, sans être déclaré, sur les chantiers de construction des maisons, dont l'arrêt lui-même a constaté la réalité, et du financement de la construction de la villa par M. D... G... dans le cadre d'un projet de vie commune du couple formé depuis 2010, d'autre part, de relations exclusives entre l'office notarial chargé de la vente et M. J... tout au long de la procédure d'acquisition du terrain, encore du dépôt par M. J... en son nom d'une demande de permis de construire en mairie pour la construction de la villa et enfin, de la réalisation de l'entretien de la maison par M. J... et du règlement par ce dernier, y compris depuis sa séparation de M. D... G... en 2016, des charges d'électricité, d'assurance et des impôts et taxes attachées à cet immeuble, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision » ;

Vu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que la chambre de l'instruction saisie d'un recours formé contre une ordonnance de saisie spéciale au sens des articles 706-141 à 706-158 du code de procédure pénale, qui, pour justifier d'une telle mesure, s'appuie sur une ou des pièces précisément identifiées de la procédure, est tenue de s'assurer que celles-ci ont été communiquées à la partie appelante ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, dans le cadre d'une enquête diligentée à l'encontre de MM. D... et B... G... des chefs susvisés, le juge des libertés et de la détention a autorisé, par ordonnance du 30 mars 2018, la saisie immobilière en valeur d'un immeuble à usage d'habitation appartenant à M. J... ; que le conseil de ce dernier a relevé appel de la décision ;

Attendu que pour confirmer l'ordonnance attaquée, l'arrêt retient notamment que MM. D... et B... G... sont susceptibles d'être mis en examen ou poursuivis des chefs d'abus de biens sociaux, banqueroute, abus de confiance, escroquerie, blanchiment et travail dissimulé, que le produit généré par tout ou partie de ces infractions peut être provisoirement évalué à la somme de 436 870 euros et que l'immeuble objet de la saisie a été évalué à 405 000 euros par France domaines ;

Que les juges ajoutent qu'il ne peut être raisonnablement soutenu que M. J..., qui a indiqué une profession mensongère sur l'acte notarié, puisse être considéré comme propriétaire de bonne foi, alors qu'il résulte sans aucune ambiguïté des déclarations des frères G..., en particulier de celles de M. D... G..., qu'il leur a servi en toute connaissance de cause de prête-nom pour l'acquisition du terrain sur lequel a été édifié l'immeuble saisi, et que cette acquisition a pu être financée par M. J... grâce à un virement opéré préalablement sur son compte roumain par la société J&Co, créée par M. B... G..., société ayant participé à la commission des infractions ;

Qu'ils énoncent enfin que les frères G... avaient par ailleurs manifestement la libre disposition de l'immeuble, puisqu'ils le mettaient notamment en location sur internet pour la saison estivale en mentionnant comme nom de propriétaire celui de M. G..., que, selon les déclarations de ce dernier, le montant des loyers perçus était viré sur le compte de la société J&Co, et qu'il y a ainsi lieu de les considérer comme les propriétaires économiques réels de l'immeuble, l'acquisition par le seul M. J... du terrain sur lequel allait être édifié ledit immeuble n'étant qu'un montage destiné à éviter que les mis en cause n'apparaissent comme les propriétaires juridiques du bien ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans s'assurer que M. J... a été destinataire d'une copie des déclarations de MM. D... et B... G... sur lesquelles la juridiction se fonde, dans ses motifs décisoires, pour confirmer la saisie contestée, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de MONTPELLIER, en date du 4 octobre 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois -

Textes visés :

Articles 706-141 à 706-158 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité, pour la chambre de l'instruction qui confirme une ordonnance de saisie, de s'assurer que la pièce sur laquelle se fonde cette décision a bien été communiquée au propriétaire des fonds saisis, demeuré tiers à la procédure, à rapprocher : Crim., 30 janvier 2019, Bull. crim. 2019, n° 31 (cassation), et l'arrêt cité.

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