Numéro 10 - Octobre 2019

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

PEINES

Crim., 16 octobre 2019, n° 18-83.619, (P)

Déchéance et cassation

Exécution – Peine privative de liberté – Mesure d'aménagement de peine – Conditions – Durée des peines prononcées ou restant à subir – Recevabilité

La requête aux fins d'octroi d'une mesure d'aménagement de peine, sous forme d'une libération conditionnelle avec placement sous surveillance électronique, d'un condamné libre, en état de récidive, doit, pour être recevable, remplir les conditions de l'article 723-15 du code de procédure pénale, quant à la durée de la détention restant à subir.

DECHEANCE et CASSATION sur les pourvois formés par :

- Le procureur général près la cour d'appel de Lyon,

- M. T... U...,

contre l'arrêt de la chambre de l'application des peines de ladite cour d'appel, en date du 28 mai 2018, qui a prononcé sur une demande d'aménagement de peine de M. T... U...

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur le pourvoi formé par M. T... U... :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

II - Sur le pourvoi du procureur général :

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 591 du code de procédure pénale ;

Vu l'article 723-15 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 ;

Attendu qu'il résulte de ce texte qu'un aménagement de peine ne peut être accordé aux condamnés libres en état de récidive légale que lorsque l'emprisonnement prononcé ou le reliquat de peine à subir est égal ou inférieur à un an ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de procédure que M. U... a été condamné le 8 février 2017 par le tribunal correctionnel de Lyon à la peine de dix mois d'emprisonnement pour tentative d'escroquerie en récidive et destruction du bien d'autrui ; que le 24 juin 2014, la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis pour tentative d'escroquerie et dénonciation mensongère a été révoquée par le tribunal correctionnel de Lyon le 8 février 2017 ; que le 18 janvier 2017, M. U... avait été une nouvelle fois condamné par le tribunal correctionnel de Lyon à la peine de six mois d'emprisonnement dont trois mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans pour violence suivie d'une incapacité temporaire de travail supérieure à 8 jours ; que, compte tenu du crédit de peine qui lui a été octroyé à hauteur de soixante-dix jours et des vingt-huit jours de détention provisoire subis dans le cadre des poursuites exercées des chefs d'escroquerie en récidive et destruction, le reliquat de peine de ces trois condamnations restant à exécuter a été fixé à quinze mois et vingt-deux jours d'emprisonnement ; que par requête en date du 7 mars 2017, l'avocat de M. U..., condamné libre, a sollicité un aménagement de peine sous forme d'une libération conditionnelle avec placement sous surveillance électronique ; que le juge de l'application des peines, après débat contradictoire, a déclaré cette demande recevable par application des dispositions des articles 723-7 et 729 du code de procédure pénale et l'a admis au bénéfice de la libération conditionnelle avec placement sous surveillance électronique ; que le ministère public a relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour rejeter l'irrecevabilité de la requête en aménagement de peine, soulevée par le ministère public qui faisait valoir que le condamné libre, en état de récidive, devait accomplir une durée d'emprisonnement supérieure à un an, l'arrêt retient que la procédure de mise à exécution simplifiée des peines, prévue par les dispositions de l'article 723-15 du code de procédure pénale, n'est pas exclusive de la saisine du juge de l'application des peines aux fins d'octroi d'une mesure d'aménagement prise sur le fondement des dispositions des articles 723-7 et 729 du code de procédure pénale dès lors que ces dispositions qui s'inscrivent dans le chapitre II relatif à l'exécution des peines ne font aucune distinction entre les condamnés libres ou détenus et n'imposent aucun seuil, si ce n'est celui d'un an s'agissant de la durée maximum de la période de placement sous surveillance électronique ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe sus-énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

PAR CES MOTIFS :

I - Sur le pourvoi formé par M. U... :

CONSTATE la déchéance du pourvoi ;

II - Sur le pourvoi du procureur général :

CASSE et ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Lyon, en date du 28 mai 2018 ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Carbonaro - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Articles 723-7, 729 et 732-15 du code de procédure pénale.

Crim., 16 octobre 2019, n° 18-84.374, (P)

Rejet

Peines complémentaires – Suivi socio-judiciaire – Obligation de soins – Rapport d'expertise médicale – Pouvoir d'appréciation du juge

Selon l'article 131-36-4 du code pénal, sauf décision contraire de la juridiction, la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire est soumise à une injonction de soins, s'il est établi qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement, après une expertise médicale ordonnée conformément aux dispositions du code de procédure pénale.

Pour prononcer une injonction de soins, la cour d'assises n'est pas tenue par les conclusions du rapport d'expertise médicale figurant au dossier.

REJET du pourvoi formé par M. J... W... contre l'arrêt de la cour d'assises de la Haute-Vienne, en date du 20 juin 2018, qui, pour viol, l'a condamné à sept ans d'emprisonnement et cinq ans de suivi socio-judiciaire, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la cour d'assises a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Un mémoire a été produit.

Faits et procédure

1. Par ordonnance du 10 novembre 2016, le juge d'instruction de Limoges a renvoyé M. W... devant la cour d'assises de la Corrèze, sous l'accusation de viol.

2. Par arrêt du 15 février 2017, la cour d'assises de la Corrèze a déclaré M. W... coupable du crime de viol et l'a condamné à neuf ans d'emprisonnement et cinq ans de suivi socio-judiciaire, et, par arrêt distinct du même jour, a prononcé sur les intérêts civils.

3. L'accusé a relevé appel de ces deux arrêts, le ministère public de l'arrêt pénal, à titre incident, et la partie civile a relevé appel de l'arrêt civil.Par ordonnance du 9 mai 2017, la première présidente de la cour d'appel de Limoges a désigné, pour statuer en appel, la cour d'assises de la Haute-Vienne.

4. Celle-ci a statué en appel par les arrêts attaqués.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen est pris de la violation des articles 378 et 593 du code de procédure pénale.

6. Le moyen critique la procédure suivie devant la cour d'assises en ce que le procès-verbal des débats comporte deux pages 8, l'une signée et paraphée du seul président et faisant état d'une suspension d'audience de 11 heures 55 à 14 heures, l'autre signée et paraphée du greffier et du président, avec mention d'une reprise de séance à 14 heures 05, sans que la cause et les conditions de l'interruption des débats ne soit mentionnée, alors qu' « aux termes de l'article 378 du code de procédure pénale, le greffier de la cour d'assises dresse, à l'effet de constater l'accomplissement des formalités prescrites, un procès-verbal qui est signe par le président et par le greffier ; que le procès-verbal des débats, qui se révèle tronqué, ne permet pas à la cour de cassation d'exercer son contrôle de la régularité de la procédure ».

Réponse de la Cour

7. Le procès-verbal des débats comporte, à tort, deux pages numérotées huit, relatant le déroulement d'une partie des débats, tenus la journée du 18 juin 2018.

La seule différence entre ces deux pages est constituée par la mention, sur l'une seule d'elles, d'une suspension d'audience, entre 11 heures 55 et 14 heures.

L'accusé ne peut s'en faire grief, car cette suspension, qui s'intercale logiquement dans le déroulement des débats, est attestée par les signatures du président et du greffier, à la fin du procès-verbal, la Cour de cassation étant ainsi en mesure de s'assurer de la régularité de la procédure suivie et de vérifier qu'il n'a été porté aucune atteinte aux droits de la défense.

8. Le moyen sera donc écarté.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen est pris de la violation des articles 131-36-1 et 131-36-4 du code pénal.

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que l'arrêt attaqué a ordonné à l'encontre de M. W... un suivi socio-judiciaire comprenant l'injonction de soins prévue à l'article 131-36-4 du code pénal et fixé à trois ans la durée maximum d'emprisonnement encouru en cas d'inobservation des obligations imposées dans le cadre de cette mesure alors que « l'injonction de soins ne peut, aux termes de l'article 131-36-4 du code pénal, être prononcée que s'il est établi, après une expertise médicale, que la personne poursuivie est susceptible de faire l'objet d'un traitement ; que selon l'ordonnance de mise en accusation du 1er septembre 2016, l'expert psychiatre avait conclu qu'une injonction de soin dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire n'était pas opportune, l'expert psychologue, Mme U... I..., absente aux débats, s'étant bornée dans son rapport à suggérer « un suivi médical » (B4) ; que le prononcé de la mesure de suivi socio-judiciaire n'est pas légalement justifié ».

Réponse de la Cour

11. Selon l'article 131-36-4 du code pénal, sauf décision contraire de la juridiction, la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire est soumise à une injonction de soins, s'il est établi qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement, après une expertise médicale ordonnée conformément aux dispositions du code de procédure pénale.

12. M. W... critique l'injonction de soins ordonnée contre lui, soutenant qu'il n'est pas établi par expertise médicale qu'il est susceptible de faire l'objet d'un traitement.

13. Cependant, contrairement à ce que soutient le demandeur, la cour d'assises n'était pas tenue par les conclusions du rapport d'expertise médicale figurant au dossier.

14. Le moyen ne peut donc être admis.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

15. Le moyen est pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 130-1 et 132-1 du code pénal, 362 du code de procédure pénale.

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que la cour d'assises a condamné l'accusé à la peine de sept ans d'emprisonnement ainsi qu'à un suivi socio-judiciaire pendant une durée de cinq ans et fixé à trois ans la durée maximum de la peine d'emprisonnement encourue en cas d'inobservation des obligations imposées dans le cadre de cette mesure alors que « selon la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-694 QPC du 2 mars 2018, le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen implique la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine ; que cette obligation vaut pour tout procès ouvert aux assises après la date de publication de cette décision ; que la gravité des faits, la personnalité de leur auteur et sa situation personnelle figurent au nombre des principaux éléments devant guider le choix de la peine et figurer dans la motivation ainsi que, en cas d'emprisonnement sans sursis, le caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction ; que le procès s'est ouvert en l'espèce le 18 juin 2018 et que la motivation précitée ne satisfait pas à ces exigences ».

Réponse au moyen

17. M. W... a été condamné à la peine de sept ans d'emprisonnement et à celle de cinq ans de suivi socio-judiciaire avec injonction de soins. Pour justifier ces peines, la cour d'assises a retenu, d'une part, la gravité des faits, s'agissant d'un viol, d'autre part, une personnalité marquée par une absence d'introspection.

18. Ces motifs exposent les principaux éléments ayant convaincu la cour d'assises dans le choix de la peine, conformément aux exigences énoncées par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2017-694 QPC du 2 mars 2018.

19. Le moyen n'est donc pas fondé.

20. De plus, aucun moyen n'est produit contre l'arrêt civil, la procédure est régulière et la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. de Larosière de Champfeu - Avocat général : M. Bonnet - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 131-36-4 du code pénal.

Rapprochement(s) :

Concernant l'hypothèse où le visa, dans l'arrêt de condamnation, des articles 131-36-1 à 131-36-8 du code pénal suffit à établir que, conformément aux prescriptions de ces textes, l'obligation de soins a été imposée au vue d'une expertise médicale, à rapprocher : Crim., 16 mars 2005, pourvoi n° 04-81.328, Bull. crim. 2005, n° 95 (rejet).

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