Numéro 1 - Janvier 2024

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

EXTRADITION

Crim., 16 janvier 2024, n° 23-82.942, (B), FRH

Irrecevabilite

Conventions – Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 – Quatrième Protocole additionnel – Communications par voie électronique ou par tout autre moyen laissant une trace écrite – Portée

Le quatrième Protocole additionnel à la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, entré en vigueur en France le 1er octobre 2021, autorise, en son article 6, les communications par voie électronique ou par tout autre moyen laissant une trace écrite, dans des conditions permettant aux Etats parties d'en vérifier l'authenticité. Dès lors, c'est à juste titre que la chambre de l'instruction a jugé régulière la transmission par voie dématérialisée, le 24 février 2023, d'une requête aux fins d'extradition des autorités italiennes au ministère de la justice français, autorité centrale désignée pour la réception de telles requêtes.

Chambre de l'instruction – Avis – Extradition aux fins d'exécution d'une peine – Conformité de la peine prononcée à l'ordre public français – Recherche d'office – Exclusion

A défaut d'allégations en ce sens de la personne réclamée en vue de l'exécution d'une condamnation, la chambre de l'instruction n'est pas tenue de rechercher si la peine prononcée à l'encontre de celle-ci est conforme à l'ordre public français.

M. [S] [U] a formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 27 avril 2023, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement italien, a émis un avis favorable.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 8 février 2023, le gouvernement italien a formé une demande d'extradition de M. [S] [U], ressortissant italien, aux fins d'exécution d'une peine de réclusion à perpétuité avec isolement de jour pendant deux mois prononcée par la cour d'assises d'appel de Catanzaro le 25 mai 2012 pour des faits d'assassinats et tentative d'assassinat commis les 5 janvier et 21 juillet 1991 en Italie.

Le pourvoi contre cette décision a été rejeté le 24 mars 2014.

3. M. [U] n'a pas consenti à sa remise.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé le 2 mai 2023

4. M. [U] ayant épuisé, par l'exercice qu'en avait fait son avocat, en son nom, le 27 avril 2023, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre la même décision le 2 mai suivant.

5. Seul est recevable le pourvoi formé le 27 avril 2023.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition des autorités italiennes, alors « qu'il résulte de l'article 12 de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 que la demande d'extradition est transmise de gouvernement à gouvernement par la voie diplomatique ; et des articles 696-8 alinéa 4 du code de procédure pénale et 1 et 13 de la Convention établie sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne relative à l'extradition entre les États membres de l'Union européenne, qu'il ne peut y être dérogé, entre Etats membres, que par transmission directe de la demande d'extradition, entre les autorités centrales désignées par chaque Etat et par télécopie cryptée ; en jugeant que la demande d'extradition a été régulièrement transmise en ce qu'elle « est parvenue au ministère de la justice le 24 février 2023, par voie dématérialisée, conformément au 4e protocole additionnel à la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 », lequel, à défaut de ratification, n'est pas applicable, la chambre de l'instruction a violé ce protocole par fausse application, les articles 12 de la convention européenne d'extradition, 696-8 alinéa 4 du code de procédure pénale, 1 et 13 de la Convention relative à l'extradition entre les États membres de l'Union européenne, et ainsi privé son arrêt, en la forme, des conditions essentielles de son existence légale au sens de l'article 696-15 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Pour écarter le moyen pris de l'irrégularité de la transmission de la demande d'extradition, l'arrêt attaqué énonce que celle-ci est parvenue au ministère de la justice le 24 février 2023 par voie dématérialisée, conformément au quatrième Protocole additionnel à la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957.

8. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

9. En effet, d'une part et contrairement au grief allégué, elle a constaté que la requête aux fins d'extradition a fait l'objet d'une transmission directe des autorités italiennes au ministère de la justice français, autorité centrale désignée pour la réception de telles requêtes, qui l'a reçue le 24 février 2023.

10. D'autre part, elle a, à juste titre, conclu à la régularité de la transmission de la requête par voie dématérialisée au regard des dispositions de l'article 6 du quatrième Protocole additionnel à la Convention européenne d'extradition, en vigueur en France depuis le 1er octobre 2021, qui autorisent les communications par voie électronique ou par tout autre moyen laissant une trace écrite, dans des conditions permettant aux Etats parties d'en vérifier l'authenticité.

11. Le moyen doit, dès lors, être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition, alors « que l'arrêt d'une chambre de l'instruction statuant en matière d'extradition doit répondre, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale ; que la chambre de l'instruction, saisie d'un grief pris d'une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale résultant de l'extradition, doit exercer un contrôle de proportionnalité au regard des buts légitimes poursuivis par cette mesure ; que dans ses mémoires régulièrement déposés et visés, M. [U] a notamment exposé avoir quitté l'Italie à la fin de sa peine de prison au début des années 2000 pour « couper toutes les connexions avec le milieu mafieux de Calabre », avoir résidé et travaillé dans la restauration en Allemagne (6 ans) puis en France (17 ans), où il est inséré professionnellement et socialement, loin de toute criminalité, et être âgé de 63 ans ; qu'en ne s'expliquant pas, comme elle y était invitée, s'agissant d'une demande d'extradition aux fins d'exécution d'une peine pour des faits commis en 1991, jugés en 2010 et 2012, sur les liens de M. [U] avec l'Italie, et non uniquement sur ses attaches en France, sur son âge, ni sur sa rupture avec son passé depuis plus de 20 ans, la chambre de l'instruction, qui n'explique pas en quoi M. [U] aurait un quelconque lien actuel avec le contexte mafieux en Italie, n'a pas suffisamment motivé sa décision au regard des buts légitimes poursuivis de répression, mais aussi d'amendement, d'insertion et de prévention du risque de la récidive, privant son arrêt, en la forme, des conditions essentielles de son existence légale en violation de l'article 696-15 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

13. Pour rejeter le moyen pris d'une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale, l'arrêt attaqué énonce que, si l'intéressé, après un séjour en Allemagne entre 2002 et 2006, a ensuite vécu en France de nombreuses années, il a, se sachant recherché par les autorités judiciaires italiennes, mené une vie clandestine sous une fausse identité, et que dès lors, ses activités professionnelles de cuisinier dans un restaurant, au demeurant relativement précaires, et qui n'ont pas abouti à la création d'attaches familiales, importent peu.

14. Les juges relèvent que par ailleurs, l'ancienneté des faits ne peut être prise en considération au regard de leur gravité, s'agissant de deux assassinats et d'une tentative d'assassinat perpétrés dans un contexte mafieux qui n'a pas disparu.

15. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

16. En effet, dès lors qu'elle a dûment exercé le contrôle de proportionnalité qu'impose l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme au regard des buts légitimes poursuivis par l'extradition que sont la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales, son avis satisfait aux conditions essentielles de son existence légale.

17. Le moyen doit, dès lors, être écarté.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition, alors « que l'arrêt d'une chambre de l'instruction statuant en matière d'extradition doit répondre, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale ; que l'extradition n'est pas accordée lorsque le fait à raison duquel l'extradition a été demandée est puni par la législation de l'Etat requérant d'une peine ou d'une mesure de sûreté contraire à l'ordre public français ; que s'agissant d'un motif de refus obligatoire et donc, d'une condition légale de l'extradition, un tel contrôle doit s'effectuer au besoin d'office ; qu'après avoir relevé que « M. [U] est réclamé pour l'exécution de la peine de réclusion à perpétuité », l'arrêt énonce que « les conditions de fond de l'extradition sont remplies » ; que la demande d'extradition avait pour objet l'exécution d'une peine de réclusion à perpétuité avec isolement pendant le jour pour deux mois, ainsi que cela ressort de la demande datée du 8 février 2023, de l'arrêt de condamnation et du mandat européen initialement délivré, figurant au dossier de la Cour de cassation ; qu'il en résulte que la chambre de l'instruction n'a pas pleinement exercé son contrôle au regard de l'objet de la demande d'extradition et privé son arrêt, en la forme, des conditions essentielles de son existence légale en violation de l'article 696-15 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

19. À défaut d'allégations en ce sens de la personne réclamée, la chambre de l'instruction n'était pas tenue de rechercher si la peine prononcée était conforme à l'ordre public français.

20. Le moyen doit, dès lors, être écarté.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition, alors « qu'en matière d'extradition, les débats devant la chambre de l'instruction s'ouvrent par un interrogatoire dont il est dressé procès-verbal et qui doit mentionner le nom des juges, qui doivent être les mêmes que ceux qui participent aux débats et au prononcé de l'arrêt ; qu'en l'espèce, il résulte du procès-verbal d'interrogatoire du 30 mars 2023, que la chambre de l'instruction était composée de M. Pisana, Président, Mmes Fouché et Palle, Conseillers, et des mentions de l'arrêt attaqué que la chambre de l'instruction ayant statué sur la demande d'extradition était composée, lors des débats et du délibéré, de M. Pisana, Président, Mmes Fouché et Duval, conseillers ; en sorte que la procédure n'est pas régulière et l'arrêt ne répond pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale au sens des articles 696-13 et 696-15 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 696-13 et 696-15 du code de procédure pénale :

22. Il résulte de ces textes qu'en matière d'extradition, les débats devant la chambre de l'instruction s'ouvrent par un interrogatoire de la personne réclamée dont il est dressé procès-verbal, et, cet interrogatoire étant indivisible des débats, il doit y être procédé par les mêmes juges qui participent à l'audience au fond et au prononcé de la décision.

23. En l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué que la chambre de l'instruction était composée, lors des débats du 30 mars 2023 et du délibéré, de M. Pisana, président, et de Mmes Fouché et Duval, conseillers, alors que la formalité de l'interrogatoire a, selon les mentions du procès-verbal, été accomplie le même jour par M. Pisana, président, et Mmes Fouché et Palle, conseillers.

24. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé le 2 mai 2023 :

Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;

Sur le pourvoi formé le 27 avril 2023 :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 27 avril 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Thomas - Avocat général : M. Aubert - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Quatrième Protocole additionnel à la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957.

Crim., 30 janvier 2024, n° 23-83.549, (B), FRH

Cassation

Etat étranger requérant – Avis favorable à la demande – Conditions – Peine – Peine de mort – Engagement dénué de toute ambiguïté de l'Etat requérant de non-application dans la situation spécifique de la personne réclamée – Cas – Moratoire sur l'application de la peine de mort dans l'Etat requérant et engagements internationaux en ce sens

Il résulte des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 696-15 du code de procédure pénale que lorsque la peine de mort est encourue à raison des faits pour lesquels l'extradition est demandée, il appartient à la chambre de l'instruction de s'assurer que l'Etat requérant prend l'engagement, dénué de toute ambiguïté, que cette peine, si elle venait à être prononcée, ne sera pas appliquée à la situation spécifique de la personne réclamée.

Encourt dès lors la cassation l'arrêt qui, pour rejeter le moyen pris de l'absence de garantie effective donnée par les autorités requérantes de non-application de la peine de mort à la personne réclamée, se réfère à des considérations générales relatives à l'existence d'un moratoire sur l'application de la peine de mort depuis trente ans dans l'Etat requérant et aux engagements internationaux renouvelés de cet Etat en ce sens, que la chambre de l'instruction qualifie elle-même de symboliques.

M. [P] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 31 mai 2023, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement tunisien, a émis un avis favorable.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 14 octobre 2022, M. [P] [V], de nationalité tunisienne, a été placé sous contrôle judiciaire en exécution d'une demande d'arrestation provisoire délivrée par les autorités tunisiennes, sur le fondement d'un mandat d'amener du 27 mai 2022 d'un juge d'instruction tunisien, aux fins de poursuites pour des faits d'homicide volontaire avec préméditation, commis le 9 octobre 2021 en Tunisie.

3. La demande d'extradition, datée du 9 novembre 2022, lui a été notifiée le 5 janvier 2023.

4. M. [V] a déclaré ne pas consentir à sa remise et ne pas renoncer au principe de spécialité.

5. Par arrêt du 25 janvier 2023, la chambre de l'instruction a ordonné un supplément d'information afin que, dans le cas où une condamnation à la peine de mort serait prononcée à l'encontre de M. [V], les autorités tunisiennes prennent l'engagement de ne pas la faire exécuter.

6. Les autorités tunisiennes y ont répondu par note verbale reçue le 21 mars suivant.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté que les conditions légales de l'extradition sont remplies et a donné un avis favorable à la demande d'extradition formulée par les autorités de la République de Tunisie aux fins d'exercice de poursuites, sous réserve expresse que la peine de mort, à la supposer prononcée, ne soit pas appliquée, alors :

« 1°/ que la chambre de l'instruction doit contrôler de manière effective la conformité de la demande d'extradition à l'ordre public français, ce qui implique un examen de l'effectivité des garanties transmises par l'Etat requérant permettant de s'assurer que la personne réclamée n'encourt pas le risque de se voir appliquer une peine contraire à l'ordre public français ; que seule la garantie d'une absence de prononcé de la peine de mort permet de garantir effectivement que la personne réclamée ne risque pas de se voir appliquer cette peine ; qu'en donnant un avis favorable à la demande d'extradition formulée par les autorités de la République de Tunisie aux fins d'exercice de poursuites à l'encontre de M. [V], sous réserve expresse que la peine de mort, à la supposer prononcée, ne soit pas appliquée, sans garantie qu'elle ne soit pas prononcée, la chambre de l'instruction a privé son arrêt des conditions essentielles de son existence légale au regard des exigences des articles 696-4, 6°, et 696-15 du code de procédure pénale ;

2°/ en tout état de cause, que la chambre de l'instruction doit contrôler de manière effective la conformité de la demande d'extradition à l'ordre public français, ce qui implique un examen de l'effectivité des garanties transmises par l'Etat requérant permettant de s'assurer que la personne réclamée n'encourt pas le risque de se voir appliquer une peine contraire à l'ordre public français ; que l'effectivité de ces garanties implique une absence d'ambiguïté quant au risque pour la personne réclamée de se voir appliquer une telle peine ; qu'il résulte des pièces de la procédure que les autorités ont notamment, dans la note adressée aux autorités françaises, indiqué que « la demande de garantie que la peine de mort ne sera pas exécutée à l'égard de la personne recherchée est prématurée puisqu'un jugement n'a pas été rendu quant aux actes imputés à l'inculpé objet de la demande d'extradition » et par ailleurs que « [m}ême en cas de requalification d'actes tels que la commission d'homicide volontaire avec préméditation, au sens des articles 201 et 202 du code pénal et le prononcé d'une condamnation à mort, cette peine ne sera pas exécutée car, depuis plus de 30 ans, aucune condamnation à mort n'a été exécutée, outre le fait que le pays tunisien s'est engagé internationalement à ne pas appliquer cette peine après avoir levé ses réserves au Protocole facultatif susvisé » ; qu'en donnant un avis favorable à la demande d'extradition formulée par les autorités de la République de Tunisie aux fins d'exercice de poursuites à l'encontre de M. [V], en l'absence, en l'état des pièces de la procédure qui étaient ainsi ambiguës, même dans le contexte des engagements internationaux signés par la Tunisie, de garantie claire et dénuée d'ambiguïté, donc effective, des autorités tunisiennes que M. [V] ne se verrait pas appliquer la peine de mort en cas d'extradition, la chambre de l'instruction a privé son arrêt des conditions essentielles de son existence légale au regard des exigences des articles 696-4, 6°, 696-15 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'il résulte des pièces de la procédure que les autorités ont notamment, dans la note adressée aux autorités françaises, indiqué que « la demande de garantie que la peine de mort ne sera pas exécutée à l'égard de la personne recherchée est prématurée puisqu'un jugement n'a pas été rendu quant aux actes imputés à l'inculpé objet de la demande d'extradition » et par ailleurs que « [m}ême en cas de requalification d'actes tels que la commission d'homicide volontaire avec préméditation, au sens des articles 201 et 202 du code pénal et le prononcé d'une condamnation à mort, cette peine ne sera pas exécutée car, depuis plus de 30 ans, aucune condamnation à mort n'a été exécutée, outre le fait que le pays tunisien s'est engagé internationalement à ne pas appliquer cette peine après avoir levé ses réserves au Protocole facultatif susvisé »; qu'il résultait ainsi des pièces de la procédure que l'engagement des autorités tunisiennes de ne pas exécuter la peine de mort qui serait le cas échéant prononcée n'était pas dénuée d'ambiguïté et ne constituait donc pas une garantie effective ; qu'en énonçant toutefois que les autorités tunisiennes ont fourni des assurances écrites que M. [V] ne se verra pas appliquer une éventuelle condamnation à la peine de mort, la chambre de l'instruction s'est contredite et a ainsi privé son arrêt des conditions essentielles de son existence légale au regard des exigences des articles 696-4, 6°, 696-15 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, 696-15 et 593 du code de procédure pénale :

8. Le premier de ces textes prohibe l'extradition vers un autre État d'une personne dont il y a des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle serait exposée dans le pays de destination à un risque réel d'être soumise à la peine de mort.

9. Aux termes du second, l'arrêt d'une chambre de l'instruction, statuant en matière d'extradition, doit répondre, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale.

10. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

11. Pour rejeter le moyen pris de l'absence de garantie précise et effective donnée par les autorités requérantes de non-application de la peine de mort à M. [V] et émettre un avis favorable à la demande d'extradition, l'arrêt attaqué énonce que les assurances données par les autorités tunisiennes en réponse à la demande de supplément d'information, qui émanent d'une autorité compétente et susceptible d'engager la République de Tunisie, précisent in fine que « même en cas de [...] prononcé d'une condamnation à mort, cette peine ne sera pas exécutée. »

12. Les juges ajoutent, s'agissant de la fiabilité de ces assurances, que, d'une part, aucune personne condamnée à mort n'a été effectivement exécutée en Tunisie depuis plus de trente-deux ans, d'autre part, ce pays a levé les réserves initiales qu'il avait formulées concernant le deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

13. Ils relèvent que, si la Tunisie n'est pas allée jusqu'au terme de sa démarche en adhérant formellement à ce Protocole, elle a toutefois voté systématiquement, à compter de décembre 2012, la résolution biennale de l'assemblée générale des Nations unies valant « moratoire sur l'application de la peine de mort » ; qu'en particulier, postérieurement aux déclarations du président de la République de Tunisie de 2020 produites par le demandeur, ce pays a continué à voter en faveur des huitième et neuvième résolutions pour un moratoire sur la peine de mort et, la dernière fois, récemment, le 15 décembre 2022.

14. Ils observent en outre que les autorités requérantes se sont engagées à ce que M. [V] ne soit pas exposé à des traitements inhumains et dégradants en détention et que la Tunisie demeure partie à de nombreux instruments internationaux de protection des droits fondamentaux, dont le Pacte international des Nations unies relatif aux droits civils et politiques et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

15. Ils en concluent que les autorités tunisiennes ont fourni des assurances écrites que M. [V] ne se verra pas appliquer une éventuelle condamnation à la peine de mort.

16. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

17. En effet, lorsque la peine de mort est encourue à raison des faits pour lesquels l'extradition est demandée, il appartient à la chambre de l'instruction de s'assurer que l'Etat requérant prend l'engagement dénué de toute ambiguïté que cette peine ne sera pas appliquée à la personne réclamée.

18. En se référant à des considérations générales relatives à l'existence d'un moratoire sur l'application de la peine de mort en Tunisie depuis trente ans et aux engagements internationaux renouvelés de l'Etat requérant en ce sens, qu'elle qualifie elle-même de symboliques, alors que ces assurances ne permettaient pas de s'assurer que la peine de mort, si elle était prononcée, ne serait pas appliquée spécifiquement à la personne de M. [V], l'arrêt attaqué ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale.

19. Ainsi la cassation est encourue de ces chefs, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 31 mai 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Merloz - Avocat général : M. Desportes - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Article 696-15 du code de procédure pénale ; article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation des Etats parties contractantes à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de refuser la remise lorsqu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne courra, dans le pays requérant, un risque réel d'être soumise à la peine de mort, ou à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants : Crim., 13 décembre 2022, pourvoi n° 22-80.610, Bull. crim. (rejet).

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