Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES

Crim., 25 janvier 2023, n° 22-83.344, (B), FRH

Cassation

Qualification – Caractérisation de chacun des éléments constitutifs de l'infraction – Obligation – Cas – Agression sexuelle

La juridiction de jugement est tenue de constater, à la charge du prévenu, l'existence de chacun des éléments constitutifs de chacune des infractions dont elle le déclare coupable.

Encourt la cassation un arrêt condamnant un prévenu du chef d'agression sexuelle sans établir le caractère intentionnel de l'atteinte commise à l'égard de la victime, ou caractérisé en quoi cette atteinte aurait été commise avec violence, contrainte, menace ou surprise.

M. [F] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 12e chambre, en date du 26 avril 2022, qui, pour agressions sexuelles aggravées, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, trois ans de suivi socio-judiciaire et dix ans d'interdiction professionnelle.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [F] [Y], enseignant au collège de [Localité 1], a fait l'objets de poursuites du chef d'agressions sexuelles commises sur deux élèves, mineures de quinze ans, [T] [U] et [B] [L]

3. Par jugement du 17 septembre 2019, le tribunal correctionnel a relaxé M. [Y], a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile, et ordonné la confiscation des scellés.

4. Le ministère public et les parties civiles ont relevé appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur les premier et quatrième moyens et le deuxième moyen, pris en sa première branche

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, et le troisième moyen

Enoncé des moyens

6. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y] coupable d'atteintes sexuelles commises par violence, contrainte, menace ou surprise sur la personne de [B] [L], alors :

« 2°/ que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ; qu'en se bornant à relever, pour entrer en voie de condamnation à l'encontre du prévenu, que [B] [L] n'avait aucun motif de porter des accusations d'attouchement à l'encontre de son professeur, sans mieux s'expliquer sur le caractère volontaire du geste reproché au prévenu lorsqu'elle constatait que la plaignante avait elle-même indiqué aux gendarmes qu' « elle avait pensé « qu'il n'avait pas vraiment fait exprès » et que ce n'était que suite aux révélations de [T] [U] qu'elle avait pensé qu'il voulait « faire la même chose » », la cour d'appel a violé les articles 222-22, 222-29-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

7. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y] coupable d'atteintes sexuelles commises par violence, contrainte, menace ou surprise sur les personnes de [T] [U] et de [B] [L], alors « que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ; que le délit d'agression sexuelle suppose la commission d'une atteinte sexuelle avec violence, contrainte, menace ou surprise ; qu'en se bornant à constater, pour déclarer le prévenu coupable d'agression sexuelle, que les victimes étaient âgées de 12 et 13 ans au moment des faits et que lesdits faits ont été commis par leur professeur, sans mieux expliquer en quoi les agressions sexuelles auraient été commises avec violence, contrainte, menace ou surprise, la cour d'appel a violé les articles 222-22, 222-29-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 485 du code de procédure pénale :

9. Selon ce texte, tout jugement de condamnation doit constater, à la charge du prévenu, l'existence de chacun des éléments constitutifs de chacune des infractions dont il le déclare coupable.

10. Pour dire établis les délits d'agression sexuelle, l'arrêt attaqué rappelle que les déclarations des victimes, qui n'avaient aucune raison de porter de fausses accusations, sont précises et circonstanciées, qu'elles coïncident, pour l'une d'entre elles, avec des symptômes de traumatisme réactionnel objectivés par une expertise, et qu'elles s'inscrivent dans un contexte plus large d'autres révélations sur le comportement inapproprié du prévenu à l'endroit de plusieurs jeunes collégiennes.

11. Les juges en concluent qu'il résulte de la procédure et des débats la preuve suffisante que le prévenu a bien commis une agression sexuelle sur les deux victimes.

12. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

13. En premier lieu, les juges n'ont pas établi le caractère intentionnel de l'atteinte commise à l'égard de [B] [L].

14. En second lieu, ils n'ont pas caractérisé en quoi les atteintes sexuelles auraient été commises sur les deux victimes avec violence, contrainte, menace ou surprise.

15. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 26 avril 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Mallard - Avocat général : Mme Mathieu - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet -

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation pour les juges du fond de caractériser en quoi les actes reprochés ont été commis avec violence, menace, contrainte ou surprise : Crim., 17 mars 1999, pourvoi n° 98-83.799, Bull. crim. 1999, n° 49 (cassation) ; Crim., 10 mai 2001, pourvoi n° 00-87.659, Bull. crim. 2001, n° 116 (cassation).

Crim., 10 janvier 2023, n° 20-85.968, (B), FS

Cassation partielle

Requalification – Conditions – Identité de faits matériels – Portée – Cas – Menaces de mort et provocation directe à des actes de terrorisme

S'il appartient au juge répressif de restituer aux faits dont il est saisi leur véritable qualification, c'est à la condition de n'y rien ajouter ou de ne pas substituer des faits distincts à ceux de la prévention, sauf acceptation expresse par le prévenu d'être jugé sur des faits et circonstances non compris dans la poursuite.

Encourt la cassation l'arrêt qui requalifie des menaces de mort en provocation directe à des actes de terrorisme, alors que les faits retenus pour affirmer le caractère terroriste des actes à la commission desquels il était provoqué n'étaient pas compris dans la citation, laquelle ne visait par ailleurs aucun propos portant sur des actes en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.

M. [X] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 9 octobre 2020, qui, pour recel et provocation à un acte de terrorisme, en récidive, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement et a ordonné une mesure de confiscation.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement en date du 24 juin 2020, le tribunal correctionnel, saisi de poursuites contre M. [X] [B] des chefs de recel et menaces de mort réitérées, en récidive, a requalifié ces faits en provocation à des actes de terrorisme et, déclarant l'intéressé coupable des deux délits, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement.

3. Le prévenu, puis le procureur de la République, ont relevé appel de cette décision.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a requalifié les faits de menace de mort réitérée en récidive initialement poursuivis en délit de provocation directe à des actes de terrorisme avec la circonstance que les faits ont été commis avec utilisation d'un service de communication au public en ligne, en récidive, déclaré M. [B] coupable de ces faits et condamné ce dernier, alors :

« 1°/ que les juridictions correctionnelles ne peuvent ajouter aux faits de la prévention, lesquels doivent rester tels qu'ils ont été retenus dans l'acte de saisine, à moins que le prévenu ait accepté d'être jugé sur des faits nouveaux ; qu'en l'espèce, le prévenu a comparu devant la juridiction correctionnelle uniquement pour des faits de menaces de mort réitérées sur les personnes de [M] [N], [C] [K], [A] [Y] et [L] [W], en menaçant de leur jeter de l'acide au visage, de les brûler dans un coffre, de leur envoyer « une équipe », ou de les viser avec une kalashnikov, et ce en état de récidive légale ; que dès lors, en le condamnant du chef de provocation directe à des actes de terrorisme, avec la circonstance que les faits ont été commis avec utilisation d'un service de communication au public en ligne en récidive, en relevant que les incitations répétées à commettre des actes de violences graves non seulement sur les « influenceuses », mais également sur les membres de leur famille, et notamment sur leurs enfants, a bien pour objet de créer la terreur ou l'intimidation, non seulement vis-à-vis des influenceuses, mais au sein du public ou encore que la demande expresse faite en public de filmer les actes de violence ainsi préconisés, et de les diffuser sur internet, participe directement à l'objectif d'intimidation et de terreur au sein du public, bien que la prévention ne visait pas ces faits et que le prévenu n'avait pas accepté d'être jugé dessus, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les articles 421-2-5 du code pénal, 388, 591 à 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en toute hypothèse, s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée dans des conditions respectant l'exercice effectif et concret des droits de la défense ; que dès lors, en requalifiant les faits poursuivis sous la qualification de menace de mort réitérée en état de récidive légale en provocation directe à des actes de terrorisme avec la circonstance aggravante que les faits ont été commis avec utilisation d'un service de communication au public en ligne, en état de récidive sans avoir préalablement informé le prévenu de l'ajout de cette circonstance aggravante afin qu'il puisse organiser sa défense, la cour d'appel a violé les articles 421-2-5 du code pénal, 388, 591 à 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que le délit de provocation directe à des actes de terrorisme nécessite la caractérisation d'une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ; qu'en l'espèce, les menaces proférées à l'encontre de personnes dénommées, dans le cadre d'une émission internet en direct, en réponse à des agissements que celles-ci auraient eus à l'égard d'autres internautes et en réaction aux insultes dont le prévenu aurait été lui-même la cible, ne caractérisent pas une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 421-2-5 du code pénal. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 388 du code de procédure pénale :

5. Il se déduit de ce texte que, s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition de n'y rien ajouter ou de ne pas substituer des faits distincts à ceux de la prévention, sauf acceptation expresse par le prévenu d'être jugé sur des faits et circonstances non compris dans la poursuite.

6. M. [B] a été cité devant le tribunal correctionnel pour avoir, de manière réitérée, menacé de mort quatre personnes nommément désignées en menaçant notamment de leur jeter de l'acide au visage, de les brûler dans un coffre, de leur envoyer « une équipe », ou de les viser avec une kalashnikov.

7. Pour requalifier les faits de menace de mort ainsi poursuivis en provocation directe à des actes de terrorisme, aggravés par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne, l'arrêt attaqué énonce notamment que, par la nature des violences préconisées dans les propos que le prévenu reconnaît avoir tenus, par le nombre et la qualité des personnes visées, les faits énumérés dans la prévention constituent une incitation directe à commettre des actes causant un grave trouble à l'ordre public, par l'intimidation ou la terreur, pour faire taire des personnes avec lesquelles il y a désaccord, précisant que seule importe la volonté d'atteindre le maximum de personnes par le biais des réseaux sociaux et de provoquer des réactions des internautes.

8. Les juges ajoutent que la demande expresse faite en public, par M. [B], de filmer les actes de violence ainsi préconisés, et de les diffuser sur internet, participe directement à l'objectif d'intimidation et de terreur au sein du public.

9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé, pour les motifs qui suivent.

10. En premier lieu, les faits retenus par la cour d'appel pour affirmer le caractère terroriste des actes à la commission desquels il était provoqué n'étaient pas compris dans la citation, laquelle ne visait par ailleurs aucun propos portant sur des actes en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.

11. En second lieu, si le prévenu avait accepté la requalification de l'infraction de menace en délit de provocation à commettre un crime ou un délit, tel n'était pas le cas s'agissant de la provocation directe à commettre un acte de terrorisme.

12. La cassation est ainsi encourue.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation sera limitée à la condamnation du chef de provocation directe à commettre des actes de terrorisme et aux peines, la condamnation du chef de recel n'encourant pas la censure.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen en date du 9 octobre 2020, mais en ses seules dispositions relatives à la condamnation du chef de provocation directe à commettre des actes de terrorisme et aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Seys - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité de restituter aux faits leur exacte qualification et sur la nécessité que le prévenu ait expressément accepté d'être jugé sur les faits et délit non visés dans la prévention : Crim., 4 mai 1987, pourvoi n° 86-93.629, Bull. crim. 1987, n° 175 (rejet et cassation partielle par voie de retranchement sans renvoi).

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