Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Partie I - Arrêts et ordonnances

ACTION CIVILE

Crim., 31 janvier 2023, n° 22-82.917, (B), FRH

Cassation partielle

Caisse de sécurité sociale – Action subrogatoire dans le cadre d'une procédure pénale – Objet – Remboursement des prestations versées aux assurés – Exclusion – Demande en réparation du dommage personnel directement causé par l'infraction

Il se déduit des articles 2 et 418 du code de procédure pénale et L. 376-1, alinéa 9, du code de la sécurité sociale que, lorsqu'elles exercent l'action subrogatoire dans le cadre d'une procédure pénale, l'intervention des caisses de sécurité sociale est fondée uniquement sur l'action accordée à la victime de l'infraction par le code de procédure pénale. A cette occasion, elles ne formulent donc pas des demandes indemnitaires en réparation d'un dommage dont elles ont personnellement souffert et qui a été directement causé par l'infraction, mais cherchent à obtenir de leurs auteurs le remboursement des prestations qu'elles ont versées aux assurés. Elles ne peuvent dès lors se constituer partie civile, droit réservé aux victimes.

M. [B] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Besançon, chambre correctionnelle, en date du 24 mars 2022, qui, pour blessures involontaires aggravées et conduite sans assurance en récidive, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement, 500 euros d'amende et l'annulation de son permis de conduire, et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le tribunal correctionnel a condamné M. [B] [Y], notamment, pour blessures involontaires avec incapacité n'excédant pas trois mois par conducteur de véhicule terrestre à moteur avec au moins deux circonstances aggravantes et a prononcé sur les intérêts civils.

3. La caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme (CPAM) est intervenue à la procédure.

4. M. [Y] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le troisième moyen du mémoire ampliatif et le moyen relevé d'office et mis dans le débat

Enoncé des moyens

6. Le troisième moyen du mémoire ampliatif critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris sur l'action civile, alors « que seul peut être indemnisé le préjudice direct et personnel résultant des faits objet de la poursuite ; qu'en confirmant le jugement ayant déclaré recevable la constitution de partie civile de la CPAM du Puy-de-Dôme et ayant déclaré Monsieur [Y] responsable de son préjudice (arrêt, p. 10), sans expliquer en quoi le préjudice invoqué par la CPAM du Puy-de-Dôme était en lien avec le délit de blessures involontaires reproché au prévenu, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 1240 du code civil, 2, 3 et 593 du code de procédure pénale. »

7. Le moyen relevé d'office et mis dans le débat est pris de la violation des articles 2 et 418 du code de procédure pénale et L. 376-1 du code de la sécurité sociale et critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré recevable la constitution de partie civile de la CPAM, alors qu'un organisme social agissant en qualité d'assureur social subrogeant la victime d'une infraction peut intervenir à la procédure afin d'obtenir le remboursement des prestations qu'il a versées, mais ne peut se constituer partie civile.

Réponse de la Cour

8. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 2 et 418 du code de procédure pénale et L. 376-1, alinéa 9, du code de la sécurité sociale :

9. Selon le premier de ces textes, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.

10. Selon le deuxième, toute personne qui, conformément à l'article 2 précité, prétend avoir été lésée par un délit, peut, si elle ne l'a déjà fait, se constituer partie civile à l'audience et demander à l'appui de sa constitution des dommages-intérêts correspondant au préjudice qui lui a été causé.

11. Selon le troisième, d'une part, les caisses de sécurité sociale exercent des recours subrogatoires qui s'imputent poste par poste sur les seules indemnités réparant des préjudices qu'elles ont pris en charge, d'autre part, les assurés ou leurs ayants droit doivent appeler les caisses de sécurité sociale en déclaration de jugement commun ou réciproquement. Dans le cadre d'une procédure pénale, la déclaration en jugement commun ou l'intervention des caisses de sécurité sociale peut intervenir après les réquisitions du ministère public, dès lors que l'assuré s'est constitué partie civile et qu'il n'a pas été statué sur le fond de ses demandes.

12. Il s'en déduit que lorsqu'elles exercent l'action subrogatoire prévue par les dispositions ci-dessus rappelées dans le cadre d'une procédure pénale, l'intervention des caisses de sécurité sociale est fondée uniquement sur l'action accordée à la victime de l'infraction par le code de procédure pénale. A cette occasion, elles ne formulent donc pas des demandes indemnitaires en réparation d'un dommage dont elles ont personnellement souffert et qui a été directement causé par l'infraction, mais cherchent à obtenir des auteurs de celle-ci le remboursement des prestations qu'elles ont versées à leurs assurés. Elles ne peuvent dès lors se constituer partie civile, droit réservé aux victimes.

13. Pour confirmer le jugement qui a prononcé sur les intérêts civils, l'arrêt attaqué énonce par motifs expressément adoptés qu'il convient de déclarer recevable la constitution de partie civile de la CPAM et de condamner M. [Y] à lui verser, en cette qualité, les sommes de 50 113,56 euros, à titre d'indemnité provisionnelle au titre des prestations qu'elle a servies à la victime, 1 091 euros en application de l'article L. 376-1, alinéa 9, du code de la sécurité sociale et 600 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

14. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

15. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

16. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la constitution de partie civile de la CPAM et les déclarations et condamnations prononcées à ce titre.

Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Besançon, en date du 24 mars 2022, mais en ses seules dispositions ayant déclaré la constitution de partie civile de la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme recevable et M. [Y] responsable de son préjudice et l'ayant condamné à verser à la caisse en sa qualité de partie civile la somme de 50 113,56 euros à titre d'indemnité provisionnelle, la somme de 1 091 euros en application des dispositions de l'article L. 376-1, alinéa 9, du code de la sécurité sociale et la somme de 600 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Dijon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Besançon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Joly - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : SCP Spinosi -

Textes visés :

Articles 2 et 418 du code de procédure pénale ; article L. 376-1, alinéa 9, du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

Sur l'action des organismes payeurs qui suppose que la victime directe de l'infraction se soit préalablement constituée elle-même partie civile : Crim., 2 juillet 1964, pourvoi n° 63-90.649, Bull. crim. 1964, n° 224 (cassation partielle).

Crim., 24 janvier 2023, n° 21-85.828, (B), FP

Rejet

Partie civile – Constitution – Constitution à l'instruction – Recevabilité – Existence d'un préjudice certain, direct et personnel – Appréciation – Cas – Attentats terroristes

C'est à tort que, pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré la constitution de partie civile de la plaignante irrecevable, les juges ont retenu que celle-ci ne s'était pas trouvée sur la trajectoire de la camionnette conduite par l'un des auteurs des faits poursuivis.

Néanmoins, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte de ses énonciations que, si l'intéressée se trouvait à proximité, elle n'a pas été en situation de prendre la mesure des faits qui étaient en train de se dérouler, de sorte qu'elle ne s'est pas crue exposée à une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes. En conséquence, la possibilité de l'existence d'un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n'est pas caractérisée (Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, publié au Bulletin).

Mme [C] [X], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 22 septembre 2021, qui, dans l'information suivie contre MM. [M] [H] et [N] [K] des chefs de tentatives d'assassinats en relation avec une entreprise terroriste et association de malfaiteurs terroriste, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant irrecevable sa constitution de partie civile.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 17 août 2017, vers 17 heures, une fourgonnette a fait irruption sur [Adresse 3] à [Localité 1], avant de remonter [Adresse 2] jusqu'à [Adresse 4], artères touristiques de la ville, fonçant dans la foule, faisant quatorze morts et plus d'une centaine de blessés.

Le conducteur a pris la fuite avant d'être tué par des policiers quatre jours plus tard.

L'organisation dite « Etat islamique » a revendiqué cet attentat.

3. Une information judiciaire a été ouverte à Paris des chefs susvisés, des ressortissants français ayant été blessés.

4. Mme [C] [X] s'est constituée partie civile, faisant valoir un préjudice psychologique.

5. Le juge d'instruction a déclaré cette constitution de partie civile irrecevable.

6. Mme [X] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Mme [X], alors :

« 1°/ que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu' « il ressort des explications précises données par Mme [X] qu'après y être descendue, elle se trouvait devant la station de métro et que la camionnette est passée derrière sur sa droite » et que son traumatisme était « indéniable » ; qu'en retenant pourtant, pour déclarer sa constitution de partie civile irrecevable, que Mme [X] n'avait pas été « directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessure recherché par le conducteur de la camionnette » et que son traumatisme relevait de celui des témoins des conséquences de l'infraction et non d'une victime directe, la chambre de l'instruction qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 2, 3, 85 et 593 du code de procédure pénal ;

2°/ que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en se fondant, pour retenir que Mme [X] n'avait pas été directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessure recherché par le terroriste et déclarer sa constitution de partie civile irrecevable, sur le fait qu'elle ne s'était pas trouvée dans la trajectoire même de la camionnette, quand cette seule circonstance n'était pas de nature à exclure toute intention homicide à son encontre de la part du terroriste dans un attentat visant à tuer le plus de personnes possibles présentes sur [Adresse 2], la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 2, 3 et 85 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'une constitution de partie civile est recevable dès lors que le préjudice invoqué découle des faits objets des poursuites ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le traumatisme de Mme [X] était « indéniable » ; qu'en subordonnant la recevabilité de sa constitution de partie civile à la preuve qu'elle avait été directement et immédiatement exposée à l'intention homicide du terroriste, quand il suffisait que Mme [X] puisse se prévaloir d'un préjudice qui découlait des faits poursuivis, la chambre de l'instruction a violé les articles 2, 3 et 85 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré la constitution de partie civile de Mme [X] irrecevable, l'arrêt attaqué reprend les premières déclarations de celle-ci selon lesquelles elle se trouvait, à l'heure des faits, sur [Adresse 2], a vu arriver de sa droite une camionnette à vive allure, a pensé qu'en raison de sa vitesse elle pouvait blesser quelqu'un, a entendu « une vague de bruit » l'ayant pétrifiée, puis a été entraînée par un tiers dans un restaurant d'où elle a pu voir des personnes allongées sur le sol, qu'elle a pensé endormies, des ambulances et des policiers.

9. Les juges, se fondant sur les déclarations ultérieures de l'intéressée, énoncent qu'il ressort de ces explications que la camionnette est passée derrière l'intéressée sans qu'elle se soit trouvée sur sa trajectoire, même si elle a pu voir des gens au sol, ressentir le mouvement et le bruit de la foule avant d'être entraînée par un tiers vers un restaurant.

10. Ils en concluent que le traumatisme indéniable de la plaignante correspond à celui vécu par les témoins des conséquences de l'infraction, et non au préjudice d'une victime directe au sens de l'article 2 du code de procédure pénale.

11. C'est à tort que, pour estimer que le préjudice allégué n'était pas en relation directe avec les infractions commises, les juges ont relevé que l'intéressée ne s'était pas trouvée sur la trajectoire de la camionnette.

12. Néanmoins, l'arrêt n'encourt pas la censure.

13. En effet, il résulte de ses énonciations que, si Mme [X] se trouvait à proximité, elle n'a pas été en situation de prendre la mesure des faits qui étaient en train de se dérouler, de sorte qu'elle ne s'est pas crue exposée à une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes.

En conséquence, la possibilité de l'existence d'un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n'est pas caractérisée (Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, publié au Bulletin).

14. Dès lors, le moyen doit être écarté.

15. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Dary - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles 2, 3 et 87 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, Bull. crim. (cassation sans renvoi).

Crim., 24 janvier 2023, n° 21-82.778, (B), FP

Rejet

Partie civile – Constitution – Constitution à l'instruction – Recevabilité – Existence d'un préjudice certain, direct et personnel – Appréciation – Cas – Attentats terroristes

C'est à tort que, pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré les constitutions de partie civile des plaignantes irrecevables, les juges ont retenu que celles-ci ne s'étaient pas trouvées sur la trajectoire de la camionnette conduite par l'un des auteurs des faits poursuivis. Néanmoins, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte de ses énonciations qu'elles ont suivi un mouvement de foule dont à l'origine elles ignoraient la cause, de sorte qu'elles n'ont pu se croire exposées à une action criminelle ayant pour but de tuer indistinctement un grand nombre de personnes. En conséquence, la possibilité de l'existence d'un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n'est pas caractérisée (Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, publié au Bulletin).

Mmes [V] et [I] [H], et M. [R] [H], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 14 avril 2021, qui, dans l'information suivie contre MM. [B] [C] et [G] [K] des chefs de tentatives d'assassinats en relation avec une entreprise terrroriste et association de malfaiteurs terroriste, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant irrecevables leurs constitutions de partie civile.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 17 août 2017, vers 17 heures, une fourgonnette a fait irruption sur la [Adresse 3] à [Localité 1], avant de remonter [Adresse 2] jusqu'à la [Adresse 4], artères touristiques de la ville, fonçant dans la foule, faisant quatorze morts et plus d'une centaine de blessés.

Le conducteur a pris la fuite avant d'être tué par des policiers quatre jours plus tard.

L'organisation dite « Etat islamique » a revendiqué cet attentat.

3. Une information judiciaire a été ouverte à Paris des chefs susvisés, des ressortissants français ayant été blessés.

4. Mme [V] [H], sa fille, Mme [I] [H], et son fils, M. [R] [H], se sont constitués partie civile. Ils ont exposé que, présents lors de l'attentat, ils avaient subi un préjudice en relation avec celui-ci. Mmes [V] et [I] [H], impressionnées par une foule de personnes paniquées, se sont mises à courir. Mme [V] [H] s'est blessée en tombant dans sa course. Ses enfants ont indiqué souffrir de troubles psychologiques.

5. Le juge d'instruction a déclaré ces constitutions de partie civile irrecevables.

6. Mmes [V] [H], [I] [H] et M. [R] [H] ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de Mmes [V] et [I] [H] et de M. [R] [H], alors « que pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant les juridictions d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle se fonde permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ; qu'il en est notamment ainsi lorsque les dommages invoqués par le plaignant se rattachent par un lien d'indivisibilité aux faits visés à la prévention ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevables les constitutions de parties civiles des consorts [H], la chambre de l'instruction a relevé qu'au vu de leur localisation précise et de leurs mouvements par rapport à la trajectoire de la camionnette, ils ne s'étaient pas trouvés directement et immédiatement exposés au risque de mort ou de blessure recherché par le terroriste ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (v. mémoire des consorts [H]), si le mouvement de panique ayant notamment provoqué la chute de Mme [V] [H] ainsi que les blessures qu'elle a subies n'étaient pas indissociablement liés au passage du véhicule conduit par le terroriste, dont rien ne permettait en outre d'exclure un autre passage meurtrier, cette fois dans la direction des consorts [H], de sorte qu'en cet état la possibilité d'un préjudice en lien de causalité direct avec l'infraction de tentative d'assassinat ne pouvait être exclue, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 2, 3, 85, 87 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen en ce qu'il concerne M. [R] [H]

8. Pour déclarer la constitution de partie civile de M. [R] [H] irrecevable, l'arrêt attaqué énonce que lors des faits, il ne se trouvait pas avec sa mère et sa soeur, que le lieu exact où il était n'est pas connu, la seule circonstance qu'il se soit trouvé bloqué à l'extérieur d'un périmètre circonscrit par les forces de l'ordre ne démontrant pas qu'il était sur le lieu même des faits ou dans sa proximité immédiate, de sorte que c'est par une juste analyse que le magistrat instructeur a considéré qu'il ne s'est pas trouvé directement exposé au risque de mort ou de blessure recherché par le terroriste.

9. En l'état des seuls motifs dont il résulte que M. [H] ne se trouvait pas à proximité du lieu de commission des faits, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

10. Il s'ensuit que le moyen, en ce qu'il concerne M. [H], n'est pas fondé.

Sur le moyen en ce qu'il concerne Mmes [V] et [I] [H]

11. Pour déclarer les constitutions de partie civile de Mmes [V] et [I] [H] irrecevables, après avoir rappelé les déclarations de Mme [V] [H] selon lesquelles elle a été entraînée avec sa fille dans le mouvement de la foule paniquée, s'est blessée en tombant dans sa course, avant de voir le corps d'une femme étendu sur la route et de penser à un acte criminel, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort de ces déclarations qu'elles n'ont pas vu la scène ni la camionnette.

12. Les juges ajoutent que c'est par une juste analyse de la localisation précise des parties civiles et de leurs mouvements par rapport à la trajectoire de la camionnette que le magistrat instructeur a considéré qu'elles ne s'étaient pas trouvées directement et immédiatement exposées au risque de mort ou de blessures.

13. Ils en concluent que le traumatisme indéniable des plaignantes correspond à celui vécu par les témoins des conséquences de l'infraction, et non au préjudice d'une victime directe au sens de l'article 2 du code de procédure pénale.

14. C'est à tort que, pour estimer que le préjudice allégué n'était pas en relation directe avec les infractions commises, les juges ont relevé que les intéressées ne s'étaient pas trouvées sur la trajectoire de la camionnette.

15. Néanmoins l'arrêt n'encourt pas la censure.

16. En effet, il résulte de ses énonciations que, si Mmes [V] et [I] [H] se trouvaient à proximité du lieu des faits, elles ont suivi un mouvement de foule dont à l'origine elles ignoraient la cause, de sorte qu'elles n'ont pu se croire exposées à une action criminelle ayant pour but de tuer indistinctement un grand nombre de personnes.

En conséquence, la possibilité de l'existence d'un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n'est pas caractérisée (Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, publié au Bulletin).

17. Il s'ensuit que le moyen ne peut être accueilli.

18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour,

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Guerrini - Avocat général : Mme Bellone - Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand -

Textes visés :

Articles 2, 3 et 87 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, Bull. crim. (cassation sans renvoi).

Crim., 4 janvier 2023, n° 22-80.696, (B), FRH

Cas. part. par voie de retranch. sans renvoi

Recevabilité – Accident du travail – Constitution de partie civile – Loi forfaitaire – Caractère exclusif – Portée

Selon l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne peut, en dehors des cas prévus par ce texte, être exercée conformément au droit commun, par la victime contre l'employeur et ses préposés.

Encourt dès lors la censure l'arrêt qui, après avoir dit les faits établis et jugé à bon droit les constitutions de partie civile recevables, déclare néanmoins l'employeur et son préposé responsables des préjudices subis par les ayants droit de la victime d'un accident mortel du travail.

M. [S] [J] et la société [2] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Riom, chambre correctionnelle, en date du 26 janvier 2022, qui, pour homicide involontaire, a condamné le premier à six mois d'emprisonnement avec sursis et la seconde à 80 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Après le décès d'[I] [T], salarié de la société [1], devenue la société [2] (la société), alors qu'il intervenait sur une ligne à haute tension, M. [S] [J] et la société ont été déclarés coupables du chef susvisé par le tribunal correctionnel.

3. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen présenté pour M. [J] et sur le moyen présenté pour la société [2]

4. Il ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le second moyen présenté pour M. [J] et sur le moyen relevé d'office et mis dans le débat

Enoncé des moyens

5. Le moyen présenté pour M. [J] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré, par arrêt confirmatif, M. [J] et la société [2] solidairement responsables du préjudice subi par Mme [W] et Mme [E] [T], alors « que selon l'article L. 451-1 du Code de la sécurité sociale, aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne peut, en dehors des cas prévus par ce texte, être exercée conformément au droit commun, par la victime contre l'employeur ou ses préposés ; qu'en retenant la responsabilité solidaire de M. [J], préposé de la société [2], pour le préjudice des ayants-droits de la victime, qu'elle condamnait pour homicide par imprudence, la cour d'appel a méconnu l'article L. 451-1 du code de procédure pénale. »

6. Le moyen relevé d'office et mis dans le débat est pris de la violation de l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale et critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré M. [J] et la société solidairement responsables du préjudice subi par [O] [T].

Réponse de la Cour

7. Les moyens sont réunis.

Vu l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale :

8. Selon ce texte, aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne peut, en dehors des cas qu'il prévoit, être exercée conformément au droit commun, par la victime contre l'employeur et ses préposés.

9. Pour confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la société et M. [J] solidairement responsables du préjudice subi par les parties civiles, l'arrêt attaqué énonce que, par application des dispositions des articles L. 411-1 et L. 451-1 du code de la sécurité sociale, l'action en réparation des ayants droit que sont Mme [M] [W], conjointe du défunt, et [E] et [O], ses enfants, ne peut pas être exercée sur le fondement du droit commun et relève du pôle social.

10. En l'état de ces énonciations, alors que la juridiction répressive, qui n'a pas compétence pour se prononcer sur la responsabilité civile de l'employeur de la victime et de son préposé, ne peut que déclarer recevable la constitution de partie civile des ayants droit de la victime, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par la société [2] :

REJETTE le pourvoi ;

Sur le pourvoi formé par M. [J] :

CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Riom, en date du 26 janvier 2022, en ses seules dispositions ayant déclaré la société [2] et M. [J] solidairement responsables du préjudice subi par Mme [W] en son nom personnel et en sa qualité de responsable légale de son fils mineur et par Mme [E] [T], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que la société [2] devra payer à M. [J] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Riom, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Joly - Avocat général : M. Croizier - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 451-1 du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

Crim., 25 avril 2017, pourvoi n° 15-85.890, Bull. crim. 2017, n° 118 (cassation par voie de retranchement sans renvoi), et les arrêts cités.

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