Numéro 1 - Janvier 2021

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

RESTITUTION

Crim., 6 janvier 2021, n° 20-80.128, (P)

Cassation

Juridiction non saisie au terme de l'enquête ou juridiction saisie ayant épuisé sa compétence – Requête en restitution – Saisine de la chambre de l'instruction – Pouvoirs – Contestation relative à la propriété des objets saisis – Contrôle – Nécessité de trancher la contestation de la propriété (oui) – Conditions

Il résulte des deux premiers alinéas de l'article 41-4 du code de procédure pénale qu'il appartient en principe au président de la chambre de l'instruction ou à la chambre de l'instruction à qui est déférée la décision de non-restitution rendue par le procureur de la République ou le procureur général sur la requête présentée par la personne entre les mains de laquelle le bien a été saisi, non pas de rechercher si le demandeur justifie d'un droit lui permettant de détenir légitimement celui-ci, mais seulement de rechercher si la propriété est contestée ou susceptible de l'être.

Néanmoins, lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie au terme de l'enquête ou lorsque la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, le président de la chambre de l'instruction ou la chambre de l'instruction est tenu de trancher la contestation relative à la propriété des objets réclamés si la décision sur la restitution en dépend.

Encourt la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, pour refuser la restitution de montres, d'un ordinateur et d'un téléphone portable, d'une part, retient qu'il n'est pas établi que le requérant est propriétaire des montres saisies à son domicile, sans constater que leur propriété est susceptible d'être contestée, d'autre part, s'abstient de se prononcer sur la propriété de l'ordinateur et du téléphone portable dont elle a retenu le caractère contestable.

CASSATION sur le pourvoi formé par M. V... J... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 28 novembre 2019, qui a prononcé sur sa requête en restitution d'objet saisi.

Un mémoire a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement en date du 18 janvier 2018, le tribunal correctionnel a condamné M. J... pour traite d'être humain à l'égard d'une personne à son arrivée sur le territoire de la République, exécution d'un travail dissimulé, emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié et aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers en France, sans statuer sur la restitution des objets placés sous main de justice.

3. Le 7 juin 2018, le condamné a déposé auprès du procureur de la République une demande de restitution d'un téléphone de type Iphone, d'un ordinateur portable de type Macbook Air, de trois montres de marque Rolex et d'une montre de marque Chaumet.

4. Le 16 juillet 2018, le ministère public a rendu, sur le fondement de l'article 41-4 du code de procédure pénale, une décision de non-restitution et de remise au service des Domaines.

5. Par déclaration au greffe en date du 17 août 2018, le conseil du requérant a déféré cette décision à la chambre de l'instruction.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le recours formé par M. J... à l'encontre de la décision de non-restitution et de remise au service des Domaines prise par le procureur de la République du tribunal de grande instance de Nanterre le 16 juillet 2018, alors :

« 1°/ que la restitution des objets placés sous main de justice, dont la propriété n'est pas sérieusement contestée, doit être ordonnée lorsqu'elle n'est pas de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens et qu'aucune disposition particulière ne prévoit la destruction desdits objets ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande de restitution de M. J..., à retenir qu'il n'aurait pas établi avec certitude que ces objets étaient sa propriété et non celle de son épouse, sans constater que les objets saisis auraient été revendiqués par un tiers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 41-4 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'à supposer que se pose une contestation sérieuse relative à la propriété des objets réclamés, il appartient alors à la juridiction saisie de la trancher lorsque la décision sur la restitution en dépend ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande de restitution de M. J..., à retenir qu'il n'aurait pas établi avec certitude que ces objets étaient sa propriété et non celle de son épouse, sans rechercher lequel des deux époux était propriétaire des objets saisis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 41-4 du code de procédure pénale ;

3°/ que le fait que le bien saisi soit le produit indirect de l'infraction peut faire obstacle à sa restitution ; qu'un bien ne peut toutefois constituer le produit, même indirect, d'une infraction s'il a été acquis à une période antérieure à celle retenue dans la prévention ; qu'en retenant, par motifs adoptés de la décision du procureur de la République, à supposer que cela se puisse concevoir, que la commission des faits aurait permis à M. J... de mener un train de vie supérieur à celui qui aurait été le sien s'il ne les avait pas commis, pour retenir que les biens revendiqués auraient été le produit indirect de l'infraction, sans établir que les ordinateur, téléphone et montres revendiqués auraient été acquis pendant la période retenue dans la prévention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 41-4 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 41-4 du code de procédure pénale :

7. Il résulte des deux premiers alinéas de ce texte qu'il appartient en principe au président de la chambre de l'instruction ou à la chambre de l'instruction à qui est déférée la décision de non-restitution rendue par le procureur de la République ou le procureur général sur la requête présentée par la personne entre les mains de laquelle le bien a été saisi, non pas de rechercher si le demandeur justifie d'un droit lui permettant de détenir légitimement celui-ci, mais seulement de rechercher si la propriété est contestée ou susceptible de l'être.

8. Néanmoins, lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie au terme de l'enquête ou lorsque la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, le président de la chambre de l'instruction ou la chambre de l'instruction est tenu de trancher la contestation relative à la propriété des objets réclamés si la décision sur la restitution en dépend.

9. Pour confirmer le refus de restitution du procureur de la République, l'arrêt retient qu'il n'est pas démontré que M. J... est le propriétaire de l'ordinateur de marque Macbook Air et de son chargeur saisis dans la chambre parentale, et placé sous scellé 6 B01 et dont son épouse connaissait le mot de passe, et ce d'autant qu'à la date de la perquisition, il se trouvait à l'étranger.

10. Les juges ajoutent qu'il en est de même de l'Iphone remis spontanément par Mme J..., dont elle connaissait le code pin, placé sous scellé 7 B01, alors que son mari, lors de son interpellation, a été trouvé en possession de deux téléphones de marque Apple, un Iphone 6 et un Iphone 7 qui lui ont été restitués à l'issue de sa garde à vue, de même que sa montre Rolex de type Deepsea, de sorte que ces appareils sont susceptibles d'appartenir à Mme J....

11. Ils énoncent enfin qu'il n'est pas démontré que les trois montres de marque Rolex et la montre de marque Chaumet appartiennent à M. J... et non à son épouse.

12. En prononçant ainsi, d'une part sans constater que la propriété des montres était susceptible d'être contestée, d'autre part en s'abstenant de se prononcer sur la propriété de l'ordinateur et du téléphone portable dont elle a retenu le caractère contestable, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.

13. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 28 novembre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin -

Textes visés :

Article 41-4 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

S'agissant de la nécessité pour la juridiction saisie, sur le fondement de l'article 710 du code de procédure pénale, de la difficulté d'exécution résultant du refus de restitution d'objets, de trancher la contestation relative à la propriété des objets réclamés lorsque la décison sur la restitution en dépend, à rapprocher : Crim., 5 février 2002, pourvoi n° 01-82.110, Bull. crim. 2002, n° 21 (cassation). S'agissant des pouvoirs de la juridiction d'instruction appelée à statuer sur une requête en restitution au regard de l'article 99 du code de procédure pénale, à rapprocher : Crim., 17 mars 2015, pourvoi n° 13-87.873, Bull. crim. 2015, n° 59. S'agissant des conditions de refus d'une demande en restitution formulée par un prévenu non relaxé, à rapprocher : Crim., 20 avril 2017, pourvoi n° 16-81.679, Bull. crim. 2017, n° 116 (cassation), et les arrêts cités.

Crim., 20 janvier 2021, n° 20-81.118, (P)

Rejet

Juridiction non saisie au terme de l'enquête ou juridiction saisie ayant épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution – Requête en restitution – Décision de non restitution du ministère public – Saisine de la chambre de l'instruction – Pouvoirs – Restitution de biens placés sous main de justice – Restitution de l'instrument de l'infraction – Critères – Application

Lorsque la requête aux fins de restitution est présentée, sur le fondement de l'article 41-4 du code de procédure pénale, après que la juridiction de jugement saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, la non-restitution de l'instrument de l'infraction ne saurait présenter un caractère obligatoire.

Il appartient ainsi à la chambre de l'instruction à laquelle est déférée la décision de non-restitution de l'instrument de l'infraction rendue par le ministère public après que la juridiction de jugement a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, d'apprécier, sans porter atteinte aux droits du propriétaire de bonne foi, s'il y a lieu ou non de restituer le bien au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle.

Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui, pour ordonner la restitution de biens placés sous main de justice se fonde sur la gravité concrète des faits, en prenant en considération la durée des infractions, le nombre limité des faits reprochés et le faible bénéfice qui en est résulté pour le requérant, sur le caractère peu important du préjudice subi par les parties civiles que le requérant déclare avoir indemnisées, ainsi que sur la nature des objets saisis, susceptibles de contenir des données personnelles et familiales, dont la privation pourrait affecter le requérant et ses proches.

REJET sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel d'Amiens contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 31 janvier 2020, qui, dans la procédure suivie contre M. U... G... des chefs d'exécution d'un travail dissimulé et vente ou mise en vente de marchandise présentée sous une marque contrefaisante sur un réseau de communication public en ligne, a prononcé sur sa requête en restitution d'objet saisi.

Un mémoire a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. U... G... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour exécution d'un travail dissimulé et vente ou mise en vente de marchandise présentée sous une marque contrefaisante sur un réseau de communication public en ligne. Divers matériels informatiques et téléphoniques ont été saisis pendant l'enquête.

3. Par décision devenue définitive, le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable des faits poursuivis et l'a condamné à une mesure de sanction réparation au profit des parties civiles.

4. Saisi par M. G... d'une requête en restitution d'un téléphone portable et de deux ordinateurs, le procureur de la République a rejeté la demande au motif que ces biens avaient servi à commettre les infractions.

5. M. G... a déféré la décision à la chambre de l'instruction.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation des articles 41-4 et 591 du code de procédure pénale.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la restitution des objets revendiqués alors que l'alinéa 2 de l'article 41-4 du code de procédure pénale fait obstacle à la restitution d'objets qui ont été l'instrument de l'infraction et dont la propriété n'est pas sérieusement contestée.

Réponse de la Cour

8. Aux termes de l'article 41-4 du code de procédure pénale, au cours de l'enquête ou lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie ou que la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, le procureur de la République ou le procureur général est compétent pour décider, d'office ou sur requête, de la restitution de ces objets lorsque la propriété n'en est pas sérieusement contestée.

9. Le texte ajoute qu'il n'y a pas lieu à restitution lorsque celle-ci est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens, lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction ou lorsqu'une disposition particulière prévoit la destruction des objets placés sous main de justice.

10. Enfin, il prévoit que la décision de non-restitution prise pour l'un de ces motifs ou pour tout autre motif, même d'office, par le procureur de la République ou le procureur général peut être déférée par l'intéressé au président de la chambre de l'instruction ou à la chambre de l'instruction.

11. En revanche, l'article 131-21, alinéa 2, du code pénal ne prévoit pas que la peine complémentaire de confiscation de l'instrument de l'infraction présente un caractère obligatoire.

12. De même, en application de l'article 481, alinéa 3, du code de procédure pénale, le refus de restitution d'un bien saisi constituant l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction est une simple faculté pour la juridiction saisie (Crim., 27 juin 2018, pourvoi n° 17-87.424, Bull. crim. 2018, n° 129.

13. Il s'en déduit le principe suivant. Lorsque la requête aux fins de restitution est présentée après que la juridiction de jugement saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, la non-restitution de l'instrument de l'infraction ne saurait présenter un caractère obligatoire.

14. Cette interprétation n'est pas contraire à l'article 4, § 2, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, dont les dispositions du deuxième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure pénale constituent la transposition, dès lors que le premier de ces textes n'interdit pas la restitution de l'instrument de l'infraction.

15. Aussi, il appartient à la chambre de l'instruction à laquelle est déférée la décision de non-restitution de l'instrument de l'infraction rendue par le ministère public après que la juridiction de jugement saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, d'apprécier, sans porter atteinte aux droits du propriétaire de bonne foi, s'il y a lieu ou non de restituer le bien au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle.

16. En l'espèce, pour ordonner la restitution des biens placés sous main de justice, l'arrêt énonce que, s'agissant de la gravité concrète des faits, il y a lieu de prendre en considération la durée des infractions, qui n'a pas excédé cinq mois, le nombre limité des ventes évalué entre trente et cinquante, et le bénéfice qui en est résulté pour le requérant, estimé à 700 euros.

17. Les juges ajoutent que le préjudice qui en est résulté pour les quatre parties civiles constituées devant le tribunal a été retenu pour un montant total de 800 euros et qu'une mesure de sanction réparation a été prononcée portant sur le versement des sommes allouées aux parties civiles, sommes que le requérant déclare avoir payées.

18. Les juges relèvent encore que les objets saisis sont susceptibles de contenir des données personnelles et familiales dont la privation pourrait affecter M. G... et ses proches, en particulier son fils.

19. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

20. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

21. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : M. Croizier -

Textes visés :

Article 41-4 du code de procédure pénale.

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