Numéro 1 - Janvier 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 1 - Janvier 2020

PROTECTION DES CONSOMMATEURS

Crim., 28 janvier 2020, n° 19-80.496, (P)

Rejet

Pratiques commerciales trompeuses – Domaine d'application – Jeux de hasard – Caractérisation – Elément matériel – Applications diverses

Le seul fait d'affirmer d'un produit ou d'un service qu'il augmente les chances de gagner aux jeux de hasard suffit à caractériser l'élément matériel constitutif de l'infraction prévue par le 15° de l'article L. 121-1-1 devenu L. 121-4 du code de la consommation qui énumère les pratiques commerciales réputées trompeuses.

Pratiques commerciales trompeuses – Domaine d'application – Jeux de hasard – Caractérisation – Conditions – Altération du comportement économique – Défaut – Portée

En vertu de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales, à la lumière de laquelle les textes français doivent être interprétés, les pratiques commerciales qui, comme celle relative aux jeux de hasard, figurent dans l'annexe I de ladite directive sont considérées comme déloyales en toutes circonstances, sans qu'il soit nécessaire pour le juge répressif de caractériser une altération du comportement économique d'un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

REJET des pourvois formés par M. C... V... et Mme F... P... épouse V... contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 29 novembre 2018, qui, pour pratique commerciale trompeuse, a condamné le premier à 2 000 euros d'amende, la seconde à 1 500 euros d'amende, tous deux à cinq ans d' interdiction professionnelle et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

La chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 8 mars 2014, M. H... s'est plaint auprès de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de ce qu'il avait acquis des grilles de jeux de hasard sur un site en ligne dénommé Pronofaste sans avoir jamais gagné.

3. Selon l'enquête de ce service administratif suivie d'une enquête de gendarmerie, le site dénommé www.pronofaste.com proposait d'acheter des grilles des jeux Loto et Euromillions censées procurer, en raison du recours à une méthode de calcul scientifique, une plus grande chance de gains que celles acquises en dehors du site, ce qui était authentifié par un huissier nommément désigné.

Le site, les achats de grilles et la distribution des gains étaient assurés par une société gérée par Mme V... à qui son mari, souvent cité dans le site sous un pseudonyme, fournissait les grilles vendues.

4. Les époux V... ont été poursuivis, pour pratique commerciale trompeuse consistant dans l'affirmation qu'un produit ou un service augmentait les chances de gagner aux jeux de hasard, devant le tribunal correctionnel qui les en a déclarés coupables.

5. Les prévenus ont relevé appel de cette décision, ainsi que le ministère public.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-1-1, L. 121-3, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6, L. 213-1, L. 132-2, L. 132-3, L. 132-4 et L. 132-8 du code de la consommation, 111-4 du code pénal, 2, 3, 427, 485, 512, 591 et 593 du même code, 6 de la convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs, manque de base légale.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué « en ce qu'il a déclaré M. C... V... et Mme F... P..., épouse V..., coupables de pratique commerciale trompeuse ;

1°) alors que si, aux termes de l'article L 121-4 du code de la consommation, sont réputées trompeuses, au sens des articles L 121-2 et L 121-3 du même code, les pratiques commerciales qui ont pour objet d'affirmer d'un produit ou d'un service qu'il augmente les chances de gagner aux jeux de hasard, il résulte notamment du principe dit de la présomption d'innocence qu'une telle présomption ne saurait pas irréfragable, le prévenu demeurant recevable à justifier des allégations, indications ou présentations publicitaires qui lui sont reprochées ; qu'en l'espèce, les documents que les exposants ont régulièrement produits au débat étaient de nature à démontrer que le service proposé aux clients était effectivement de nature à augmenter de manière substantielle les chances de succès aux jeux de hasard ; que, dès lors, en relevant que l'article L. 121-4 du code de la consommation répute trompeuses les pratiques commerciales ayant pour objet d'affirmer d'un produit ou d'un service qu'il augmente les chances de gagner aux jeux de hasard, et qu'ainsi l'infraction est, en l'espèce, caractérisée, quelle que soit la réalité de l'efficacité des calculs présidant à la mise en ligne des grilles litigieuses et l'accroissement des chances de gagner en ayant recours aux services de ce site et, partant, que les documents produits au débat par les prévenus n'étaient d'aucune utilité en l'état de la présomption susvisée, sans examiner la pertinence et la portée exacte de ces documents, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;

2°) alors qu'une pratique commerciale n'est trompeuse que si elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ; que si, aux termes de l'article L. 121-4 du code de la consommation, sont réputées trompeuses, au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3 du même code, les pratiques commerciales qui ont pour objet d'affirmer d'un produit ou d'un service qu'il augmente les chances de gagner aux jeux de hasard, cette présomption n'est pas irréfragable, le prévenu demeurant recevable à démontrer que la pratique litigieuse n'est pas trompeuse, notamment en ce qu'elle n'est pas de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ; qu'en l'espèce, il résulte des termes de la prévention que les mentions du site internet exploité par les exposants ne promettaient nullement aux consommateurs ayant choisi les grilles de jeu sélectionnées par ce site d'obtenir un gain quelconque à chaque tirage, mais se bornaient à leur garantir, grâce à une méthode scientifique dont les résultats étaient démontrés par les constats d'huissier produits au débat, de participer aux tirages en achetant des grilles dont les chances d'obtenir un gain étaient sensiblement supérieures, par l'éviction d'un grand nombre de combinaisons, plus fortes que celles issues du simple calcul des probabilités prenant en considération l'ensemble des combinaisons possibles, dès lors notamment que les grilles gagnantes des jeux « Loto » et « Euromillions » se retrouvaient souvent parmi celles qui avaient été isolées par le site comme favorables ; que, dès lors, en se bornant à énoncer que l'article L. 121-4 du code de la consommation répute trompeuses les pratiques commerciales ayant pour objet d'affirmer d'un produit ou d'un service qu'il augmente les chances de gagner aux jeux de hasard, pour en déduire qu'en l'espèce, quelle que soit la réalité de l'efficacité des calculs présidant à la mise en ligne des grilles litigieuses et l'accroissement des chances de gagner en ayant recours aux services de ce site, l'infraction était caractérisée, sans rechercher si les mentions figurant sur le site étaient nécessairement de nature à altérer le comportement économique d'un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé et, notamment, sans rechercher si, en l'état de ces mentions, un tel consommateur était susceptible de croire à tort que toutes les grilles achetées via le site étaient gagnantes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ».

Réponse de la Cour

8. Pour confirmer le jugement ayant déclaré les prévenus coupables, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les caractéristiques du site et les mentions selon lesquelles il y était affirmé l'augmentation des chances de gagner aux jeux de hasard que sont le Loto et Euromillions, énonce que les prévenus tentent de prouver que leur méthode est efficace et repose sur des bases scientifiques, mais qu'une telle efficacité n'est pas démontrée.

9. Les juges ajoutent que les documents déposés par les prévenus, établissant l'existence de constats d'huissier comparant le nombre de grilles ayant proposé, sur le site, les numéros gagnants et le nombre de gagnants officiels, ainsi que l'existence de gains passés de M. V... et la preuve que le plaignant avait, contrairement à ses déclarations, plusieurs fois gagné en ayant recours au site ne sont d'aucune utilité, dès lors qu'en vertu de l'article L. 121-1-1 devenu L. 121-4 du code de la consommation, l'infraction est constituée à partir du moment où il est affirmé que le site Pronofaste augmente les chances de gagner par rapport à un joueur n'ayant pas recours à ce site, quelle que soit la réalité tant de l'efficacité des calculs présidant à la mise en ligne des grilles que de l'accroissement des chances de gagner.

10. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui n'a pas présumé la culpabilité des prévenus, a justifié sa décision.

11. En premier lieu, le seul fait d'affirmer d'un produit ou d'un service qu'il augmente les chances de gagner aux jeux de hasard suffit à caractériser l'élément matériel constitutif de l'infraction prévue par le 15° de l'article L. 121-1-1 devenu L. 121-4 du code de la consommation.

12. En second lieu, en vertu de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales, à la lumière de laquelle les textes français doivent être interprétés, les pratiques commerciales qui, comme celle relative aux jeux de hasard, figurent dans l'annexe I de ladite directive sont considérées comme déloyales en toutes circonstances, sans qu'il soit nécessaire pour le juge répressif de caractériser une altération du comportement économique d'un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

13. Ainsi, le moyen doit être écarté.

14. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Samuel - Avocat général : Mme Le Dimna - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 121-1-1 devenu L. 121-4 du code de la consommation.

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