Numéro 1 - Janvier 2020

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 1 - Janvier 2020

Partie I - Arrêts et ordonnances

ACTION CIVILE

Crim., 14 janvier 2020, n° 19-82.145, (P)

Rejet

Préjudice – Préjudice moral – Fonctionnaire de police – Indemnité de sujétions spéciales – Cumul – Portée

Justifie sa décision la cour d'appel qui, pour octroyer à une personne dépositaire de l'autorité publique une indemnisation en réparation du préjudice moral subi par le fait d'un outrage commis à son encontre, alors même qu'elle perçoit un complément de traitement dénommé indemnités de sujétions spéciales, retient que celui-ci compense de manière forfaitaire les risques que tout fonctionnaire de police encourt dans l'exercice de ses fonctions, soit la particulière pénibilité des conditions de travail, et non pas les conséquences réelles de ces risques lorsqu'ils se réalisent par la faute d'un tiers.

REJET du pourvoi formé par M. E... I... contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, chambre correctionnelle, en date du 8 février 2019, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de dégradation du bien d'autrui, violences aggravées, menace de mort réitérée et outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique, a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. I... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs de dégradation du bien d'autrui, violences aggravées, menace de mort réitérée et outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique, visant notamment M. G... A..., fonctionnaire de police, qui s'est constitué partie civile.

3. Les juges du premier degré ont condamné M. I... à six mois d'emprisonnement pour l'ensemble des faits qui lui étaient reprochés et ont prononcé sur les intérêts civils.

Les parties civiles ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premiers à cinquième moyens

Exposé des moyens

4. Le premier moyen est pris de la violation de l'article 2 du code de procédure pénale.

5. Le moyen reproche aux juges du fond de déduire des dispositions de l'article 2 du code de procédure pénale un droit systématique et indiscutable pour toute victime de demander et recevoir des sommes financières lors du procès pénal de la part des auteurs d'infraction, ceci indépendamment de toute indemnisation qui aurait déjà pu avoir lieu.

6. Le deuxième moyen est pris de la violation de l'article 1303 du code civil.

7. Le moyen reproche aux juges du fond d'avoir écarté, par principe, l'application de prohibition de tout enrichissement injustifié.

8. Le troisième moyen reproche à l'arrêt une contradiction de motifs.

9. Le moyen reproche aux juges du fond d'avoir écarté l'application de l'indemnité de sujétions spéciales au cas d'espèce, en estimant que celle-ci couvrait uniquement les risques liés au métier de policier et non les conséquences de leur survenance, sans viser l'article de loi ou le texte auquel ils se référaient pour en déduire un tel principe.

10. Le quatrième moyen reproche à l'arrêt un défaut de motifs.

11. Le moyen reproche aux juges du fond d'avoir écarté l'application de l'indemnité de sujétions spéciales au cas d'espèce, en estimant que celle-ci couvrait uniquement les risques liés au métier de policier et non les conséquences de leur survenance, sans viser l'article de loi ou le texte auquel ils se référaient pour en déduire un tel principe.

12. Le cinquième moyen reproche à l'arrêt la dénaturation d'un acte de procédure.

13. Le moyen reproche aux juges du fond d'avoir dénaturé les conclusions de M. I....

Réponse de la Cour

14. Les moyens sont réunis.

15. Pour condamner M. I... à verser à M. A... la somme de 300 euros au titre du préjudice moral subi par ce dernier, l'arrêt attaqué retient, après avoir visé les dispositions de l'article 2 du code de procédure pénale et rappelé le caractère intangible de ce principe, que le complément de traitement dénommé indemnité de sujétions spéciales alloué aux fonctionnaires de police actifs compense de manière forfaitaire les risques que ceux-ci encourent dans l'exercice de leurs fonctions, c'est-à-dire la particulière pénibilité de leurs conditions de travail, et non pas les conséquences réelles de ces risques lorsqu'ils se réalisent par la faute d'un tiers et que le raisonnement de la partie civile démontre facilement toutes ses limites lorsqu'il n'est plus seulement question d'outrage ou de rébellion, mais aussi de violences volontaires ou de meurtre ou d'assassinat sur un agent de la force publique, risques que sa profession peut lui faire encourir tout autant.

16. Les juges ajoutent que M. A... a été outragé à plusieurs reprises au cours de son intervention au domicile de M. I... dans les termes visés à la prévention et que ces outrages ont porté atteinte à sa dignité et à son honneur.

17. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a, sans dénaturation, justifié sa décision.

18. Ainsi, les moyens, dont les deux premiers manquent en fait, doivent être écartés.

19. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Chauchis - Avocat général : M. Lagauche -

Textes visés :

Article 2 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la nature de l'indemnité de sujétions spéciales de police, à rapprocher : CE, 10 janvier 2003, n° 221334, mentionné dans les tables du recueil Lebon (rejet). Sur la possibilité de cumuler l'indemnisation autonome d'un préjudice et le versement d'une indemnité spécifique prévue par la loi, à rapprocher : 2e Civ., 28 mars 2013, pourvoi n° 11-18.025, Bull. 2013, II, n° 65 (rejet).

Crim., 14 janvier 2020, n° 19-80.186, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Recevabilité – Service d'incendie et de secours – Conditions – Incendie volontaire

Les services départementaux d'incendie et de secours ne sont recevables à se constituer partie civile devant la juridiction de jugement en vue d'obtenir le remboursement des frais qu'ils ont exposés pour lutter contre un incendie que lorsque celui-ci est volontaire.

CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI sur le pourvoi formé par M. Q... Y... contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 9 novembre 2018, qui dans la procédure suivie contre lui pour destruction involontaire du bien d'autrui par l'effet d'un incendie, a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. I... K..., propriétaire d'un domaine à [...], a chargé M. Y..., ouvrier viticulteur, de procéder à une coupe de bois sur son fonds, puis de nettoyer la parcelle et de brûler les morceaux de bois et brindilles restés au sol, lui offrant du bois de chauffage en échange de ce service.

Au matin du 17 mars 2015, après qu'un feu de branchages et de petits morceaux de bois ait été allumé et insuffisamment éteint, un incendie s'est déclaré qui a détruit 68 hectares de bois, forêts, landes, maquis et parcelles de reboisement.

3. MM. K... et Y..., ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel du chef de destruction involontaire par incendie de ces espaces à la suite d'un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence puis définitivement condamnés.

4. Le tribunal a ordonné un renvoi sur intérêts civils.

Par jugement du 27 janvier 2017, M. K... a été déclaré responsable des préjudices causés, le jugement, dans ses seuls motifs, mettant hors de cause Pacifica et son assuré M. Y... préposé de M. K....

5. Il a été relevé appel de cette décision, par la compagnie Generali, assureur de M. K..., M. C... l'un des propriétaires victime de l'incendie, et le service départemental d'incendie et de secours de la Gironde (SDIS).

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation des articles L. 1424-2, L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales, 2-7, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué « en ce qu'il a condamné M. Y... à payer au SDIS de la Gironde la somme de 146 225,90 euros de dommages et intérêts, alors que les personnes morales de droit public ne sont recevables à se constituer partie civile devant la juridiction de jugement en vue d'obtenir le remboursement, par le condamné, des frais exposés pour lutter contre l'incendie qu'en cas de poursuites pénales pour incendie volontaire.

Qu'en condamnant M. Y... à payer la somme de 146 225,90 euros de dommages et intérêts au service départemental d'incendie et de secours de la Gironde, quand il résulte des constatations mêmes de l'arrêt que M. Y... avait fait l'objet de poursuites et d'une condamnation pour destruction involontaire par incendie sur le fondement de l'article alinéa 1 et 3 du code pénal, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 2-7 du code de procédure pénale et L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales.

Il résulte de ces textes que les services départementaux d'incendie et de secours ne sont recevables à se constituer partie civile devant la juridiction de jugement en vue d'obtenir le remboursement des frais qu'ils ont exposés pour lutter contre un incendie que lorsque celui-ci est volontaire.

8. Pour condamner M. Y... à payer au SDIS une somme totale de 146 265,90 euros, l'arrêt attaqué énonce que ce dernier est intervenu du 17 mars 2015 à 16 heures 05 au 18 mars 2015 à 2 heures 30 pour contenir et éteindre l'incendie.

9. Les juges ajoutent qu'il produit la liste des véhicules et engins engagés à cette fin, des personnels affectés à chaque véhicule, et indique pour chacun les temps d'engagement et les dépenses correspondantes, calculées sur la base du salaire moyen d'un caporal des sapeurs-pompiers et du coût horaire de l'utilisation des matériels.

10. Ils en concluent que le SDIS justifie de manière précise et détaillée l'étendue de son préjudice.

11. En se déterminant ainsi, alors que la condamnation a été prononcée pour destruction involontaire par incendie, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée de la cassation

13. La condamnation indemnitaire de M. Y... n'ayant été prononcée qu'au seul bénéfice du SDIS, la cassation sur le second moyen rend inutile de se prononcer sur le premier moyen de cassation.

14. En application de l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire, la Cour de cassation est en mesure de mettre fin au litige, les faits tels qu'ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettant d'appliquer la règle de droit appropriée.

15. En conséquence, il n'y a pas lieu à renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 9 novembre 2018, en ses seules dispositions déclarant M. Y... solidairement responsable du préjudice subi par le service départemental d'incendie et de secours de la Gironde et le condamnant solidairement à payer à ce dernier les sommes de 146 225,90 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que 2 000 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale, toutes autres dispositions étant maintenues.

DECLARE irrecevable la constitution de partie civile du service départemental d'incendie et de secours de la Gironde en ce qui concerne M. Y....

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Lavielle - Avocat général : M. Lagauche - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; Me Balat ; SCP Ohl et Vexliard ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 2-7 du code de procédure pénale.

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