"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (Marie-France MAZARS, conseiller honoraire à la Cour de cassation, vice-président déléguée de la Commission nationale de l’informatique et des libertés)

Actes de colloque

Cette manifestation, qui s'est déroulée le 30 juin 2017 et qui s’est inscrite dans une démarche concertée, tendait à favoriser l’émergence de solutions de consensus pour la mise en œuvre, jusque dans ses modalités les plus concrètes, des dispositions relatives aux obligations déontologiques des magistrats issues de la loi du 8 août 2016 modifiant l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. La déclaration d’intérêts du magistrat, l’entretien déontologique de ce dernier avec l’autorité à laquelle est remise la déclaration, ainsi que les suites et prolongements que les uns et les autres peuvent comporter étaient plus particulièrement concernés.

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Actes de colloque

"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (Marie-France MAZARS, conseiller honoraire à la Cour de cassation, vice-président déléguée de la Commission nationale de l’informatique et des libertés)

Marie-France MAZARS, conseiller honoraire à la Cour de cassation, vice-président déléguée de la Commission nationale de l’informatique et des libertés

Regard de la CNIL sur les conditions de mise en œuvre (conservation et consultation) des déclarations.

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a été saisie pour avis sur le projet de décret relatif à la déclaration d’intérêts des magistrats de l’ordre judiciaire, et a rendu un avis non publié le 20 avril 2017. La Commission a par ailleurs donné un avis sur les projets de décrets relatifs aux déclarations d’intérêts des fonctionnaires et d’autres emplois et corps de la fonction publique tels que les militaires ou encore les membres du Conseil d’Etat et des autres juridictions administratives ou les membres et personnels de la Cour des comptes.

Le rôle de la Commission a été d’examiner la manière dont étaient appliqués, dans le traitement des déclarations d’intérêts, les principes « Informatique et Libertés ».

1. Rappel des principes de la loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier 1978 modifiée

Pour rappel, le premier principe est le principe de finalité déterminée, légitime et explicite (article 6-2°de la loi du 6 janvier 1978 modifiée). Ce principe impose au responsable de traitement[1] de définir au préalable un objectif précis et légitime qui justifie la collecte des données à caractère personnel.

Le deuxième principe est le principe de pertinence des données (article 6-3°). Le choix des données collectées dans le traitement doit se justifier par rapport au but recherché (finalité). Le responsable de traitement ne peut pas collecter de données qui ne répondraient pas strictement au but poursuivi ou dont il n’a pas besoin.

Le troisième principe est le principe de conservation limitée des données (article 6-5°). Ce principe implique que les données ne soient pas conservées pour une durée illimitée. Elles ne doivent être conservées que pendant la durée apparaissant strictement nécessaire à l’accomplissement de la finalité. Il n’y a en effet pas lieu de conserver les données une fois la finalité atteinte, sauf s’il existe des dispositions imposant au responsable de traitement de conserver les informations plus longtemps.

Le quatrième principe est le principe de respect des droits des personnes. Les personnes concernées disposent de plusieurs droits à l’égard du traitement de leurs données. Elles doivent tout d’abord être informées de l’existence d’un traitement de leurs données (article 32) et du fait qu’elles disposent d’un droit d’accès à leurs données (article 39), d’un droit de rectification de leurs données (article 40) et d’un droit d’opposition, pour motif légitime, au traitement de leurs données (article 40).

Le cinquième principe est le principe de sécurité des données. Ce principe implique pour le responsable de traitement qu’il prenne des mesures appropriées pour assurer la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité des données pendant toute la durée de vie du traitement.

L’encadrement sous l’angle « Informatique et Libertés » du traitement des déclarations d’intérêts des magistrats de l’ordre judiciaire a été précisé par le projet de décret qui a été soumis à la CNIL et qui a été adopté le 2 mai 2017[2] (2).

2. Application des principes de la loi « Informatique et Libertés » au traitement des déclarations d’intérêts des magistrats de l’ordre judiciaire

S’agissant de la finalité du traitement, le décret du 2 mai 2017 indique qu’il s’agit de recueillir la déclaration exhaustive, exacte et sincère des intérêts des magistrats de l’ordre judiciaire, toute modification substantielle des intérêts détenus faisant l’objet, dans un délai de deux mois, d’une déclaration complémentaire dans les mêmes formes, afin de mieux prévenir les situations de conflits d’intérêts. Cette obligation de déclaration d’intérêts découle de la loi du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature[3].

S’agissant de la pertinence des données, il convient de relever que les catégories de données collectées sont énoncées dans le modèle de déclaration d’intérêts (et de modification substantielle) annexé au décret et qui reprend l’article 7-2 de l’ordonnance du 22 décembre 1958.

Ainsi, les données collectées dans le cadre de la déclaration d’intérêts des magistrats sont relatives aux :

  •     coordonnées du magistrat concerné (l’annexe 1 du décret précise : nom ; prénom ; date de naissance ; fonctions exercées et juridiction ; date d’installation ; adresse postale ; adresse électronique ; numéro de téléphone) 
  •     activités professionnelles donnant lieu à rémunération ou gratification exercées à la date de l’installation ;
  •     activités professionnelles ayant donné lieu à rémunération ou gratification exercées aux cours des cinq années précédant la date de l’installation ;
  •     activités de consultant exercées à la date de l’installation et au cours des cinq années précédentes ;
  •     participations aux organes dirigeants d’un organisme public ou privé ou d’une société à la date de l’installation ou lors des cinq années précédentes ;
  •     participations financières directes dans le capital d’une société à la date de l’installation ;
  •     activités professionnelles exercées à la date de l’installation par le conjoint, le partenaire lié à l’intéressé par un pacte civil de solidarité ou le concubin ;
  •     aux fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts ;
  •     aux fonctions et mandats électifs exercés à la date de l’installation.

Il faut aussi noter que l’annexe 1 précise que pour les activités professionnelles donnant lieu à rémunération ou gratification, les activités de consultant, les participations aux organes dirigeants d’un organisme et les participations financières directes dans le capital d’une société et les fonctions ou mandats électifs, le déclarant mentionnera les montants par année. 

Il est précisé dans la loi et dans l’annexe du décret que la déclaration ne peut comporter aucune mention des opinions ou activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques du magistrat, données sensibles au sens de l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.

Il est cependant rappelé dans les indications générales mentionnées au début des modèles annexés au décret que ces données sensibles peuvent, par exception, être collectées si elles ont déjà été révélées via la déclaration de fonctions ou l’exercice public de mandats par le magistrat (III de l’article 7-2 de l’ordonnance du 22 décembre 1958) .

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S’agissant de la durée de conservation des données, les déclarations et, le cas échéant, les observations du collège de déontologie des magistrats, sont conservées pendant une durée de cinq ans à compter de la fin des fonctions ayant justifié la remise des déclarations, puis elles sont détruites. Ce délai sera suspendu en cas de poursuite (disciplinaire ou pénale) fondée sur un manquement en lien avec des éléments de la déclaration d’intérêts, tel que le prévoit le décret.

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S’agissant des droits des personnes, le décret précise que les magistrats disposent d’un droit d’accès à leur déclaration d’intérêts (art.11-6 du décret) ainsi que d’un droit de rectification ayant la possibilité de modifier leur déclaration d’intérêts par une déclaration modificative ou complémentaire. Notamment la déclaration d’intérêts peut être rectifiée après l’entretien déontologique. 

Le droit d’opposition est écarté puisque ce traitement est mis en œuvre afin d’exécuter une obligation légale[4].

On peut s’interroger, en l’état, sur le droit d’information des magistrats concernés dont les données contenues dans les déclarations d’intérêts sont ainsi collectées et conservées et notamment sur l’information qui devrait leur être donnée sur les modalités d’exercice de leurs droits d’accès et de rectification.

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Le processus prévu par l’ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée prévoit que la remise de la déclaration d’intérêts donne lieu à un entretien déontologique avec l’autorité à laquelle le document est communiqué ayant pour objet de prévenir ou de mettre fin à toute situation de conflit d’intérêts ; qu’en cas de doute sur une éventuelle situation de conflit d’intérêts le collège de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire peut être consulté ; qu’à l’issue de l’entretien déontologique et de l’éventuelle consultation du collège de déontologie, les déclarations d’intérêts sont annexés au dossier administratif du magistrat.

S’agissant de la sécurité des données, leur confidentialité est assurée notamment par la restriction d’accès aux déclarations et la traçabilité des accès via le bordereau d’émargement des personnes habilitées à y accéder. Ces personnes sont strictement énumérées par le décret. On peut noter les précisions suivantes.

    En cas de délégation par l’autorité à une autre autorité, expressément conditionnée au consentement de l’intéressé, pour la conduite de l’entretien déontologique, cette délégation permet à l’autorité déléguée de consulter la déclaration d’intérêts.     Dans l’hypothèse de la saisine du collège de déontologie pour donner un avis sur une éventuelle situation de conflit d’intérêts, une copie certifiée conforme de la déclaration d’intérêts est remise au collège. On notera que cette copie et les éléments d’appréciation sont détruits lorsque l’avis est rendu.      Le Conseil supérieur de la magistrature peut avoir communication des déclarations d’intérêts, mais seulement si une procédure disciplinaire est engagée et sous réserve que le Conseil ait effectivement besoin de prendre connaissance du contenu des déclarations dans le cadre de cette procédure. De même l’inspection générale des services judiciaires n’aura communication de la déclaration d’intérêts que si elle est saisie d’une enquête par le garde des sceaux.

Le décret assure la confidentialité et l’intégrité du contenu des déclarations d’intérêts en imposant la conservation et la transmission sécurisée des données via un double pli cacheté revêtu d’une mention de confidentialité ou par voie dématérialisée.

 

A ce titre la CNIL recommande habituellement des mesures techniques adéquates, telles que le chiffrement des données pour garantir la sécurité des données stockées ou échangées. Il appartiendra à la direction des services judiciaires du ministère de la justice de les définir.

Notes

[1] Le responsable de traitement est la personne, l’autorité publique, le service ou l’organisme qui décide de la mise en œuvre du traitement de données à caractère personnel (article 3-I de la loi du 6 janvier 1978 modifiée).

[2] Décret n° 2017-713 du 2 mai 2017 relatif à la déclaration d’intérêts des magistrats de l’ordre judiciaire.

[3] Loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature.

[4] Article 38 alinéa 3 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.  

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