"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (Jean-Claude MARIN, procureur général près la Cour de cassation)

Actes de colloque

Cette manifestation, qui s'est déroulée le 30 juin 2017 et qui s’est inscrite dans une démarche concertée, tendait à favoriser l’émergence de solutions de consensus pour la mise en œuvre, jusque dans ses modalités les plus concrètes, des dispositions relatives aux obligations déontologiques des magistrats issues de la loi du 8 août 2016 modifiant l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. La déclaration d’intérêts du magistrat, l’entretien déontologique de ce dernier avec l’autorité à laquelle est remise la déclaration, ainsi que les suites et prolongements que les uns et les autres peuvent comporter étaient plus particulièrement concernés.

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Actes de colloque

"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (Jean-Claude MARIN, procureur général près la Cour de cassation)

Jean-Claude MARIN, procureur général près la Cour de cassation

Jean-Claude MARIN, procureur général près la Cour de cassation

Le terme français de déontologie émerge dans le premier quart du XIXème siècle avec la traduction de « L’essai sur la nomenclature et la classification des principales branches d’Art et de Science » de Jeremy Bentham lequel dans son ouvrage publié après sa mort, « Déontologie ou science de la morale » envisage la déontologie comme science de l’éthique privée.

Des glissements sémantiques successifs, parfois discutés, ont fait entrer la déontologie, norme initialement de nature philosophique, dans le champ du droit pour apparaître successivement comme la science juridique des devoirs puis comme une branche autonome relative aux droits et obligations, légales ou infra légales, d’acteurs de la société civile, économique ou politique.

Aujourd’hui la démarche déontologique irrigue toutes les activités sociales portées par une exigence de transparence dans un mouvement qui mêle droit, morale et acceptabilité de comportements par une société qui s’interroge sur ses codes et ses habitudes.

La demande, par nos concitoyens, d’une moralisation accrue de notre vie publique dont le socle leur paraît ébranlé par les échos de comportements « inappropriés », pour reprendre la formule anglo-saxonne, a conduit les pouvoirs publics à engager des réformes législatives successives imposant toutes des normes déontologiques de plus en plus précises afin de restaurer la confiance dans les institutions, de redynamiser notre démocratie et de vivifier notre Etat de droit.

Le projet de loi « pour la confiance dans notre vie démocratique », récemment présenté en Conseil des ministres, en constitue le dernier acte. Il est la preuve que l’ouvrage reste encore sur le métier et que des progrès significatifs restent à accomplir. 

Dans le même temps, empruntant la voie de la soft law, les entreprises, les professions, les entités de toutes natures se dotent de codes, de règlements et chartes déontologiques et s’attachent les services d’une nouvelle catégorie de professionnels, les déontologues.

La magistrature judiciaire, à raison même de sa fonction cardinale dans nos institutions, ne pouvait rester à l’écart d’un tel mouvement au risque d’aggraver la fracture entre les Français et leur Justice.

Tel a été l’objet de dispositions importantes de la loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature.

Ce texte crée un dispositif déontologique préventif par un mécanisme de déclaration d’intérêts et d’entretien déontologique, tandis que son décret d’application, en date du 2 mai 2017, en organise les modalités d’établissement et de sauvegarde de la confidentialité.

***

Nous le savons, étymologiquement, la déontologie réunit les termes grecs de déon, ce qui est convenable, et de logos, étude. Dès lors, le philosophe Jeremy Bentham en reprenant le sens étymologique considère la déontologie, en ces termes : « comme art, c’est faire ce qu’il est convenable de faire ; comme science, c’est connaître ce qu’il convient de faire en toute occasion »[1].

Ces sources de la déontologie se révèlent particulièrement utiles pour concrétiser ce qu’est « l’état de magistrat » qui, par-delà une liste de devoirs, englobe un savoir être et une posture dans et hors la juridiction.

L’autorité judiciaire vue comme intègre et irréprochable participe au socle fondamental de la démocratie.

C’est la raison pour laquelle, conscient de ces exigences, elle s’est progressivement emparée de la réflexion sur la déontologie considérée comme indissolublement porteuse de la confiance des citoyens dans leur justice mais aussi de l’attente des magistrats de disposer de repères professionnels solides.

Si nous partageons tous des valeurs de probité, d’honneur et de réserve, le sentiment personnel de notre parfaite neutralité, nous le savons, se frotte aux exigences de l’impartialité objective dont les contours interrogent souvent les magistrats.

En effet, et nous ne le dirons jamais assez, il ne suffit pas que la justice soit bien rendue, il faut qu’elle soit vue comme telle. Pour cela, il faut entourer le magistrat des garanties permettant de pallier la nécessaire imperfection de l’homme.

C’est dans le cadre de cette réflexion que, dès 2010, le Conseil supérieur de la magistrature a publié un recueil des obligations déontologiques des magistrats.

Aujourd’hui en cours de mise à jour, ce recueil est articulé autour de six grands thèmes, que sont l’indépendance, l’impartialité, l’intégrité, la légalité, l’attention à autrui, et l’obligation de discrétion et de réserve. Conçu comme un guide de lecture, il établit des références déontologiques pour les magistrats.

Afin d’aller plus loin dans sa mission de soutien déontologique aux magistrats, le Conseil s’est doté, depuis le 1er juin 2016, d’un service d’aide et de veille déontologique (SAVD).

Par ailleurs, la loi organique du 8 août 2016 a créé un collège de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire dont l’instauration complète harmonieusement le dispositif.

Enfin, le rôle primordial que joue l’ENM dans la diffusion des principes déontologiques, tant auprès des auditeurs de justice, que dans le cadre de la formation continue des magistrats, va s’enrichir d’une nouvelle formation directement liée à l’entretien déontologique, à l’attention des chefs de cours et de juridictions.

Cela est nécessaire.

En effet, si l’alignement des dispositifs de prévention déontologique destinés aux magistrats de l’ordre judiciaire sur ceux récemment mis en place pour nombre d’acteurs publics ne peut qu’être salué, la mise en œuvre effective de ces dispositifs soulève bon nombre de questions très concrètes.

Quel est le périmètre exact de la déclaration d’intérêts et quelles sont les limites, s’il en est, de l’obligation de déclaration ?

Comment l’entretien déontologique doit-il se dérouler et sur quoi doit-il porter ?

Quelles sont les modalités de conservation des déclarations d’intérêts et des termes de l’entretien déontologique ?

Quel usage peut-il être fait de ces éléments et dans quelles conditions ?

Quelles sont les conséquences d’une déclaration d’intérêts erronée ou incomplète ?

Et mille autres questions encore.

Le corps judiciaire doit se montrer exemplaire dans l’accomplissement de ces nouvelles obligations et face aux incertitudes nées de l’imprécision de certaines conditions d’application, ce colloque est très attendu pour apporter des réponses concrètes à toutes ces interrogations.

Permettez-moi de conclure en soulignant que je ne doute pas un instant que ce colloque organisé par la Cour de cassation marquera une étape importante dans la démarche de mise en œuvre des nouvelles dispositions de la loi, en explorant et proposant des solutions utiles et concrètes attendues de tous. 

Je vous remercie.

Note

[1] J. Bentham, Déontologie ou science de la morale, 1834, traduit de l’anglais par B. Laroche, chapitre 2.  

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