"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (III. Les intérêts moraux : les fonctions bénévoles à déclarer)

Actes de colloque

Cette manifestation, qui s'est déroulée le 30 juin 2017 et qui s’est inscrite dans une démarche concertée, tendait à favoriser l’émergence de solutions de consensus pour la mise en œuvre, jusque dans ses modalités les plus concrètes, des dispositions relatives aux obligations déontologiques des magistrats issues de la loi du 8 août 2016 modifiant l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. La déclaration d’intérêts du magistrat, l’entretien déontologique de ce dernier avec l’autorité à laquelle est remise la déclaration, ainsi que les suites et prolongements que les uns et les autres peuvent comporter étaient plus particulièrement concernés.

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Actes de colloque

"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (III. Les intérêts moraux : les fonctions bénévoles à déclarer)

III. Les intérêts moraux : les fonctions bénévoles à déclarer

Concernant les fonctions bénévoles, le texte prévoit explicitement que seules celles qui sont susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts sont à déclarer. La définition des intérêts à déclarer en l’occurrence est donc très restrictive.

L’article 7-2 de la loi organique relative au statut de la magistrature prévoit que la déclaration d’intérêts ne comporte aucune mention des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophique d’un magistrat, sauf lorsque leur révélation résulte de la déclaration de fonctions ou de mandats exercés publiquement.

La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a abordé, dans son Guide du déclarant, la question des « fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts » en se fondant sur deux critères qui pourront également fonder notre raisonnement.

Ses termes sont les suivants : « Pour apprécier une situation de conflit d’intérêts, deux critères doivent être considérés :

    L’interférence potentielle entre l’activité bénévole et le mandat ou la fonction. Par exemple, portent-ils sur le même secteur d’activité ou les mêmes thématiques ?     L’intensité de cette interférence. Par exemple : le déclarant est-il conduit dans ses fonctions publiques, à entre en contact avec la structure où il exerce son activité bénévole ? Attribue-t-il des subventions à ce type de structure ? »

Cette notion est reprise par le Conseil d’Etat dans son propre Guide du déclarant à destination des magistrats administratifs. Le Conseil d’Etat précise qu’il convient de déclarer non pas les activités bénévoles en qualité de simple adhérent mais seulement les fonctions dirigeantes, opérationnelles, administratives dans les organismes. En effet, c‘est le terme de fonctions qui est utilisé et non le terme d’activité bénévole pour décrire ce qui doit être déclaré.

Cette question avait été abordée pour les magistrats judiciaires préalablement aux textes sur la déclaration d’intérêts concernant les associations intervenant dans le champ pénal qu’il s’agisse d’associations d’aides aux victimes ou de contrôle judiciaire. La création prétorienne du contrôle judiciaire socio-éducatif avait par exemple conduit les magistrats à s’impliquer dans le conseil d’administration ou le bureau d’associations auxquelles ils confiaient des mesures financées, au moins partiellement, par le ministère de la Justice. Il leur avait été rappelé que s’il restait possible d’être membre de telles structures, ils ne pouvaient appartenir aux organes décisionnels ou opérationnels de ces associations.

Pour le Syndicat de la magistrature, ces notions sont très utiles et elles fonderont notre doctrine.

Au préalable, il se déduit de l’article 7-2 III alinéa 1 de la loi organique relative au statut de la magistrature que, si la fonction bénévole renvoie uniquement à une conviction politique, syndicale, religieuse ou philosophique, il n’y a aucun motif de la déclarer. Le fait d’avoir des convictions est en effet un droit pour tout citoyen. C’est le devoir d’impartialité qui est alors le principe cardinal, permettant au magistrat de recevoir l’ensemble des arguments, indépendamment de ses opinions. Il n’est même pas besoin de mentionner alors cette activité lors de l’entretien. C’est ce qui résulte de l’analyse même du rapport de 2011 en matière d’intérêts moraux.

A partir du principe selon lequel les intérêts à déclarer ne se superposent pas avec les déports potentiels exigés dans le cadre du devoir d’impartialité, il convient de retenir que ce n’est que si la fonction bénévole exercée par le magistrat le conduit à se trouver de manière prévisible et répétée en situation de conflit d’intérêts dans un certain nombre de cas, et non si elle pouvait seulement l’exposer à se déporter dans un éventuel cas particulier, qu’il faudra déclarer cet intérêt. Les obligations attachées au devoir d’impartialité, et imposant le déport conformément aux dispositions des articles L111-6 et L111-7 du code de l’organisation judiciaire, prendront le relais en cas de conflit d’intérêts dans une affaire particulière.

Pour mémoire, aux termes de ces textes, « sous réserve de dispositions particulières à certaines juridictions, la récusation d’un juge peut être demandée :

    Si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à la contestation     Si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l’une des parties     Si lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l’une des parties ou de son conjoint jusqu’au quatrième degré inclusivement     S’il y a eu ou s’il procès entre lui ou son conjoint et l’une des parties ou son conjoint     S’il a précédemment connu de l’affaire comme juge ou comme arbitre ou s’il a conseillé l’une des parties     Si le juge ou son conjoint est chargé d’administrer les biens de l’une des parties     S’il existe un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l’une des parties ou son conjoint     S’il y a une amitié ou une intimité notoire entre le juge et l’une des parties     S’il existe un conflit d’intérêts au sens de l’article 7-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Les magistrats du ministère public peuvent être récusés dans les mêmes cas.

Le juge qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s’abstenir se fait remplacer par un autre juge spécialement désigné. Le magistrat du ministère public qui suppose en sa personne un conflit d’intérêts au sens de l’article 7-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ou estime en conscience devoir s’abstenir se fait remplacer. »

Ces critères de prévisibilité et de répétition traduisent l’application, pour le magistrat judiciaire en tant que professionnel intervenant dans l’ensemble du champ social, du critère d’intensité de l’interférence.

Pour déterminer si son activité bénévole entre en conflit de manière prévisible avec ses fonctions, le magistrat devra se référer aux fonctions particulières exercées au sein du tribunal, selon sa fonction ou son affectation dans une chambre ou un service traitant un contentieux précis.

Ainsi, il n’y aurait pas d’utilité à déclarer des fonctions de responsabilité dans une association prenant en charge des mesures de contrôle judiciaire pour un juge aux affaires familiales, tandis que le doyen des juges d’instruction, chargé d’instruire l’agrément de telles associations, se trouvera lui dans un tel conflit d’intérêts. Dès lors, deux conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’intérêt fasse l’objet de déclaration : le degré de responsabilités exercées dans l’association et l’intensité de l’interférence de l’activité bénévole avec l’activité spécifique du magistrat

Sur ce point, le décret et la circulaire du Conseil d’Etat réservent deux sorts différents aux magistrats administratifs : l’article R131-7 du code de la justice administrative prévoit un nouvel entretien déontologique pour un membre du Conseil d’Etat qui change de section, ce qui permet d’imaginer une actualisation de la déclaration d’intérêts en fonction des contentieux traités. Mais à contrario, la circulaire du Conseil d’Etat ne prévoit pas de nouvelle déclaration d’intérêts quand le magistrat administratif change de chambre ou de fonction au sein d’une juridiction ou que lui est attribué un nouveau contentieux.

La modification de la déclaration d’intérêts en cas de changement de service, lorsque les mêmes fonctions sont conservées au sein d’un même tribunal, n’est pas explicitement prévue pour les magistrats judiciaires : selon la loi, « toute modification substantielle des intérêts détenus fait l’objet, dans un délai de deux mois, d’une déclaration complémentaire dans les mêmes formes et peut donner lieu à un entretien déontologique  ». Or, en matière de fonctions bénévoles, l’intérêt à déclarer étant par définition celui susceptible de faire naître un conflit d’intérêts, il en découle logiquement que la liste des intérêts à déclarer peut évoluer en rapport avec les fonctions exercées de nature à faire naître un conflit.

La situation spécifique des magistrats placés, mais aussi celle des magistrats généralistes affectés dans une juridiction de taille réduite dans laquelle ils seront amenés à exercer toutes les missions du juge, les conduiront en revanche à devoir déclarer plus d’intérêts que les autres magistrats, l’occurrence d’un conflit étant possible pour l’ensemble de leurs fonctions ou attributions. Néanmoins, un oubli lors de la déclaration initiale n’empêchera nullement le magistrat placé de modifier sa déclaration à l’occasion d’une délégation ou d’un changement de service.

Aussi, si la loi ne prévoit pas une nouvelle déclaration d’intérêts suite à un changement de service au sein du tribunal, on peut y voir la volonté de ne pas multiplier les cas d’établissement de la déclaration, l’obligation de conduire cet exercice, dans les hypothèses, nombreuses, où le changement de service ne modifie pas les les intérêts à déclarer. En revanche, il appartient au magistrat, comme lorsque ses intérêts sont modifiés en raison de l’évolution de sa situation personnelle, de déclarer la modification de ses intérêts s’il apparait que, dans son nouveau service, il se trouve in concreto en situation potentielle de conflit d’intérêts avec ses fonctions bénévoles. Il pourra alors solliciter également un nouvel entretien déontologique.

Pour le Syndicat de la magistrature, les critères à retenir pour la déclaration des fonctions bénévoles sont les suivants :

    Seules les fonctions dirigeantes et opérationnelles dans les organismes sont à déclarer (à défaut, déclarer une simple adhésion à une association serait susceptible d’instaurer un véritable délit d’opinion et il ne peut en être question)     Les fonctions bénévoles renvoyant uniquement à une conviction politique, religieuse, syndicales, philosophique ne sont pas déclarées quelle que soit la nature des responsabilités exercées     La fonction bénévole n’est à déclarer que si elle conduit le magistrat à se trouver de manière prévisible en situation de conflit d’intérêts dans un certain nombre de cas ; la déclaration doit intervenir dans le cas où l’implication dans les fonctions bénévoles revêt une intensité certaine et où le conflit est susceptible de naître de manière répétée. En revanche, il n’y a pas à faire de déclaration préalable si la fonction bénévole peut potentiellement l’exposer à se déporter dans un cas particulier     La notion d’interférence doit être appréciée non seulement au regard de la fonction précise exercée par le magistrat au sein du tribunal mais de façon plus restrictive au regard du service (chambre spécialisée dans un type de contentieux) qui lui est confié.

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