"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (Francois PILLET, sénateur du Cher, président du comité de déontologie parlementaire du Sénat, rapporteur de la loi organique du 8 août 2016)

Actes de colloque

Cette manifestation, qui s'est déroulée le 30 juin 2017 et qui s’est inscrite dans une démarche concertée, tendait à favoriser l’émergence de solutions de consensus pour la mise en œuvre, jusque dans ses modalités les plus concrètes, des dispositions relatives aux obligations déontologiques des magistrats issues de la loi du 8 août 2016 modifiant l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. La déclaration d’intérêts du magistrat, l’entretien déontologique de ce dernier avec l’autorité à laquelle est remise la déclaration, ainsi que les suites et prolongements que les uns et les autres peuvent comporter étaient plus particulièrement concernés.

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Actes de colloque

"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (Francois PILLET, sénateur du Cher, président du comité de déontologie parlementaire du Sénat, rapporteur de la loi organique du 8 août 2016)

Francois PILLET, sénateur du Cher, président du comité de déontologie parlementaire du Sénat, rapporteur de la loi organique du 8 août 2016

Dans le cadre général de "la déontologie des magistrats", vous avez souhaité consacrer cette journée à la difficile question de la prévention des conflits d’intérêts, à travers la déclaration d’intérêts des magistrats judiciaires.

Je comprends qu’après les propos introductifs de Messieurs le Premier Président et Procureur Général je sois invité à ouvrir votre colloque puisque, le gouvernement ayant décidé qu’il fallait légiférer, le Parlement, après modifications, retraits et ajouts a voté la loi organique du 8 août 2016 portant modification de l’ordonnance du 22 décembre 1958 fixant le statut de la magistrature.

Face à votre auditoire, ma compréhension est néanmoins légèrement nimbée de crainte puisque je fus le rapporteur du projet gouvernemental au Sénat - première assemblée à être saisie du texte - et que le texte proposé par la Haute Assemblée, au moins sur le sujet qui vous intéresse, a été finalement retenu par l’Assemblée Nationale.

Alors, pourquoi imposer une déclaration d’intérêts aux magistrats de l’ordre judiciaire, ajout sénatorial dont j’assume la paternité ?

Pourquoi, alors que le serment et les règles écrites de déontologie pouvaient semble-t-il ne pas nécessiter de nouvelles obligations ?

Votre serment : "Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat " pouvait- il vous exonérer de développements plus précis et écrits ?

La réponse négative a déjà été donnée pour de nombreux autres serments comme celui d’Hippocrate, celui des notaires, celui des avocats, celui d’agents publics et de fonctionnaires.

 Sans doute parce que depuis longtemps à la proclamation de son éthique on doit ajouter la démonstration de sa réalité !

À l’image de Saint Thomas nos concitoyens croient après avoir contrôlé !

Ai-je besoin de vous convaincre que la magistrature ne peut pas rester à l’écart du mouvement général de renforcement de la déontologie qui concerne tous les responsables publics, élus ou non, depuis plusieurs années ?

Le texte sur lequel vous allez débattre n’est que le dernier avatar de projets de loi plus anciens. Il s’inscrit dans la continuité du mouvement plus général de promotion de transparence de la vie publique et de prévention des conflits d’intérêts.

 La prévention des conflits d’intérêts est devenue une préoccupation au sein de tous les domaines de l’activité publique et une exigence des plus hautes instances internationales politiques ou juridictionnelles.

La prévention des conflits d’intérêts chez les magistrats rejoint l’exigence déjà connue d’impartialité. Le devoir d’impartialité, qui suppose également de se détacher de ses propres opinions, conduit naturellement à ne pas s’exposer au risque de conflits d’intérêts dans un dossier. La prévention du conflit d’intérêts n’est finalement qu’une modernisation de l’exigence d’impartialité.

Mais alors pourquoi avoir imposé la déclaration d’intérêts aux magistrats alors que le projet de loi initial du gouvernement ne le prévoyait pas expressément ?

Je vous rappelle tout de même l’exposé des motifs :

« (…) l’institution judiciaire doit participer à la République exemplaire appelée de ses vœux par le Président de la République à l’instar de ce qui existe aujourd’hui pour les principaux responsables publics et les parlementaires. Il est par conséquent proposé de renforcer les obligations de transparence des magistrats afin de mieux prévenir les risques de conflits d’intérêts . »

La prévention des risques de conflits d’intérêts devait donc être assurée par l’entretien au cours duquel il était prévu de rappeler plus largement les règles déontologiques applicables aux magistrats.

Mais selon quelles modalités, avec quelle homogénéité dans les pratiques, avec quel degré de transparence et avec quelle comparable intensité ?

Sur ma proposition le Sénat a alors retenu une double approche :

Avec dans un premier temps un raisonnement strictement analogique, sur la base de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : selon lequel il résulte du principe de la séparation des pouvoirs le « principe d’indépendance, qui est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles ». Ce principe d’indépendance des juridictions s’applique aux diverses juridictions judiciaires comme aux juridictions administratives ou financières, de sorte que les principes déontologiques, qui concourent à garantir l’indépendance et l’impartialité des juridictions, doivent être similaires pour les magistrats judiciaires, les juges non professionnels et les magistrats administratifs et financiers.

La commission des lois a d’ailleurs une approche harmonisée en matière de déontologie de l’ensemble des juges.

La loi qui nous intéresse introduit à l’initiative du Sénat la déclaration d’intérêts pour les magistrats judiciaires.

Sur le rapport de mon collègue M. Yves Détraigne, datant d’octobre 2015, s’agissant de la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle le Parlement a approuvé la mise en place d’une déclaration d’intérêts pour les juges consulaires, avant la tenue de l’entretien déontologique.

Sur le rapport de mon autre collègue Alain Vasselle, datant de décembre 2015, s’agissant de la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, le Parlement a mis en place une déclaration d’intérêts pour les magistrats administratifs et financiers, mais remise en amont de l’entretien déontologique et pas à l’issue de l’entretien, contrairement à ce qui avait été envisagé par le Conseil d’État et la Cour des comptes.

 Ainsi le même dispositif a été retenu en matière de déclaration d’intérêts pour l’ensemble des juridictions : remise de la déclaration, puis tenue de l’entretien, sur la base de la déclaration, ensuite faculté de modifier la déclaration à l’issue de l’entretien ; possibilité de renouveler l’entretien à tout moment et obligation de faire une déclaration complémentaire en cas de modification substantielle de la situation.

Sur un autre plan une matérialisation de la déclaration d’intérêts nous est apparue très utile pour fixer un cadre à l’entretien déontologique, pour qu’il soit objectif, exhaustif et efficace sans pour autant être intrusif dans la vie privée. La déclaration d’intérêts doit être le support de l’entretien déontologique. Elle lui donne plus de consistance et limite les risques de subjectivité dans sa conduite.

Les obligations déclaratives sont similaires à celles qui s’appliquent aux parlementaires (en cas de manquement lié à l’établissement de cette déclaration les mêmes sanctions pénales sont prévues) mais pour tenir compte de la spécificité du rôle et du statut des magistrats la déclaration d’intérêts ne fait l’objet d’aucune publicité et doit rester confidentielle.

Au cours de la navette, le contenu de la déclaration d’intérêts a été fixé dans la loi organique et la faculté a été ouverte de solliciter l’avis d’un Collège de déontologie des magistrats judiciaires sur la déclaration lorsqu’il existe un doute sur une éventuelle situation de conflit d’intérêts.

Ainsi l’établissement de la déclaration d’intérêts nous est apparue comme une protection du magistrat dans le cadre de ses rapports déontologiques avec le chef de juridiction. C’est en tout cas un élément des débats parlementaires exprimant la volonté du législateur !

Initiative du gouvernement, volonté du législateur mais plus sûrement exigence des temps, qui s’applique aussi aux parlementaires, cette obligation faite au pouvoir qui dicte la loi, aux autorités qui disent la Justice s’imposera t’elle aussi un jour aux puissances qui font l’opinion.

Dans cette attente j’espère que votre qualité de magistrats impartiaux et indulgents épargnera au président du comité de déontologie parlementaire que je suis le sort qui fut réservé à l’âne s’étant repenti de ses fautes dans la fable imaginant les animaux malades de la peste !

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