"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (François FELTZ, premier avocat général près la Cour de cassation)

Actes de colloque

Cette manifestation, qui s'est déroulée le 30 juin 2017 et qui s’est inscrite dans une démarche concertée, tendait à favoriser l’émergence de solutions de consensus pour la mise en œuvre, jusque dans ses modalités les plus concrètes, des dispositions relatives aux obligations déontologiques des magistrats issues de la loi du 8 août 2016 modifiant l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. La déclaration d’intérêts du magistrat, l’entretien déontologique de ce dernier avec l’autorité à laquelle est remise la déclaration, ainsi que les suites et prolongements que les uns et les autres peuvent comporter étaient plus particulièrement concernés.

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Actes de colloque

"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (François FELTZ, premier avocat général près la Cour de cassation)

Partie III. Les prolongements et suites de la déclaration d’intérêts : conservation, garanties de la confidentialité, sanctions des éventuels manquements

Je souhaite d’abord remercier personnellement monsieur le Premier président et Monsieur le Procureur général de la confiance qu’ils m’ont accordée en me demandant de présider le groupe de travail N° 3 dont les réflexions, commentaires et interrogations sont à l’origine des questionnements que nous allons aborder maintenant. Ainsi a-t-il été veillé à ce que magistrat du siège et magistrat du parquet général de la Cour, par leur implication directe dans l’organisation de ce colloque, témoignent ainsi de leur mission commune au sein de la haute juridiction.

Je voudrais ensuite saluer M. Le président de chambre Bruno PIREYRE, directeur du Service de documentation, des études et du rapport (SDER) pour l’aide efficace et la coordination nécessaire qu’il a bien voulu apporter à nos travaux.

Je saluerai enfin, sans pouvoir les citer nommément, l’ensemble des participants au groupe de travail, représentants de la Cour, du CSM, de la DSJ, de l’ENM, des conférences des chefs de cour et de juridiction ainsi que des organisations syndicales, pour leur contribution active, riche, tout autant respectueuse des divergences que volontaire dans la recherche de consensus. La tâche était ardue par la nouveauté du sujet et le temps était compté. Merci chers collègues, particulièrement à Sylvain Barbier Sainte Marie pour son travail de synthèse et, avec Jean Paul Sudre, pour leur assistance régulière à mes côtés.

* *

L’exposé des motifs de la recommandation CM/Rec (2010)12 du 17 novembre 2010 du Conseil de l’Europe sur le statut des juges en Europe, intitulée « Les juges : indépendance, efficacité et responsabilité », comporte notamment, dans son paragraphe 29 consacré à la préservation de l’indépendance et de l’impartialité des juges lorsqu’ils exercent des activités dans diverses organisations non professionnelles, l’indication suivante :

« Eu égard à la nécessité d’éviter tout conflit d’intérêt réel ou perçu comme tel, les Etas membres peuvent décider de rendre publiques les informations relatives aux activités supplémentaires, notamment au moyen de répertoires d’intérêts ».

Force est de constater que la France, pour des raisons tenant à la fois à la pression de l’actualité et à la pression des instruments juridiques internationaux, est entrée, depuis plusieurs années maintenant, dans une ère de loyauté démocratique accentuée (projets de loi rétablissant la confiance dans l’action publique) par un renforcement des contrôles (création de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique) et par une volonté de transparence exigée de tous les responsables de l’action publique : autorités politiques, responsables des autorités indépendantes, responsables administratifs et, désormais, autorités judiciaires. On parle d’ailleurs communément de la D.P.I. : déclaration publique d’intérêts.

S’agissant toutefois des autorités judiciaires, nous sommes à l’évidence en présence d’un paradoxe pour le moins flagrant qui, évalué à sa juste mesure, doit pouvoir nous inspirer dans les réponses à apporter à certaines questions délicates que nous allons nous poser.

En effet, à l’inverse de ce mouvement de fond en faveur d’une plus grande transparence et de la pratique en vigueur, certes minoritaire et de façon relative, dans certains pays[1], le législateur français, comme d’autres pays de l’UE[2], - par la loi n° 2016-1090 du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature et par son décret d’application n° 2017-713 du 2 mai 2017 -, a fait le choix d’organiser et de garantir la plus grande confidentialité de la déclaration d’intérêts souscrite par les magistrats de l’ordre judiciaire comme, d’ailleurs, de l’ordre administratif.

A tel point, s’agissant du Conseil d’Etat dans ses deux missions administrative et juridictionnelle, qu’un commentateur s’en est récemment ému dans les termes suivants[3], je cite :

« Sur le plan de la transparence, de nombreux efforts restent à faire. Alors même que les déclarations d’intérêts de nombreux élus locaux sont aujourd’hui publiques et consultables, celles des membres du Conseil d’Etat et d’autres hauts fonctionnaires […] ne le sont pas. Ces déclarations sont secrètes et ne peuvent pas être consultées par le public ou les justiciables, sous peine de sanctions pénales ! Curieux état du droit… car lorsque ces déclarations concernent des magistrats du Conseil d’Etat, c’est évidemment ceux qui demandent justice, les justiciables, qui doivent être à même de contrôler l’impartialité de ceux qui doivent les juger » fin de citation.

Cette problématique générale, « transparence/confidentialité » qu’on pourrait intituler « une confidentialité à garantir dans un contexte plus global de transparence », étant posée, intéressons-nous au volet confidentialité de la déclaration d’intérêts des magistrats de l’ordre judiciaire.

Comment est organisée et garantie cette protection des magistrats de toute intrusion abusive dans leur vie privée et de tout risque de déstabilisation pouvant en résulter ? Quelles sont les sanctions encourues en cas de manquement aux obligations déclaratives et à leur diffusion fautive ?

Tel est l’objet de cette 3ème table ronde articulée autour des trois axes suivants.

Le premier est relatif aux garanties de confidentialité de la remise de la déclaration d’intérêts à l’autorité désignée par la loi pour la recevoir, aux conditions de sa conservation et aux modalités de sa destruction lorsqu’il y a lieu.

Au-delà des dispositions législatives et réglementaires prévoyant les modalités précises de cette remise (sous double pli cacheté nominatif revêtu d’une mention « confidentiel »), deux séries de questions principales se posent :

    Qu’entend-on par « autorité » ? Faut-il avoir de cette notion une approche fonctionnelle ou une approche personnelle, nominative ? De la réponse donnée à cette première interrogation résulte en effet un certain nombre de conséquences lorsque la direction d’une juridiction est amputée de son titulaire pour cause d’empêchement ou de vacance du poste et est assurée par un intérimaire. Une approche fonctionnelle, qui a d’ailleurs été celle retenue par le groupe de travail N° 3, présente évidemment l’avantage d’éviter tout blocage, toute rupture dans le bon fonctionnement du dispositif.

    Dans quelles conditions doit s’opérer la conservation de la déclaration d’intérêts, d’une part, par le chef de juridiction lorsqu’il saisit pour avis le collège de déontologie, d’autre part, par la direction des services judiciaires en charge des mesures à prendre pour garantir sa confidentialité et son intégrité ?

Autres questions : la confidentialité s’étend-elle à la lettre de saisine du collège de déontologie et sa copie peut-elle être conservée dans les archives administratives de l’autorité de saisine quand bien même contiendrait-elle des éléments directement issus de la déclaration d’intérêts ? Le magistrat doit-il être informé dans tous les cas de la saisine du collège et des motifs qui y président ? Enfin, le magistrat doit-il être avisé de la destruction, dont les modalités restent à préciser, de sa déclaration d’intérêts par les autorités qui en sont redevables ?

Le deuxième axe a trait à la consultation de la déclaration d’intérêts et à sa communication. Si les modalités en ont été arrêtées par les textes de façon globalement satisfaisante, cette problématique a notamment pour enjeu le point de savoir jusqu’à quel degré d’exigence le principe de confidentialité doit-il être observé. Et c’est là que le contexte global dans lequel s’inscrit le dispositif propre aux magistrats et que j’évoquais au début de mon propos, me paraît devoir prendre toute sa place.

Peut-il notamment faire obstacle au devoir de loyauté d’un chef de juridiction à l’égard de son supérieur hiérarchique lorsqu’une situation délicate, résultant d’un risque avéré de conflit d’intérêt, exigerait, en temps ordinaire, qu’il en soit informé ? De la même façon, que peut révéler un chef de juridiction à son successeur, lors de la passation de consignes à laquelle ils sont susceptibles de procéder, lorsqu’il estime relever d’une bonne administration de la justice la nécessité de l’informer d’une telle situation ?

Pour résumer, le respect de la confidentialité est-il absolu ou doit-il céder, d’une part, devant le principe de bonne administration de la justice, d’autre part, devant l’exercice tout aussi impérieux d’une autre mission comme celle de veille déontologique qui incombe aux chefs de cour ? Le risque de divulgation fautive, pénalement et disciplinairement sanctionné, est-il réel dans tous les cas ou n’y a-t-il pas là, sinon une bonne pratique, un fait justificatif résultant du bon exercice des missions confiées par la loi aux responsables des juridictions ?

Le troisième axe, enfin, est lié aux sanctions pénales et aux manquements disciplinaires pouvant résulter d’une omission de déclaration, principale ou complémentaire, d’intérêts, ou d’une diffusion ou d’une divulgation fautive de celle-ci ou des éléments qu’elle contient.

S’agissant d’un dispositif à haute visée préventive, quelle est la place, à la fois stratégique et technique, de son volet sanctionnateur ? Quelles sont les mesures essentielles susceptibles de permettre une utilisation exceptionnelle, marginale des dispositions répressives ? Et dans l’hypothèse où elles seraient incontournables, quelles en seraient les modalités techniques et pratiques de mise en œuvre ?

C’est à toutes ces questions que nous allons tenter de répondre avec les cinq intervenants qui ont bien voulu m’entourer aujourd’hui et je tiens à les en remercier vivement.

Nous entendrons donc successivement :

M. Jacques BEAUME, procureur général honoraire, fonctions exercées à la tête des CA de Colmar et de Lyon, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature (2002-2006), membre du service d’aide et de veille déontologique dudit CSM.

Au regard de l’expérience acquise en ces deux dernières qualités, j’ai demandé à Jacques BEAUME deux choses :

- d’une part, de nous restituer les situations, en lien avec nos questionnements d’aujourd’hui, traitées par le service de veille déontologique dans une perspective et une réflexion plus larges relatives à la notion d’impartialité,

- d’autre part, de nous livrer le fruit des réflexions menées par le CSM à l’époque où il en était membre, sur le rôle des chefs de cour et de juridiction en matière de veille déontologique et qui a abouti à un avis de référence sur ce thème le 2 octobre 2003 qui a été suivi, onze ans plus tard, d’un autre avis daté du 26 novembre 2014.

M. Jean Paul SUDRE, avocat général à la Cour de cassation, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature et ancien inspecteur général adjoint, connu pour l’intérêt qu’il porte depuis longtemps aux questions de déontologie des magistrats et auteurs de plusieurs articles sur le sujet.

Jean Paul SUDRE nous livrera son analyse sur les dispositions sanctionnatrices des manquements aux nouvelles obligations instituées par la loi en matière de déclaration d’intérêts.

Nous entendrons ensuite Mme Marie-France MAZARS, doyen honoraire de la Cour de cassation, vice-présidente déléguée de la Commission nationale de l’Informatique et des Libertés, qui nous entretiendra des exigences posées par la loi en matière de confidentialité des données et de préservation de la vie privée ainsi que de la gestion de ce type d’informations.

Marc CIMAMONTI, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon, président de la Conférence nationale des procureurs de la République, nous exposera, pour sa part, très concrètement le schéma de gestion de la déclaration d’intérêts et de l’entretien déontologique par un chef de juridiction, en tentant de répondre au mieux, avec bon sens, aux différentes questions qui se posent au cours de ce processus.

Enfin, Mme Béatrice BRUGERE, secrétaire générale de FO MAGISTRATS, nous donnera le point de vue de son organisation syndicale sur les problématiques relevant des thèmes de notre table ronde.

Le temps de parole de chacun sera limité à 15 minutes afin de permettre de consacrer une trentaine de minutes aux questions de l’assistance.

Notes

[1] Finlande et Pays-Bas

[2] Grèce, Irlande, République Tchèque

[3] Le Monde daté du 15 juin 2017 – « La moralisation doit d’étendre à la haute fonction publique » par Camille Mialot, maître de conférence à l’école de droit de Sciences Po Paris, avocat spécialiste en droit public  

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