"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (2. Le volet pénal)

Actes de colloque

Cette manifestation, qui s'est déroulée le 30 juin 2017 et qui s’est inscrite dans une démarche concertée, tendait à favoriser l’émergence de solutions de consensus pour la mise en œuvre, jusque dans ses modalités les plus concrètes, des dispositions relatives aux obligations déontologiques des magistrats issues de la loi du 8 août 2016 modifiant l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. La déclaration d’intérêts du magistrat, l’entretien déontologique de ce dernier avec l’autorité à laquelle est remise la déclaration, ainsi que les suites et prolongements que les uns et les autres peuvent comporter étaient plus particulièrement concernés.

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Actes de colloque

"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (2. Le volet pénal)

2. Le volet pénal

* Extrait de l’article 7-2 de l’ordonnance statutaire  :

“I. - Dans les deux mois qui suivent l’installation dans leurs fonctions, les magistrats remettent une déclaration exhaustive, exacte et sincère de leurs intérêts (...)

III (...) Toute modification substantielle des intérêts détenus fait l’objet, dans un délai de deux mois, d’une déclaration complémentaire dans les mêmes formes et peut donner lieu à un entretien déontologique (...)

IV. - Le fait, pour une personne tenue de remettre une déclaration d’intérêts en application du I du présent article, de ne pas adresser sa déclaration ou d’omettre de déclarer une partie substantielle de ses intérêts est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

 Peuvent être prononcées, à titre complémentaire, l’interdiction des droits civiques, selon les modalités prévues aux articles 131-26 et 131-26-1 du code pénal, ainsi que l’interdiction d’exercer une fonction publique, selon les modalités prévues à l’article 131-27 du même code.

 Le fait de publier ou de divulguer, de quelque manière que ce soit, tout ou partie des déclarations ou des informations mentionnées au présent article est puni des peines mentionnées à l’article 226-1 du code pénal.”

* Par ailleurs, il convient de rappeler qu’en application du VIII de l’article 50 de la loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 précitée, les magistrats mentionnés à l’article 7-2 susvisé, installés avant la publication du décret n° 2017-713 du 2 mai 2017 précité, établissent, dans le délai de 18 mois suivant celle-ci, une déclaration d’intérêts.

2.1 Le défaut de déclaration et l’omission de déclaration d’une partie substantielle des intérêts du magistrat

- Le défaut de déclaration initiale  :

* élément matériel  : le texte réprime le fait “de ne pas adresser sa déclaration” mais pas le non-respect du délai de deux mois ou du délai de 18 mois pour les magistrats déjà installés.

L’obligation de réaliser un entretien déontologique à la suite de la remise de la déclaration d’intérêts, sur l’initiative de l’autorité qui la reçoit, est de nature à prévenir tout manquement à l’obligation déclarative initiale.

* élément intentionnel : l’omission est une faute d’abstention qui implique l’établissement de son caractère volontaire. Cette volonté résulte de la nécessaire connaissance qu’a le magistrat de l’obligation de déclaration imposée par la loi, ainsi, le cas échéant, des rappels éventuels qui lui ont été adressés.

- L’omission de déclaration d’une partie substantielle des intérêts  :

Cette incrimination vise l’omission d’une partie substantielle des intérêts affectant la déclaration initiale et le défaut de déclaration complémentaire à la suite d’une modification substantielle des intérêts.

* élément matériel  : qu’entend-on par “partie substantielle des intérêts” ?

Alors que l’omission de déclaration d’une partie substantielle du patrimoine permet une analyse quantitative, cette approche apparaît peu adaptée en matière de déclaration d’intérêts. En effet, une situation de conflit d’intérêts n’intervient que si l’interférence entre ces intérêts et les fonctions exercées “fait naître un doute raisonnable sur la capacité de l’intéressé à exercer ses fonctions en toute impartialité”4. Dès lors, ne peut-on considérer que la partie substantielle des intérêts est celle qui, révélée, aurait fait émerger le conflit d’intérêts par opposition aux intérêts dont l’omission n’a pas cette incidence ?

S’agissant du défaut de déclaration complémentaire, la “modification substantielle des intérêts” constitue un élément nouveau susceptible de modifier l’appréciation de l’autorité recevant la déclaration au regard des éventuels conflits d’intérêts.

* élément intentionnel  : l’omission incriminée se nourrissant de l’intention d’éluder les obligations résultant du conflit d’intérêts sous-jacent, il convient d’en établir le caractère volontaire. L’analyse portera donc sur la nature des intérêts éludés, leur importance au regard du conflit d’intérêts occulté et la connaissance qu’avait le magistrat de cette situation.

L’exercice éventuel de poursuites pénales à l’encontre d’un magistrat ayant manqué à ses obligations déclaratives justifiera, le cas échéant, l’application des dispositions de l’article 43, alinéa 2 du code de procédure pénale.

2.2 La publication ou la divulgation des déclarations et informations relatives aux déclarations

* élément matériel  : toute publication ou divulgation de tout ou partie des déclarations

ou des informations mentionnées à l’article 7-2, quel qu’en soit le mode.

Une question se pose sur la nature des “informations mentionnées au présent article”, selon le libellé de cette disposition. Si l’on se réfère à sa filiation, les informations visées semblent correspondre à l’ensemble de celles relatives au contenu des déclarations.

Les modalités de la rupture de confidentialité sanctionnée importent peu : publication ou divulgation, “de quelque manière que ce soit”, ce qui recouvre toutes les hypothèses envisageables quel que soit le support de la diffusion ou le mode de révélation des informations.

* élément intentionnel  : publication ou divulgation sachant que les éléments et informations diffusés sont confidentiels.

* la conciliation de cette incrimination avec l’exercice du pouvoir disciplinaire et la mission de veille déontologique

Elle vise toute personne ayant eu accès au contenu des déclarations d’intérêts parmi lesquelles celles qui, en raison de leurs fonctions de chef de cour ou de juridiction, sont dépositaires des informations confidentielles en résultant. La disposition en cause ne prévoit en leur faveur aucune dérogation à l’interdiction de divulgation : il n’est notamment pas précisé qu’elle n’est pas applicable dans les cas où la loi autorise la révélation des informations confidentielles.

Comment concilier cette interdiction absolue de toute divulgation d’éléments relatifs aux déclarations d’intérêts avec l’exercice du pouvoir disciplinaire des chefs de cour et la mission de veille déontologique impliquant également les chefs de juridiction ?

En application des articles 50-2 et 63 de l’ordonnance statutaire, les chefs de cour disposent du pouvoir de saisir le CSM de faits justifiant des poursuites disciplinaires.

Parmi ces faits, peuvent figurer les manquements du magistrat concerné relatifs aux obligations de déclarer ses intérêts. Si le chef de cour est l’autorité recevant la déclaration, l’exercice éventuel de son pouvoir disciplinaire implique qu’il fasse usage des informations qu’il a recueillies. Toutefois, s’il n’est pas l’autorité ayant reçu la déclaration d’intérêts, il ne peut avoir connaissance de son contenu sans en avoir été informé par le chef de juridiction.

En outre, dans le cadre de la veille déontologique, qui s’analyse comme une mission de surveillance et de prévention, celui-ci peut se trouver dans la nécessité de dialoguer avec le chef de cour sur le contenu de la déclaration afin de résoudre les difficultés éventuelles (exemples : magistrat ne mettant pas fin à un conflit d’intérêts avéré, situation de conflit d’intérêts susceptible d’apparaître à la suite d’un changement de service du magistrat dans la même juridiction, etc.), étant souligné que cette veille déontologique peut déboucher, le cas échéant, sur l’usage par le chef de cour de ses prérogatives propres (entretien avec le magistrat, avertissement, saisine de la DSJ, exercice de poursuites disciplinaires).

Il serait paradoxal que ce dialogue, impératif, utile et libre, sous réserve des obligations déontologiques de discrétion et de loyauté, dans le cadre du régime antérieur à la déclaration d’intérêts, ne puisse plus avoir lieu sous l’empire du nouveau régime d’obligations déclaratives mis en place. Comment les attributions relevant du pouvoir disciplinaire et de la veille déontologique pourraient-elles être exercées s’il était exclu que des informations relatives aux déclarations d’intérêts puissent être échangées entre ceux qui en ont la charge ?

Alors même que l’article 7-2 de l’ordonnance statutaire prévoit explicitement une dérogation à la confidentialité de la déclaration d’intérêts dans le cadre d’une procédure disciplinaire engagée, selon les modalités fixées par l’article 11-6 du décret du 7 janvier 1993 modifié, il paraîtrait logique de considérer qu’une autorisation implicite d’y déroger est accordée par la loi dans la phase antérieure.

La dérogation ainsi apportée à la confidentialité de la déclaration d’intérêts est la conséquence nécessaire des dispositions conférant aux chefs de cour et aux chefs de juridiction une mission générale de surveillance et de prévention en matière de respect des principes déontologiques5. Elle s’applique dans le respect des obligations de discrétion et de loyauté précitées.

Il paraît donc exclu de retenir une divulgation prohibée à l’encontre des autorités chargées d’une telle mission, confiée par la loi, au titre de laquelle elles doivent utiliser les informations recueillies.

* la question de la levée de confidentialité à la demande du magistrat

Si le magistrat peut faire état publiquement de ses intérêts, dès lors qu’il l’estime utile, ne peut-il être également en situation de demander qu’il soit dérogé à la confidentialité, s’il y trouve un intérêt, par exemple dans l’hypothèse d’une polémique publique le mettant en cause sur le fondement de l’exercice de ses fonctions et qu’il souhaite une divulgation réalisée par l’autorité destinataire de la déclaration afin de ne pas participer lui-même à la polémique et préserver ainsi son impartialité ?

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