"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (Jean -Francois THONY, procureur général près la cour d’appel de Colmar, président de la conférence des procureurs généraux près les cours d’appel)

Actes de colloque

Cette manifestation, qui s'est déroulée le 30 juin 2017 et qui s’est inscrite dans une démarche concertée, tendait à favoriser l’émergence de solutions de consensus pour la mise en œuvre, jusque dans ses modalités les plus concrètes, des dispositions relatives aux obligations déontologiques des magistrats issues de la loi du 8 août 2016 modifiant l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. La déclaration d’intérêts du magistrat, l’entretien déontologique de ce dernier avec l’autorité à laquelle est remise la déclaration, ainsi que les suites et prolongements que les uns et les autres peuvent comporter étaient plus particulièrement concernés.

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Actes de colloque

"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (Jean -Francois THONY, procureur général près la cour d’appel de Colmar, président de la conférence des procureurs généraux près les cours d’appel)

Jean -Francois THONY, procureur général près la cour d’appel de Colmar, président de la conférence des procureurs généraux près les cours d’appel

Merci Rémy pour avoir posé les bases de la discussion en ce qui concerne l’entretien déontologique tel qu’il sera demain notre quotidien en tant que chef de cour ou de juridiction.

Cet entretien déontologique a pour objet « de prévenir tout éventuel conflit d’intérêt et d’inviter, s’il y a lieu, à mettre fin à une situation de conflit d’intérêt ».

Il est intéressant de réfléchir à la manière dont, au travers de cet entretien déontologique, le chef de cour ou de juridiction va pouvoir prévenir les conflits d’intérêt de manière effective et c’est également l’objet de notre table ronde.

Si l’entretien déontologique n’est pas une pratique très répandue dans les autres administrations, dans les systèmes judiciaires voisins ou même dans le secteur privé, il n’en reste pas moins que la prévention des conflits d’intérêt est une problématique commune à l’ensemble de ces corps et professions. Il sera intéressant, dans l’optique de s’inspirer des exemples et des pratiques de ces corps et professions, d’entendre les participants à notre table ronde et notamment le représentant des juridictions administratives, M. Patrick Frydmann, Président de la Cour administrative d’Appel de Paris, M. Jean-Luc Dufournaud, directeur de l’éthique et de la déontologie de la SNCF, ainsi que notre collègue Edmondo Bruti Liberati, magistrat italien, ancien procureur de la République à Milan.

Car en effet, si l’entretien déontologique est de nature à permettre d’identifier d’éventuels conflits d’intérêt, un prérequis à leur prévention, il n’a pas en lui-même vocation à les prévenir autrement que par la vertu du dialogue.

En effet, les marges d’action du chef de cour ou de juridiction lors de l’entretien déontologique sont très limitées. La seule action pratique prévue par la loi organique sera de consulter le collège de déontologie « lorsqu’il existe un doute sur une situation de conflit d’intérêt ». Mais là encore, le rôle du collège de déontologie est d’aider à identifier une situation de conflit mais non à la prévenir ou y mettre fin.

Le chef de juridiction est seule face à la situation de conflit d’intérêt, et tellement seul d’ailleurs que s’il vient à quitter la juridiction, la situation n’étant connue que de lui seul –et du magistrat concerné, cela va sans dire- la connaissance de ce conflit d’intérêt partira avec lui, d’autant que la possibilité de s’en ouvrir à son chef de cour semble être contestée. Certes, il reste la déclaration d’intérêt, dans une enveloppe doublement fermée qui n’a vocation à être ouverte qu’en cas d’incident ou d’enquête administrative. Mais l’entretien déontologique, et la discussion qui a pu avoir lieu pour amener le magistrat concerné à y mettre fin, n’est pas consigné et il n’existe ainsi aucun élément permettant d’identifier si l’autorité hiérarchique a véritablement joué son rôle pour, comme le dit la loi, prévenir ce conflit ou y mettre fin.

Bien entendu, parmi les mesures qu’il peut prendre, on pense immédiatement à l’organisation des audiences que celui-ci peut repenser pour faire en sorte que le magistrat ne se retrouve pas, dans la pratique, dans une situation où ce conflit d’intérêt prendrait corps. C’est d’ailleurs ce qui se pratique déjà de manière quotidienne, et il n’a pas fallu attendre –heureusement- la loi organique pour que cette solution pratique se mette en place. Cela dit, cette solution est plus facile à imaginer qu’à mettre en pratique. En effet, dans les grandes juridictions, le nombre de magistrats concernés par d’éventuels conflits d’intérêt fait tourner l’organisation des services à un exercice cauchemardesque. Dans les petites juridictions ou les petits parquets, c’est également une source de complication parce que les magistrats ne pouvant être confinés à un type d’activités ou d’affaires, la prévention des conflits d’intérêt risque de s’avérer parfois particulièrement difficile.

En pratique, imaginons le cas le plus fréquent d’un juge ou d’un parquetier dont le conjoint est avocat, situation qui sera sans nul doute identifiée comme une situation de potentiel conflit d’intérêt. Il paraît difficile d’y mettre fin en enjoignant au magistrat de changer sa situation matrimoniale ! On va donc faire en sorte que les conjoints ne se retrouvent pas dans les mêmes audiences. Lorsque l’avocat a une spécialisation particulière, le chef de cour ou de juridiction s’assurera que le magistrat concerné ne soit pas affecté dans la chambre concernée. Mais quid d’une situation où, dans une petite juridiction, l’avocat plaide tant au civil qu’au pénal ? Dans ce cas, il est de pratique courante que le magistrat se déporte ou que l’avocat passe l’affaire à un confrère. Mais le fait que l’affaire soit confiée à un autre avocat du même cabinet met-il fin au conflit d’intérêt ? et lorsque cet avocat appartient à un gros cabinet, la présence de ce cabinet dans une affaire est-elle en soi une situation de conflit d’intérêt ?

Lorsque le conflit d’intérêt est lié à une situation patrimoniale voire matrimoniale, les solutions pratiques pour prévenir ou mettre fin au conflit d’intérêt peuvent donc être identifiées sous les réserves ci-dessus. Mais lorsqu’il s’agit d’intérêts moraux ou idéologiques, le chef de cour ou de juridiction se trouvera beaucoup plus démuni car la notion même de conflit d’intérêt risque d’être facteur de conflit avec le magistrat concerné. Certes, la loi exempte le magistrat de faire état dans la déclaration d’intérêt de ses opinions politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques, mais est-ce que cela veut dire pour autant qu’il ne peut pas se retrouver dans une situation de conflit d’intérêt en raison de ces opinions ? si le magistrat, en dehors de l’exercice de ses fonctions et dans la pratique de sa liberté citoyenne, milite activement et publiquement pour une cause déterminée, il risque fort, dans l’exercice de ses fonctions, d’être confronté à des affaires dans lesquelles cette cause est en jeu. L’exemption légale, certes limitée au contenu de la déclaration d’intérêt et non pas au champ plus large des obligations déontologiques, mettra le chef de cour ou de juridiction en difficulté lorsqu’il voudra attirer son attention sur l’existence d’une situation patente de conflit d’intérêt qui se trouve en dehors du champ de la déclaration d’intérêt.

La question centrale est donc, face à ces situations, de savoir quels sont les leviers que l’autorité hiérarchique possède pour prévenir ou mettre fin à une situation de conflit d’intérêt. On voit bien qu’en dehors de la saisine du collège de déontologie, qui se contente de donner un simple avis, ou de l’organisation des audiences, les marges de manœuvre des chefs de cour ou de juridiction sont faibles. Il ne peut pas enjoindre au magistrat de mettre fin à des activités engendrant une telle situation ou, par exemple, à des montages patrimoniaux qui interrogent. Et si l’existence d’une telle situation résulte du seul entretien déontologique, il ne pourra pas en théorie l’utiliser comme base pour une saisine de la hiérarchie, d’autant que cet entretien ne donne lieu à aucun compte rendu.

Voilà donc certaines des questions auxquelles notre table ronde sur « l’entretien déontologique et la prévention des conflits d’intérêt » –et la suivante, puisque les sujets se chevauchent- devront répondre. Avec mon co-président, nous laissons donc tout de suite la parole à nos intervenants pour nous apporter leur éclairage.

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