"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (Ludovic ANDRÉ, sous-directeur des ressources humaines de la magistrature)

Actes de colloque

Cette manifestation, qui s'est déroulée le 30 juin 2017 et qui s’est inscrite dans une démarche concertée, tendait à favoriser l’émergence de solutions de consensus pour la mise en œuvre, jusque dans ses modalités les plus concrètes, des dispositions relatives aux obligations déontologiques des magistrats issues de la loi du 8 août 2016 modifiant l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. La déclaration d’intérêts du magistrat, l’entretien déontologique de ce dernier avec l’autorité à laquelle est remise la déclaration, ainsi que les suites et prolongements que les uns et les autres peuvent comporter étaient plus particulièrement concernés.

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Actes de colloque

"La déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire - La déclaration d’intérêts" (Ludovic ANDRÉ, sous-directeur des ressources humaines de la magistrature)

Ludovic ANDRÉ, sous-directeur des ressources humaines de la magistrature

Les dispositions législatives et règlementaires relatives à la déclaration d’intérêts des magistrats de l’ordre judiciaire s’inscrivent dans un mouvement engagé il y a plusieurs années et renforcé par les lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique de rénovation de la vie publique et de prévention des conflits d’intérêts pour l’ensemble des principaux responsables publics et politiques.

Pour reprendre brièvement l’historique du projet de loi ayant abouti à la loi organique du 8 août 2016, on peut rappeler que parallèlement à l’examen des lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique et à l’élaboration d’un projet de loi réformant le statut général de la fonction publique afin de soumettre également les hauts fonctionnaires, ainsi que les magistrats administratifs et financiers à un dispositif de prévention des conflits d’intérêts, un projet de loi organique relatif au renforcement des obligations déontologiques des magistrats de l’ordre judiciaire avait été déposé à l’Assemblée nationale le 24 juillet 2013 :

    Il donnait une définition du conflit d’intérêts identique à celle prévue pour les principaux responsables publics ;     Il instaurait un entretien déontologique pour tous les magistrats du siège et du parquet ayant une activité juridictionnelle à l’occasion de leur installation dans de nouvelles fonctions ;     Il prévoyait l’obligation pour le premier président et les présidents de chambre de la Cour de cassation, pour le procureur général et les premiers avocats généraux près cette Cour et pour les premiers présidents des cours d’appel et les procureurs généraux près ces cours de déclarer leur situation patrimoniale à une commission ad hoc, à leur prise de fonctions et à l’issue de celles-ci.

Toutefois ce projet ne contenait pas d’obligation de déclaration d’intérêts dans la mesure où il existe plusieurs mécanismes visant à prévenir les conflits d’intérêts :

    un régime d’incompatibilité fixé par l’ordonnance statutaire : incompatibilité entre l’exercice des fonctions de magistrat et celui de toutes fonctions publiques et toutes activités professionnelles ou salariées, interdiction d’exercer des mandats électoraux, limitation de l’exercice d’activités en cas de disponibilité ou de cessation définitive des fonctions, etc.     des règles procédurales pour garantir l’impartialité du juge : déport, procédures de récusation et de renvoi pour suspicion légitime, etc.

Ce projet de loi avait pour objectif de renforcer les obligations de transparence des magistrats judiciaires tout en tenant compte de la spécificité des conditions d’exercice de leurs missions et de l’existence de dispositifs permettant déjà en grande partie de répondre aux objectifs visés

Le projet de loi déposé le 31 juillet 2015 devant le Sénat et ayant abouti à la loi organique n° 2016-1090 relative aux garanties, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature du 8 août 2016 reprenait les mêmes propositions en ne prévoyant pas davantage d’obligation de déclaration d’intérêts.

C’est lors de l’examen du projet de loi devant le Sénat, et sur le rapport de M. Pillet, que la commission des lois du Sénat, a souhaité que l’entretien déontologique puisse s’appuyer sur une déclaration d’intérêts.

En effet, Monsieur le sénateur, vous aviez estimé qu’afin « de donner plus de consistance, d’objectivité et de conséquences éventuelles à cet entretien déontologique » cet entretien « doit s’appuyer sur une déclaration d’intérêts, dont le contenu et les rubriques devraient être déterminées par la loi organique ou un texte réglementaire. Une telle déclaration d’intérêts n’aurait en aucun cas vocation à être publiée, mais serait simplement adressée à l’autorité supérieure, en vue de l’entretien déontologique, et conservée par ses soins. La confidentialité serait préservée ». La commission des lois avait également souhaité qu’un compte-rendu de l’entretien déontologique soit établi. En revanche, il n’avait pas été prévu de versement de ce compte-rendu ni de la déclaration d’intérêts au dossier administratif, ni de sanction autre que disciplinaire au non respect de l’obligation de déclaration.

Lors de l’examen du projet de loi devant l’Assemblée nationale, un alignement de la situation des magistrats de l’ordre judiciaire sur le régime adopté pour les politiques, mais également pour les magistrats administratifs et financiers a été souhaité. A également été créé un collège de déontologie s’inspirant du collège de déontologie des magistrats administratifs.

Ainsi, a été adopté un ensemble cohérent de dispositions visant à prévenir les conflits d’intérêts pour l’ensemble des personnes exerçant des fonctions judiciaires : magistrats administratifs, magistrats de l’ordre judiciaire mais également juges des tribunaux de commerce.

Dans les suites de la loi organique du 8 août 2016, le décret relatif à la déclaration d’intérêts des magistrats de l’ordre judiciaire du 2 mai 2017 met en œuvre le nouvel article 7-2 de l’ordonnance statutaire instituant l’obligation de déclaration d’intérêts.

Un projet de décret est actuellement en cours de publication s’agissant de la mise en œuvre de la déclaration d’intérêts des juges des tribunaux de commerce.

Ce décret est très proche des décrets pris pour les magistrats administratifs et financiers. Il a néanmoins nécessairement été adapté aux spécificités du statut des magistrats de l’ordre judiciaire liées notamment à leur indépendance.

Dans le prolongement de la publication du décret, une circulaire doit venir répondre aux multiples interrogations et questionnement que suscite la mise en œuvre de ce nouveau dispositif.

Toutefois, la direction des services judiciaires a souhaité attendre ce colloque et la publication de ses travaux pour finaliser la circulaire d’application, afin de l’enrichir des importants travaux de réflexion et de concertation qui ont été réalisés et vont être accomplis dans ce cadre.

Cependant, afin d’apporter des réponses aux interrogations les plus urgentes des magistrats installés avant la rentrée prochaine, et notamment les magistrats à titre temporaire installés le 1er juillet 2017, une dépêche a d’ores et déjà été diffusée le 20 juin dernier.

*

En quelques mots je me propose de vous présenter à présent le contenu du décret du 2 mai 2017.

Le décret statutaire du 7 janvier 1993 comporte désormais les articles 11-1 à 11-8 réunis dans un nouveau chapitre intitulé « De la déclaration d’intérêts des magistrats ». Conformément à l’article 7-2 de l’ordonnance statutaire, il précise le modèle, le contenu et les conditions de remise, de mise à jour, de conservation et de consultation de la déclaration d’intérêts.

La déclaration d’intérêts est remplie à l’aide d’un formulaire qui est désormais annexé au décret statutaire, ainsi qu’un autre formulaire destiné à déclarer, le cas échéant, les modifications substantielles des intérêts.

Afin de garantir la confidentialité de sa déclaration chaque magistrat remet celle-ci sous double pli cacheté à son chef de juridiction, dans les deux mois suivant son installation. Les modalités prévues par le décret pour garantir la confidentialité de cette remise semble soulever certaines interrogations sur la faculté du chef de juridiction à prendre connaissance du contenu du pli. Bien évidemment, dans la mesure où il en est le destinataire et que la déclaration d’intérêts doit être le support de l’entretien déontologique, ce dernier en prend connaissance afin de préparer cet entretien auquel il convoquera le magistrat.

L’entretien déontologique est en principe conduit par le chef de juridiction lui-même. Toutefois, il a été prévu dans le décret une faculté de délégation, dans les juridictions les plus importantes. Des conditions précises ont été fixées dans le décret, s’agissant des personnes pouvant être désignées délégataires et de l’exigence de l’accord exprès du magistrat concerné.

En cas de doute sur l’existence d’une situation susceptible de faire naître un conflit d’intérêts, le chef de juridiction a la possibilité de saisir le collège de déontologie qui a été institué par la loi organique du 8 août 2016. Ce collège se réunira pour la première fois dans quelques jours, le 10 juillet prochain.

Une fois réalisé l’entretien déontologique et, si nécessaire, après que le magistrat a apporté des modifications à sa déclaration, celle-ci est transmise par le chef de juridiction à la Direction des services judiciaires. Les mêmes garanties de confidentialité doivent être respectées : la déclaration est transmise sous double pli cacheté, que la DSJ n’ouvre pas et classe tel quel dans le dossier administratif du magistrat.

Seul l’intéressé et son chef de juridiction ont accès à la déclaration d’intérêts. Ce n’est que si une procédure disciplinaire est engagée ou une enquête administrative ordonnée par le garde des sceaux que la DSJ peut, dans les limites du besoin d’en connaître, avoir accès à la déclaration d’intérêts. Le cas échéant, elle en donne accès également au CSM et à l’Inspection générale de la justice.

La déclaration d’intérêts est conservée pendant cinq ans.

Si le décret permet la dématérialisation du processus de recueil et de conservation de la déclaration d’intérêts, en l’état, la DSJ n’est pas encore en mesure de proposer un dispositif présentant toutes les garanties pour assurer la confidentialité de la transmission et de la conservation de la déclaration d’intérêts. Des travaux sont actuellement menés pour permettre très rapidement cette possibilité de dématérialisation dans les conditions requises afin que les personnes autorisées puissent avoir accès à la déclaration d’intérêts en ligne sans se déplacer à la DSJ.

Le cadre fixé par le décret d’application doit à présent être complété par les modalités pratiques de mise en œuvre de cette nouvelle obligation de déclaration d’intérêts. J’attends donc beaucoup des travaux menés à l’occasion de ce colloque pour que nous puissions réfléchir ensemble à la mise en place, en pratique, de cette nouvelle obligation, de façon à l’adapter à notre réalité de terrain et à notre fonctionnement.

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