Ordonnance n° 91180 du 9 novembre2023 (sociétés)

Pourvoi n° 22-24.688

Requête n° 527/23

 

   

ORDONNANCE ENTRE :

la société TG-LEC, ayant la SARL Ortscheidt pour avocat à la Cour de cassation,

la société MJC2A, ayant la SARL Ortscheidt pour avocat à la Cour de cassation

 

ET :

la société Incomeo, ayant la SCP Foussard et Froger pour avocats à la Cour de cassation,

la société AJRS, ayant la SCP Foussard et Froger pour avocat à la Cour de cassation,

la société JSA, ayant la SCP Foussard et Froger pour avocat à la Cour de cassation,

la société Comelec, ayant la SCP Foussard et Froger pour avocat à la Cour de cassation,

la société Athena, ayant la SCP Foussard et Froger pour avocat à la Cour de cassation,

la société Gauthier et associés, ayant la SCP Foussard et Froger pour avocat à la Cour de cassation,  

 


Michèle Graff-Daudret, conseiller délégué par le premier président de la Cour de cassation, assistée de Océane Gratian, greffier lors des débats du 12 octobre 2023, a rendu l'ordonnance suivante :

Vu la requête du 8 juin 2023 par laquelle la société TG-LEC et la société MJC2A demandent, par application de l'article 1009-1 du code de procédure civile, la radiation du pourvoi numéro Q 22-24.688 formé le 23 décembre 2022 par la société Incomeo, la société AJRS, la société JSA, la société Comelec, la société Athena et la société Gauthier et associés à l'encontre de l'arrêt rendu le 6 décembre 2022 par la cour d'appel de Paris ;

Vu les observations présentées oralement par la SARL Ortscheidt  ;

Vu les observations développées en défense à la requête par la SCP Foussard et Froger ;

Vu l'avis de Fabrice Burgaud, avocat général, recueilli lors des débats ;

Par arrêt du 6 décembre 2022, la cour d’appel de Paris a notamment : 

Infirmé le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société TG LEC de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et d'image ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

- prononcé la nullité du contrat de cession conclu entre les sociétés Comelec et Incomeo d'une part et la société TG LEC d'autre part ;

- condamné la société Comelec à restituer à la société TG LEC le prix de ventes des actions, soit la somme de 4.725.000 euros ;

- condamné la société Incomeo à restituer à la société TG LEC le prix de ventes des actions, soit la somme de 1.575.000 euros ;

- dit que les sociétés Comelec et Incomeo sont solidaires l'une envers l'autre au titre des restitutions de prix ;

- dit que le teneur de la comptabilité des titres de la société Energia Dgem enregistrera les mouvements consécutifs à la nullité après justification de la restitution intégrale du prix de cession ;

- condamné in solidum les sociétés Comelec et Incomeo à payer à la société TG LEC la somme de 409.531 euros à titre de dommages et intérêts au titre des préjudices financiers constitués des frais engagés en vue de l'acquisition de la société Energia Dgem (honoraires d'avocats et comptables, dépenses de mise en relation, droits d'enregistrement) ;

- condamné in solidum les sociétés Comelec et Incomeo à payer à la société TG LEC la somme de 346.742,08 euros à titre de dommages et intérêts au titre des préjudices financiers constitués des frais de financement de l'acquisition de la société Energia Dgem (commissions d'arrangement et de participation aux établissements bancaires, frais de contre-garantie BPI, intérêts d'emprunt de la dette sénior et de l'emprunt obligataire) ;

- débouté la société TG LEC de sa demande de dommages et intérêts formée au titre de préjudices constitués des frais de justice et d'accompagnement afférents à la procédure de sauvegarde, des frais associés et du paiement des annuités du plan de sauvegarde ;

- débouté les sociétés Comelec et Incomeo de leur demande de dommages et intérêts ;

- condamné in solidum les sociétés Comelec et Incomeo à payer à la société TG LEC la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel ;

- débouté les sociétés Incomeo et Comelec de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum les sociétés Comelec et Incomeo aux dépens de première instance et d'appel.     Le 23 décembre 2022, la société Incomeo a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. 

Le 1er février 2023, la société Incomeo, la Selarl AJRS, prise en la personne de M. [X] [Y],  agissant en qualité d’administrateur au redressement judiciaire de la société Incomeo, la Selarl JSA, prise en la personne de Mme [A] [B], agissant en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Incomeo, la société Comelec, la Selarl Athena, prise en la personne de Mme [C] [D],  agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Comelec et la Selarl [F], & associés, prise en la personne de Mme [E] [F], agissant en qualité d’administrateur judiciaire de la société Comelec, ont formé un pourvoi rectificatif et complémentaire. 

Par requête du 8 juin 2023, la société TG-LEC et la Selarl MJC2A, prise en la personne de M. [G], en qualité de commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde de la société TG-LEC, ont demandé la radiation du pourvoi sur le fondement de l’article 1009-1 du code de procédure civile, en invoquant l’inexécution de l’obligation de faire résultant de l’arrêt attaqué. Ils font valoir que, de jurisprudence constante, en cas d’annulation d’un contrat, la décision d’annulation emporte obligation à restitutions réciproques, sans même que la décision du juge n’ait à le préciser. Et si l’ouverture d’une procédure collective fait obstacle à la radiation pour défaut d’exécution d’une condamnation pécuniaire, tel n’est pas le cas s’agissant, comme en l’espèce, d’une inexécution d’une obligation de faire. Or, la cour d’appel a annulé le contrat de cession de titres de la société Energia-DGEM conclu entre les sociétés Comelec et Incomeo, d’une part, et la société TG-LEC, d’autre part, et a aussi précisé qu’une fois la restitution du prix de cession intervenue, alors « la teneur de la comptabilité des titres de la socété Energia-DGEM enregistrera les mouvements consécutifs à la nullité ». En conséquence de l’annulation de la cession, qui a un effet rétroactif, la société TG-LEC a cherché à restituer les titres de la société Energia-DGEM aux sociétés Comelec et Incomeo, mais ces dernières ont refusé de recevoir cette restitution, ce qui a entraîné des conséquences désastreuses, la société Energia-DGEM étant placée en liquidation judiciaire le 6 mars 2023.  

Dans leurs observations du 29 septembre 2023, les sociétés Comelec et Incomeo, et les Selarl AJRS, JSA, Athena et [F] & associés, ès qualités, soutiennent que tant la société Comelec que la société Incomeo ont fait l’objet de l’ouverture de procédures collectives, respectivement les 4 et 24 janvier 2023, et que l’arrêt attaqué ayant prononcé des condamnations pécuniaires à leur encontre étant antérieur aux jugements d’ouverture des procédures collectives, ces derniers interdisent tout règlement des condamnations en application de l’article L. 622-7 du code de commerce, ce que ne conteste pas la partie adverse. Par ailleurs et, d’une part, la cour d’appel n’a pas fait obligation aux sociétés Incomeo et Comelec de reprendre le contrôle de la société Energia-DGEM, pour désigner, par exemple, un dirigeant, d’autre part, elle a conditionné le transfert des titres au règlement des condamnations financières. De troisième part, la mise en liquidation judiciaire de la société Energia-DGEM rend impossible cette prétendue obligation de faire puisque les titres sont désormais indisponibles. De plus, la jurisprudence assimile, pour l’application de l’article L. 622-7 du code de commerce, l’obligation de faire à l’obligation de payer lorsque l’obligation de faire implique des investissements financiers sous la protection du tribunal (Com. 9 juillet 1996, pourvoi n°94-18.676, B n°210), ce qui est le cas en l’espèce. Enfin, les sociétés Comelec et Incomeo ont entrepris diverses démarches pour reprendre le contrôle de la société Energia-DGEM, mais leurs efforts se sont avérés vains, la société TG-LEC refusant de leur communiquer les éléments comptables et financiers nécessaires à cette reprise. Elles concluent qu’aucune inexécution ne peut leur être opposée et que la requête doit être rejetée. 

Dans leurs observations en réplique du 4 octobre 2023, la société TG-LEC et la Selarl MJC2A, ès qualités, font valoir que la société TG-LEC n’avait pas connaissance des actes de corruption lors de la signature de l’acte de cession, que l’arrêt attaqué oblige bien les demanderesses au pourvoi à reprendre le contrôle de la société Energia-DGEM, cette prise de contrôle étant un effet de la décision d’annulation de la cession, qu’il est inexact de subordonner le transfert des titres à la restitution du prix, que la liquidation judiciaire de la société Energia-DGEM ne rend pas impossible l’exécution de l’obligation de faire (Com. 21 avril 2022, pourvoi n°20-10.809, P), enfin, que la reprise des titres n’implique aucun investissement financier.

Dans leurs observations en réplique du 9 octobre 2023, les sociétés Comelec et Incomeo, et les Selarl AJRS, JSA, Athena et [F] & associés, ès qualités ajoutent que non seulement le dispositif de l’arrêt subordonne le transfert des titres au paiement des condamnations financières mais encore c’est la société TG-LEC elle-même qui a demandé, dans ses conclusions d’appel, aux juges d’intégrer dans leur décision un dispositif « cliquet » leur interdisant de se voir restituer la société Energia-DGEM en cas de défaut de règlement des condamnations. Elles entendent encore observer que la société TG-LEC semble confondre la restitution des titres avec la reprise en mains de la société Energia-DGEM, qu’elles n’ont jamais refusé de récupérer les titres de la société Energia-DGEM mais seulement de reprendre la direction effective de cette société, eu égard notamment à sa situation économique, qui la vouait à la liquidation judiciaire. 

Dans leurs observations complémentaires du 11 octobre 2023, la société TG-LEC et la Selarl MJC2A, ès qualités, font encore valoir que les demanderesses au pourvoi dénaturent leurs écritures d’appel, qu’elles ne citent pas intégralement, et que restitution des parts et reprise en mains de la gestion de l’entreprise ne peuvent être artificiellement distinguées, les deux ayant été fermement refusées par les demanderesses, lesquelles ne se sont pas présentées à l’assemblée générale convoquée par Me [H], ce qui signifie qu’elles ne se considéraient pas comme associées.     

Aux termes de l’article 1009-1 du code de procédure civile, hors les matières où le pourvoi empêche l'exécution de la décision attaquée, le premier président ou son délégué décide, à la demande du défendeur et après avoir recueilli l'avis du procureur général et les observations des parties, la radiation d'une affaire lorsque le demandeur ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée de pourvoi, à moins qu'il ne lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que le demandeur est dans l'impossibilité d'exécuter la décision.   

La société Comelec a été placée en procédure de sauvegarde par jugement du 4 janvier 2023, tandis que la société Incomeo a été placée en redressement judiciaire par jugement du 24 janvier 2023. L’ouverture de ces procédures collectives a entraîné l’interdiction de paiement de toute créance née antérieurement, dans les conditions prévues à l’article L. 622-7 du code de commerce. Elles sont donc dans l’impossibilité juridique d’exécuter les condamnations pécuniaires prononcées par l’arrêt attaqué, en particulier la restitution du prix de cession des titres consécutive à l’annulation, par ledit arrêt, de la cession litigieuse. 

La société TG-LEC et la Selarl MJC2A, ès qualités, fondent leur demande de radiation sur la non-exécution, par les demanderesses au pourvoi, d’une obligation de faire, en l’occurrence la reprise des titres de la société Energia-DGEM, en invoquant la remise en l’état antérieur de la vente par l’effet de l’annulation de cette dernière. 

L’obligation à restitutions réciproques découle nécessairement de l’annulation du contrat, et s’impose dès lors aux parties quand bien même le juge ne l’aurait pas expressément prononcée. 

Après avoir prononcé la nullité du contrat de cession conclu entre les sociétés Comelec et Incomeo, d'une part, et la société TG-LEC, d'autre part, et condamné les sociétés Comelec et Incomeo à restituer à la société TG-LEC le prix de vente des actions, l’arrêt attaqué a dit que le teneur de la comptabilité des titres de la société Energia-DGEM enregistrera les mouvements consécutifs à la nullité après justification de la restitution intégrale du prix de cession. 

A supposer que la disposition litigieuse de l’arrêt attaqué subordonne le transfert des titres à la restitution de leur prix de cession, une telle disposition ne prévoit pas le cas où le cédant serait dans l’impossibilité légale de restituer le prix de cession, par l’effet de l’ouverture d’une procédure collective. 

Les sociétés Comelec et Incomeo, qui ne sont soumises à aucune impossibilité juridique de faire, ne justifient d’aucun motif légitime de refus d’acceptation des titres de la société Energia-DGEM, cette obligation d’acceptation des cédants résultant de celle de restitution des titres par les cessionnaires, sans que les premiers puissent opposer aux seconds l’absence d’informations suffisantes sur la situation économique ou comptable de la société Energia-DGEM dont les titres sont l’objet de la cession annulée, ni davantage la mise en liquidation judiciaire de cette société, dès lors que le jugement de liquidation judiciaire d’une société, s’il entraîne sa dissolution de plein droit, est sans effet sur sa personnalité morale, qui subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu’à la publication de la clôture de la procédure, de sorte que, tant que cette publication n’est pas intervenue, les parts sociales composant son capital ont toujours une existence juridique et peuvent faire l’objet d’une restitution en nature (Com., 21 avril 2022, pourvoi n°20-10.809, P). 

Dans ces conditions, eu égard à l’absence d’exécution de cette obligation par les demanderesses au pourvoi, lesquelles ne justifient d’aucune impossibilité d’exécuter ni des conséquences manifestement excessives qu’entraînerait une telle exécution, il convient de radier l’affaire du rôle de la Cour.           

EN CONSÉQUENCE :

L’affaire enrôlée sous le numéro Q 22-24.688 est radiée.

En application de l'article 1009-3 du code de procédure civile, sauf constat de la péremption, l'affaire pourra être réinscrite au rôle de la Cour de cassation sur justification de l'exécution de la décision attaquée.

    Fait à Paris, le 9 novembre 2023 Le greffier,        Le conseiller délégué,  Océane Gratian    Michèle Graff-Daudret

   

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