La Commission nationale de réparation des détentions

Une personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire, puis a été reconnu définitivement innocente (non-lieu, relaxe, acquittement), a le droit de demander la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette privation de liberté.

Toutefois, aucune réparation n’est due:

  • lorsque le non-lieu, la relaxe ou l’acquittement a pour seul fondement l'irresponsabilité, une amnistie ou la prescription de l’action publique;
  • lorsque la personne a fait l’objet d’une détention provisoire pour s’être librement et volontairement accusée ou laissée accuser à tort en vue de faire échapper l’auteur des faits aux poursuites;
  • lorsque la personne était dans le même temps détenue pour autre cause.

C’est le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle a été rendue la décision établissant l’innocence du détenu qui statue, à l’issue d’une procédure publique et contradictoire, par décision motivée susceptible de recours devant la Commission nationale de réparation des détentions placée auprès de la Cour de cassation (CNRD).

Composition de la Commission nationale de réparation des détentions

La commission nationale est composée du premier président de la Cour de cassation, ou de son représentant, qui la préside, et de deux magistrats du siège de la cour ayant le grade de président de chambre, de conseiller ou de conseiller référendaire, désignés annuellement par le bureau de la cour. Outre ces deux magistrats, ce bureau désigne également, dans les mêmes conditions, trois suppléants.

Les fonctions du ministère public sont remplies par le parquet général près la Cour de cassation.

La procédure devant la CNRD

Qui ?

Le recours peut être exercé par:

  • le demandeur;
  • l’agent judiciaire du Trésor;
  • le procureur général près la cour d’appel. 

 

Quand ?

La saisine de la CNRD doit avoir lieu dans les dix jours à compter de la notification de la décision du premier président de la cour d'appel.

 

Comment ?

La déclaration de recours est remise au greffe de la cour d’appel.

Revenus

Lorsque le demandeur a perdu son emploi en raison de l’incarcération, la réparation du préjudice matériel doit prendre en compte les pertes de salaire subies pendant la durée d’emprisonnement et, après la libération, pendant la période nécessaire à la recherche d’un emploi (CNRD, 21 octobre 2005, n°5C -RD.005, bull. n°9), déduction faite des allocations de chômage perçues (CNRD ,18 décembre 2006, n°6C-RD.045 , bull. n° 15).

De même, est réparable la perte des revenus tirés de l’exploitation d’une société (CNRD, 15 juillet 2004, n°2C-RD.078) .

L’indemnité qui répare la perte des salaires étant de nature à remettre le demandeur dans la situation où il se serait trouvé s’il n’avait pas été incarcéré, il ne peut cumulativement prétendre à une indemnité correspondant au montant des dépenses dont il aurait dû s’acquitter avec ses revenus s’il n’avait pas été incarcéré (loyers, taxe d’habitation, assurance automobile, redevance télévision, cotisation carte bancaire) (CNRD , 17 novembre 2008 , n°8C-RD.033).

Le préjudice issu de la suspension, pendant la détention, du versement du revenu minimum d’insertion doit être indemnisé (CNRD, 17 décembre 2004, n°4C-RD.021).

Perte de chance

La commission répare la perte de chance de percevoir des salaires lorsque celle-ci est sérieuse (CNRD,21 octobre 2005, n°5C-RD.001, bull. n°10).

Elle répare également la perte de chance de suivre une scolarité ou une formation ou de réussir un examen entraînant l’obligation de recommencer une année scolaire (CNRD, 2 mai 2006, n°5C-RD.071).

Le demandeur n’ayant pu cotiser ni pour sa retraite de base, ni pour ses retraites complémentaires, le préjudice subi s’analyse en une perte de chance d’obtenir les points de retraite qu’il était en droit d’escompter si, n’étant pas incarcéré, il avait pu normalement cotiser, et non en une perte des pensions de retraite qu’il aurait pu percevoir (CNRD , 29 mai 2006 , n°5C-RD.082 , bull. n°8).

L’indemnité doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée (CNRD,13 décembre 2010 , n°0C-RD.025).

Exclusion des méthodes alternatives de réparation

La perte des indemnités servies par l’Assedic ne peut se cumuler avec la réparation de la perte de chance de trouver un emploi (CNRD, 8 novembre 2002, n°02-99.034 , bull. n°8).

Frais de transport exposés par le conjoint

Les frais de transport engagés par le demandeur pour permettre à son épouse de lui rendre visite en prison constituent des dépenses liées à la détention (CNRD, 14 décembre 2005, n°5C-RD.036).

Si les époux sont mariés sous le régime de la communauté légale et si les frais ont été exposés par la communauté, le demandeur est fondé à se prévaloir d’un préjudice personnel à hauteur de la moitié des frais engagés (CNRD, 29 mai 2006, n°5C-RD.072).

Frais de déménagement consécutifs à l’incarcération

Lorsque l’incarcération, qui s’est traduite par la suspension du traitement du demandeur, a eu pour conséquence la perte du logement dont celui-ci était locataire, les frais de déménagement et de transport qu’il a exposés, et qui sont directement liés à la détention, doivent être réparés (CNRD, 14 décembre 2005, n°5C-RD.044).

Frais d’avocat

S’agissant des frais de défense, selon une jurisprudence constante, les honoraires d’avocat ne sont pris en compte, au titre du préjudice causé par la détention, que s’ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté et aux procédures engagées pour y mettre fin (CNRD, 21 janvier 2008, n°7C-RD.048 et n°7C-RD.049). Si la facture d’honoraires énumère de façon détaillée les prestations effectuées pour obtenir la libération du demandeur, ainsi que leur coût , la commission admet le remboursement de tels frais de défense(CNRD, 21 janvier 2008, n°7C-RD.062).

Par contre, dès lors que ni une convention d’honoraires, ni une facture établie le lendemain, soit plusieurs mois avant la fin de l’incarcération de l’intéressé, ne permettent d’identifier les dépenses supportées par celui-ci au titre des frais de défense directement et exclusivement liés à la détention subie , la décision du premier président, qui a cru pouvoir évaluer, à partir de pièces non détaillées, le coût afférent à une demande de mise en liberté, ne peut qu’être réformée (CNRD, 7 décembre 2009 , n°9C-RD.037, bull. n°7 ).

Mais, par une décision du 18 octobre 2010 (CNRD,18 octobre 2010, n°0C-RD.019), il a été jugé que le contentieux du paiement des honoraires ne rentre pas dans la compétence du juge de la réparation, au titre de l’article 149 du code de procédure pénale. Dès lors, il n’y a pas lieu d’exiger du demandeur un justificatif du paiement des honoraires de défense afférents à la détention provisoire.

Frais de cantine

La commission nationale rejette les demandes tendant au remboursement des frais exposés en détention.

Elle considère que ces dépenses auraient été exposées également en dehors du milieu carcéral pour l’entretien courant du requérant (CNRD, 23 octobre 2006, n°6C-RD.035 , bull. n°12 ).

S’agissant du surcoût qu’elles imposent aux détenus, elle estime qu’elle n’a pas à apprécier le montant des prix pratiqués en détention (CNRD, 18 décembre 2006, n° 6-C-RD.054).

La souffrance morale résulte du choc carcéral ressenti par une personne brutalement et injustement privée de liberté. Elle peut être aggravée, notamment, par une séparation familiale et des conditions d’incarcération particulièrement difficiles. Elle peut aussi être minorée par l’existence d’un passé carcéral. D’autres circonstances sont, par contre, tenues pour inopérantes.

La situation familiale

La commission nationale a retenu, comme facteur d’aggravation, notamment, la séparation d’un père et de son nouveau-né (CNRD, 17 décembre 2004, n°4C-RD.014), celle d’une jeune mère célibataire et de sa fille unique de 6 ans (CNRD, 21 octobre 2005, n°4C-RD.032), la naissance d’un enfant pendant la détention (CNRD, 31 mars 2006, n°5C-RD.060), l’incarcération du demandeur la veille du baptême de l’un de ses enfants sans que sa famille ait été avisée de son incarcération (CNRD, 18 décembre 2006, n°6C-RD.034), la détresse ressentie par une mère mise sous écrou et séparée de ses enfants en bas âge ainsi que de son mari, lequel, gravement blessé, venait d’être hospitalisé à la suite de l’incendie de leur domicile (CNRD, 2 mai 2006, n°5C-RD.067).

Si le préjudice subi par les proches n’est pas indemnisable, la souffrance supplémentaire du détenu, causée par le désarroi de savoir sa compagne et son bébé seuls sans pouvoir leur apporter le soutien nécessaire, constitue un préjudice personnel réparable (CNRD, 26 juin 2006, n°5C-RD.079, bull. n°9); de même en est-il du supplément de souffrance ressenti par un détenu placé dans l’impossibilité d’apporter l’aide nécessaire à son épouse, gravement malade sur le plan psychiatrique, et à leurs trois enfants présents au foyer familial (CNRD, 14 avril 2008 , n°7C-RD.090, bull. n°4) ou encore du préjudice moral subi par le demandeur en raison de la répercussion sur la santé de ses proches de sa détention (CNRD, 6 février 2004, n°3C-RD.024).

Les conditions d’incarcération

Constituent, notamment, des facteurs d’aggravation du préjudice moral, les menaces subies par le demandeur, la surpopulation de la maison d’arrêt, les mauvaises conditions d’hygiène et de confort (CNRD, 20 février 2006, n°5C-RD.055, bull. n° 4), la vétusté des lieux (CNRD, 29 mai 2006, n° 5C-RD.077), la multiplication des transferts d’un établissement pénitentiaire à l’autre, à l’origine de la rupture des liens familiaux (CNRD, 7 mars 2005, n°4C-RD.031) et les difficultés résultant d’une détention subie pour partie dans des prisons étrangères (CNRD, 7 mars 2005, n°4C-RD.043).

Si la nature infamante des faits poursuivis ne constitue pas un critère d’appréciation du préjudice moral (CNRD, 5 décembre 2005, n°5C-RD.032), la nature des faits doit être prise en compte si les conditions de détention s’en sont trouvées particulièrement pénibles, par exemple du fait des réactions d’hostilité des autres détenus (CNRD, 14 novembre 2005, n°5C-RD.019, bull. n°12).

Doit être pris en considération pour l’évaluation du préjudice moral causé par la détention provisoire, l’accroissement du choc psychologique enduré par l’intéressé en raison de sa réincarcération (CNRD, 14 juin 2010, n°0C-RD.012, bull. n°5).

L’incidence du passé carcéral

Les périodes d’incarcération déjà effectuées sont de nature à minorer le choc psychologique. Cependant, le passé carcéral ne constitue pas nécessairement un facteur d’atténuation du préjudice moral.

Ainsi , le choc psychologique enduré par une personne en raison de l’importance de la peine encourue pour un crime dont elle se savait innocente n’est pas amoindri par des incarcérations antérieures subies à l’occasion de procédures correctionnelles (CNRD, 21 octobre 2005, n°4C-RD.001, bull. n°10).

Ne constituent pas une cause de minoration du préjudice moral les détentions précédentes subies par le demandeur, pour de courtes périodes et dans des quartiers réservés aux détenus mineurs, dont les conditions de détention sont plus favorables et mieux encadrées que celles réservées aux détenus majeurs (CNRD, 21 mai 2007, n°6C-RD.082, bull. n°3).

De même, peut être pris en considération le fait que le demandeur ait été confronté de nouveau au milieu pénitentiaire, pour des raisons qu’il savait injustifiées, et alors qu’il n’avait pas subi de nouvelle condamnation depuis un long laps de temps (CNRD, 2 mai 2006, n°5C-RD.066), ou encore la réinsertion sociale complète et durable du demandeur ainsi que sa confrontation, pour des raisons qu’il savait injustifiées, au milieu carcéral dont il avait réussi à s’éloigner (CNRD, 26 juin 2006, n°6C-RD.008, bull. n°10).

Les circonstances inopérantes

Le bien-fondé de la décision de placement et de maintien en détention échappe au contrôle du premier président, qui ne saurait, pour évaluer le montant de la réparation, retenir que la privation de liberté n’était pas nécessaire en l’espèce (24 janvier 2002, n°01-92.003 , bull. n°4 ; CNRD, 15 octobre 2007, n°7C-RD.031).

La souffrance morale doit être appréciée indépendamment de l’attitude du demandeur pendant l’enquête ou l’information, de son comportement procédural (CNRD, 21 octobre 2005,n°5C-RD.005, bull. n°9) . Ainsi, les dénégations du requérant au cours de l’enquête préliminaire et de l’instruction préparatoire sur les faits qui ont entraîné sa mise en examen sont sans portée sur le principe et le montant de la réparation (CNRD, 5 décembre 2005, n°5C-RD.010). De même, la fuite d’une personne à l’étranger en violation des obligations du contrôle judiciaire ne peut pas être retenue comme facteur d’atténuation de son préjudice moral, même s’il en est résulté sa condamnation par contumace au maximum de la peine encourue (CNRD, 5 décembre 2005, n°5C-RD.017, bull. n°14).

Par ailleurs, est sans conséquence sur l’évaluation du préjudice moral l’existence de relations entre le requérant et la mineure ayant dénoncé les faits à l’origine de son incarcération (CNRD, 19 décembre 2003, n°2-CR.D081, bull. n°10) ou la seule existence de relations intimes entre la requérante et l’un des auteurs principaux des faits incriminés (CNRD, 19 décembre 2003, n°3 -CR.D 009, bull. n°9).


 

Envoyé spécial - "Le prix de l’innocence"

Un reportage de Mathieu Delahousse pour Envoyé spécial (France 2 - 7 mars 2019)

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