Note explicative relative à l’arrêt n°2333 du 25 novembre 2020 (18-86.955) - Chambre criminelle (arrêt "Fusion-absorption")
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La chambre criminelle de la Cour de cassation, réunie en formation solennelle, rend ce jour un arrêt qui marque une évolution substantielle de sa jurisprudence concernant la question du transfert de la responsabilité pénale d’une personne morale en cas de fusion-absorption d’une société par une autre.
Cet arrêt est particulièrement important en ce qu’il écarte dorénavant l’analyse de l’opération
de fusion-absorption consistant à assimiler la dissolution de la société absorbée au décès d’une
personne physique.
Abandonnant cette conception anthropomorphique et prenant en considération la spécificité des
personnes morales, il s’attache à tirer les conséquences de la réalité économique de la fusion et
autorise, à certaines conditions, le transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à
la société absorbante.
Cette interprétation renouvelée des textes internes, permise par le droit issu de la Convention
européenne des droits de l’homme et induite par le droit de l’Union européenne, permet d’éviter
que la fusion-absorption ne fasse obstacle à la responsabilité pénale des sociétés.
1. Présentation de l’affaire et de la problématique posée
Une société mise en cause pour des faits de destruction involontaire par incendie avait été
absorbée par une autre société à l’occasion d’une opération de fusion, avant d’être convoquée
devant la juridiction correctionnelle pour y être jugée.
La demanderesse au pourvoi - la société absorbante intervenant à la cause - reprochait à l’arrêt
de la cour d’appel attaqué d’avoir ordonné un supplément d’information afin de rechercher si
l’opération de fusion-absorption n’avait pas été entachée de fraude, au motif que dans un tel cas
la responsabilité pénale de la société absorbante pourrait être engagée. La requérante faisait valoir
que le principe de personnalité des délits et des peines énoncé à l’article 121-1 du code pénal
s’oppose à toute poursuite contre la société absorbante.
Les moyens soulevés en demande et les arguments développés en défense par les parties civiles
ont amené la chambre criminelle à distinguer trois questions (cf. §. 13 et 14) auxquelles elle
répond de façon successive :
- En premier lieu, en cas de fusion entraînant l’absorption d’une société par une autre, la
société absorbante peut-elle être condamnée pour des faits commis par la société
absorbée avant la fusion ?
- En deuxième lieu, en cas de transfert de la responsabilité pénale à la société absorbante
constitutif d’un revirement de jurisprudence, convient-il d’appliquer ce nouveau principe
immédiatement ou d’en différer dans le temps son application au regard du principe de
prévisibilité juridique ?
- En dernier lieu, et sous réserve des réponses apportées aux deux premières questions,
qu’en est-il dans le cas d’une éventuelle fraude lors de l’opération de fusion absorption ?
2. Le nouveau principe du transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée
à la société absorbante en cas de fusion-absorption entre sociétés anonymes ou
assimilées
La Cour de cassation, opérant un revirement de jurisprudence, juge qu’en cas de fusion
absorption d’une société par une autre société entrant dans le champ de la directive 78/855/CEE
du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu
par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017, la société
absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des
faits constitutifs d’une infraction commis par la société absorbée avant l’opération.
Avant de poser ce nouveau principe (§. 35), la chambre criminelle explique de façon
particulièrement motivée et détaillée les raisons du revirement de jurisprudence (§. 15 à 34).
2.1 La jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation
La chambre criminelle jugeait jusqu’ici de manière constante que l’article 121-1 du code pénal,
aux termes duquel nul n’est responsable que de son propre fait, s’opposait à ce que la société
absorbante soit poursuivie pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération de
fusion (Crim., 20 juin 2000, pourvoi n° 99-86.742, Bull. crim. 2000, n° 237 ; Crim., 14 octobre
2003, pourvoi n° 02-86.376, Bull. crim. 2003, n° 189 ; Crim., 18 février 2014, pourvoi n°
12-85.807).
Cette interprétation de l’article 121-1 du code pénal se fondait sur une assimilation de la situation
de la personne morale absorbée à celle d’une personne physique décédée : la fusion, qui entraîne
la dissolution de la société absorbée, lui faisant perdre sa personnalité juridique, doit entraîner
l’extinction de l’action publique en application de l’article 6 du code de procédure pénale
(extinction de l’action publique par « décès »). La société absorbante, personne morale distincte,
ne saurait en conséquence être poursuivie pour les faits commis par la société absorbée.
Par ailleurs, cette interprétation de l’article 121-1 apparaissait comme la seule permettant de
respecter l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme tel qu’interprété par la
Cour européenne des droits de l’homme.
Cette dernière ne s’était jusqu’ici prononcée que sur le transfert de responsabilité pénale entre
personnes physiques.
Ainsi, dans un arrêt du 29 août 1997 (CEDH, arrêt du 29 août 1997, E.L., R.L. et J.O.-L. c.
Suisse, n°20919/92), se fondant sur le deuxième paragraphe de l’article 6 de la Convention, elle
a affirmé que le principe selon lequel la responsabilité pénale ne survit pas à l’auteur de l’acte
délictueux est une règle fondamentale du droit pénal.
Elle a en conséquence jugé que la condamnation des héritiers à une amende fiscale - équivalente
selon elle à une sanction pénale - pour une fraude fiscale imputée au défunt, constituait une
violation de ce texte.
2.2 Une évolution en cohérence avec le double contexte jurisprudentiel européen
Dans un premier temps, une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union
européenne qui n’a pas permis à elle seule une évolution du droit national (§. 17 à
18)
La Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 5 mars 2015, a dit pour droit que :
« L’article 19, paragraphe 1, de la troisième directive 78/855/CEE du Conseil, du 9 octobre 1978,
fondée sur l’article 54 paragraphe 3 sous g) du traité et concernant les fusions des sociétés
anonymes, telle que modifiée par la directive 2009/109/CE du Parlement européen et du Conseil,
du 16 septembre 2009, doit être interprété en ce sens qu’une fusion par absorption, au sens de
l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive, entraîne la transmission, à la société absorbante, de
l’obligation de payer une amende infligée par décision définitive après cette fusion pour des
infractions au droit du travail commises par la société absorbée avant ladite fusion » (CJUE, arrêt
du 5 mars 2015, Modelo Continente Hipermercados SA c/ Autoridade para as Condições de
Trabalho, C-343/13).
La Cour de justice a considéré que la responsabilité contraventionnelle résultant de faits commis
antérieurement à la fusion est transmise à la société absorbante en tant qu’élément du patrimoine
passif de la société absorbée. Cette solution s’impose puisqu’à défaut, cette responsabilité se
trouverait éteinte et les droits de l’Etat, qui figure parmi les tiers dont la directive précitée vise
la protection des intérêts, s’en trouveraient méconnus.
Cette décision n’a cependant pas, à elle seule, amené la Cour de cassation à modifier sa
jurisprudence.
En effet, si les juridictions nationales ont l’obligation d’interpréter le droit interne dans un sens
conforme au droit de l’Union, c’est à la condition que cette interprétation ne les conduise pas à
faire produire aux dispositions d’une directive un effet direct à l’encontre d’un particulier (CJCE,
arrêt du 26 sept. 1993, Arcaro, C-168/95 ; CJCE, arrêt du 3 mai 2005, Berlusconi e.a., C-387/02,
C-391/02 et C-403/02). Cette limite n’est respectée que lorsque le texte national peut être
interprété dans le sens de la directive, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de l’écarter pour donner
son plein effet à cette dernière.
En application de ces principes, la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 octobre 2016 (Crim., 25 octobre 2016, pourvoi n° 16-80.366, Bull. crim. 2016, n° 275), a considéré que :
- d’une part, l’article 121-1 du code pénal ne pouvait s’interpréter, au regard notamment de
l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, que comme interdisant que des
poursuites pénales soient engagées à l’encontre de la société absorbante pour des faits commis
par la société absorbée avant que cette dernière ne perde son existence juridique par l’effet d’une
fusion-absorption ;
- d’autre part, ledit article ne pouvait être écarté comme contraire à la directive du 9 octobre 1978
puisqu’une directive ne peut pas produire un effet direct à l’encontre d’un particulier.
Dans un second temps, une jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme qui permet, au côté de celle de la Cour de justice, une évolution du droit
national (§. 19 à 34)
Cependant, une décision récente de la Cour européenne des droits de l’homme conduit
aujourd’hui la Cour de cassation à faire évoluer substantiellement sa jurisprudence.
Par une décision du 24 octobre 2019, la Cour européenne des droits de l’homme, se fondant sur la continuité économique existant entre la société absorbée et la société absorbante, en déduit que « la société absorbée n’est pas véritablement " autrui " à l’égard de la société absorbante ». Elle juge en conséquence que l’application d’une amende civile, à laquelle est applicable le volet pénal de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, à une société absorbante pour des actes restrictifs de concurrence commis avant la fusion par la société absorbée ne porte pas atteinte au principe de personnalité des peines (CEDH, décision du 24 octobre 2019, Carrefour France c. France, n°37858/14). Cette solution autorise à abandonner l’approche anthropomorphique de l’opération de fusionabsorption, critiquable en ce que :
- d’une part elle ne tient pas compte de la spécificité de la personne morale, qui peut changer de forme sans pour autant être liquidée ;
- d’autre part, elle est sans rapport avec la réalité économique.
Elle ouvre la voie à une nouvelle interprétation de l’article 121-1 du code pénal, respectueuse de
l’article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, permettant que la société
absorbante soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par
la société absorbée avant l’opération de fusion absorption.
L’article 6 du code de procédure pénale, qui ne prévoit pas expressément l’extinction de l’action
publique lors de l’absorption d’une société, ne s’oppose pas non plus à cette interprétation.
Cette interprétation, dès lors qu’elle est possible, s’impose à la Cour de cassation puisqu’elle est
la seule à permettre de tirer les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice du 5 mars 2015,
précité.
Dans son arrêt, la chambre criminelle expose l’intégralité du raisonnement suivi par la Cour de
justice, s’appropriant ainsi les éléments relevés par la juridiction européenne pour motiver sa
décision (§ 29 à 33) :
- l’opération de fusion par absorption entraîne de façon automatique la cessation de l’existence
de la société absorbée de sorte que sans la transmission à la société absorbante de la
responsabilité contraventionnelle, cette responsabilité serait éteinte ; une telle extinction serait
en contradiction avec la nature même de la fusion par absorption au sens de la directive, dans la
mesure où, une telle fusion consiste en un transfert de l’ensemble du patrimoine de la société
absorbée à la société absorbante par suite d’une dissolution sans liquidation ;
- la transmission de la responsabilité contraventionnelle répond également à l’objectif posé par
la directive de protection des tiers, parmi lesquels figure notamment l’Etat membre, qui ne peut
pas encore être qualifié de créancier, mais qui pourrait le devenir après l’opération, ses autorités
étant susceptibles d’infliger une sanction pour une infraction commise avant la fusion ;
- si la transmission d’une telle responsabilité était exclue, une fusion constituerait un moyen pour
une société d’échapper aux conséquences des infractions qu’elle aurait commises, au détriment
de l’État membre concerné ou d’autres intéressés éventuels ;
- l’argument selon lequel la transmission de la responsabilité contraventionnelle d’une société
absorbée moyennant une fusion serait contraire aux intérêts des créanciers et des actionnaires de
la société absorbante, dans la mesure où ces derniers ne seraient pas à même d’évaluer les
conséquences économiques et patrimoniales de cette fusion, doit être écarté car :
- d’une part, lesdits créanciers doivent, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, de la
directive 78/855, avoir le droit d’obtenir des garanties adéquates lorsque la situation financière
des sociétés qui fusionnent rend cette protection nécessaire, le cas échéant en saisissant l’autorité
administrative ou judiciaire compétente pour obtenir de telles garanties ;
- d’’autre part les actionnaires de la société absorbante peuvent être protégés, notamment,
par l’insertion d’une clause de déclarations et de garanties dans l’accord de fusion ;
- en outre, rien n’empêche la société absorbante de faire effectuer avant la fusion un audit
détaillé de la situation économique et juridique de la société à absorber pour obtenir, en plus des
documents et des informations disponibles en vertu des dispositions législatives, une vue plus
complète des obligations de cette société.
2.3 Une évolution qui s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel interne convergent
Il convient de remarquer que la décision de la chambre criminelle s’inscrit dans un mouvement
jurisprudentiel interne favorable à une telle évolution.
Ainsi, la chambre commerciale de la Cour de cassation admet l’application à la société
absorbante d’amendes civiles prononcées pour des manquements à la réglementation en matière
de concurrence commis, avant la fusion, par la société absorbée (Com., 28 février 2006, n°
05-12.138, Bull. 2006, IV, no 49 ; Com., 21 janvier 2014, n° 12-29.166 ).
Le Conseil constitutionnel a validé la jurisprudence de la chambre commerciale. Il a considéré
qu’elle ne portait pas atteinte au principe selon lequel nul n’est punissable que de son propre fait,
celui-ci pouvant faire l’objet d’adaptations dès lors que celles-ci sont justifiées par la nature de
la sanction et par l’objet qu’elle poursuit et qu’elles sont proportionnées à cet objet (Cons. const.,
18 mai 2016, décision n° 2016-542 QPC). Il a en particulier retenu « la mutabilité des formes
juridiques sous lesquelles s’exercent les activités économiques concernées ».
A l’appui de sa conclusion, le Conseil constitutionnel a notamment relevé que l’amende civile
encourue par la société absorbante est une sanction pécuniaire et qu’elle ne peut être prononcée que contre une personne bénéficiaire de la transmission du patrimoine de la société absorbée,
dissoute sans liquidation.
Bien que le Conseil ait paru exclure, dans une incise, la possibilité d’une telle adaptation du
principe de personnalité des délits et des peines en droit pénal, en cohérence avec la
jurisprudence de la chambre criminelle d’alors (Voir le commentaire de cette décision publiée aux Cahiers), il convient de souligner qu’il n’a jamais été
amené à se prononcer directement sur cette question.
Le Conseil d’Etat, en matière de régulation des marchés financiers et en matière fiscale, a
également admis que des sanctions pécuniaires soient prononcées à l’encontre de la société
absorbante pour des faits commis avant la fusion (CE, 22 novembre 2000, n°207697, publié au
recueil Lebon ; CE, 30 mai 2007, no 293423 ; CE, avis, 3e et 8e ss-sect., 4 décembre 2009, no
329173, JORF n°0034 du 10 février 2010 ; voir dans le même sens : CE, 17 juillet 2013, n°
352989, 356523 et 360706 et CE, 9 avril 2014, n° 359913 ; CE, 23 juin 2014, n°352990 ; CE 23
juillet 2014, n°359902 ).
Dans tous les cas, il s’agit d’éviter que les autorités compétentes se voient empêchées de
sanctionner un comportement illégal par le simple jeu d’un mécanisme du droit des sociétés.
Les enjeux sont importants en particulier dans des domaines comme le droit pénal de
l’environnement, dans lesquels il apparaît particulièrement nécessaire de préserver le caractère
effectif et dissuasif des peines susceptibles d’être prononcées.
3. Les conditions et limites du transfert de responsabilité pénale de la société absorbée
à la société absorbante
La Cour de cassation précise les conditions et les limites du transfert de responsabilité pénale
de la société absorbée à la société absorbante.
3.1 Une portée limitée aux fusions relevant de la directive relative à la fusion des sociétés
anonymes
En premier lieu, ce transfert, issu de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978
relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive (UE)
2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017, ne s’applique que dans le
champ d’application de celle-ci, à savoir, pour la France, en cas de fusion de sociétés anonymes
(§. 35 et 37).
A ce titre, il convient cependant de préciser que la directive relative aux fusions des sociétés
anonymes est également applicable aux sociétés par actions simplifiées (SAS). En effet, les SAS
ne sont qu’une catégorie particulière de société par actions et sont soumises, dans la mesure où
elles sont compatibles avec les dispositions particulières les concernant, aux règles concernant les sociétés anonymes (Article L. 227-1 du code de commerce al.2 : « Dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le présent chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à l’exception de l’article L. 224-2, du second alinéa de l’article L. 225-14, des articles L. 225-17 à L.225-102-2, L. 225-103 à L. 225-126, L. 225-243, du I de l’article L. 233-8 et du troisième alinéa de l’article L. 236-6, sont applicables à la société par actions simplifiée »).
.
3.2 Un transfert de responsabilité pénale à des fins éventuelles d’amende ou de
confiscation
En deuxième lieu, seules les peines d’amende et de confiscation sont susceptibles d’être
prononcées à l’encontre de la société absorbante (§. 37).
Cette limitation s’impose de par le fondement du transfert de responsabilité pénale, qui découle
de la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante.
3.3 Des droits de la défense également transférés
En troisième lieu, il est précisé que la personne morale absorbée étant continuée par la société
absorbante, cette dernière, qui bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, peut se
prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer (§. 36).
Il pourrait en être ainsi, par exemple, de toute exception de nullité, y compris celles pour
lesquelles seule la société absorbée avait qualité pour agir.
4. L’application dans le temps du principe de transfert de la responsabilité pénale
de la société absorbée à la société absorbante
Afin de respecter le principe de sécurité juridique, la Cour de cassation décide que la nouvelle
interprétation des textes internes retenue, constitutive d’un revirement de jurisprudence, ne
s’appliquera qu’aux opérations de fusion postérieures à la présente décision, c’est-à-dire
concluent postérieurement au 25 novembre 2020.
En effet, il résulte de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel
qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme que tout justiciable doit pouvoir
savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l’aide de l’interprétation qui en
est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels
actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef.
La Cour de cassation considère que l’interprétation nouvelle posée dans l’arrêt rendu ce jour
constitue un revirement substantiel de jurisprudence et que le principe de prévisibilité s’oppose
à son application aux fusions antérieures à sa décision (§. 38).
Elle ne pourra s’appliquer qu’aux opérations de fusion concluent postérieurement au 25 novembre 2020 (§. 39).
L’absence de transfert de responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante
lorsque la fusion est antérieure au 25 novembre 2020, ou lorsque l’opération n’entre pas dans le
champ de la directive précitée amène la chambre criminelle à s’interroger sur l’incidence que
peut avoir l’existence d’une fraude à la loi dans ces hypothèses.
5. L’incidence d’une fraude à la loi.
La Cour de cassation juge également que l’existence d’une fraude à la loi permet au juge de
prononcer toute sanction pénale encourue à l’encontre de la société absorbante lorsque
l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa
responsabilité pénale.
5.1 Le nouveau principe de responsabilité pénale en cas de fraude dans la fusionabsorption
Les réponses apportées par la chambre criminelle sur les questions du transfert de la
responsabilité pénale en cas de fusion absorption et de son application dans le temps l’amènent
à se demander si la solution doit être différente en cas de fraude.
La chambre criminelle n’avait jusqu’ici pas eu l’occasion de se prononcer sur l’incidence d’une
fraude à la loi commise à l’occasion d’une opération de fusion.
Pour autant, cette notion n’est pas étrangère à sa jurisprudence et elle en a déjà fait application
en droit pénal des sociétés.
Ainsi, dans un arrêt du 23 avril 1970 (Crim., 23 avril 1970, pourvoi n° 68-91.333, Bull. Crim.
n°144), elle a jugé qu’il incombe aux juges correctionnels, saisis à cet égard de conclusions
régulières d’une partie civile, de rechercher si la substitution d’une société commerciale à une
autre n’a pas dissimulé la continuation d’une même entreprise et si le changement de forme
juridique apporté à cette entreprise n’a pas été utilisé, en fraude de la loi, pour faire échec à la
libre désignation des délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise.
La chambre criminelle affirme, pour la première fois, que l’existence d’une fraude à la loi permet
au juge de prononcer une sanction pénale à l’encontre de la société absorbante lorsque l’opération
de fusion-absorption a eu pour but de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale
(§. 41).
5.2 Conditions de mise en oeuvre de cette jurisprudence
Application dans le temps
Cette doctrine, expressément énoncée dans l’arrêt rendu, ne constitue pas un revirement de
jurisprudence et n’était pas imprévisible. Dès lors, elle s’applique immédiatement, y compris aux
fusions conclues antérieurement (§. 42).
Il s’en déduit que si le juge répressif constate qu’il a été procédé, en fraude à la loi, à une
opération de fusion-absorption pour faire échec aux poursuites diligentées contre la société
absorbée, il peut, après avoir constaté que les faits objet des poursuites sont caractérisés, déclarer
la société absorbante coupable de ces faits.
Cette solution s’applique que la fusion ait été conclue avant ou après le 25 novembre 2020 et
qu’elle entre ou non dans le champ de la directive précitée.
Responsabilité pénale pleine et entière
Dans cette hypothèse, l’effet illicite recherché devant être considéré comme non avenu, toute
peine encourue par la société absorbée peut être prononcée à l’encontre de la société absorbante.
La société absorbante conserve la possibilité d’invoquer tout moyen de défense que la société
absorbée aurait pu invoquer.
Par conséquent, dans l’affaire qui lui était soumise, la Cour de cassation a conclu qu’en
ordonnant un supplément d’information dans le but, notamment, de déterminer si l’opération avait
été entachée de fraude, la cour d’appel n’a pas méconnu le droit applicable au moment où elle a
statué (§. 43).
L’on relèvera que toutefois l’arrêt attaqué est censuré mais pour un motif autre. En effet la cour
d’appel, qui n’a pas désigné l’un de ses membres pour procéder au supplément d’information
qu’elle a ordonné, a méconnu les articles 463 et 512 du code de procédure pénale (§. 47 à 49).
6. Synthèse
(Voir tableau)
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