Arrêt n°974 du 26 mai 2020 (20-81.910) - Cour de Cassation - Chambre criminelle
-ECLI:FR:CCAS:2020:CR00974
Détention provisoire
Cassation
Sommaire
1. L’article 16 de
l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 s’interprète comme prolongeant,
sans intervention judiciaire, pour les durées qu’il prévoit, tout titre
de détention venant à expiration, mais à une seule reprise au cours de
chaque procédure.
2. L’article 16 précité n’excède pas les limites de la loi d’habilitation n°2020-290 du 23 mars 2020.
3. Il résulte de l’article 5 de la
Convention européenne des droits de l’homme que lorsque la loi prévoit,
au-delà de la durée initiale qu’elle détermine pour chaque titre
concerné, la prolongation d’une mesure de détention provisoire,
l’intervention du juge judiciaire est nécessaire comme garantie contre
l’arbitraire.
Dès lors, l’article 16 précité de l’ordonnance n’est compatible avec l’article 5 de cette convention et la prolongation qu’il prévoit régulière que si la juridiction qui aurait été compétente pour prolonger la détention rend une décision par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé du maintien en détention, dans le cadre d’un débat contradictoire tenu, le cas échéant, selon les modalités prévues par l’article 19 de l’ordonnance.
Cette décision doit intervenir dans un délai qui court à compter de la date d’expiration du titre ayant été prolongé de plein droit et qui ne peut être supérieur d’une part, à un mois en matière délictuelle, d’autre part, à trois mois en matière criminelle ainsi qu’en cas d’appel de la condamnation prononcée en première instance.
Une telle décision ne s’impose pas
lorsqu’en première instance ou en appel, la juridiction compétente,
saisie de la question de la prolongation de plein droit de la détention
provisoire, a statué sur la nécessité de cette mesure dans le délai
précité.
Elle ne s’impose pas non plus si la juridiction compétente a statué sur la nécessité de la détention, d’office ou lors de l’examen d’une demande de mise en liberté, toujours dans le délai précité.
Dans les autres cas, si l’intéressé n’a pas, entre-temps, fait l’objet d’un nouveau titre de détention, il incombe au juge d’effectuer ce contrôle dans les délais précités, à moins que, dans ce délai, il n’ait déjà exercé son contrôle en application de l’article 16-1, alinéa 5, de l’ordonnance du 25 mars 2020, introduit par la loi du 11 mai 2020. A défaut d’un tel contrôle et sauf s’il est détenu pour autre cause, l’intéressé doit être immédiatement remis en liberté.
Encourt dès lors la cassation
l’arrêt, qui après avoir relevé que le délai de comparution devant la
cour d’assises avait été prolongé de six mois de plein droit, énonce que
la saisine de la chambre de l’instruction est devenue sans objet, alors
qu’il appartenait à cette juridiction de statuer sur la nécessité du
maintien en détention de l’accusé, qui sollicitait d’ailleurs sa mise en
liberté dans son mémoire.
Demandeur : M. A... X...
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 12 avril 2019, M. X..., placé en détention provisoire, a été mis en accusation devant la cour d’assises des chefs précités.
3. Par requête en date du 27 février
2020, le procureur général a saisi la chambre de l’instruction afin de
voir prolonger les effets du mandat de dépôt pour une durée de six mois,
en application de l’article 181 du code de procédure pénale, le titre
de détention de l’accusé expirant le 22 avril 2020.
Examen du moyen
Énoncé du moyen
4. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a constaté que la saisine de la cour d’appel, sur requête du parquet du 27 février 2020 en vue de la prolongation de la détention provisoire, sur le fondement de l’article 181 du code de procédure pénale, est devenue sans objet, le délai dans lequel doit intervenir l’audience de jugement étant de plein droit prorogé de six mois par l’effet de l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, alors :
« 1° que l’article 16 de
l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ne prolonge de plein droit que
le délai maximum de la détention provisoire ; qu’en l’espèce la durée de
la détention de monsieur X... mis en accusation par une ordonnance du
19 avril 2019 était encore prorogeable de six mois en application de
l’article 181 du code de procédure pénale en sorte que l’article 16 de
l’ordonnance était inapplicable ; que dès lors l’arrêt attaqué a violé
l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 par fausse application et les
articles 144 et 181 du code de procédure pénale par refus
d’application ;
2° que l’article 16 de l’ordonnance
n° 2020-303 du 25 mars 2020 qui allonge le délai maximum de la détention
provisoire n’a pas exclu que le juge se prononce dans chaque cas sur la
nécessité de cette prolongation ; qu’au contraire les articles 18 et 19
de l’ordonnance qui respectivement allonge les délais pour statuer
impartis à la chambre de l’instruction sur tout recours en matière de
détention provisoire et aménage une procédure écrite et contradictoire
devant le juge des libertés et de la détention pour la prolongation de
la détention ont expressément laissé les prolongations de la détention
au contrôle du juge ; que dès lors la chambre de l’instruction,
régulièrement saisie par une requête du parquet général, ne pouvait refuser
de se prononcer sur le maintien en détention pour une nouvelle durée de
six -mois de Monsieur X... ; que l’arrêt attaqué a ainsi violé
l’article 16 susvisé de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, les
articles préliminaire, 144 et 181 du code de procédure pénale, 5 et 6 de
la Convention européenne des droits de l’homme, 16 de la Déclaration
des droits de l’homme et 66 de la Constitution de 1958 ;
3° qu’à supposer que l’on puisse interpréter l’article 16 de l’ordonnance 2020-303 du 25 mars 2020 comme ayant prolongé de plein droit tous les titres de détention en cours ou délivrés pendant l’état d’urgence, il excède la loi d’habilitation n° 2020-290 du 23 mars 2020 dont l’article 11 I 2°) n’a pas autorisé le gouvernement à prolonger lui-même, sans contrôle du juge, la durée des détentions provisoires ; qu’il sera donc déclaré illégal et son application écartée ;
4° qu’à supposer que l’article 11 I 2°) de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 puisse se lire comme ayant autorisé le gouvernement à prolonger lui-même automatiquement pour des durées allant jusqu’à six mois les détentions provisoires sans aucun contrôle du juge judiciaire il est contraire à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et à l’article 66 de la Constitution ;
5° que dans ces mêmes hypothèses et pour ces mêmes raisons l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020 et l’article 11 I 2°) de la loi du 23 mars 2020 sont contraires aux articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme les atteintes qu’ils portent aux droits fondamentaux protégés par ces textes étant manifestement disproportionnées au regard des contraintes liées à l’état d’urgence sanitaire ; que leur application sera donc écartée ;
6° que les mesures exceptionnelles
et dérogatoires résultant de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020
ont pour seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19
parmi les personnes participant aux procédures ; qu’en l’espèce
l’audience s’est tenue en présence de l’intéressé, extrait de la maison
d’arrêt, de ses avocats, des magistrats composant la chambre de
l’instruction, de l’avocat général et du greffier ; que dès lors
l’examen au fond par la chambre de l’instruction de la nécessité et
l’opportunité de prolonger la détention de monsieur X... ne fais courir
aucun risque sanitaire supplémentaire ; qu’en refusant dans ces
conditions de se prononcer au fond sur la nécessité de prolonger la
détention pour une durée de six mois, la chambre de l’instruction,
méconnaissant et excédant ses propres pouvoirs, a porté une atteinte
manifestement disproportionnée au droit à la liberté individuelle et aux
droits de la défense tels qu’ils sont protégés par la Constitution de
1958, notamment l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et
l’article 66 de la Constitution, et violé les articles préliminaire,
144, 181 du code de procédure pénale et les articles 5 et 6 de la
Convention européenne des droits de l’homme. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen pris en sa quatrième branche
5. Par arrêt de ce jour, la chambre criminelle a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 11, I, 2°, d) de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020.
6. L’article 23-5, alinéa 4, de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu’à ce qu’il se soit prononcé. Il en va autrement quand l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.
7. Tel est le cas en l’espèce.
8. Il est rappelé que, dans sa décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009, le Conseil constitutionnel a jugé que si l’alinéa 4 de l’article précité peut conduire à ce qu’une décision définitive soit rendue dans une instance à l’occasion de laquelle le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité et sans attendre qu’il statué, dans une telle hypothèse, ni cette disposition ni l’autorité de la chose jugée ne sauraient priver le justiciable de la faculté d’introduire une nouvelle instance pour qu’il puisse être tenu compte de la décision du Conseil constitutionnel.
Sur le moyen pris en ses première et deuxième branches
9. L’article 16 de l’ordonnance
n°2020-303 du 25 mars 2020, prise en application de l’article 11 de la
loi du 23 mars 2020 précité, dispose :
« En matière
correctionnelle, les délais maximums de détention provisoire ou
d’assignation à résidence sous surveillance électronique, prévus par les
dispositions du code de procédure pénale, qu’il s’agisse des détentions
au cours de l’instruction ou des détentions pour l’audiencement devant
les juridictions de jugement des affaires concernant des personnes
renvoyées à l’issue de l’instruction, sont prolongés de plein droit de
deux mois lorsque la peine d’emprisonnement encourue est inférieure ou
égale à cinq ans et de trois mois dans les autres cas, sans préjudice de
la possibilité pour la juridiction compétente d’ordonner à tout moment,
d’office, sur demande du ministère public ou sur demande de
l’intéressé, la mainlevée de la mesure, le cas échéant avec assignation à
résidence sous surveillance électronique ou sous contrôle judiciaire
lorsqu’il est mis fin à une détention provisoire. Ce délai est porté à
six mois en matière criminelle et, en matière correctionnelle, pour
l’audiencement des affaires devant la cour d’appel.
Les prolongations
prévues à l’alinéa précédent sont applicables aux mineurs âgés de plus
de seize ans, en matière criminelle ou s’ils encourent une peine d’au
moins sept ans d’emprisonnement.
Les prolongations prévues par le présent article ne s’appliquent qu’une seule fois au cours de chaque procédure ».
10. Pour faire face au risque sanitaire majeur provoqué par l’épidémie de covid-19, le Gouvernement a adopté, par décrets, plusieurs mesures afin de limiter sa propagation, dont une mesure de strict confinement de la population. L’article 4 de la loi du 23 mars 2020, précitée, a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national. Par un nouveau décret, les mesures prises antérieurement ont été réitérées. C’est dans ce contexte qu’a été adoptée l’ordonnance du 25 mars 2020, dont l’article 16 doit être interprété.
11. Il convient de déterminer si l’expression « délais maximums de détention provisoire » désigne la durée totale de la détention susceptible d’être subie après l’ultime prolongation permise par le code de procédure pénale ou si elle désigne la durée au terme de laquelle le titre de détention cesse de produire effet en l’absence de décision de prolongation.
12. Dès l’entrée en vigueur du texte, cette question a suscité des difficultés majeures d’interprétation, qui ont entraîné des divergences d’analyse par les juridictions de première instance comme d’appel.
13. L’expression « délais maximums de détention provisoire », mentionnée à l’article 16 de l’ordonnance, ne figure pas aux articles 145-1, 145-2, 179, 181, 509-1 et 380-3-1 du code de procédure pénale prévoyant la prolongation de la détention provisoire. Les termes « durée maximale » ou « délai maximal » de la détention provisoire apparaissent dans la jurisprudence de la Cour de cassation et désignent alors la durée totale de la détention. Mais, à l’inverse, les articles 145-1 et 145-2 précités énoncent des maximums de détention provisoire dans des hypothèses où la détention peut être prolongée au-delà de ces maximums.
14. Les autres dispositions de l’article 16 ou les autres articles de l’ordonnance ne permettent pas davantage d’interpréter de façon évidente, dans un sens ou dans l’autre, les termes de « délais maximums ». Ainsi l’alinéa 3 de l’article 16, aux termes duquel « Les prolongations prévues par le présent article ne s’appliquent qu’une seule fois au cours de chaque procédure » garde son utilité même si l’on interprète l’expression « délais maximums » comme visant la durée totale de la détention puisqu’il implique alors que si la prolongation de droit a été appliquée pour augmenter la durée totale de la détention provisoire pendant l’instruction, elle ne peut plus l’être à nouveau pour augmenter la durée totale de la détention provisoire pour l’audiencement.
15. A l’inverse, l’article 19 de
l’ordonnance, qui permet au juge, sous certaines conditions, d’organiser
un débat sans comparution de la personne détenue et selon une procédure
écrite ne suffit pas à exclure l’interprétation selon laquelle
l’ordonnance aurait prévu de différer les débats institués par le code de
procédure pénale en vue de la prolongation de la détention provisoire.
En effet, en application de l’article 16, la prolongation de plein droit
ne peut intervenir qu’à une reprise dans chaque procédure, de sorte
qu’en raison de l’incertitude sur la durée de l’état d’urgence
sanitaire, il pouvait apparaître nécessaire de prévoir une procédure
simplifiée de prolongation pour les détentions provisoires dont le terme
aurait déjà fait l’objet d’une prolongation de plein droit.
16. Dès lors, l’expression « délais maximums de détention provisoire » ne permet pas, à elle seule, de déterminer la portée de l’article 16.
17. En revanche, il convient d’observer
que la prolongation de « plein droit » des délais maximums de détention
provisoire ne peut être interprétée que comme signifiant l’allongement
de ces délais, pour la durée mentionnée à l’article 16, sans que ne soit
prévue l’intervention d’un juge.
18. Or, il serait paradoxal que
l’article 16 prévu que l’allongement de la durée totale de la détention
s’effectue sans intervention judiciaire tandis que l’allongement d’un
titre de détention intermédiaire serait subordonné à une décision
judiciaire.
19. Il convient d’en déduire que l’article 16
s’interprète comme prolongeant, sans intervention judiciaire, pour les
durées qu’il prévoit, tout titre de détention venant à expiration, mais à
une seule reprise au cours de chaque procédure.
20. Au surplus, cette lecture de l’article 16 n’est pas en contradiction avec l’article 1er, III, 2°, de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 qui a introduit un article 16-1 dans l’ordonnance mettant fin aux prolongations de plein droit prévues à l’article 16 et dont il résulte que celles-ci s’appliquaient soit à une échéance intermédiaire, soit à la dernière échéance possible de la détention provisoire.
21. Dès lors, les deux premières branches du moyen ne sont pas fondées.
Sur le moyen pris en sa troisième branche
22. Il y a lieu d’examiner si, ainsi
interprété, l’article 16 excède les limites de l’article 11, I, 2°) d)
de la loi d’habilitation du 23 mars 2020.
23. Afin, d’une part,
de faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de
covid-19 et de tenir compte des mesures prises pour limiter cette
propagation, d’autre part, de limiter la propagation de l’épidémie parmi
les personnes participant aux procédures en cause, l’article 11 précité
a autorisé le Gouvernement à adapter le déroulement et la durée des
détentions provisoires pour permettre l’allongement des délais de
détention et la prolongation de ces mesures selon une procédure écrite.
24. Il s’ensuit que le Gouvernement a pu prévoir, sans excéder les limites de la loi d’habilitation, la prolongation de plein droit des titres de détention au cours de l’instruction ou lors de l’audiencement, à une reprise, pour les durées prévues à l’article 16.
25. Le grief n’est dès lors pas fondé.
Sur le moyen pris en sa quatrième branche
26. L’ordonnance précitée a prévu l’allongement des délais de détention sur le fondement de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020.
27. Par arrêt de ce jour, la chambre criminelle a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à cet article.
28. En conséquence, il n’appartient pas à la Cour de cassation d’apprécier la conformité à la Constitution de l’article 16 de l’ordonnance prise en application de ladite loi.
29. Cette branche est dès lors irrecevable.
Mais sur le moyen pris en ses cinquième et sixième branches
Vu les articles 5 de la Convention européenne des droits de l’homme et 181 du code de procédure pénale :
30. Il résulte du premier de ces textes que lorsque la loi prévoit, au-delà de la durée initiale qu’elle détermine pour chaque titre concerné, la prolongation d’une mesure de détention provisoire, l’intervention du juge judiciaire est nécessaire comme garantie contre l’arbitraire.
31. Selon le second, l’accusé détenu en
raison des faits pour lesquels il est renvoyé devant la cour d’assises
est immédiatement remis en liberté s’il n’a pas comparu devant celle-ci à
l’expiration d’un délai d’un an à compter soit de la date à laquelle la
décision de mise en accusation est devenue définitive s’il était alors
détenu, soit de la date à laquelle il a été ultérieurement placé en
détention provisoire. Toutefois, si l’audience sur le fond ne peut
débuter avant l’expiration de ce délai, la chambre de l’instruction
peut, à titre exceptionnel, par une décision rendue conformément à
l’article 144 du code de procédure pénale et mentionnant les raisons de fait
ou de droit faisant obstacle au jugement de l’affaire, ordonner la
prolongation de la détention provisoire pour une nouvelle durée de six
mois.
32. Il convient de s’interroger sur le point de savoir si les
dispositions de l’article 16 de l’ordonnance sont conformes à l’article 5
de la Convention européenne des droits de l’homme, étant rappelé qu’à
ce jour, la France n’a pas exercé le droit de dérogation, prévu à
l’article 15 de ladite Convention.
33. D’une part, l’article 16 maintient,
de par le seul effet de la loi et sans décision judiciaire, des
personnes en détention, au delà de la durée du terme fixé dans le mandat
de dépôt ou l’ordonnance de prolongation, retirant ainsi à la
juridiction compétente le pouvoir d’apprécier, dans tous les cas, s’il y
avait lieu d’ordonner la mise en liberté de la personne détenue.
34. D’autre part, ce même texte conduit à différer, à l’égard de tous les détenus, l’examen systématique, par la juridiction compétente, de la nécessité du maintien en détention et du caractère raisonnable de la durée de celle-ci.
35. Or, l’exigence conventionnelle d’un contrôle effectif de la détention provisoire ne peut être abandonnée à la seule initiative de la personne détenue ni à la possibilité pour la juridiction compétente d’ordonner, à tout moment, d’office ou sur demande du ministère public, la mainlevée de la mesure de détention.
36. Aussi l’article 16 de l’ordonnance
ne saurait-il être regardé comme compatible avec l’article 5 de la
Convention européenne des droits de l’homme et la prolongation qu’il
prévoit n’est-elle régulière que si la juridiction qui aurait été
compétente pour prolonger la détention rendait, dans un délai rapproché
courant à compter de la date d’expiration du titre ayant été prolongé de
plein droit, une décision par laquelle elle se prononce sur le
bien-fondé du maintien en détention.
37. Même en tenant compte des
circonstances de fait exceptionnelles résultant du contexte épidémique,
lorsque la personne n’a pas encore été jugée en première instance, un
tel délai, au sens de l’article 5 précité, ne peut être supérieur à un
mois en matière délictuelle et à trois mois en matière criminelle. Après
une condamnation en première instance, cette limite est portée à trois
mois en matière tant correctionnelle que criminelle, les faits reprochés
à l’intéressé ayant alors déjà été examinés au fond par une
juridiction.
38. Dans cet office, il appartient au
juge d’exercer le contrôle qui aurait été le sien s’il avait dû statuer sur
la prolongation de la détention provisoire, et ce dans le cadre d’un
débat contradictoire tenu, le cas échéant, selon les modalités prévues
par l’article 19 de l’ordonnance.
39. Ce contrôle judiciaire a eu lieu lorsque, en première instance ou en appel, la juridiction compétente, saisie de la question de la prolongation de plein droit de la détention provisoire, a, dans le respect de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme et dans le plein exercice de son office de gardien de la liberté individuelle, statué sur la nécessité de cette mesure dans le délai visé au paragraphe 37.
40. Il doit être considéré également que ce contrôle a eu lieu lorsque, dans le délai visé au paragraphe 37, la juridiction compétente a statué sur la nécessité de la détention, d’office ou lors de l’examen d’une demande de mise en liberté.
41. Dans les autres cas, si l’intéressé
n’a pas, entre-temps, fait l’objet d’un nouveau titre de détention, il
incombe au juge d’effectuer ce contrôle dans les délais énoncés au
paragraphe 37, à moins que, dans ce délai, il n’ait déjà exercé son
contrôle en application de l’article 16-1, alinéa 5, de l’ordonnance du
25 mars 2020, introduit par la loi du 11 mai 2020.
42. A défaut d’un tel contrôle et sauf s’il est détenu pour autre cause, l’intéressé doit être immédiatement remis en liberté.
43. En l’espèce, l’arrêt, après avoir
relevé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner le bien-fondé de la
prolongation de la détention, énonce que la saisine de la chambre de
l’instruction est devenue sans objet, le délai de comparution devant la
cour d’assises ayant été prolongé de six mois de plein droit.
44. En prononçant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
45. En effet, saisie par requête du
procureur général aux fins de prolongation de la détention provisoire,
il lui appartenait de statuer sur la nécessité du maintien en détention de
l’accusé, qui sollicitait d’ailleurs sa mise en liberté dans son mémoire.
46. La cassation est dès lors encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, en date du 8 avril 2020, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT que la chambre de l’instruction de renvoi devra statuer dans le délai prévu au paragraphe 37 du présent arrêt ;
Président : M. Soulard
Rapporteur : Mme Labrousse
Avocat général : M. Desportes, premier avocat général
Avocats : SCP Waquet, Farge et Hazan
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