Arrêt n°527 du 21 avril 2020 (19-81.089) - Cour de Cassation - Chambre criminelle
-ECLI:FR:CCAS:2020:CR00527
Prescription
Cassation
Demandeur(s) : M. A... X...
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. Y..., expert-comptable à La Réunion, et la société Fiduciaire
financière du Bourbon (la société) ont porté plainte et se sont constitués
partie civile le 17 décembre 2002, des chefs d’abus de confiance, faux et
usage et vol, faits imputés à M. X... ainsi qu’à un tiers et qui auraient été
commis au détriment du cabinet annexe créé par les plaignants à Montreuil
(Seine-Saint-Denis) et au profit d’une société créée par les deux personnes
visées par la plainte.
3. M. X... a été relaxé de ces chefs le 14 décembre 2010. La procédure
s’est poursuivie, sur le seul appel des parties civiles, jusqu’à un arrêt de la
Cour de cassation du 26 septembre 2012 disant irrecevables les pourvois
formés par ces mêmes parties civiles.
4. Le 8 avril 2013, M. X... a déposé entre les mains du procureur de la
République de Bobigny une plainte simple des chefs de dénonciation
calomnieuse et d’escroquerie, plainte transmise pour compétence le 22 avril
2013 à Saint-Denis de La Réunion et classée sans suite le 19 juin 2014.
5. M. X... a, le 21 mai 2015, fait citer devant le tribunal correctionnel
M. Y... et la société, pour y répondre des délits précités.
6. Le tribunal correctionnel a constaté la prescription de l’action du chef de
dénonciation calomnieuse, relaxé les prévenus du chef de tentative
d’escroquerie, débouté la partie civile de toutes ses demandes, incluant
celles tendant à la suppression de passages des conclusions adverses et à
l’octroi de dommages-intérêts en application des dispositions de l’article 41,
alinéa 5, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
7. La partie civile a seule relevé appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen est pris de la violation des articles 226-11 du code pénal, 7, 8,
10, 43, et 593 du code de procédure pénale.
9. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a constaté la prescription de
l’action publique en ce qui concerne les faits qualifiés de dénonciation
calomnieuse et prononcé sur les intérêts civils sur les faits de dénonciation
calomnieuse, alors :
« 1. que le délai de prescription du délit de dénonciation calomnieuse
commence à courir au jour où la dénonciation est parvenue à l’autorité ayant
le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente ; que, lorsque
le fait dénoncé a donné lieu à des poursuites, il se déduit de l’article 226-11
du code pénal que la suspension de la prescription de l’action publique
cesse au jour où la décision concernant le fait dénoncé est devenue
définitive, en toutes ses dispositions ; qu’après avoir constaté que des
décisions ultérieures ont été rendues, dans la même affaire et au titre des
mêmes faits, par la cour d’appel de Versailles et la Cour de cassation sur les
dispositions civiles du jugement du tribunal correctionnel de Versailles du 14
décembre 2010, la cour d’appel ne pouvait fixer le point de départ du délai
de prescription dix jours après le prononcé de ce jugement ;
2. que l’acte par lequel le procureur de la République transmet la procédure,
pour compétence, au ministère public près un autre tribunal constitue un acte
de poursuite interruptif de prescription ; qu’en retenant que l’avis
d’information du procureur de la République de Bobigny du 14 avril 2014,
indiquant à M. X... que son dossier a été transmis pour compétence au
parquet de Saint-Denis de La Réunion le 22 avril 2013, est un simple avis
d’information qui ne constitue pas un acte de poursuite ou d’instruction
interruptif de la prescription, sans autrement s’expliquer sur l’effet interruptif
de la prescription qui se déduisait de l’acte par lequel le procureur de la
République de Bobigny a transmis la procédure, pour compétence, au
parquet de Saint-Denis de La Réunion, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les
conséquences légales de ses constatations, n’a pas justifié son arrêt. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 7 et 8 du code de procédure pénale, dans leur rédaction
antérieure à la loi du 27 février 2017, 226-10 et 226-11 du code pénal, et 497
du code de procédure pénale :
10. Il résulte des trois premiers de ces textes que le point de départ de la
prescription de l’action publique du chef du délit de dénonciation
calomnieuse se place au jour où la dénonciation est parvenue à l’autorité
ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente.
11. Selon le quatrième, lorsque le fait dénoncé a donné lieu à des
poursuites, la suspension de la prescription de l’action publique cesse au jour
où la décision concernant le fait dénoncé est devenue définitive.
12. Il se déduit enfin du dernier de ces textes que le dommage dont la partie
civile, seule appelante d’un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de
la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la
limite des faits objet de la poursuite.
13. Il en résulte que, lorsqu’une relaxe du chef du délit dénoncé a été
prononcée par un jugement dont seule la partie civile a relevé appel, la
prescription de l’action publique du chef de dénonciation calomnieuse reste
suspendue tant que la procédure se poursuit sur les intérêts civils.
14. Pour dire prescrite l’action publique du chef de dénonciation
calomnieuse, l’arrêt attaqué énonce notamment que le point de départ de la
prescription est le jour où le jugement de relaxe du 14 décembre 2010 rendu
par le tribunal correctionnel est devenu définitif, soit dix jours après le
prononcé de cette décision.
15. En prononçant ainsi, alors que la prescription de l’action publique, qui
avait commencé à courir du jour de la plainte avec constitution de partie
civile arguée de calomnieuse, a été immédiatement suspendue pendant le
cours de la poursuite ainsi engagée, et que cette suspension n’a pris fin
qu’au jour de la signification de l’arrêt de la Cour de cassation du 26
septembre 2012 qui a définitivement mis fin à cette procédure, qui s’était
poursuivie sur les seuls intérêts civils, la cour d’appel a méconnu le sens et
la portée des textes susvisés et des principes ci-dessus énoncés.
16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
17. Le moyen est pris de la violation de l’article 593 du code de procédure
pénale.
18. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il n’a pas statué sur la
demande de M. X... tendant à voir prononcer, en application de l’article
41 de la loi du 29 juillet 1881, le retrait des passages injurieux et
diffamatoires contenus dans les écritures de première instance de
M. Y..., alors « que les juridictions correctionnelles doivent statuer sur
l’ensemble des demandes dont elles sont saisies ; qu’en ne statuant pas sur
la demande de M. X... tendant à voir prononcer, en application de l’article
41 de la loi du 29 juillet 1881, le retrait des passages injurieux et
diffamatoires contenus dans les écritures de première instance de
M. Y..., la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte
susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 593 du code de procédure pénale :
19. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la
décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties.
L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
20. En ne répondant pas à la demande, présentée dans des conclusions
régulièrement déposées devant elle, tendant à l’infirmation du jugement en
ce qu’il avait rejeté la demande, formée en application des dispositions de
l’article 41, alinéa 5, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de
suppression de passages des conclusions déposées devant les premiers
juges dans l’intérêt de M. Y..., et au prononcé de la suppression
desdits passages, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.
21. La cassation est par conséquent également encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
22. La cassation sur le premier moyen doit emporter cassation du chef de
dispositif rejetant la demande de dommages-intérêts formée au titre des faits
qualifiés de tentative d’escroquerie, qui sont indissociables des faits de
dénonciation calomnieuse.
23. Il en est de même de la cassation sur le troisième moyen, à l’égard du
chef de dispositif statuant sur la demande en dommages-intérêts faite au
visa de l’article 41, alinéa 5, précité, laquelle est indissociable de la demande
en suppression de propos formée en application du même texte.
24. Il n’y a donc pas lieu d’examiner les deuxième et quatrième moyens.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour
d’appel de Paris, en date du 25 octobre 2018, et pour qu’il soit à nouveau
jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement
composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du
conseil ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure
pénale ;
Président : M. Soulard
Rapporteur : M. Bonnal
Avocat général : Mme Caby, avocat général référendaire
Avocat(s) : SCP Zribi et
Texier - Me
Carbonnier
Partager cette page