Arrêt n° 7 du 06 janvier 2021 (19-19.940) - Cour de cassation - Première chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2021:C100007
Rejet
Demandeur(s) : P... L... et autre(s) ;
Défendeur(s) : Transavia France, société par actions simplifiée
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal d’instance d’Ivry-sur-Seine, 20 mai 2019), rendu en dernier ressort, M. et Mme L... , qui disposaient d’une réservation, délivrée par la société Transavia France
(le transporteur aérien) pour eux-mêmes et leurs trois enfants mineurs,
sur le vol Agadir/Paris prévu le 4 mai 2018, sont parvenus à
destination avec un retard de 22 heures 28 à la suite de l’annulation de
ce vol.
2. Sur le fondement du règlement
(CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004
établissant des règles communes en matière d’indemnisation et
d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et
d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement
(CEE) n° 295/91, ils ont obtenu du transporteur aérien le versement
d’une indemnité de 400 euros pour chacun d’eux et deux des enfants.
3.
Le transporteur aérien ayant refusé le versement de cette indemnité
pour leur autre enfant en raison de son jeune âge et de ses conditions
de voyage, ils l’ont assigné en paiement de cette indemnité et de
dommages-intérêts pour résistance abusive.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. et Mme L... font grief au jugement de rejeter leurs demandes, alors :
«
1°/ que seuls les passagers bénéficiant de tarifs spéciaux non
accessibles au public sont exclus du champ d’application du règlement
(CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004
établissant des règles communes en matière d’indemnisation et
d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et
d’annulation ou de retard important d’un vol ; qu’en retenant que, dès
lors qu’elle avait bénéficié de la gratuité mise en place par les
compagnies aériennes afin de permettre à un parent, à titre commercial,
de faire voyager gratuitement sur ses genoux un enfant de moins de deux
ans, X... L...
ne pouvait prétendre à l’indemnisation forfaitaire due aux passagers
aériens en cas d’annulation de leur vol, le tribunal a violé l’article
3, § 3, du règlement, interprété à la lumière de son objectif tendant à
garantir un niveau élevé de protection des passagers ;
2°
/ qu’en toute hypothèse, constitue un billet au sens du règlement
précité tout document en cours de validité établissant le droit au
transport, ou quelque chose d’équivalent sous forme immatérielle, y
compris électronique, délivré ou autorisé par le transporteur aérien ou
son agent agréé ; qu’en retenant que X... L...
ne justifiait d’aucun billet d’avion, bien qu’il ait constaté qu’elle
apparaissait sur la réservation établie par la compagnie aérienne sous
le nom de sa mère et qu’en conséquence elle était répertoriée sur le vol
en cause, le tribunal, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses
constatations, a violé les articles 2 et 3, § 3, du règlement. »
Réponse de la Cour
5. L’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004 dispose :
«
Le présent règlement ne s’applique pas aux passagers qui voyagent
gratuitement ou à un tarif réduit non directement ou indirectement
accessible au public. Toutefois, il s’applique aux passagers en
possession d’un billet émis par un transporteur aérien ou un
organisateur de voyages dans le cadre d’un programme de fidélisation ou
d’autres programmes commerciaux. »
6. Il
ressort du libellé de la première phrase de ce paragraphe que le membre
de phrase « non directement ou indirectement accessible au public » se
rapporte exclusivement aux termes « tarif réduit ».
7.
Cette analyse se vérifie dans d’autres versions linguistiques de ce
règlement, telles que les versions en langues allemande, anglaise,
italienne et espagnole.
8. Il s’ensuit
que l’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004 exclut du champ
d’application de celui-ci les passagers qui voyagent à titre gratuit,
même si cette gratuité est prévue dans une offre accessible au public.
9.
Cette interprétation est corroborée par l’économie et l’objectif de ce
règlement, visant à renforcer les droits des passagers conférés par le
règlement (CEE) n° 295/91 du Conseil, établissant des règles communes
relatives à un système de compensation pour refus d’embarquement dans
les transports aériens réguliers. Ainsi, alors que le règlement n° 295/91
ne couvrait que les hypothèses de refus d’embarquement, le règlement n°
261/2004 prévoit des droits particuliers en faveur des personnes à
mobilité réduite (article 11), la reconnaissance d’un droit des
passagers à l’information (article 14), le droit au remboursement en cas
de déclassement (article 10, paragraphe 2), ainsi qu’un éventail de
mesures différenciées en cas de refus d’embarquement de passagers contre
leur volonté, d’annulation de leur vol et de vol retardé. Cependant, il
reprend à l’article 3, paragraphe 3, la restriction énoncée à l’article
7 du règlement n° 295/91, aux termes duquel : « Le transporteur aérien
n’est pas tenu au paiement d’une compensation de refus d’embarquement
lorsque le passager voyage gratuitement ou à des tarifs non disponibles
directement ou indirectement au public. »
10.
Le maintien de cette exclusion du champ d’application du règlement n°
261/2004 a également été relevé dans l’avis du Comité économique et
social sur la « proposition de règlement du Parlement européen et du
Conseil établissant des règles communes en matière d’indemnisation des
passagers aériens et d’assistance en cas de refus d’embarquement et
d’annulation ou de retard important d’un vol » (JO n° C 241 du
07/10/2002).
11. Enfin, cette
interprétation de l’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004 a
été retenue par une cour suprème d’un autre Etat membre, la Cour
fédérale d’Allemagne (Bundesgerichtshof) dans l’arrêt du 17 mars 2015 (X
ZR 35/14).
12. En outre, si cet article
énonce à la deuxième phrase du paragraphe 3 que l’exclusion ne
s’applique pas aux passagers en possession d’un billet émis dans le
cadre d’un programme commercial, cette disposition ne concerne pas un
très jeune enfant qui voyage sans billet sur les genoux de ses parents.
13.
Il s’ensuit que, en retenant que l’article 3, paragraphe 3, du
règlement n° 261/2004 exclut du champ d’application les passagers qui
voyagent gratuitement et que l’enfant en cause, âgée de moins de deux
ans, qui a voyagé sans billet d’avion sur les genoux de ses parents, ne
pouvait bénéficier de l’indemnisation forfaitaire réclamée au
transporteur aérien, le tribunal a fait une application exacte de cette
disposition.
14. Le moyen n’est donc pas fondé.
15.
Et en l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation de ladite
disposition du droit de l’Union européenne, il n’y a pas lieu de saisir
la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Président : Mme Batut
Rapporteur : M. Chevalier
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret - SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
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