Arrêt n°746 du 15 octobre 2020 (20-14.271) - Cour de cassation - Première chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2020:C100746
Santé publiqueCassation partielle partiellement sans renvoi
Sommaire :
Il résulte de l’article R. 3211-21 du code de la santé publique que le premier président, saisi de l’appel d’une décision du juge des libertés et de la détention rendue en matière de soins psychiatriques sans consentement, peut statuer hors la présence du ministère public, partie principale en sa qualité d’appelant, en donnant connaissance oralement de ses réquisitions écrites.
Demandeur(s) : Mme T... Q...
Défendeur(s) : au procureur de la République près le tribunal de grande instance de la Rochelle... ; et autres
Faits et procédure
1. Selon l’ordonnance
attaquée, rendue par le premier président d’une cour d’appel (Poitiers, 6
mars 2020), et les pièces de la procédure, Mme Q...
a été admise en soins psychiatriques sans consentement le 25 février
2020, sur décision du directeur de l’établissement prise au motif d’un
péril imminent, en application de l’article L. 3212-1, II, 2°, du code
de la santé publique.
2. Le 28 février,
ce dernier a saisi le juge des libertés et de la détention d’une demande
aux fins de prolongation de la mesure sur le fondement de l’article L.
3211-12-1 du même code.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en leur première branche, ci-après annexés
3.
En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure
civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement
motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à
entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
4. Mme Q...
fait grief à l’ordonnance de rejeter les irrégularités de procédure
soulevées, de déclarer régulière la procédure suivie en application des
dispositions de l’article L. 3212-1, II, 2°, du code de la santé
publique et d’ordonner la poursuite de son hospitalisation complète,
alors :
« 2°/ que le ministère public est
tenu d’assister à l’audience des débats lorsqu’il est partie
principale, ce qui est notamment le cas lorsqu’il interjette appel ;
qu’il résulte des mentions de l’ordonnance attaquée que le ministère
public - en la personne du procureur de la République de La Rochelle ou
du procureur général de Poitiers - n’a pas comparu à l’audience du 6
mars 2020 ; qu’en statuant hors de sa présence, le délégué du premier
président a méconnu les exigences de l’article 431 du code de procédure
civile.
3°/ que, lorsqu’il est partie
jointe, le ministère public peut faire connaître son avis à la
juridiction, soit en lui adressant des conclusions écrites qui sont
mises à la disposition des parties, soit oralement à l’audience ; qu’en
statuant au visa des réquisitions écrites du procureur général en date
du 5 mars 2020, lequel n’était pas représenté à l’audience, sans
constater que lesdites réquisitions avaient été mises à la disposition
de Mme Q...
afin qu’elle puisse y répondre utilement, le délégué du premier
président a violé les articles 16 et 431 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5.
Selon l’article R. 3211-7 du code de la santé publique, la procédure
judiciaire pour connaître des mesures de soins psychiatriques sans
consentement est régie par le code de procédure civile sous réserve des
dispositions de la section III du chapitre I du titre I du livre
deuxième consacré à la lutte contre les maladies mentales.
6.
Selon l’article R. 3211-21 du même code, la comparution des parties
devant le premier président, statuant en appel d’une décision du juge
des libertés et de la détention, est facultative, celles-ci pouvant
demander à être entendues ou faire parvenir leurs observations par
écrit, auquel cas il en est donné connaissance aux parties présentes à
l’audience. Lorsqu’il n’est pas partie principale, le ministère public
fait connaître son avis dans les conditions définies par le deuxième
alinéa de l’article 431 du code de procédure civile.
7.
Le premier président pouvait dès lors statuer hors la présence du
ministère public, partie principale en sa qualité d’appelant, en donnant
connaissance oralement à l’audience de ses réquisitions écrites.
8. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
9. Mme Q... fait le même grief à l’ordonnance, alors :
«
3°/ que dans le cas d’une hospitalisation complète pour péril imminent,
le directeur de l’établissement d’accueil informe dans un délai de
vingt-quatre heures, sauf difficultés particulières, la famille de la
personne qui fait l’objet de soins et, le cas échéant, la personne
chargée de la protection juridique de l’intéressé ou, à défaut, toute
personne justifiant de l’existence de relations avec la personne malade
antérieures à l’admission en soins et lui donnant qualité pour agir dans
l’intérêt de celle-ci ; qu’en retenant, pour écarter toute irrégularité
sur ce point, que le docteur F...
indique que toutes les démarches entreprises pour contacter des
personnes justifiant de relations antérieures à l’admission leur donnant
qualité pour agir sont restées vaines et que la consultation du
répertoire de contacts du téléphone portable de Mme Q... ,
outre le fait qu’elle pourrait être considérée comme une atteinte à la
vie privée, n’est pas de nature à donner la garantie que les contacts
s’y trouvant soient des personnes ayant qualité pour agir dans son
intérêt, le délégué du premier président n’a pas caractérisé des
difficultés particulières empêchant le directeur de l’hôpital Marius Lacroix d’informer les proches de Mme Q... de son admission en hospitalisation complète en violation de l’article L. 3212-1 II 2°du code de la santé publique ;
4°/
que dans le cas d’une hospitalisation complète pour péril imminent, le
directeur de l’établissement d’accueil informe dans un délai de
vingt-quatre heures, sauf difficultés particulières, la famille de la
personne qui fait l’objet de soins et, le cas échéant, la personne
chargée de la protection juridique de l’intéressé ou, à défaut, toute
personne justifiant de l’existence de relations avec la personne malade
antérieures à l’admission en soins et lui donnant qualité pour agir dans
l’intérêt de celle-ci ; qu’il appartient au directeur d’établissement
de justifier qu’il a correctement exécuté cette obligation d’information
et non au patient de démontrer que tel n’est pas le cas ; qu’en
retenant, pour écarter toute irrégularité sur ce point, que Mme Q... ne contredit pas l’indication du docteur F...
selon laquelle toutes les démarches entreprises pour contacter des
personnes justifiant de relations antérieures à l’admission leur donnant
qualité pour agir sont restées vaines, le délégué du premier président a
inversé la charge de la preuve en violation de l’article 1353 du code
civil, ensemble l’article L. 3212-1, II, 2°, du code de la santé
publique. »
Réponse de la Cour
10.
Selon l’article L. 3212-1, II, 2°, du code de la santé publique,
lorsqu’il prononce une décision d’admission pour péril imminent, le
directeur de l’établissement informe, dans un délai de vingt-quatre
heures sauf difficultés particulières, la famille du patient et, le cas
échéant, la personne chargée de la protection juridique de l’intéressé,
ou, à défaut, toute personne justifiant de l’existence de relations avec
la personne malade antérieures à l’admission en soins et lui donnant
qualité pour agir dans l’intérêt de celle-ci.
11. L’ordonnance relève, d’une part, que Mme Q...
a affirmé, lors de son audition, qu’elle n’avait plus aucune famille et
qu’elle ne bénéficiait d’aucune mesure de protection juridique, d’autre
part, que, dans son certificat établi le 26 février 2020, le médecin a
indiqué, sans être contredit, que toutes les démarches entreprises pour
contacter des personnes justifiant de relations antérieures à
l’admission et leur donnant qualité pour agir étaient demeurées vaines,
enfin, que la consultation du répertoire de contacts du téléphone
portable de Mme Q... ,
outre qu’elle pouvait être considérée comme une atteinte à sa vie
privée, n’était pas de nature à donner la garantie que les contacts s’y
trouvant correspondaient à des personnes habilitées à agir dans
l’intérêt de celle-ci.
12. En l’état de
ces énonciations, le premier président a, sans inverser la charge de la
preuve, caractérisé les difficultés particulières rencontrées pour
informer un proche de Mme Q... de la mesure d’hospitalisation prise à son égard.
13. Le moyen n’est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
14. Mme Q...
fait le même grief à l’ordonnance, alors « que l’autorité
administrative qui prend une mesure de placement ou de maintien en
hospitalisation sans consentement d’une personne atteinte de troubles
mentaux doit, d’une manière appropriée à son état, l’informer le plus
rapidement possible de cette décision, de sa situation juridique et de
ses droits ; qu’en retenant, pour écarter toute irrégularité sur ce
point, que, le délai de moins de quarante-huit heures entre la décision
d’hospitalisation sous contrainte prise le 25 février 2020 et sa
notification à Mme Q...
le 27 février 2020, apparaît un délai raisonnable au regard des
constatations cliniques sur l’état d’agitation de la patiente à son
admission, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le certificat
médical des vingt-quatre heures démontrait qu’elle n’était toujours pas
en état de recevoir cette signification plus tôt, le délégué du premier
président a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.
3211-3 du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 3211-3, alinéa 3, du code de la santé publique :
15.
Selon ce texte, toute personne faisant l’objet de soins psychiatriques
sans consentement est informée le plus rapidement possible et d’une
manière appropriée à son état, de la décision d’admission, ainsi que des
raisons qui la motivent.
16. Pour dire
la procédure régulière, l’ordonnance retient que la décision
d’hospitalisation sous contrainte prise le 25 février 2020 a été
notifiée à Mme Q...
le 27 février et que le délai de moins de quarante-huit heures, au
regard des constatations cliniques sur l’état d’agitation de la patiente
à son admission, apparaît un délai raisonnable ne caractérisant pas une
irrégularité sanctionnable.
17. En
statuant ainsi, sans rechercher, comme il y était invité, si le
certificat médical des vingt-quatre heures établissait que Mme Q...
se trouvait alors dans un état tel qu’elle ne pouvait être informée de
la décision d’admission, le premier président a privé sa décision de
base légale au regard du texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
18.
Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de
procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa
1, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure
civile.
19. La cassation prononcée
n’implique pas, en effet, qu’il soit à nouveau statué sur le fond, dès
lors que les délais légaux pour se prononcer sur la mesure étant
expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE
ET ANNULE, sauf en ce qu’elle déclare le procureur de la République de
la Rochelle recevable en son appel, l’ordonnance rendue le 6 mars 2020,
entre les parties, par le premier président de la cour d’appel de
Poitiers ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Président : Mme Batut
Rapporteur : Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire
Avocat général : M. Poirret, premier avocat général
Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand - SCP Thouvenin, Coudray et Grévy
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