Arrêt n°711 du 18 novembre 2020 (19-19.517) - Cour de cassation - Première chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2020:C100711
Rejet
Demandeur(s) : M. M... C...
Défendeur(s) : l’Agent judiciaire de l’État
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt
attaqué (Aix-en-Provence, 30 avril 2019), à l’occasion d’une information
judiciaire, ouverte des chefs de diverses infractions commises au
préjudice d’une entreprise de transport maritime de passagers, exploitée
en dernier lieu par la Société des armateurs côtiers marseillais (la SACM) dont M. C...
était le gérant, le juge d’instruction a, notamment, mis en examen ce
dernier et procédé, le 21 mars 2006, à la saisie de navires. Par
ordonnance du 18 avril 2006, confirmée en appel, il a refusé la
restitution des navires et prescrit leur remise au service du Domaine en
vue de leur aliénation. Le pourvoi en cassation formé par M. C... a été rejeté le 23 janvier 2007. Par arrêt partiellement infirmatif du 2 février 2011, la cour d’appel a condamné M. C...
pour abus de confiance, abus de biens sociaux, faux, obtention indue de
documents administratifs et extorsion de fonds, à deux ans
d’emprisonnement dont un an avec sursis, cinq ans d’interdiction de
l’activité de transport maritime, a prononcé la confiscation de navires
et, renvoyant le prévenu des fins des poursuites exercées contre lui
pour des faits commis à des dates couvertes par la prescription, a
ordonné la restitution de cinq navires, dont quatre avaient été vendus
entre temps par le service du Domaine. Le pourvoi en cassation formé
contre cet arrêt a été rejeté le 5 décembre 2012.
2.
Invoquant un fonctionnement défectueux du service public de la justice
résultant de la décision de saisir les navires finalement restitués, du
défaut de gardiennage et d’entretien de ceux-ci ayant conduit à leur
dépréciation, ainsi que des ventes réalisées à un prix inférieur à la
valeur réelle, M. C...
a assigné l’Agent judiciaire de l’Etat en réparation de ses préjudices,
sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation
judiciaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3.
En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure
civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement
motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner
la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. M. C...
fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande en indemnisation fondée sur
le fonctionnement défectueux du service public de la justice, alors :
«
1°/ que constitue une faute lourde qui engage la responsabilité de
l’Etat du fait du service public de la justice toute déficience
caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude
dudit service public à remplir la mission dont il est investi ; qu’en
l’espèce, en refusant de constater que les magistrats en charge de
l’information judiciaire avaient commis un ensemble de négligences
caractérisant la faute lourde, la procédure de saisie des navires et de
remise de ceux-ci aux fins d’aliénation ayant été validée par eux comme
conforme aux intérêts de M. C... ,
tandis qu’en définitive, la réalité avait révélé que cette procédure
avait, au contraire, fortement nuit à ses intérêts économiques et
patrimoniaux, de sorte que ces mêmes magistrats avaient entaché leur
décision d’une erreur manifeste d’appréciation, la cour d’appel a violé
l’article L. 144-1 du code de l’organisation judiciaire ;
2°/
que constitue une faute lourde qui engage la responsabilité de l’Etat
du fait du service public de la justice toute déficience caractérisée
par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude dudit service
public à remplir la mission dont il est investi ; qu’en l’espèce, en
refusant de constater que les magistrats en charge de l’information
judiciaire avaient commis une faute lourde, tandis qu’il s’est, en
définitive, avéré qu’ils avaient commis, cumulativement, et une erreur
d’appréciation factuelle sur les conséquences de la saisie et de
l’aliénation par eux décidée, et une erreur de droit sur la prescription
des infractions susceptibles de justifier une future confiscation des
biens saisis, la cour d’appel a violé l’article L. 144-1 du code de
l’organisation judiciaire ;
3°/ que
l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont
il est investi ne peut être appréciée que dans la mesure où l’exercice
des voies de recours n’a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement
allégué ; qu’en l’espèce, en se fondant, cependant, sur la circonstance
que M. C...
avait engagé ces voies de recours préalables sans succès pour en
conclure, paradoxalement, que son action en responsabilité devait donc
être rejetée, la cour d’appel, qui s’est ainsi méprise sur la portée et
les effets de l’exigence de l’exercice préalable des voies de recours
par l’auteur d’une action en responsabilité sur le fondement de
l’article L. 144-1 du Code de l’organisation judiciaire, a violé cette
disposition ;
4°/ que constitue une faute
lourde qui engage la responsabilité de l’Etat du fait du service public
de la justice toute déficience caractérisée par un fait ou une série de
faits traduisant l’inaptitude dudit service public à remplir la mission
dont il est investi ; qu’en l’espèce, en se fondant sur la
considération, inopérante, tirée de ce qu’en l’absence d’utilisation des
navires, s’ils restaient saisis sans naviguer, ceux-ci présentaient un
risque de dévaluation, pour en conclure que la procédure décidée quant à
leur saisie et à leur aliénation ne pouvait être critiquée comme non
conforme aux intérêts du propriétaire et, partant, pour refuser de
rechercher, comme elle y était invitée, si ces décisions du magistrat
instructeur ne procédaient pas d’une grave erreur d’appréciation quant à
leurs conséquences économiques et pécuniaires pour M. C... , la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire ;
5°/
que constitue une faute lourde qui engage la responsabilité de l’Etat
du fait du service public de la justice toute déficience caractérisée
par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude dudit service
public à remplir la mission dont il est investi ; qu’en l’espèce, en se
fondant sur les considérations, inopérantes, tirées de ce que la saisie
ordonnée l’avait été conformément aux textes applicables et de ce que la
Direction des domaines était compétente au regard, également, des
textes applicables, pour en conclure que la procédure décidée et mise en
oeuvre par le magistrat instructeur n’était pas fautive, sans
rechercher, comme elle y était invitée, si ses décisions ne procédaient
pas d’une grave erreur d’appréciation quant à leurs conséquences
économiques et pécuniaires pour M. C... , la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire ;
6°/
que la responsabilité civile s’encourt dès lors que le dommage allégué
se trouve lié à la faute établie par un rapport de causalité certain ;
qu’en l’espèce, en se fondant sur les circonstances, inopérantes, tirées
du rôle qu’avaient pu jouer les capitaines et marins, pour la période
du 21 mars au 18 avril 2006, puis la Direction des domaines, pour la
période postérieure, pour refuser de constater l’existence du lien de
causalité certain qui existait pourtant entre les erreurs d’appréciation
qu’avaient commises, en amont, les magistrats en charge de
l’instruction à travers leur décision de saisir et de faire aliéner les
navires, et les préjudices économiques et pécuniaires qui, en aval, en
étaient résulté pour M. C... ,
la cour d’appel a violé l’article 1382 ancien, 1240 nouveau, du code
civil, ensemble l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.
»
Réponse de la Cour
5.
La responsabilité de l’Etat en raison d’un dommage causé par le
fonctionnement défectueux du service public de la justice ne peut être
engagée que sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de
l’organisation judiciaire, à l’exclusion des dispositions de droit
commun prévues par le code civil.
6. Il
résulte de ce dernier texte que l’Etat est tenu de réparer le dommage
causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice,
que cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou un
déni de justice et que constitue une faute lourde toute déficience
caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude
du service public de la justice à remplir la mission dont il est
investi.
7. Hors le cas de dommages
causés aux particuliers du fait d’une violation manifeste du droit de
l’Union européenne par une décision d’une juridiction nationale statuant
en dernier ressort, l’action en responsabilité de l’Etat ne saurait
avoir pour effet de remettre en cause une décision judiciaire, en dehors
de l’exercice des voies de recours.
8.
En premier lieu, l’arrêt retient à bon droit que le grief, tiré de ce
que les saisies ont été pratiquées à l’occasion d’une procédure qui a
donné lieu à une relaxe partielle pour prescription, relève de la
critique de décisions rendues par le juge d’instruction le 18 avril
2006, la chambre de l’instruction le 14 juin 2006 et la Cour de
cassation le 23 janvier 2007, de sorte qu’un tel moyen, sauf à instaurer
une nouvelle voie de recours distincte de celle prévue par les
dispositions légales, est inopérant.
9.
En second lieu, l’arrêt énonce que la procédure de saisie et de remise
des navires aux fins d’aliénation a été validée par les magistrats en
charge de l’instruction comme conforme aux intérêts de M. C... .
10.
De ces énonciations et appréciations, abstraction faite des motifs
surabondants critiqués par les quatrième, cinquième et sixième branches,
la cour d’appel a exactement déduit que les décisions juridictionnelles
en cause ne pouvaient engager la responsabilité de l’Etat.
11. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Président : Mme Batut
Rapporteur : Mme Gargoullaud, conseiller référendaire
Avocat général : Mme Marilly, avocat général référendaire
Avocat(s) : SCP Spinozi et Sureau - SCP Foussard et Froger
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