Arrêt n°669 du 12 novembre 2020 (19-16.964) - Cour de cassation - Première chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2020:C100669
Rejet
Demandeur(s) : M. D... L... et autre(s) ;
Défendeur(s) : société Crédit logement, société anonyme et autre(s) ;
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Dijon, 21 mars 2019), suivant acte authentique du 6 juin 2007, la société Le Crédit lyonnais (la banque) a consenti à M. L... et Mme R... (les emprunteurs) deux prêts destinés à financer l’acquisition d’un bien immobilier. A la suite du placement de M. L...
en longue maladie, d’échéances demeurées impayées et d’un refus de
garantie opposé par l’assureur couvrant les risques décès, invalidité,
incapacité, la société Crédit logement,
agissant en qualité de mandataire de la banque (le mandataire), s’est
prévalue de la déchéance du terme par acte du 10 juin 2013.
2.
Par acte du 28 août 2013, la banque a fait pratiquer une
saisie-attribution contestée par les emprunteurs devant le juge de
l’exécution. Par actes des 27 et 28 août 2013, les emprunteurs ont
assigné la banque et le mandataire aux fins de voir constater la
forclusion de l’action et ont sollicité l’allocation de
dommages-intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en
garde. Celle-ci a sollicité reconventionnellement le remboursement du
solde des prêts par conclusions du 18 août 2014.
3.
Le 4 octobre 2013, l’assureur a finalement accepté de prendre en charge
les échéances des prêts pour la période du 26 avril 2009 au 1er
septembre 2012.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4.
Les emprunteurs font grief à l’arrêt de rejeter la fin de non-recevoir
tirée de la prescription, à l’exception des échéances impayées du 1er
décembre 2010 au 1er août 2011 afférentes à un des deux prêts et de les
condamner à payer diverses sommes à la banque, alors :
«
1°/ que l’action des professionnels, pour les biens et services qu’ils
fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ; qu’en présence
d’une dette payable par termes successifs, lorsque l’emprunteur a agi
en justice avant le 11 février 2016 aux fins de voir constater la
forclusion du prêteur et que le prêteur a lui-même formulé une demande
reconventionnelle en paiement avant cette date, le principe de sécurité
juridique et le droit à un procès équitable exigent que l’emprunteur
puisse se prévaloir de la jurisprudence de la Cour de cassation
antérieure à son revirement du 11 février 2016, en ce qu’elle décidait,
sur le fondement de l’article L. 137-2 du code de la consommation, que
la prescription de l’action en paiement du capital restant dû courait à
compter du premier incident de paiement non régularisé ; qu’en l’espèce,
la cour d’appel a elle-même constaté que pour les deux prêts concernés,
les premiers impayés non régularisés étaient antérieurs au revirement
de jurisprudence du 11 février 2016, de même que l’action des
emprunteurs visant à voir constater la forclusion de la banque ainsi que
la demande reconventionnelle en paiement de la banque ; qu’en outre,
s’agissant du prêt de 18 000 euros, il résulte des constatations de
l’arrêt que selon la solution jusqu’alors consacrée par la haute
juridiction, l’action de la banque en paiement du capital restant dû
était déjà prescrite lors du revirement de jurisprudence précité ; que
dès lors, en appliquant le revirement de jurisprudence du 11 février
2016 à la présente instance, en cours au moment de son prononcé, la cour
d’appel a violé l’article L. 137-2 du code de la consommation dans sa
rédaction applicable au litige, ensemble l’article 6 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
2°/
que, dans leurs conclusions d’appel, les emprunteurs faisaient valoir,
éléments de preuve à l’appui, que s’agissant du prêt de 104 765 euros,
le premier impayé non régularisé remontait en réalité à l’année 2009 et
non au 1er septembre 2011 comme le soutenait la banque ; que dès lors,
en jugeant qu’il ressortait des pièces versées aux débats par la banque
que le premier impayé non régularisé relatif au prêt de 104 765 euros
remontait au 1er septembre 2011, sans répondre au moyen précité, la cour
d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5.
En premier lieu, la cour d’appel a exactement énoncé que la sécurité
juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour
contester l’application immédiate d’une solution nouvelle résultant
d’une évolution de la jurisprudence ne saurait consacrer un droit acquis
à une jurisprudence figée. Cette évolution relève de l’office du juge
dans l’application du droit.
6. En second
lieu, sous le couvert d’un grief non fondé de défaut de réponse à
conclusions, le moyen ne tend qu’à remettre, en discussion devant la
Cour de cassation, l’appréciation souveraine de la cour d’appel qui a
estimé que la date du premier impayé non régularisé concernant l’un des
prêts devait être fixée le 1er septembre 2011.
7. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
8.
Les emprunteurs font grief à l’arrêt de les condamner solidairement à
payer diverses sommes à la banque au titre des prêts, alors « que le
règlement par l’assureur, en vertu du contrat d’assurance adossé à un
prêt immobilier, des échéances impayées par l’emprunteur ayant conduit
la banque à prononcer la déchéance du terme, rend caduque la déchéance
du terme ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a elle-même constaté que
l’assureur avait dans un premier temps refusé de prendre en charge les
mensualités impayées par les emprunteurs, que la banque avait prononcé
la déchéance du terme des deux prêts immobiliers le 10 juin 2013 en
raison de ces impayés, et que l’assureur avait finalement reconsidéré sa
position en acceptant la mise en jeu de sa garantie le 4 octobre 2013 ;
qu’il résultait de ces constatations que la déchéance du terme était
caduque ; que dès lors, en jugeant que « les versements effectués
ultérieurement par la compagnie d’assurance [n’avaient] pas pu avoir
pour effet de remettre en cause l’exigibilité résultant de la déchéance
du terme prononcée le 10 juin 2013 », la cour d’appel a violé l’article
1186 du code civil dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
9.
Le règlement des sommes correspondant au montant des échéances impayées
d’un prêt ayant conduit la banque à prononcer la déchéance du terme,
effectué postérieurement à celle-ci par l’assureur de l’emprunteur, ne
peut, sauf stipulations contractuelles expresses, entraîner la caducité
de cette déchéance.
10. Ayant relevé que
l’article 5 des conditions générales des prêts prévoyait que les
régularisations postérieures à la déchéance du terme ne faisaient pas
obstacle à l’exigibilité résultant de cette dernière, la cour d’appel en
a déduit, à bon droit, que les versements effectués par l’assureur sur
le compte des emprunteurs n’avaient pu avoir pour effet de remettre en
cause l’exigibilité résultant de la déchéance du terme.
11. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
12. Les emprunteurs font grief à l’arrêt de rejeter leur demande de dommages-intérêts, alors :
«
1°/ que, dans leurs conclusions d’appel, les emprunteurs soutenaient
que la banque avait manqué à son devoir de mise en garde à leur égard, à
raison de leurs capacités financières et des risques de l’endettement
né de l’octroi des deux prêts immobiliers ; qu’à cet égard, ils
faisaient valoir que « concomitamment aux prêts immobiliers, le Crédit Lyonnais [avait] consenti aux consorts L...
deux crédits à la consommation », et que la banque « n’apport[ait]
aucune explication sur ces crédits (...) lesquels augmentent pourtant le
passif des emprunteurs » ; que dès lors, en écartant toute
responsabilité de la banque au titre du devoir de mise en garde, sans
répondre au moyen précité, la cour d’appel a violé l’article 455 du code
de procédure civile ;
2°/ que les juges
ont l’interdiction de dénaturer les documents de la cause ; qu’en
l’espèce, l’acte authentique du 6 juin 2007 portant sur l’acquisition de
l’immeuble par les emprunteurs et le financement de l’achat par deux
prêts consentis par la banque, partie à l’acte, stipulait expressément,
pour le prêt de 104 765 euros, que la « première échéance »
interviendrait « le : 1er juillet 2009 » ; que dès lors, en jugeant que «
la cour d’appel ignore cependant à quoi correspond la date [du 1er
juillet 2009] invoquée par les époux L...
alors que l’examen de l’acte de prêt ne fait à aucun moment apparaître
la stipulation d’un différé d’amortissement », pour en déduire que la
banque n’avait pas commis de faute en prélevant immédiatement des
échéances mensuelles au titre du prêt de 104 765 euros, la cour d’appel a
dénaturé les termes clairs et précis du contrat précité en violation du
principe susvisé ;
3°/ que, dans leurs
conclusions d’appel, les emprunteurs faisaient valoir que la poursuite
du recouvrement forcé par la banque et le mandataire était fautif, dans
la mesure où il était établi que l’assurance devait prendre en charge
les mensualités des prêts à compter de juillet 2009 ; qu’ils
soulignaient avoir informé le mandataire, par un courrier du 13 juin
2013 produit aux débats, de leur démarche auprès de l’assureur pour
contester le refus de prise en charge initialement opposé, et demandé au
mandataire de la banque de suspendre toute poursuite dans l’attente de
connaître la position de l’assureur ; qu’ils ajoutaient que, par un
courrier du 13 juillet 2013 également produit aux débats, ils avaient
transmis au mandataire la réponse de l’assureur qui acceptait de
mandater leur médecin-expert pour un examen médical de M. L...
; que dès lors, en ne recherchant pas si la banque et son mandataire
n’avaient pas commis une faute en diligentant une saisie à l’encontre
des emprunteurs le 28 août 2013, malgré le recours et l’examen médical à
venir de M. L...
dont ils étaient informés, et qui étaient de nature à modifier la
position de l’assureur, la cour d’appel a privé sa décision de base
légale au regard de l’article 1147 du code civil dans sa rédaction
applicable au litige. »
Réponse de la Cour
13.
En premier lieu, l’arrêt relève que dans la perspective de l’octroi des
prêts litigieux, la banque avait établi une fiche de renseignements
certifiés exacts par les emprunteurs le 21 avril 2007, sur le montant de
leurs revenus, qu’à cette fiche ont été joints divers justificatifs,
que la fixation des échéances de remboursement des prêts litigieux a
pris en compte un crédit antérieur, que la charge de remboursement
mensuel global restait sensiblement constante et, en tout état de cause,
toujours inférieure au taux d’endettement de 33 % communément admis
comme permettant un remboursement sans risque particulier et que les
mensualités des prêts ont été régulièrement honorées jusqu’à ce que M. L... soit confronté à des problèmes de santé.
14.
Sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur
argumentation, la cour d’appel a ainsi fait ressortir qu’en l’absence
d’un risque d’endettement excessif, la banque n’était pas tenue d’un
devoir de mise en garde à l’égard des emprunteurs.
15.
En deuxième lieu, c’est par une interprétation souveraine, exclusive de
dénaturation, de l’acte authentique, rendue nécessaire par l’ambiguïté
de ses clauses, qu’elle a estimé que la banque avait pu prélever la
première échéance le 11 juin 2007.
16. En
troisième lieu, se fondant sur le fait que l’assureur avait commencé
par refuser sa garantie aux emprunteurs et n’avait modifié sa position
qu’en octobre 2013, soit postérieurement à la date à laquelle les sommes
étaient devenues exigibles à la suite du prononcé de la déchéance du
terme, aux mises en demeure du mandataire et à la mesure de
saisie-attribution, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les
parties dans le détail de leur argumentation, a pu en déduire que la
banque n’avait pas commis de faute en poursuivant le recouvrement forcé
des sommes dues malgré le changement de position de l’assureur.
17. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Président : Mme Batut
Rapporteur : M. Serrier, conseiller référendaire
Avocat général : M. Chaumont
Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel - SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre
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