Arrêt n°644 du 04 novembre 2020 (19-17.559) - Cour de cassation - Première chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2020:C100644
Rejet
Demandeur(s) : M. B... J...
Défendeur(s) : procureur général près la cour d’appel de Paris
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 18 septembre 2018), M. B... J... , né le [...]
à Pondichéry, a introduit une action déclaratoire de nationalité en
raison de sa filiation avec un père français né sur le territoire de
Pondichéry et une mère née en Inde anglaise et devenue française par son
mariage.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
2. M. J...
fait grief à l’arrêt de dire qu’il n’est pas français, alors « que les
juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils
sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve fournis par les
parties ; qu’en n’examinant pas les documents français produits par M. J...
pour établir sa nationalité française, documents dont il n’était pas
contesté ou constaté qu’ils n’étaient pas produits, la cour d’appel a
violé les articles 455 et 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
3. Le moyen, qui critique des motifs surabondants de l’arrêt, est inopérant.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. M. J... fait le même grief à l’arrêt, alors :
«
1°/ que, conformément à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit
au respect de sa vie privée et familiale ; que la nationalité, effet de
la filiation, relève de la vie sociale et familiale d’un individu, à
travers le lien qu’il entretient avec ses parents égaux entre eux et
avec la société de ses parents ; qu’elle est donc incluse à ce titre
dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention européenne
des droits de l’homme ; qu’en vertu de l’article 14 de cette convention,
aucune distinction dans l’exercice de ce droit ne peut être fondée sur
des critères tenant au sexe ; que l’article 5 du traité bilatéral de
1962 interdit à l’enfant mineur, né d’une mère française restée
française, de conserver la nationalité française, si le père opte pour
la nationalité indienne ; que, selon cet article, l’enfant conservera la
nationalité française si son père est français, même si sa mère est
indienne ; qu’il perdra, en revanche, la nationalité française bien que
sa mère soit française, si son père devient indien ; que l’article 5
aboutit ainsi à ce que des enfants placés dans une même situation,
enfants de parents dont l’un conserve la nationalité française et pas
l’autre, voient leur nationalité française dépendre du sexe du parent
français ; que cette disposition consacre une inégalité entre les
filiations paternelle et maternelle, comme entre l’homme et la femme ou
encore entre les parents, reposant sur le sexe du parent ; qu’une telle
disposition discriminatoire porte atteinte au droit à la vie privée et
familiale ; qu’en ne l’écartant pas, la cour d’appel a violé les
articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme,
ensemble l’article 55 de la Constitution ;
2°/
que les buts légitimes susceptibles de justifier une ingérence dans
l’exercice des droits à la vie privée et familiale sont la sécurité
nationale, la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la
défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, la
protection de la santé ou de la morale, ou la protection des droits et
libertés d’autrui ; qu’aucun de ces buts ne recouvre celui de préserver
l’identité de la population des anciens établissements français cédés à
l’Inde par le choix d’une disposition qui privilégie la nationalité du
père sur celle de la mère ; que l’article 5 du traité de 1962 ne
poursuit pas un but légitime justifiant une atteinte au droit au respect
de la vie privée et familiale ; qu’en refusant d’écarter son
application parce qu’il ne violerait pas l’article 8 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour
d’appel a violé ledit article ;
3°/ que
constitue une discrimination, même si l’assurance au droit à une
nationalité est préservée, la détermination des nationaux d’un Etat par
application de critères discriminatoires à raison du sexe du parent ;
qu’en retenant que la détermination par un Etat de ses nationaux ne peut
constituer une discrimination au sens de cet article dès lors qu’est
assuré, comme en l’espèce, le droit à une nationalité, quand ce droit
est assuré par le recours à un critère discriminatoire, la cour d’appel a
violé l’article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales, ensemble son article 8 ;
4°/
que la poursuite d’un but légitime ne constitue pas en soi une
justification objective et raisonnable justifiant une discrimination ou
une ingérence dans un droit fondamental ; qu’il faut encore que la
mesure constitutive d’une ingérence en cause soit nécessaire dans une
société démocratique au regard du but poursuivi, adéquate et
proportionnée à l’objectif poursuivi ; qu’en se limitant à affirmer que
les règles gouvernant la conservation de la nationalité française
poursuivaient le but légitime de préserver l’identité de la population
des anciens établissements français cédés à l’Inde et constituaient
ainsi une justification objective et raisonnable, assimilant ainsi le
but légitime et les modalités de la mesure prises pour l’atteindre, la
cour d’appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
5°/
que l’ingérence dans l’exercice d’un droit fondamental fondée sur une
discrimination n’est justifiée que si elle est nécessaire dans une
société démocratique au regard du but poursuivi, adéquate et
proportionnée à l’objectif poursuivi ; que la détermination par un Etat
de ses nationaux par application d’un critère discriminatoire fondé sur
le sexe du parent n’est ni adéquat, ni proportionné au but poursuivi
qu’il s’agisse pour cet Etat de déterminer ses nationaux ou de conserver
l’identité de la population des anciens établissements français cédés à
l’Inde ; que ces objectifs peuvent parfaitement être atteints par une
disposition respectueuse de l’égalité entre les hommes et les femmes,
entre les filiations maternelle et paternelle, et entre les parents ;
qu’en faisant application de l’article 5 du traité de 1962 parce qu’il
ne violerait pas les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour d’appel a
violé lesdits articles ;
6°/ que
l’article 9 de la convention multilatérale des Nations Unies pour
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes, ratifiée par la France et entrée en vigueur le 3 septembre 1981,
prévoit que les femmes doivent avoir des droits égaux à ceux des hommes
en ce qui concerne la nationalité de leurs enfants ; que l’article 5 du
traité bilatéral entre la France et l’Inde de 1962 dispose que la
nationalité des enfants mineurs suit celle du père seul ; que cette
disposition établit une discrimination fondée sur le sexe du parent ;
qu’émanant d’un traité bilatéral antérieur elle doit s’effacer devant
les dispositions claires et précises émanant de traités multilatéraux
postérieurs énonçant des droits fondamentaux tels que l’égalité entre
l’homme et la femme ; qu’en n’écartant pas l’application de l’article 5
du traité de 1962 et en refusant de reconnaître la nationalité française
de M. J...
par filiation avec sa mère restée française, la cour d’appel a violé
l’article 9.2 de la Convention des Nations Unies pour l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ensemble
l’article 55 de la Constitution ;
7°/ que
l’article 5 du Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales énonce que « les époux
jouissent de l’égalité de droits et de responsabilités de caractère
civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du
mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution » ; que l’article 5
du traité bilatéral entre la France et l’Inde de 1962 fait produire
plus de conséquences juridiques à la filiation paternelle qu’à la
filiation maternelle pour les enfants du couple ; qu’il établit une
inégalité entre les parents dans leurs relations avec leurs enfants au
regard du mariage en faisant prévaloir la nationalité du père sur celle
de la mère ; qu’émanant d’un traité bilatéral antérieur l’article 5 du
traité de 1962 doit s’effacer devant les dispositions de l’article 5 du
protocole n° 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales énonçant des droits fondamentaux tels que
l’égalité entre les parents vis-à-vis de leurs enfants, et
nécessairement entre le père et la mère ; qu’en n’écartant pas
l’application de l’article 5 du traité de 1962 et en refusant de
reconnaître la nationalité française de M. J...
par filiation avec sa mère restée française parce que son père n’avait
pas fait le choix de conserver la nationalité française, la cour d’appel
a violé l’article 5 du Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble l’article 55
de la Constitution de 1955 et le préambule de la Constitution de 1946. »
Réponse de la Cour
5.
L’arrêt retient à bon droit, par motifs adoptés, que la détermination
par un Etat de ses nationaux, par application de la loi sur la
nationalité, ne peut constituer une discrimination au sens de l’article
14 de la Convention européenne des droits de l’homme dès lors qu’est
assuré le droit à une nationalité (1re Civ., 25 avril 2007, pourvoi n°
04-17.632, Bull. 2007, I, n° 159).
6. Le
moyen ne fait état d’aucune incidence concrète de l’application du
Traité de cession des établissements français de Pondichéry, F... , W... et E... à l’Union indienne du 28 mai 1956 sur la vie privée et familiale de M. J... .
7. M. J...
n’a invoqué devant la cour d’appel ni la convention des Nations Unies
pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes ni le Protocole n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales.
8.
Dès lors, le moyen, nouveau et mélangé de fait en ses sixième et
septième branches, comme tel irrecevable, n’est pas fondé pour le
surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Président : Mme Batut
Rapporteur : M. Hascher
Avocat général : Mme Marilly, avocat général référendaire
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -
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