Arrêt n°560 du 13 juin 2019 (16-22.548) - Cour de cassation - Première chambre civile
- ECLI:FR:CCASS:2019:C100526
Etranger
Rejet
Sommaire :
Le rétablissement d’un contrôle à une frontière intérieure de l’espace Schengen, en raison d’une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, tel que prévu à l’article 25 du règlement 2016/399, ne modifie pas la nature intérieure de la frontière.
Demandeur (s) : Préfet des Pyrénées-Orientales
Défendeur (s) : M. X... ; et autres
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’ordonnance attaquée,
rendue par le premier président d’une cour d’appel (Montpellier, 22 juin
2016) et les pièces de la procédure, que, pendant la période de
réintroduction temporaire, en France, d’un contrôle aux frontières
intérieures de l’espace Schengen, conformément aux dispositions de
l’article 25 du règlement (UE) 2016/399 du 9 mars 2016 concernant un
code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par
les personnes (code frontières Schengen), M. X..., de nationalité
marocaine, a été contrôlé, le 15 juin 2016, au Boulou
(Pyrénées-Orientales), dans la zone comprise entre la frontière
terrestre séparant la France de l’Espagne et une ligne tracée à vingt
kilomètres en deçà, dans les conditions de l’article 78-2, alinéa 9, du
code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-731
du 3 juin 2016, alors qu’il se trouvait à bord d’un autocar en
provenance du Maroc ; qu’il avait précédemment quitté la France à la
suite d’une mesure d’éloignement qui lui avait été notifiée le 10 août
2013 ; que, suspecté d’être entré irrégulièrement sur le territoire
français, délit prévu à l’article L. 621-2 du code de l’entrée et du
séjour des étrangers et du droit d’asile, il a été placé en garde à
vue ; que, le lendemain, le préfet a pris à son encontre un arrêté
portant obligation de quitter le territoire français et ordonné son
placement en rétention administrative ;
Attendu que le préfet fait grief à l’ordonnance de rejeter la demande de prolongation de la rétention alors, selon le moyen, qu’une
réglementation d’un État membre de l’Union européenne ne peut
permettre, du seul fait de l’entrée irrégulière par une frontière
intérieure, conduisant au séjour irrégulier, à l’emprisonnement ou au
placement en garde à vue d’un ressortissant d’un pays tiers, pour lequel
la procédure de retour établie par cette directive n’a pas encore été
menée à son terme ; que, cependant, en cas de menace grave pour l’ordre
public ou la sécurité intérieure, un État membre peut exceptionnellement
réintroduire le contrôle à ses frontières intérieures, paralysant ainsi
partiellement l’application de la directive 2008/115/CE du Parlement
européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et
procédures communes applicables dans les États membres au retour des
ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ; que dans cette
circonstance, une personne entrée irrégulièrement en France peut être
contrôlée selon les dispositions de l’article 78-2 alinéa 4 [ alinéa 8,
devenu 9, selon le décompte actuel] du code de procédure pénale et être
placée en garde à vue ; qu’en l’espèce, à la date de l’entrée en France
de M. X..., de nationalité marocaine, en juin 2016, la France avait
prononcé l’état d’urgence et rétabli les contrôles aux frontières
intérieures en conformité avec les dispositions du chapitre II du titre
III du règlement 2016/399 du 9 mars 2016 relatif au régime de
franchissement des frontières par les personnes et de l’article 2, § 2,
a), de la directive 2008/115/CE ; qu’ainsi, les mesures protectrices de
cette dernière directive n’étaient pas applicables, l’étranger en
situation irrégulière étant alors susceptible de recevoir une peine de
prison et d’être placé en garde à vue ; qu’en jugeant néanmoins que la
directive 2008/115/CE restait entièrement applicable et qu’en
conséquence une mesure de garde à vue ne pouvait être exercée à
l’encontre de M. X..., entré irrégulièrement sur le territoire français
avant que la procédure de retour soit mise en oeuvre, la cour d’appel a
violé les articles 2, 14, 25, 27 et 32 du règlement 2016/399 du 9 mars
2016 relatif au régime de franchissement des frontières par les
personnes, les articles 2, § 2, a), 8 et 15 de la directive 2008/115/CE
du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux
normes et procédures communes applicables dans les États membres au
retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ainsi que
les articles 62-2 et 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale ;
Mais attendu, en premier lieu, que, par arrêt du 19 mars 2019 (CJUE, arrêt C-444/17), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit :
L’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lu en combinaison avec l’article 32 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à la situation d’un ressortissant de pays tiers, arrêté à proximité immédiate d’une frontière intérieure et en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre, même lorsque cet État membre a réintroduit, en vertu de l’article 25 de ce règlement, le contrôle à cette frontière, en raison d’une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure dudit État membre ;
Attendu, en second lieu, qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 7 juin 2016, Affum, C-47/15) que la directive 2008/115 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre permettant, du seul fait de l’entrée irrégulière par une frontière intérieure conduisant au séjour irrégulier, l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers pour lequel la procédure de retour établie par cette directive n’a pas encore été menée à son terme ; qu’il s’ensuit que le ressortissant d’un pays tiers, entré irrégulièrement en France, qui n’encourt pas l’emprisonnement prévu à l’article L. 624-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dès lors qu’aucune procédure de retour n’a encore été menée jusqu’à son terme, ne peut être placé en garde à vue du seul chef de l’entrée irrégulière sur le territoire national ;
Attendu que l’ordonnance retient à bon
droit, par motifs propres et adoptés, que la directive 2008/115 précitée
est applicable à la situation de M. X... dès lors que le rétablissement
d’un contrôle à la frontière entre l’Espagne et la France, en raison
d’une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, tel
que prévu à l’article 25 du règlement 2016/399, ne modifie pas la nature
intérieure de la frontière qu’il a franchie ; qu’il en déduit
exactement, d’une part, que cette directive s’oppose à la réglementation
permettant, du seul fait de l’entrée irrégulière par une frontière
intérieure, l’emprisonnement d’un ressortissant de pays tiers pour
lequel la procédure de retour n’a pas encore été menée à son terme,
d’autre part, qu’à défaut d’infraction punie d’emprisonnement, la garde à
vue était irrégulière, de sorte que la mesure de rétention ne pouvait
être maintenue ; que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Président : Mme Batut
Rapporteur : Mme Gargoullaud, conseiller référendaire
Avocat général : Mme Marilly, avocat général référendaire
Avocat (s) : SARL Cabinet Briard
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