Arrêt n°114 du 20 février 2019 (17-31.065) - Cour de cassation - Première chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2019:C100114
Protection des consommateursRejet
Sommaire 1 :
L’appréciation du caractère abusif des clauses, au sens de l’article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation, ne porte pas sur la définition de l’objet principal du contrat, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
La clause d’un prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, qui prévoit la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels, après paiement des charges annexes du crédit, définit l’objet principal du contrat, le risque de change, inhérent à ce type de prêt, ayant une incidence sur les conditions de remboursement du crédit.
Par arrêt du 20 septembre 2018 (C-51/17), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 4, § 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l’exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible oblige les établissements financiers à fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause ; que cette exigence implique qu’une clause relative au risque de change soit comprise par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières.
Est légalement justifiée la décision qui, pour retenir le caractère clair et compréhensible d’une telle clause, relève, d’abord, que l’offre préalable de prêt détaille les opérations de change réalisées au cours de la vie du crédit et précise que le taux de change euros contre francs suisses sera celui applicable deux jours ouvrés avant la date de l’événement qui détermine l’opération et qui est publié sur le site de la Banque centrale européenne ; qui constate, ensuite, qu’il est mentionné dans l’offre que l’emprunteur accepte les opérations de change de francs suisses en euros et d’euros en francs suisses nécessaires au fonctionnement et au remboursement du crédit, et que le prêteur opérera la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels en euros après paiement des charges annexes du crédit ; qui retient, encore, que l’offre indique que, s’il résulte de l’opération de change une somme inférieure à l’échéance en francs suisses exigible, l’amortissement du capital sera moins rapide et l’éventuelle part de capital non amorti au titre d’une échéance sera inscrite au solde débiteur du compte en francs suisses, et qu’il est précisé que l’amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels, à la hausse ou à la baisse, que cette évolution peut entraîner l’allongement ou la réduction de la durée d’amortissement du prêt et, le cas échéant, modifier la charge totale de remboursement ; ajoute, enfin, que les articles "compte interne en euros" et "compte interne en francs suisses" détaillent les opérations effectuées à chaque paiement d’échéance au crédit et au débit de chaque compte, et que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère (arrêt n° 1, pourvoi n° 17-31.065 et arrêt n° 2, pourvoi n° 17-31.067) ; qui précise, encore, qu’a été jointe à l’offre de prêt une notice assortie de simulations chiffrées de l’impact des variations du taux de change sur le plan de remboursement afin d’éclairer les emprunteurs sur les risques inhérents à la souscription d’un prêt en devises (arrêt n° 2, pourvoi n° 17-31.067).
Sommaire 2 :
N’a pas failli à son obligation d’information la banque dont l’offre de prêt informait l’emprunteur que le crédit était libellé en francs suisses et que le capital emprunté permettrait de débloquer le montant du prix de vente de l’immeuble chiffré en euros chez le notaire, le contrat expliquant sans équivoque le fonctionnement du prêt en devises, détaillant les opérations effectuées à chaque paiement d’échéance et décrivant les opérations de change pouvant avoir un impact sur le plan de remboursement et l’emprunteur ayant été informé sur le risque de variation du taux de change et son influence sur la durée du prêt, l’évolution de l’amortissement du capital et la charge totale du remboursement, et sur le coût total du crédit en cas de dépréciation de l’euro (arrêt n° 1, pourvoi n° 17-31.065 et arrêt n° 2, pourvoi n° 17-31.067).
Demandeur : Mme D... H...
Défendeur : société BNP Paribas Personal Finance, société anonyme
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 12 mai 2017), que, suivant offre de prêt acceptée le 3 juillet 2008, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à Mme H... (l’emprunteur) un prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, dénommé Helvet immo,
en vue de financer l’acquisition d’un bien immobilier ; qu’invoquant
l’irrégularité de la clause contractuelle relative à l’indexation du
prêt sur la valeur du franc suisse ainsi qu’un manquement de la banque à
son obligation d’information, l’emprunteur a assigné celle-ci en
annulation de la clause litigieuse et en indemnisation ;
Sur le premier moyen :
Attendu que l’emprunteur fait grief à l’arrêt de valider la clause litigieuse, alors, selon le moyen :
1°/
que la clause de monnaie de compte selon laquelle les versements
mensuels de l’emprunteur, réalisés en euros, sont convertis dans une
devise étrangère afin de procéder au remboursement du capital emprunté
dans cette devise, constitue une clause d’indexation qui n’est que
l’accessoire de l’obligation de remboursement en euros, prestation
essentielle du contrat ; que la cour d’appel qui, après avoir relevé que
les échéances du prêt litigieux devaient être payées en euros avant
conversion en francs suisses afin de permettre le remboursement du
capital emprunté dans cette devise, ce dont il résultait que cette
clause d’indexation n’était qu’un accessoire de la prestation
essentielle du contrat, a néanmoins retenu, pour refuser d’examiner le
caractère abusif de celle-ci, qu’elle définissait l’objet principal du
contrat, a violé l’article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la
consommation ;
2°/
qu’en tout état de cause, une clause définissant la prestation
essentielle du contrat peut être regardée comme abusive lorsqu’elle
n’est pas rédigée de manière claire et compréhensible ; qu’en se bornant
à se référer, pour juger que la clause de monnaie de compte était
claire et compréhensible, à la clarté et la précision des termes
employés pour décrire le mécanisme de prêt, qui n’aurait présenté aucun
caractère de complexité, ainsi qu’à leur répétition et leur caractère
compréhensible, c’est-à-dire au caractère intelligible de la clause sur
un plan grammatical, sans rechercher si, notamment à l’aide d’exemples
chiffrés, le contrat exposait de manière transparente le fonctionnement
concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère auquel se
référait la clause litigieuse, de sorte que l’emprunteur fût mis en
mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles,
les conséquences économiques qui en découlaient pour lui, la cour
d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.
132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation ;
3°/
que la clause d’indexation prévoyait que, à raison de l’évolution du
taux de change euro/franc suisse, les échéances de remboursement en
euros pouvaient augmenter sans limitation durant les cinq dernières
années du prêt, afin que celui-ci soit apuré à l’issue de cette période ;
qu’en retenant néanmoins que le contrat fixait une double limite, de la
durée supplémentaire, qui ne peut être que de cinq ans et de la
majoration des règlements en euros qui ne peut être supérieure à
l’augmentation annuelle de l’indice INSEE des prix à la consommation
(série France entière hors tabac)sur la période des cinq dernières
années précédant la révision du taux d’intérêt, la cour d’appel a violé
l’obligation faite au juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est
soumis ;
Mais
attendu, d’abord, qu’après avoir énoncé que l’appréciation du caractère
abusif des clauses, au sens du premier alinéa de l’article L. 132-1,
devenu L. 212-1 du code de la consommation, ne porte pas sur la
définition de l’objet principal du contrat pour autant que ces clauses
soient rédigées de façon claire et compréhensible, l’arrêt relève que
l’offre préalable de prêt, dans laquelle s’insère la clause litigieuse,
prévoit la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels
en euros après paiement des charges annexes du crédit, que le prêt a
pour caractéristique essentielle d’être un prêt en francs suisses
remboursable en euros et que le risque de change, inhérent à ce type de
prêt, a une incidence sur les conditions de remboursement du crédit ;
qu’il en déduit, à bon droit, que la clause définit l’objet principal du
contrat ;
Attendu,
ensuite, que la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit
(arrêt du 20 septembre 2018, C-51/17) que l’article 4, paragraphe 2, de
la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que l’exigence selon
laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et
compréhensible oblige les établissements financiers à fournir aux
emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de
prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause ;
que cette exigence implique qu’une clause relative au risque de change
soit comprise par le consommateur à la fois sur les plans formel et
grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu’un
consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et
avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de
dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère
dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences
économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses
obligations financières ;
Attendu
que l’arrêt relève que l’offre préalable de prêt détaille les
opérations de change réalisées au cours de la vie du crédit et précise
que le taux de change euros contre francs suisses sera celui applicable
deux jours ouvrés avant la date de l’événement qui détermine l’opération
et qui est publié sur le site de la Banque centrale européenne ; qu’il
constate qu’il est mentionné dans l’offre que l’emprunteur accepte les
opérations de change de francs suisses en euros et d’euros en francs
suisses nécessaires au fonctionnement et au remboursement du crédit, et
que le prêteur opérera la conversion en francs suisses du solde des
règlements mensuels en euros après paiement des charges annexes du
crédit ; qu’il énonce que l’offre indique que, s’il résulte de
l’opération de change une somme inférieure à l’échéance en francs
suisses exigible, l’amortissement du capital sera moins rapide et
l’éventuelle part de capital non amorti au titre d’une échéance sera
inscrite au solde débiteur du compte en francs suisses, et qu’il est
précisé que l’amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des
variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels, à la
hausse ou à la baisse, que cette évolution peut entraîner l’allongement
ou la réduction de la durée d’amortissement du prêt et, le cas échéant,
modifier la charge totale de remboursement ; que l’arrêt ajoute que les
articles "compte interne en euros" et "compte interne en francs suisses"
détaillent les opérations effectuées à chaque paiement d’échéance au
crédit et au débit de chaque compte, et que le contrat expose de manière
transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la
devise étrangère ; que la cour d’appel a ainsi fait ressortir le
caractère clair et compréhensible de la clause litigieuse ;
Attendu,
enfin, que l’arrêt retient, sans dénaturation, que les stipulations
prévoyant l’allongement de la durée du contrat et l’augmentation des
règlements en euros pour permettre de payer le solde du compte, en cas
de non-remboursement à l’échéance, font partie intégrante de la clause
litigieuse et que le contrat fixe une double limite, de la durée
supplémentaire de remboursement du prêt qui ne peut être que de cinq ans
et de la majoration des règlements en euros qui ne peut être supérieure
à l’augmentation annuelle de l’indice INSEE des prix à la consommation
sur la période des cinq dernières années précédant la révision du taux
d’intérêt ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu
que l’emprunteur fait grief à l’arrêt de dire que la banque n’a pas
failli à son obligation d’information, alors, selon le moyen, que le
banquier dispensateur d’un crédit en devise étrangère remboursable en
euros doit, au titre de son devoir d’information, exposer de manière
transparente, notamment à l’aide d’exemples chiffrés, le fonctionnement
concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère, de sorte que
l’emprunteur soit mis en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères
précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découle
pour lui ; qu’en se fondant, pour écarter le manquement de la banque à
son devoir d’information, sur les seuls termes des clauses de l’offre de
prêt et en retenant qu’il ne saurait être exigé du prêteur qu’il évalue
de manière chiffrée le risque d’endettement, la cour d’appel a violé
l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à
l’ordonnance du 10 février 2016 ;
Mais
attendu que l’arrêt constate que l’offre de prêt informait l’emprunteur
que le crédit était libellé en francs suisses et que le capital
emprunté permettrait de débloquer le montant du prix de vente de
l’immeuble chiffré en euros chez le notaire ; qu’il retient que le
contrat explique sans équivoque le fonctionnement du prêt en devises,
détaille les opérations effectuées à chaque paiement d’échéance et
décrit les opérations de change pouvant avoir un impact sur le plan de
remboursement ; qu’il relève que l’emprunteur a été informé sur le
risque de variation du taux de change et son influence sur la durée du
prêt, l’évolution de l’amortissement du capital et la charge totale du
remboursement, et que la banque a informé l’emprunteur sur le coût total
du crédit en cas de dépréciation de l’euro ; que, par ces seuls motifs,
la cour d’appel a pu décider que la banque n’avait pas failli à son
obligation d’information ; que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Président : Mme Batut
Rapporteur : M. Avel
Avocat général :M. Chaumont
Avocat(s) : Me Laurent Goldman, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
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