Arrêt n° 149 du 7 février 2018 (17-14.866) - Cour de cassation - Première chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2018:C100149
EtrangerCassation partielle sans renvoi
Sommaire :
Il
résulte de la combinaison du règlement dit « Dublin III » et de
l’article L. 742-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers
et du droit d’asile, tels qu’interprétés par le Conseil d’Etat dans
son avis contentieux n° 408919 du 19 juillet 2017, que le
législateur n’a pas entendu que l’autorité administrative puisse
placer en rétention le demandeur d’asile faisant l’objet d’une
procédure de transfert avant l’intervention de la décision de
transfert. Viole ces textes la juridiction qui considère comme
régulière la mesure de rétention prise, aux fins de mise en oeuvre
de la procédure de détermination de l’État responsable de l’examen
de la demande d’asile, avant la décision de transfert.
Demandeur : M. Mohamed X...
Défendeur(s) : le procureur général près la cour d’ appel de Rennes, et autre
Attendu, selon
l’ordonnance attaquée, rendue par le premier président d’une cour d’appel, et
les pièces de la procédure, que M. X…, de nationalité algérienne, a été
interpellé le 11 janvier 2017 à l’occasion d’une enquête de flagrance
pour des faits de vol aggravé et placé en rétention administrative le
lendemain, en exécution d’une décision du préfet du même jour, dans l’attente
de la réponse aux demandes de prise en charge par l’Etat responsable de
l’examen de sa demande d’asile, adressées aux autorités bulgares, suédoises,
danoises et hollandaises ;
Sur le moyen unique, pris
en sa troisième branche, qui est préalable :
Vu l’article 28 du
règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du
26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination
de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection
internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de
pays tiers ou un apatride, dit « Dublin III », et l’article L. 742-2
du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Attendu qu’il résulte de ces
textes, tels qu’interprétés par le Conseil d’Etat dans son avis contentieux
n° 408919 du 19 juillet 2017, que le législateur n’a pas entendu
que l’autorité administrative puisse placer en rétention administrative le
demandeur d’asile faisant l’objet d’une procédure de transfert avant
l’intervention de la décision de transfert ; que, dans ce cas, la loi n’a
prévu que la possibilité d’assigner l’intéressé à résidence, un placement en
rétention n’étant susceptible d’être prononcé, sur le fondement de
l’article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et
du droit d’asile, qu’après la notification de la décision de transfert ;
Attendu que, pour prolonger
la mesure, l’ordonnance retient que le placement en rétention est régulier, dès
lors qu’il résulte des dispositions de l’article 28 précité que le
placement en rétention administrative d’une personne faisant l’objet d’une requête
aux fins de reprise en charge en qualité de demandeur d’asile auprès d’un autre
État membre de l’Union européenne peut intervenir avant même la présentation de
cette requête et, par voie de conséquence, avant l’acceptation implicite ou
explicite de la part de l’État membre saisi ;
Qu’en statuant ainsi, alors
que l’étranger ne pouvait être placé en rétention, avant la décision de
transfert, aux fins de mise en oeuvre de la procédure de détermination de
l’État responsable de l’examen de la demande d’asile, le premier président a
violé les textes susvisés ;
Et sur les deux premières
branches du moyen :
Vu les articles 2 et 28
du règlement « Dublin III » ;
Attendu, d’une part, qu’il
résulte de ces textes que, si les États membres de l’Union européenne peuvent
placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures
de transfert conformément au règlement lorsqu’il existe un risque non
négligeable de fuite de ces personnes, ce risque s’entend, dans un cas
individuel, comme l’existence de raisons, fondées sur des critères objectifs
définis par la loi, de craindre la fuite d’un demandeur de protection
internationale, ressortissant de pays tiers ou apatride, qui fait l’objet d’une
procédure de transfert ;
Attendu, d’autre part, que
la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, arrêt du
15 mars 2017, Al Chodor, C-528/15) a dit pour droit que ces textes
doivent être interprétés en ce sens qu’ils imposent aux Etats membres de fixer,
dans une disposition contraignante de portée générale, les critères objectifs
sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur d’une
protection internationale qui fait l’objet d’une procédure de transfert et que
l’absence d’une telle disposition entraîne l’inapplicabilité de l’article 28,
paragraphe 2, de ce règlement ; qu’au point 45 de l’arrêt, elle
précise qu’en tout état de cause, une jurisprudence établie, sanctionnant une
pratique constante de la police des étrangers ne saurait suffire ;
Attendu que, pour prolonger
la rétention, l’ordonnance retient que cette mesure est régulière dès lors que
M. X… ne dispose pas de garanties de représentation effectives propres à
prévenir le risque de fuite avéré en ce que l’intéressé, dépourvu de tout
document d’identité et en possession d’un titre de séjour provisoire délivré
par les autorités néerlandaises, a déposé des demandes d’asile dans quatre
Etats membres différents, avant de quitter ces mêmes Etats ;
Qu’en statuant ainsi, alors
qu’en l’absence de disposition contraignante de portée générale, fixant les
critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite
du demandeur d’une protection internationale qui fait l’objet d’une procédure
de transfert, l’article 28, paragraphe 2, du règlement était inapplicable,
le premier président a violé les textes susvisés ;
Et attendu qu’en l’absence
de doute raisonnable quant à l’interprétation des articles 2 et 28 du
règlement, il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne
d’une question préjudicielle ;
Vu les
articles L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire et 1015 du
code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce
qu’elle déclare l’appel recevable, l’ordonnance rendue le
17 janvier 2017, entre les parties, par le premier président de la
cour d’appel de Rennes ;
DIT n’y avoir lieu à
renvoi ;
Président : Mme Batut
Rapporteur : Mme Gargoullaud, conseiller référendaire
Avocat général : M. Sassoust
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau
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