Arrêt n° 23 du 11 janvier 2018 (16-24.740) - Cour de cassation - Deuxième chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2018:C200023
Tierce-oppositionRejet
Sommaire :
Nul ne peut être juge et partie. Il en résulte qu’ayant exactement retenu, d’une part, que l’arbitre exerce une fonction juridictionnelle lui interdisant de demander que lui soit déclarée inopposable la décision dont l’objet était de rétracter les sentences auxquelles il avait participé, même si un vice qui entacherait ladite décision pourrait fonder une action en responsabilité civile ultérieure, d’autre part, qu’est inopérant le grief tiré de l’allégation d’un excès de pouvoir qui aurait été commis par la juridiction saisie du recours en révision, celui-ci n’étant pas de nature à permettre d’écarter les conditions d’intérêt et de qualité pour agir inhérentes à l’exercice de toutes les voies de droit, c’est à bon droit et sans méconnaître le droit à un recours effectif qu’une cour d’appel a déclaré irrecevable la tierce opposition formée par un arbitre.
Demandeur(s) : M. Pierre X...
Défendeur(s) : M. Didier Y..., et autres
Attendu, selon
l’arrêt attaqué (Paris, 27 septembre 2016), que par un arrêt du
17 février 2015, la cour d’appel de Paris, saisie d’un recours en
révision formé par la société CDR créances et la société CDR Consortium de
Réalisation (les sociétés CDR) à l’encontre des sentences prononcées
le 7 juillet 2008 et le 27 novembre 2008 par un tribunal
arbitral composé de trois arbitres dont M. X…, a ordonné la rétractation
desdites sentences au motif que la décision du tribunal avait été surprise par
un concert frauduleux entre lui-même et certaines parties, ainsi que leur
conseil ; que M. X… a formé tierce-opposition contre ledit arrêt ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu’il n’y a pas lieu
de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen annexé
qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur
le second moyen :
Attendu que M. X… fait
grief à l’arrêt de déclarer irrecevable la tierce-opposition qu’il a formée
contre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 17 février 2015
sur le recours en révision formé par les sociétés CDR à l’encontre des
sentences prononcées le 7 juillet 2008 et le
27 novembre 2008 par le tribunal arbitral, alors, selon le
moyen :
1°/ que commet un
excès de pouvoir la juridiction civile qui, se fondant sur des pièces extraites
d’une procédure pénale en cours, et sans établissement préalable de la
culpabilité du prévenu, prend une décision qui reflète le sentiment qu’il est
coupable, se substituant ainsi au juge pénal qui seul dispose du pouvoir de
décider de la culpabilité d’une personne ; que la personne dont la
culpabilité se trouve ainsi retenue par la juridiction civile au prix d’un excès
de pouvoir, dans une instance à laquelle elle n’était pas partie, est recevable
à former tierce-opposition à l’encontre de cette décision ; qu’en
l’espèce, il faisait valoir que dans son arrêt du 17 février 2015,
rendu dans une instance à laquelle il n’était pas partie, la cour d’appel de
Paris s’était substituée au juge pénal en retenant sa culpabilité sur le
fondement de pièces issues du dossier d’instruction, ce en quoi elle avait
commis un excès de pouvoir ; qu’il en déduisait être recevable à former
tierce-opposition contre cette décision, sans que l’on puisse lui opposer un
défaut de qualité à agir ; que dès lors, en décidant que « l’excès de
pouvoir a pour effet de déroger aux règles qui interdisent ou diffèrent le
recours pour certaines catégories de décisions, mais non pas d’écarter les
conditions d’intérêt et de qualité pour agir inhérentes à l’exercice de toutes
les voies de droit », et en jugeant en conséquence irrecevable la
tierce-opposition qu’il a formée faute pour lui d’avoir eu qualité à agir, la
cour d’appel a violé l’article 583 du code de procédure civile par refus
d’application ;
2°/ que la
juridiction civile qui, se fondant sur des pièces extraites d’une procédure
pénale en cours, et sans établissement préalable de la culpabilité du prévenu,
prend une décision qui reflète le sentiment qu’il est coupable, porte atteinte
à sa présomption d’innocence ; que le droit à un recours juridictionnel
effectif dont bénéficie la personne victime d’une telle violation en vue de
réparer cette atteinte, la rend recevable à former tierce-opposition à
l’encontre de ladite décision ; qu’en l’espèce, M. X… faisait valoir
que dans son arrêt du 17 février 2015, la cour d’appel de Paris avait
gravement méconnu sa présomption d’innocence, et en déduisait que la
tierce-opposition qu’il avait formée contre cet arrêt était recevable ;
que dès lors, en écartant ce moyen aux motifs que « l’excès de pouvoir a
pour effet de déroger aux règles qui interdisent ou diffèrent le recours pour
certaines catégories de décisions, mais non pas d’écarter les conditions
d’intérêt et de qualité pour agir inhérentes à l’exercice de toutes les voies
de droit », et en jugeant en conséquence irrecevable la tierce-opposition
formée par M. X… faute pour ce dernier d’avoir eu qualité à agir, la cour
d’appel a violé l’article 583 du code de procédure civile par refus
d’application, ensemble l’article 6 § 1 de la convention européenne
des droits de l’homme ;
3°/ que si un arbitre
n’est pas recevable, en cette qualité, à contester un arrêt qui censure la
sentence à laquelle il a concouru, il l’est en revanche lorsque le comportement
qui lui est reproché, présentant un caractère dolosif et participant d’une
qualification pénale, le prive de son immunité juridictionnelle, analogue à celle
d’un juge, de sorte que perdant son statut d’arbitre, il n’exerce la
tierce-opposition qu’en qualité de mis en examen dans une procédure pénale par
ailleurs ouverte contre lui ; qu’en l’espèce, en se bornant à juger que
« le principe suivant lequel celui qui exerce une fonction
juridictionnelle ne peut contester l’arrêt qui censure la décision à laquelle
il a participé s’applique y compris lorsque le vice entachant cette décision
est susceptible de fonder une action en responsabilité civile », sans
rechercher, comme elle y était invitée, si la gravité des faits qui étaient
reprochés à M. X…, soit un manquement frauduleux intentionnel relevant
d’une qualification pénale, n’était pas incompatible avec la fonction
juridictionnelle et ne le privait donc pas de son statut d’arbitre, et si cette
situation ne le rendait pas recevable à former tierce-opposition en qualité de
mis en examen dans le cadre de la procédure pénale ouverte contre lui pour les
mêmes faits que ceux retenus à son encontre dans l’arrêt de la cour d’appel de
Paris du 17 février 2015, la cour d’appel a privé sa décision de base
légale au regard de l’article 583 du code de procédure civile ;
4°/ qu’en toute
hypothèse, dans ses conclusions d’appel, M. X… réclamait la rétractation
de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 février 2015, dès lors
qu’il le mettait gravement en cause en « portant gravement atteinte à son
honneur » ; que la cour d’appel, si elle a jugé que « le
principe suivant lequel celui qui exerce une fonction juridictionnelle ne peut
contester l’arrêt qui censure la décision à laquelle il a participé s’applique
y compris lorsque le vice entachant cette décision est susceptible de fonder
une action en responsabilité civile », n’a en revanche pas répondu au
moyen précité tiré de ce que la grave atteinte portée à l’honneur de M.
X… par l’arrêt du 17 février 2015, alors même qu’il n’était pas
partie dans cette procédure, rendait recevable sa tierce-opposition à
l’encontre de l’arrêt précité, ce en quoi la cour d’appel a violé l’article 455
du code de procédure civile ;
Mais attendu que nul ne peut
être juge et partie ; qu’ayant, exactement retenu, d’une part, que
l’arbitre exerce une fonction juridictionnelle lui interdisant de demander que
lui soit déclarée inopposable la décision dont l’objet était de rétracter les
sentences auxquelles il avait participé, même si un vice qui entacherait ladite
décision pourrait fonder une action en responsabilité civile ultérieure,
d’autre part, qu’est inopérant le grief tiré de l’allégation d’un excès de
pouvoir qui aurait été commis par la juridiction saisie du recours en révision,
celui-ci n’étant pas de nature à permettre d’écarter les conditions d’intérêt
et de qualité pour agir inhérentes à l’exercice de toutes les voies de droit,
c’est à bon droit et sans méconnaître le droit à un recours effectif que la
cour d’appel, qui n’avait pas à entrer dans le détail de l’argumentation des
parties, a déclaré irrecevable la tierce-opposition formée par M. X…
contre l’arrêt rendu le 17 février 2015 ;
D’où il suit que le moyen
n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Président : Mme Flise
Rapporteur : M. de Leiris, conseiller référendaire
Avocat général : Mme Vassallo
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Bénabent
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