Arrêt n°123 du 27 janvier 2021 (19-22.038) - Cour de cassation - Chambre sociale - ECLI:FR:CCASS:2021:SO00123
Représentation des salariésCassation partielle
Sommaire :
Selon l’article L. 2143-17, alinéa 1er, du code du travail, l’article L. 2315-3, alinéa 1er, du même code, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 et l’article L. 2325-7, alinéa 1er, du même code, alors applicable, les heures de délégation des délégués syndicaux, des délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise sont de plein droit considérées comme temps de travail et payées à l’échéance normale.
Il en résulte que ceux-ci ne devant subir aucune perte de rémunération en raison de l’exercice de leur mandat, le temps de trajet, pris en dehors de l’horaire normal de travail et effectué en exécution des fonctions représentatives, doit être rémunéré comme du temps de travail effectif pour la part excédant le temps normal de déplacement entre le domicile et le lieu de travail et doit être pris en compte pour déterminer l’existence, le cas échéant, d’heures supplémentaires donnant lieu à majorations.
Demandeur(s) : Y... J... ; et autres
Défendeur(s) : la société Zodiac Aero Electric
Reprise d’instance
1. Il est donné acte à Mme S... V... , en qualité d’épouse survivante, et à M. W... J... et Mme U... J... , en qualité d’héritiers, de leur reprise de l’instance ouverte par Y... J... , décédé le 27 juillet 2020.
Faits et procédure
2. Selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 15 mai 2019), Y... J... a été engagé le 1er mars 1982 par la société ECE, aux droits de laquelle vient la société Zodiac Aero Electric (la société), qui appartient à la branche Zodiac Aerosystems du groupe Zodiac Aerospace,
par contrat de travail à durée déterminée en qualité de monteur câbleur
niveau II échelon 1 coefficient 170, les relations entre les parties se
poursuivant à durée indéterminée sur la période du 1er août 1982 au 3
octobre 1997. Le 5 janvier 1998, il a signé un nouveau contrat de
travail à durée indéterminée en qualité de monteur câbleur coefficient
170. Le salarié, qui perçoit une rémunération mensuelle brute de base de
2 040,28 euros, à laquelle s’ajoute une prime d’ancienneté d’un montant
de 306,04 euros, exerce plusieurs mandats de représentant du personnel.
Au titre de ses mandats, il bénéficie d’un crédit de délégation mensuel
de 55 heures. Par lettre du 9 avril 2015, il a contesté que les temps
de trajet inhérents à l’exercice de ses fonctions de représentant
syndical du personnel ne soient pas intégralement payés et décomptés
comme temps de travail effectif pour lui permettre de bénéficier du
régime des heures supplémentaires et des primes sur heures
supplémentaires. En réponse, la société s’est prévalue, le 26 mai 2015,
des dispositions de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2015 selon laquelle
le temps de déplacement n’est pas du temps de travail effectif aux
termes de l’article L. 3121-4 du code du travail.
3.
Le 15 février 2016, le salarié a saisi la juridiction prud’homale,
sollicitant la condamnation de la société à lui payer diverses sommes à
titre de rappel de salaire sur trajets (heures supplémentaires), congés
payés sur rappel de salaire, primes sur heures supplémentaires, congés
payés sur primes sur les heures supplémentaires et dommages-intérêts
pour perte de bénéfice de défiscalisation.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4.
Le salarié fait grief à l’arrêt de dire qu’il ne pouvait pas prétendre à
la comptabilisation au titre des heures supplémentaires de ses temps de
déplacement professionnel liés à l’exercice de ses mandats de
représentation qui dépassaient le temps normal de trajet entre son
domicile et son lieu habituel de travail et de rejeter ses demandes en
leur entier, alors « qu’il résulte des articles L. 2143-17, L. 2315-3 et
L. 2325-7 du code du travail, dans leur version applicable au litige,
que le représentant du personnel ne devant subir aucune perte de
rémunération en raison de l’exercice de son mandat, le temps de trajet,
pris en dehors de l’horaire normal de travail et effectué pour
l’exercice des mandats représentatifs, doit être rémunéré comme du temps
de travail effectif pour la part excédant le temps normal de
déplacement entre le domicile et le lieu de travail ; que pourtant, pour
débouter le salarié de ses demandes, la cour d’appel a retenu que
s’agissant des trajets effectués en dehors du temps de travail par le
salarié pour l’exécution de ses fonctions représentatives, s’il est
admis que le temps de trajet effectué en dehors du temps de travail et
qui dépasse en durée le temps normal de déplacement entre le domicile du
salarié et le lieu de travail, ces conditions étant cumulatives, doit
être rémunéré comme du temps de travail effectif, cela ne signifie pas
que le temps de trajet constitue du temps de travail effectif puisque,
comme pour n’importe quel autre salarié, le temps de déplacement du
salarié pour l’exécution de son mandat et de l’exposant en particulier
n’est pas un temps de travail effectif, en application de l’alinéa 1er
de l’article L. 3121-4 du code du travail ; que si la contrepartie au
dépassement du temps normal de trajet est nécessairement une
rémunération ’’comme du temps de travail’’, l’alinéa 2 de l’article L.
3121-4 du code du travail dispose que d’autres contreparties sont
possibles en laissant ainsi la faculté aux partenaires sociaux de fixer
lesdites contreparties, ce dont il se déduit que les temps de
déplacement des représentants du personnel rémunérés ’’comme du temps de
travail effectif’’ mais qui ne constituent pas pour autant un temps de
travail effectif, ne donnent pas lieu par l’effet de la loi au
déclenchement du régime des heures supplémentaires, lesquelles sont
accomplies à la demande de l’employeur dans le cadre de l’activité
personnelle du salarié, pendant laquelle il est à la disposition de
l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer
librement à des occupations personnelles au sens de l’article L. 3121-1
du code du travail ; que la mission issue de l’exercice d’un mandat de
représentation est étrangère à l’exécution des tâches résultant du
contrat de travail du salarié qui en est titulaire ; que celui-ci a le
choix de ses déplacements et des modes de transport utilisés et il ne se
trouve pas alors à la disposition de son employeur qui, dans le cadre
du lien de subordination inhérent au contrat de travail qui persiste,
n’a aucun pouvoir de lui imposer ses déplacements et leurs modalités
dans l’exercice de son mandat de représentation ; qu’en statuant ainsi,
la cour d’appel a violé, par refus d’application, les articles L.
2143-17, L. 2315-3 et L. 2325-7 du code du travail dans leur version
applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu
l’article L. 2143-17, alinéa 1er, du code du travail, l’article L.
2315-3, alinéa 1er, du même code, dans sa rédaction antérieure à
l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 et l’article L. 2325-7,
alinéa 1er, du même code, alors applicable :
5.
Selon ces textes, les heures de délégation des délégués syndicaux, des
délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise sont de
plein droit considérées comme temps de travail et payées à l’échéance
normale. Il en résulte que ceux-ci ne devant subir aucune perte de
rémunération en raison de l’exercice de leur mandat, le temps de trajet,
pris en dehors de l’horaire normal de travail et effectué en exécution
des fonctions représentatives, doit être rémunéré comme du temps de
travail effectif pour la part excédant le temps normal de déplacement
entre le domicile et le lieu de travail et doit être pris en compte pour
déterminer l’existence, le cas échéant, d’heures supplémentaires
donnant lieu à majorations.
6. Pour dire
que le salarié ne peut pas prétendre à la comptabilisation au titre des
heures supplémentaires de ses temps de déplacement professionnel liés à
l’exercice de ses mandats de représentation qui dépassent le temps
normal de trajet entre son domicile et son lieu habituel de travail et
rejeter ses demandes en leur entier, l’arrêt retient que, s’agissant des
trajets effectués en dehors du temps de travail par le salarié en
exécution de ses fonctions représentatives, s’il est admis que le temps
de trajet effectué à cette occasion en dehors du temps de travail et qui
dépasse en durée le temps normal de déplacement entre le domicile du
salarié et le lieu de travail, ces conditions étant cumulatives, doit
être rémunéré comme du temps de travail effectif, cela ne signifie pas
que le temps de trajet constitue du temps de travail effectif puisque,
comme pour n’importe quel autre salarié, le temps de déplacement du
salarié pour l’exécution de son mandat et de l’intéressé en particulier
n’est pas un temps de travail effectif, en application de l’alinéa 1er
de l’article L. 3121-4 du code du travail, que si la contrepartie au
dépassement du temps normal de trajet est nécessairement une
rémunération ’’comme du temps de travail’’, l’alinéa 2 de l’article L.
3121-4 du code du travail dispose que d’autres contreparties sont
possibles en laissant ainsi la faculté aux partenaires sociaux de fixer
lesdites contreparties, ce dont il se déduit que les temps de
déplacement des représentants du personnel rémunérés ’’comme du temps de
travail effectif’’ mais qui ne constituent pas pour autant un temps de
travail effectif, ne donnent pas lieu par l’effet de la loi au
déclenchement du régime des heures supplémentaires, lesquelles sont
accomplies à la demande de l’employeur dans le cadre de l’activité
personnelle du salarié, pendant laquelle il est à la disposition de
l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer
librement à des occupations personnelles au sens de l’article L. 3121-1
du code du travail, que la mission issue de l’exercice d’un mandat de
représentation est étrangère à l’exécution des tâches résultant du
contrat de travail du salarié qui en est titulaire, que celui-ci a le
libre choix de ses déplacements et des modes de transport utilisés et il
ne se trouve pas alors à la disposition de son employeur qui, dans le
cadre du lien de subordination inhérent au contrat de travail qui
persiste, n’a aucun pouvoir de lui imposer ses déplacements et leurs
modalités dans l’exercice de son mandat de représentation, qu’il ressort
des explications et des justifications versées aux débats par la
société que le salarié a été rémunéré la journée entière, quelle que
soit la durée de la réunion à laquelle il a participé dans l’exécution
de ses mandats, tandis que ses temps de déplacement afférents ont été
rémunérés, lorsqu’ils dépassaient ses horaires habituels de travail,
comme du temps de travail effectif et sur la base de ses propres
déclarations, ce dont il résulte qu’il a été rempli de ses droits et
qu’il y a lieu en conséquence d’infirmer le jugement et de rejeter les
demandes du salarié, en l’absence de comptabilisation qu’il réclamait de
ses temps de déplacement professionnels liés à l’exercice de ses
mandats de représentation, qui dépassent le temps normal de trajet entre
son domicile et son lieu habituel de travail, au titre des heures
supplémentaires.
7. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il dit que M. J...
ne peut pas prétendre à la comptabilisation au titre des heures
supplémentaires de ses temps de déplacement professionnel liés à
l’exercice de ses mandats de représentation qui dépassent le temps
normal de trajet entre son domicile et son lieu habituel de travail et
rejette les demandes de M. J... en leur entier, l’arrêt rendu le 15 mai 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Poitiers ;
Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se
trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de
Limoges ;
Condamne la société Zodiac Aero Electric aux dépens ;
Président : M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président
Rapporteur : M. Rinuy, conseiller
Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy - SCP Célice, Thexidor, Périer
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