Arrêt n°969 du 04 novembre 2020 (18-15.669) - Cour de cassation - Chambre sociale - ECLI:FR:CCASS:2020:SO00969
Contrat de travail, ruptureCassation
Sommaire :
Selon l’article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.
Encourt dès lors la cassation l’arrêt qui prononce, sur ce fondement, la nullité d’un licenciement, sans constater que le salarié avait relaté ou témoigné de faits susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime.
Demandeur(s) : La société Eurodécision, société anonyme
Défendeur(s) : M. C... W... et autre(s) ;
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué statuant en référé (Versailles, 27 février 2018), M. W... , engagé en qualité de consultant senior par la société Eurodécision,
spécialisée dans le développement de solutions logicielles et
d’expertises dans le domaine de l’optimisation et des solutions d’aide à
la décision, s’est vu confier une mission auprès d’un technocentre Renault.
Lors d’un entretien du 16 mars 2016, l’employeur a évoqué avec le
salarié avoir été averti de l’envoi par l’intéressé d’un courriel
politique à des salariés de la société Renault.
Le 18 mars 2016, il lui a notifié une mise à pied conservatoire et l’a
convoqué à un entretien préalable prévu le 25 mars suivant en vue d’un
éventuel licenciement. Le 31 mars 2016, le salarié a fait l’objet d’un
avertissement pour violation du guide d’information de la société Renault
et notamment de sa lettre de mission au technocentre. Il a été licencié
le 21 avril 2016 pour faute grave, l’employeur lui reprochant un
manquement à ses obligations de loyauté et de bonne foi, pour avoir
procédé à l’enregistrement sonore de l’entretien informel du 16 mars
2016 à son insu et pour avoir communiqué cet enregistrement à des tiers
afin d’assurer sa diffusion le 21 mars 2016 dans le cadre d’une vidéo
postée sur le site internet Youtube.
L’enregistrement diffusé révélait qu’au cours de l’entretien du 16 mars
2016 l’employeur avait déclaré : "donc ils surveillent, ils surveillent
les mails, et à ton avis les mails de qui ils surveillent en priorité
’...Bah les mails des syndicalistes bien évidemment... t’es pas censé,
en tant qu’intervenant chez Renault, (de) discuter avec les syndicats Renault. Les syndicats de Renault, ils sont là pour les salariés de Renault..."
2.
Le salarié, faisant valoir que son licenciement était intervenu en
violation de la protection des lanceurs d’alerte, a sollicité devant le
juge des référés la cessation du trouble manifestement illicite
résultant de la nullité de son licenciement et l’octroi de provisions à
valoir sur la réparation de son préjudice. Les syndicats se sont joints à
ces demandes.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
3.
L’employeur fait grief à l’arrêt statuant en référé, de prononcer la
nullité du licenciement du salarié pour atteinte à la liberté
d’expression et de le condamner au paiement de diverses sommes au
bénéfice du salarié et des syndicats, alors « que la nullité du
licenciement fondé sur la dénonciation par le salarié de conduites ou
d’actes illicites constatés par lui sur son lieu de travail ne peut être
prononcée pour violation de sa liberté d’expression que si les faits
ainsi relatés sont de nature à caractériser des infractions pénales
reprochables à son employeur ; qu’en prêtant au salarié la qualité de «
lanceur d’alerte » en l’absence de la moindre caractérisation d’une
faute pénale de l’employeur, la cour a derechef violé les dispositions
de l’article L. 1132-3-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 :
4.
Selon ce texte, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou
faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour
avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit
ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses
fonctions.
5. Pour prononcer la nullité
du licenciement et condamner l’employeur au paiement de diverses sommes
au salarié et aux syndicats, l’arrêt retient que la révélation des faits
d’atteinte à la liberté d’expression dans le cadre d’échanges avec un
syndicat est intervenue par la voie de médias par internet lors de la
diffusion de l’enregistrement litigieux le 21 mars 2016 puis de
l’entretien entre le salarié et un journaliste le 22 mars 2016, alors
que M. W...
avait personnellement et préalablement constaté que son employeur
remettait en cause son droit à sa libre communication avec les syndicats
de la société Renault, au vu des propos tenus par le dirigeant de la société Eurodécision
lors de l’entretien informel du 16 mars 2016 et de la procédure
disciplinaire avec mise à pied conservatoire engagée dès le 18 mars 2016
et suivie d’un avertissement puis de son licenciement pour faute grave.
L’arrêt en déduit que le salarié est recevable à invoquer le statut de
lanceur d’alerte et en conclut qu’en application des articles L.
1132-3-3 et L. 1132-3-4 du code du travail, il y a lieu de prononcer la
nullité du licenciement.
6. En statuant
ainsi, sans constater que le salarié avait relaté ou témoigné de faits
susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime, la cour
d’appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE
ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 février
2018, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ;
Président : M. Cathala
Rapporteur : Mme Richard
Avocat général : Mme Laulom
Avocat(s) : Me Boutros - SCP Lyon-Caen et Thiriez
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