Arrêt n°494 du 02 septembre 2020 (18-18.501 ; 18-18.582 ;18-19.933 JONCTION) - Cour de cassation - Chambre commerciale, financière et économique - ECLI:FR:CCASS:2020:CO00494
ConcurrenceRejet et irrecevabilité
Sommaire :
Si l’article L. 464-2, I du code de commerce permet à l’Autorité d’accepter les engagements, de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence, proposés par les entreprises, ces dernières ne disposent pas d’un droit aux engagements, l’Autorité jouissant d’un pouvoir discrétionnaire en la matière.
C’est donc exactement que la cour d’appel a retenu que le collège n’avait pas à formaliser sa décision de refus d’engagement ni, a fortiori, à la motiver.
Demandeur(s) : La société Umicore France ; et autres
Défendeur(s) : la présidente de l’Autorité de la concurrence ; et autres
Jonction
1.Il y a lieu de joindre les pourvois n° H 18-18.501, formé par les sociétés Umicore France et Umicore, et n° V 18-18.582, formé par la présidente de l’Autorité de la concurrence, qui attaquent le même arrêt.
Il y a lieu de leur joindre le pourvoi n° P 18-19.933, formé par les sociétés Umicore France et Umicore, qui attaque l’arrêt rectificatif du précédent.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 17 mai 2018, rectifié le 5 juillet 2018), la société Umicore SA/NV,
établie en Belgique, est la société faîtière d’un groupe mondial
spécialisé dans la technologie des matériaux, notamment du zinc, qui
comprend une branche d’activité sur les métaux de performance au sein de
laquelle se trouve l’unité de production des produits de construction
en zinc.
3. La filiale française de cette société, la société Umicore France, a mis en place, en 1993, pour la vente des produits de sa marque VM Zinc, un réseau de distributeurs composé de points de ventes dénommés « Centres VM Zinc
», agréés par elle sur la base de critères qualitatifs fixés dans un
contrat de collaboration technique et commerciale. La société Umicore France
refusait, en principe, d’approvisionner directement des distributeurs
non agréés ou acceptait de le faire, mais à des conditions moins
favorables que celles accordées aux centres VM Zinc.
4. A la suite de la réception d’un rapport de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF),
l’Autorité de la concurrence (l’Autorité) s’est saisie d’office des
pratiques mises en oeuvre dans le secteur du zinc laminé et des produits
ouvrés en zinc destinés au bâtiment et a, par une décision du 23 juin
2016, dit qu’il était établi que la société Umicore France, en tant qu’auteure des pratiques, et la société Umicore SA/NV, en sa qualité de société mère de la société Umciore France,
avaient enfreint les dispositions de l’article 102 du Traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et celles de l’article L.
420-2 du code de commerce, en liant les centres VM Zinc et divers autres distributeurs par des obligations d’achats exclusifs en produits VM Zinc,
entre 1999 et 2007, sur les deux marchés de produits de couverture en
zinc et de produits d’évacuation des eaux pluviales (produits EEP) en
zinc, et a infligé une sanction pécuniaire, solidairement, aux sociétés Umicore France et Umicore SA/NV (les sociétés Umicore).
5 Sur le recours des sociétés Umicore,
la cour d’appel de Paris, par un arrêt du 17 mai 2018, a retenu une
durée moindre de l’infraction et réduit, en conséquence, le montant de
la sanction.
6. Se saisissant
ultérieurement d’office, elle a, par un arrêt du 5 juillet 2018, relevé
une erreur matérielle dans le dispositif de son précédent arrêt et l’a
modifié pour majorer la sanction au titre de l’appartenance des
entreprises à un groupe.
Examen de la recevabilité du pourvoi n° V 18-18.582, contestée par les sociétés Umicore
7.
Selon l’article L. 464-8 du code de commerce, le président de
l’Autorité de la concurrence peut former un pourvoi en cassation contre
l’arrêt de la cour d’appel de Paris ayant annulé ou réformé une décision
de l’Autorité dans le délai d’un mois suivant sa notification.
8.
Il résulte des productions que l’arrêt attaqué du 17 mai 2018 a été
notifié à l’Autorité le 18 mai 2018. Le délai du pourvoi en cassation
expirant le 18 juin 2018, le pourvoi n° V 18-18.582, formé par la
présidente de l’Autorité le mardi 19 juin 2018, tardif, n’est pas
recevable.
Sur le pourvoi n° P 18-19.933
Examen du moyen unique
Enoncé du moyen :
9. Les sociétés Umicore
font grief à l’arrêt rectificatif du 5 juillet 2018 de dire que le chef
du dispositif de l’arrêt du 17 mai 2018 par lequel la cour a : « DIT
qu’au titre des pratiques visées à l’article 1er de la décision n°
16-D-14, il est infligé solidairement à la société Umicore France et à la société Umicore SA/NV,
une sanction pécuniaire d’un montant de 56 653 000 euros » est entaché
d’une erreur matérielle sur le montant prononcé et, en conséquence, de
dire que ce chef du dispositif doit être rédigé de la façon suivante : «
DIT qu’au titre des pratiques visées à l’article 1er de la décision n°
16-D-14, il est infligé solidairement à la société Umicore France et à la société Umicore SA/NV, une sanction pécuniaire d’un montant de 62 318 900 euros », alors :
«
1°/ que le juge ne peut sous couvert de rectification d’erreur
matérielle, procéder à une nouvelle appréciation des éléments de la
cause et modifier les droits et obligations des parties ;que si une
simple erreur arithmétique de calcul peut être rectifiée, le juge ne
saurait, en revanche, modifier les règles de calcul du montant d’une
condamnation sous prétexte de rectifier une erreur matérielle ; qu’en
décidant, sous couvert de rectifier une erreur matérielle, d’appliquer
un coefficient d’aggravation de la sanction de 10 %, la cour d’appel qui
a modifié les règles de calcul de la sanction et les droits et
obligations des parties a violé l’article 462 du code de procédure
civile ;
2°/ qu’en affirmant que
l’omission de l’application du coefficient d’aggravation de la sanction
de 10 % par la cour n’est pas une erreur de raisonnement ou une erreur
d’appréciation, mais une erreur matérielle qu’il convient de rectifier,
tout en justifiant cette rectification par l’interdiction de statuer
ultra petita ou de soulever un moyen d’office sans que les parties aient
pu s’expliquer, ce qui au contraire confirmerait l’existence d’une
possible erreur intellectuelle et non matérielle, la cour d’appel a,
encore, violé l’article 462 du code de procédure civile ;
3°/
que le communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination
des sanctions pécuniaires prévoyant notamment la possibilité de majorer
le montant de la sanction en fonction de la puissance économique du
groupe sanctionné a désormais une valeur normative et son application
relève du contrôle de la Cour de cassation : qu’en considérant qu’une
prétendue erreur commise dans l’application des règles du communiqué du
16 mai 2011, et spécialement du coefficient de majoration de 10 %
relatif à la puissance économique du groupe sanctionné pouvait
constituer une simple erreur matérielle susceptible d’être rectifiée
quand une telle erreur de droit, à la supposer établie, ne peut être
réparée qu’en se livrant à une nouvelle appréciation des éléments de la
cause, sous le contrôle de la Cour de cassation, la cour d’appel a violé
de plus fort l’article 462 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10.
L’arrêt relève que l’arrêt du 17 mai 2018 a remplacé par un coefficient
moindre le coefficient multiplicateur retenu par l’Autorité, au regard
de la durée effective de la pratique, a rejeté tous les autres moyens de
réformation de la sanction soulevés par les sociétés Umicore
et a recalculé le montant de la sanction sur la base de ce coefficient
diminué, sans appliquer ensuite la majoration de 10 % relative à la
puissance économique du groupe sanctionné, telle qu’elle avait été
retenue par la décision de l’Autorité. Relevant ensuite que l’influence
déterminante de la société Umicore SA sur la société Umicore France
n’est pas contestée, l’arrêt ajoute que, sauf à statuer ultra petita,
la cour d‘appel est tenue d’appliquer au montant de base de la sanction
la majoration de 10 % que les sociétés Umicore ne contestait pas.
11.
En l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour
d’appel, qui, dans l’arrêt rectificatif, n’a pas modifié les règles de
calcul de la sanction mais en a corrigé la mise en oeuvre erronée, a
exactement retenu que, par cette omission, elle avait commis une erreur,
qui n’était pas une erreur de raisonnement ni une erreur d’appréciation
mais une erreur matérielle, qu’il convenait de rectifier pour rétablir
le montant de la sanction telle qu’elle aurait dû être au regard de la
raison et du dossier.
12. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le pourvoi n° H 18-18.501
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
13
. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure
civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement
motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner
la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
14.Les sociétés Umicore font grief à l’arrêt, tel que rectifié, du rejet de leur moyen pris de la prescription quinquennale alors :
«
1°/ qu’en déniant tout caractère pénal à la décision du juge des
libertés et de la détention ayant statué sur la validité d’opérations de
visites domiciliaires, pour décider que celle-ci n’avait pas autorité
de la chose jugée, bien que les recours contre les décisions en cause
sont formés, instruits et jugés selon les règles du code de procédure
pénale, la cour d’appel a violé les articles L. 450-4 et L. 462-7 du
code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;
2°/
que la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles relève de la
matière répressive et les sanctions prononcées par l’Autorité qui ont le
caractère d’une punition, sont assimilées à des sanctions pénales ;
qu’en affirmant que le ministre chargé de l’économie, à la demande
duquel les opérations de visite et saisie ont eu lieu « n’est pas chargé
de poursuites pénales" mais agit "dans l’objectif de poursuivre des
pratiques anticoncurrentielles, qui ne font pas l’objet d’une
incrimination pénale », la cour d’appel a violé les articles 6 de la
convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales et L. 462-7 du code de commerce ;
3°/que
lorsque le ministre a prescrit une enquête aux fins de rechercher des
pratiques susceptibles d’être relevées dans le secteur du zinc laminé et
des produits ouvrés en zinc destinés au bâtiment et qu’une autorisation
de procéder à des visites domiciliaires a été sollicitée et obtenue,
l’article L. 420-6 du code de commerce punissait déjà le fait, pour
toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle
et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en oeuvre
de pratiques visées aux articles L. 420-1 et L. 420-2, d’un
emprisonnement de quatre ans et d’une amende de 75 000 euros et
prévoyait aussi que les actes interruptifs de la prescription devant le
Conseil de la concurrence en application de l’article L. 462-7 sont
également interruptifs de la prescription de l’action publique ; qu’en
affirmant que les pratiques anticoncurrentielles recherchées par le
ministre dans le cadre d’opérations de visite et saisie ne font pas
l’objet d’une incrimination pénale, la cour d’appel a violé l’article L.
420-6 du code de commerce dans sa rédaction applicable en la cause ;
4°/
que pour faire droit à la demande de restitution de trente documents
antérieurs au 10 avril 2002 en raison de la prescription quinquennale,
le juge des libertés et de la détention a retenu "qu’aucune poursuite ne
peut (
) être exercée pour des faits remontant à plus de
5 ans (et) qu’une saisie d’un document de plus de cinq ans concernerait
nécessairement la saisie d’un document concernant des faits, à les
supposer reprochables, prescrits" ; qu’en affirmant que le juge des
libertés et de la détention a seulement dit que des documents datés de
plus de cinq années avant l’ouverture de la procédure concerneraient des
faits qui seraient prescrits, (mais n’a pas) statué sur la prescription
des pratiques, ni sur l’extinction de poursuites qui pourraient être
mises en oeuvre, quand le juge a expressément retenu qu’une partie des
faits, à les supposer reprochables, étaient d’ores et déjà prescrits, la
cour d’appel a dénaturé l’ordonnance susvisée en violation du principe
lui interdisant de dénaturer l’écrit qui lui est soumis ;
5°/
que les sociétés mises en cause doivent pouvoir bénéficier d’un recours
effectif de pleine juridiction leur permettant de contester les
ordonnances d’autorisation de visites domiciliaires et le déroulement
des opérations de visite et saisie ; qu’un tel recours n’est effectif
que si, en cas de constat d’irrégularité d’une opération ayant déjà eu
lieu, ce recours fournit à l’intéressé un redressement approprié ; qu’en
considérant que la solution consistant à retenir que l’Autorité ne
serait pas liée par une décision précédente rendue dans la même affaire
en matière de visites domiciliaires ne revient pas à priver
d’effectivité le recours, qui portait sur la validité des opérations de
visite et saisie, exercé par les parties devant le juge des libertés et
de la détention, quand elle prive de tout effet la constatation d’une
irrégularité d’une opération de visite et ne permet donc pas aux
intéressés d’obtenir un redressement approprié, la cour d’appel a violé
les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, et 47 de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne ;
6°/
qu’en considérant, pour écarter la prescription quinquennale, que
l’Autorité avait exactement retenu que la décision du juge des libertés
et de la détention n’avait pas à son égard autorité de la chose jugée,
dans la mesure où elle n’était pas partie à la procédure devant le juge
des libertés et de la détention et que l’objet de la saisine de ce
dernier – la validité des opérations de visite et saisie – n’était pas
identique à celui de sa propre saisine – la conformité au droit de la
concurrence des pratiques de la société Umicore France –
quand l’Autorité s’est expressément fondée sur le rapport administratif
établi par la direction générale de la concurrence de la consommation
et de la répression des fraudes à la suite des opérations de visite et
saisie litigieuses pour se saisir d’office, ce dont il résulte que les
deux procédures n’étaient pas distinctes et poursuivaient les mêmes
objectifs, à savoir démontrer l’existence de pratiques
anticoncurrentielles, la cour d’appel a violé l’article L. 462-7 du code
de commerce ;
7°/ que la circonstance
qu’une infraction ait été qualifiée de continue ne permet pas de
poursuivre des faits déjà prescrits ; qu’en affirmant le contraire, la
cour d’appel a violé les articles L. 462-7 du code de commerce et 1355
du code civil. »
Réponse de la Cour
15.
En premier lieu, après avoir énoncé que le principe jurisprudentiel de
l’autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil, invoqué par
les sociétés Umicore,
signifie que ce qui a été définitivement jugé par le juge pénal quant à
l’existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou
l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé s’impose au juge civil
et a effet à l’égard de tous, l’arrêt précise que l’autorité de la chose
jugée au pénal sur le civil ne s’attache qu’à ce qui a été
définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal
sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et
de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de
celui à qui le fait est imputé et que les décisions de la justice
pénale ont au civil autorité absolue, à l’égard de tous, en ce qui
concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait
incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l’innocence de ceux
auxquels le fait est imputé. Il en déduit que, pour avoir autorité
absolue de la chose jugée, il faut que la décision statue sur une action
pénale.
Ayant relevé, ensuite, qu’en
l’espèce, le juge des libertés et de la détention avait statué sur des
opérations qui ne sont pas de nature pénale, effectuées à la demande du
ministre chargé de l’économie, lequel n’est pas chargé de poursuites
pénales, et dans l’objectif de poursuivre des pratiques
anticoncurrentielles qui ne font pas l’objet d’une incrimination pénale,
c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que le principe de
l’autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil n’était pas
applicable.
En deuxième lieu, après avoir
retenu que l’ordonnance litigieuse avait été rendue dans le cadre d’un
recours formé contre le déroulement d’ opérations de visite et de
saisie, sans que la question de la prescription des pratiques ait été en
cause, la cour d‘appel, abstraction faite des motifs surabondants
critiqués par la quatrième branche, en a, à bon droit, déduit que la
solution ne privait pas d’effectivité ce recours formé par les sociétés Umicore.
16.
En troisième lieu, ayant relevé que l’Autorité n’était pas partie à la
procédure de contestation des opérations de visites et de saisies dont
l’objet n’était pas identique à celui de sa propre saisine, la
conformité au droit de la concurrence des pratiques de la société Umicore France,
c’est exactement que la cour d’appel en a déduit que la décision du
juge des libertés et de la détention n’avait pas autorité de la chose
jugée à l’égard de l’Autorité et, partant, que la prescription
quinquennale n’était pas acquise lors de la saisine de celle-ci, le 11
janvier 2011.
17. En quatrième lieu,
après avoir énoncé que la prescription d’une infraction continue ne
commence à courir qu’à compter de sa cessation, et constaté que la
pratique litigieuse avait été continue de 1999 à 2007, c’est à bon droit
que la cour d‘appel en a déduit que la prescription quinquennale
n’était pas acquise lors de la saisine de l’Autorité, le 11 janvier
2011.
18. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
19. Les sociétés Umicore
font grief à l’arrêt, tel que rectifié, du rejet de leur moyen pris de
l’incompétence des services d’instruction, pour leur refuser l’ouverture
d’une procédure d’engagements, alors :
«
1°/ que seul le collège de l’Autorité est compétent pour se prononcer
sur une demande de procédure d’engagements présentée par une entreprise
mise en cause ; qu’en considérant que l’Autorité avait pu valablement
retenir que "le refus opposé par les services d’instruction à la demande
d’ouverture d’une procédure d’engagements était légitime et justifié",
quand les services d’instruction étaient incompétents pour prendre une
telle décision, la cour d’appel a violé les articles L. 464-2, I et R.
464-2 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;
2°/
qu’en considérant que l’Autorité avait pu valablement retenir que les
services d’instruction pouvaient refuser de répondre favorablement à la
demande d’ouverture d’une procédure d’engagements d’une entreprise,
après avoir pourtant constaté que le collège de l’Autorité, qui
envisagerait d’accepter des engagements proposés par une entreprise,
peut demander au rapporteur d’établir une évaluation préliminaire et que
celui-ci serait tenu de la faire quand bien même ne serait-il pas
favorable à cette procédure, ce dont il résulte que les services
d’instruction ne sont pas compétents pour refuser d’ouvrir une telle
procédure, mais seulement pour procéder à une évaluation préalable, la
cour d’appel a derechef violé les articles L. 464-2, I et R. 464-2 du
code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;
3°/que
si le collège de l’Autorité dispose d’une grande latitude pour statuer
favorablement ou non sur une demande de procédure d’engagements, il est
néanmoins tenu de répondre de manière expresse et motivée à une demande
d’ouverture d’une procédure d’engagements adressée par une partie mise
en cause ; qu’en affirmant au contraire que le refus de recourir à la
procédure d’engagements découlait en l’espèce d’une décision négative
implicite du collège, la cour d’appel a violé les articles L. 464-2, I
et R. 464-2 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la
cause ;
4°/ qu’en affirmant "que le refus
de recourir à la procédure d’engagements découle de la décision
négative implicite du collège qui, alors qu’il avait tout loisir de
demander aux rapporteurs une évaluation préliminaire des pratiques, ne
l’a pas fait", quand la décision déférée avait au contraire retenu à
tort que "c’est aux services d’instruction de se prononcer, au cours de
l’instruction conduite sous la seule direction du rapporteur général,
sur la question de savoir s’il convient de mettre en oeuvre la procédure
d’engagements prévue aux articles L. 464-2 et R. 464-2 du code de
commerce", la cour d’appel a violé l’article 4 du code de procédure
civile. »
Réponse de la cour
20. Après avoir constaté que les sociétés Umicore
n’alléguaient pas que le collège, qui n’était pas dessaisi ni privé
d’accès au dossier pendant la phase d’instruction, aurait envisagé
d’accepter les engagements proposés par elles, la cour d’appel a énoncé
que le collège peut toujours demander au rapporteur, qui serait tenu de
le faire quand bien même il n’y serait pas favorable, d’établir une
évaluation préliminaire et n’a donc pas affirmé que les services
d’instruction pouvaient refuser de répondre favorablement à la demande
d’ouverture d’une procédure d’engagement.
21.
Si l’article L.464-2, I du code de commerce permet à l’Autorité
d’accepter les engagements de nature à mettre un terme à ses
préoccupations de concurrence, proposés par les entreprises, ces
dernières ne disposent pas d’un droit aux engagements, l’Autorité
jouissant d’un pouvoir discrétionnaire en la matière. C’est donc
exactement que la cour d’appel, qui, pour se prononcer sur la régularité
de la procédure suivie devant l’Autorité, n’était pas tenue par
l’analyse de celle-ci, a retenu que le collège n’avait pas à formaliser
sa décision ni, a fortiori, à la motiver et, partant, que son refus des
engagements pouvait résulter, comme en l’espèce, de sa décision
négative, implicite, de ne pas demander au rapporteur de procéder à
l’évaluation préliminaire d’une telle mesure.
22. Le moyen, qui manque en fait en ses première, deuxième et quatrième branches, n’est donc pas fondé pour le surplus.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
23.Les sociétés Umicore
font grief à l’arrêt, tel que rectifié, du rejet de leur moyen pris de
la violation, par les services d’instruction ainsi que par l’Autorité,
des obligations d’objectivité, d’impartialité et de loyauté leur
incombant, alors « que les garanties du procès équitable s’appliquent dès
la phase de l’instruction lorsque leur inobservation initiale risque de
compromettre gravement le caractère équitable du procès ; que
l’exigence d’impartialité s’impose aux services d’instruction de
l’Autorité ; qu’en considérant que les services d’instruction n’avaient
pas préjugé de la culpabilité des sociétés Umicore
quand il ressort du point 115 du rapport qu’en janvier 2003, quatorze
mois avant la clôture de l’instruction, les services d’instruction
considéraient déjà que "les pratiques en cause ont été mises en oeuvre à
partir de 1999 et sont toujours en cours aujourd’hui et sont, par
ailleurs, constitutives d’abus de position dominante ayant causé un
dommage à l’économie important", ce qui constitue une affirmation
péremptoire et prématurée de culpabilité laissant peser un doute sur
l’impartialité des services d’instruction à tout le moins de janvier
2003 à mars 2004, la cour d’appel a violé les articles 6 §3 de la
convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’union
européenne. »
Réponse de la cour
24.
Ayant rappelé que les rapporteurs ont pour fonction d’instruire et de
décrire dans la notification des griefs, puis dans le rapport, ce qui, à
leurs yeux, doit conduire à la qualification et à la sanction de
pratiques anticoncurrentielles, l’Autorité ayant en charge d’examiner le
bien-fondé des éléments ainsi retenus, c’est exactement que la cour
d’appel a retenu que les énonciations du rapport, reprises par le moyen,
relèvent des hypothèses que les services de l’instruction avaient à
examiner, et éventuellement à établir, et ne démontrent pas leur
prétendue partialité.
25. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen, pris en ses deuxième, troisième, et quatrième branches
Enoncé du moyen
26.Les sociétés Umicore font grief à l’arrêt, tel que rectifié, de dire qu’il est établi que la société Umicore France, en tant qu’auteure des pratiques, et la société Umicore SA, en sa qualité de société mère de la société Umicore France,
ont enfreint les dispositions de l’article 102 du TFUE et celles de
l’article L. 420-2 du code de commerce, en liant les centres VM Zinc, l’enseigne Asturienne, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l’enseigne Point P, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l’enseigne Larivière, appartenant au groupe Larivière-SIG, par des obligations d’achats exclusifs en produits VM Zinc
entre 2000 et la fin 2007 et, en conséquence, de leur infliger
solidairement une sanction pécuniaire d’un montant de 62 318 900 euros
alors :
« 1°/ que le marché pertinent est
celui où se confrontent l’offre et la demande de produits ou de
services considérés par les demandeurs comme des moyens alternatifs
entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande ;
que la substituabilité entre différents biens ou services du point de
vue de la demande, qui constitue le critère déterminant pour la
délimitation du marché pertinent, s’apprécie en fonction d’un faisceau
d’indices tenant compte de la réalité du fonctionnement du marché et
pouvant comprendre notamment, les besoins et perceptions des
utilisateurs, les caractéristiques spécifiques du produit, son usage,
son coût et ses conditions de commercialisation ; qu’en se fondant sur
les seules caractéristiques du segment de la rénovation pour considérer
que le zinc n’était pas substituable aux autres matériaux, après avoir
pourtant admis que seulement 55% de la superficie du zinc posé en
couverture l’est sur le segment de la rénovation mais aussi qu’en 2011
le zinc a représenté en France 3,5% des produits de couverture, tous
matériaux confondus, et 8,5% des produits de couverture en métal, la
cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres
constatations et a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de
commerce ;
2°/ qu’en considérant qu’il
existerait un marché spécifique de la couverture en zinc en raison d’une
prétendue "insubstituabilité du zinc par un autre matériau" tout en
constatant que le zinc est peu substituable dans le seul secteur de la
rénovation ou encore que selon l’Autorité "il n’existe pas de règles
générales prescrivant le remplacement à l’identique des couvertures en
zinc", ce dont il résultait que le remplacement du zinc par un autre
matériau demeurait possible pour de nombreux usages ce qui le rendait
substituable dans bon nombre d’hypothèses, la cour d’appel a violé les
articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;
3°/
qu’en affirmant, pour définir le marché pertinent comme étant celui des
EEP en zinc sans distinguer selon les usages du produit, que pour les
produits EEP, le zinc est un matériau choisi pour des caractéristiques
qui lui sont spécifiques et qui le rendent insubstituable par d’autres
matériaux sans qu’aucune de ces spécificités ne justifie de réduire les
marchés à un périmètre plus étroit, tout en constatant que le zinc
n’était pas substituable à d’autres matériaux pour certains usages
seulement, ce qui le rend, en réalité, très souvent substituable, la
cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres
constatations, a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de
commerce. »
Réponse de la Cour
27.
Ayant relevé que l’espèce ne concerne pas un bien gratuit ou un secteur
dans lequel les prix sont régulés et retenu que, dans ce contexte, la
mise en oeuvre du test du monopoleur hypothétique n’est pas opérante
puis que, concernant le zinc laminé destiné à la couverture, il ne peut
être affirmé que le prix soit sans impact, la cour d’appel, qui a mis en
oeuvre de multiples indices pour retenir que le marché de référence est
le marché du zinc laminé destiné à la couverture, ne s‘est pas fondée
sur les seules caractéristiques du segment de la renovation.
28.
Après avoir relevé que le zinc est un matériau qualifié de noble,
souvent utilisé sur des immeubles de caractère ou relevant du patrimoine
ancien ou sur des bâtiments à valeur patrimoniale, et que, s’il
n’existe pas de règle générale prescrivant le remplacement à l’identique
des couvertures en zinc, il est néanmoins de pratique courante de
remplacer le zinc par le zinc, la cour d‘appel a pu retenir que, sur le
segment de la rénovation, le zinc est peu substituable par d’autres
matériaux.
29. Pour les produits EEP, la
cour d’appel, qui a relevé différents indices pour déterminer le marché
de référence soit, l’absence de diminution des quantités de produits EEP
vendues lors de la forte hausse des prix du zinc en 2006, l’existence
d’écarts de prix significatifs entre le zinc et le PVC, qui traduisaient
de fortes différences de qualité et de durabilité, des déclarations
concordantes de professionnels faisant état d’une substituabilité
limitée entre le zinc et d’autres matériaux sur le segment de la
rénovation, l’existence de circuits de distribution distincts et celle
d’une analyse tarifaire effectuée par rapport aux seuls produits en
zinc, a pu en déduire que, pour ces produits EEP, le zinc est un
matériau choisi pour des caractéristiques qui lui sont spécifiques et
qui le rendent insubstituable par d’autres matériaux, sans qu’il soit
justifié de caractériser un marché pertinent réduit à chacune de ces
situations propres et diverses.
30. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
31. Les sociétés Umicore font le même grief à l’arrêt, tel que rectifié, alors :
«
1°/ qu’en affirmant que l’Autorité avait pu valablement considérer que
la puissance d’achat des distributeurs ne pouvait être qualifiée de
compensatrice de la position dominante de la société Umicore en raison d’une très forte préférence des clients des distributeurs en question pour la marque VM Zinc
ou encore de la difficulté pour un distributeur de changer rapidement
de fournisseur, après avoir constaté que certains distributeurs avaient
fait le choix de ne pas référencer les produits VM Zinc
et de changer de fournisseur, la cour d’appel qui n’a pas tiré les
conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles
102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;
2°/
qu’en se bornant à affirmer, pour dire que l’Autorité avait pu
valablement considérer que la puissance d’achat des distributeurs ne
pouvait être qualifiée de compensatrice de la position dominante de la
société Umicore,
qu’il est loin d’être exclu que les clients de distributeurs non
référencés ne reporteraient pas leurs achats vers d’autres distributeurs
proposant la marque VM Zinc,
quand il lui appartenait au contraire de démontrer positivement que les
clients étaient attachés à la marque, plus qu’au distributeur, la cour
d’appel, qui a statué par des motifs impropres à démontrer que la
puissance avérée des distributeurs ne pouvait pas compenser la position
dominante de la société Umicore, a privé sa décision de base légale au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
32. Après avoir constaté que la part de marché des sociétés Umicore
s’élevait à plus de 70% pour les produits de couverture en zinc et se
situait entre 64 et 53% pour les produits EEP en zinc, l’arrêt relève
que la pression exercée par les clients dans le cadre des négociations
annuelles n’a pas empêché que, pour la période considérée, les prix de
la société Umicore France
soient supérieurs à ceux de ses concurrents. Il relève encore que les
cas de rupture des relations commerciales avec certains distributeurs
n’ont pas remis en cause la préférence des clients pour la marque VM Zinc
et que la faculté du groupe de s’adapter aux critères esthétiques du
marché rendait difficile, pour un distributeur, le changement rapide de
fournisseur. Il énonce ensuite que le pouvoir de grands distributeurs
vis-à-vis de leurs fournisseurs s’exerce plus difficilement lorsque
ceux-ci disposent de marques à forte notoriété et retient que la société
Umicore France
était, au regard de ses parts de marchés ainsi que de sa notoriété, la
plus à même d’absorber les conséquences de la perte de certains clients,
d’autant que, compte tenu des préférences affichées par les clients des
distributeurs, il était loin d’être exclu que ceux-ci ne reporteraient
pas leurs achats vers d’autres distributeurs proposant la marque VM Zinc.
33.
De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d‘appel a
pu déduire qu’en dépit du choix de certains distributeurs de ne pas
référencer les produits VM Zinc et de la part très importante des trois principaux clients dans l’ensemble des ventes de la société Umicore France, la puissance d’achat de ces derniers ne pouvait être qualifiée de compensatrice de la position dominante de cette société.
34. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
35. Les sociétés Umicore font le même grief à l’arrêt, tel que rectifié, alors :
«
1°/ que pour caractériser l’existence d’un abus de position dominante
consistant en des obligations d’achats exclusifs, l’Autorité est tenue,
sous le contrôle du juge, non seulement d’analyser l’importance de la
position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent et le taux de
couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les
conditions et les modalités d’octroi des rabais en cause, leur durée et
leur montant, mais de manière plus générale l’ensemble des circonstances
pertinentes ; qu’il s’ensuit que les mesures prises par une entreprise
en position dominante pour inciter ou récompenser les achats exclusifs
ou quasi exclusifs de ses clients ne sont pas interdites per se ; qu’en
décidant au contraire que le "système de bonification élaboré (par la
société Umicore)
de façon à inciter à la fidélité et la loyauté ainsi qu’à la mise en
avant d’une gamme" était nécessairement abusif de sorte que le retrait
de ladite bonification en cas de non-respect de l’exclusivité à laquelle
elle était prétendument attachée, devait être assimilé à des
représailles ou à une menace de représailles, elles aussi interdites, la
cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de
commerce ;
2°/ que pour établir le
caractère anticoncurrentiel d’un abus de position dominante consistant
en des obligations d’achats exclusifs, le juge de la concurrence est
tenu d’examiner l’ensemble des circonstances de l’espèce et d’analyser
la capacité d’éviction de concurrents au moins aussi efficaces,
inhérente à la pratique en cause, dans tous les cas où une entreprise
soutient, comme en l’espèce, au cours de la procédure administrative que
sa politique commerciale n’a pas eu la capacité de restreindre la
concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction
reprochés ; qu’en affirmant au contraire que l’Autorité avait pu
valablement s’abstenir de procéder à cet examen et à cette analyse, la
cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de
commerce ;
3°/ que la capacité d’éviction
d’un abus de position dominante ne peut plus être présumée ; qu’en
présumant des obstacles auxquels un concurrent aussi efficace se serait
trouvé confronté à partir de la situation actuelle sans concurrent aussi
efficace, tout en admettant que le test du concurrent aussi efficace
consistant à imaginer la situation concurrentielle en présence d’un
concurrent hypothétique aussi efficace n’avait pas été réalisé, la cour
d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce
;
4°/ que pour établir le caractère
anticoncurrentiel d’un abus de position dominante et spécialement d’un
rabais d’exclusivité, l’Autorité est tenue sous le contrôle du juge, non
seulement d’analyser l’importance de la position dominante de
l’entreprise sur le marché pertinent et le taux de couverture du marché
par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités
d’octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais aussi de
manière plus générale l’ensemble des circonstances pertinentes ; qu’en
affirmant, pour considérer que l’Autorité avait pu valablement
s’abstenir de procéder à cette analyse, que l’ensemble des concurrents
était moins connu et moins réputé que la société Umicore France, fournisseur historique, quand il lui incombait de déterminer si la politique commerciale d’Umicore
était capable de produire un effet d’éviction des concurrents au moins
aussi efficaces, la cour d’appel a violé les articles 102 du TFUE et L.
420-2 du code de commerce ;
5°/ qu’en
affirmant, pour décider qu’il n’y avait pas lieu en l’espèce de réaliser
le test du concurrent aussi efficace, que ce test se justifie lorsque
l’instrument de la fidélisation est de nature financière et pourrait
être mis en oeuvre, au bénéfice des clients, par un concurrent au moins
aussi efficace, après avoir admis (i) que les bonifications consistaient
en des remises dont le taux était variable et (ii) qu’Umicore ne refusait pas d’approvisionner les distributeurs non centres VM Zinc
mais les approvisionnait à des conditions moins favorables (§6), la
cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres
constatations et a violé les articles 102 du TFUE et L.420-2 du code de
commerce ; »
Réponse de la Cour
36.
L’arrêt expose que le test du concurrent le plus efficace, qui consiste
à estimer le prix qu’un concurrent devrait offrir pour indemniser le
client pour la perte du rabais conditionnel, si ce dernier s’adressait à
lui plutôt qu’à l’entreprise en position dominante, pour une partie de
la demande ou une fraction pertinente de celui-ci, n’est approprié que
lorsque l’instrument de la fidélisation est de nature financière. Il
relève que les pratiques reprochées ne se bornaient pas à l’application
de remises d’exclusivité ou fidélisantes, mais à la mise en oeuvre d’une
politique commerciale d’ensemble visant, notamment, à dissuader les
distributeurs d’offrir d’autres produits que ceux de la marque VM Zinc,
et, lorsqu’ils procédaient à de telles offres, à les empêcher d’en
faire la promotion, en vue d’entraver la pénétration sur le marché et le
développement de ses concurrents en empêchant, autant que faire se
peut, ses clients de s’approvisionner auprès de ces derniers par
l’application de diverses clauses contractuelles, de mesures de
surveillance et de rétorsion. Il ajoute que cette politique s’appliquait
à l’ensemble des produits concernés par les marchés pertinents.
37. L’arrêt retient que les concurrents aussi efficaces, cependant moins connus et moins réputés que la société Umicore France,
auraient-ils compensé la perte pour leurs clients des avantages
financiers consentis par cette dernière, se seraient heurtés, d’abord, à
son insistance pour que ses clients ne distribuassent que ses produits,
ensuite, à l’interdiction contractuelle faite à ces clients de
promouvoir les produits concurrents de ceux de la marque VM Zinc,
enfin, à l’application de la clause obligeant les clients à maintenir
un stock, les empêchant de diversifier leurs approvisionnements et en
déduit que, pour l’ensemble des concurrents de la société Umicore France,
moins connus et réputés qu’elle, fournisseur historique, ces obstacles
ne pouvaient qu’être de nature à les évincer du marché, ou tout au moins
à les empêcher de s’y développer, y compris les concurrents aussi
efficaces en termes de prix.
38. En
l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui a
procédé à une analyse de l’ensemble des circonstances et établi les
effets potentiels, sur les concurrents aussi efficaces, de la politique
globale de la société Umicore France
et ainsi mis en évidence, sans la présumer, sa capacité d’éviction de
ces derniers et qui n’avait pas, compte tenu des caractéristiques des
pratiques en cause, qu’elle a décrites, à recourir au test du concurrent
le plus efficace, a pu statuer comme elle a fait.
39.
Et en l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation du droit
de l’Union européenne sur les questions soulevées par le moyen, il n’y a
pas lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une
question préjudicielle.
40. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le septième moyen
Enoncé du moyen
41. Les sociétés Umicore
font grief à l’arrêt, tel que rectifié, de leur infliger solidairement
une sanction pécuniaire d’un montant de 62 318 900 euros, alors :
«
1°/ que pour fixer le montant de la valeur des ventes constituant la
base de calcul du montant de la sanction, le juge de la concurrence ne
doit pas intégrer dans les termes de son analyse des valeurs de ventes
sans lien avec l’infraction ; qu’ainsi il ne peut pas englober les
ventes qui ne relèvent pas du champ d’application de la pratique
incriminée ; qu’en retenant pour inclure dans la valeur des ventes les
ventes aux façonniers et aux distributeurs qui n’ont pas le statut de
centre VM Zinc au prétexte que la pratique en cause a renforcé la position dominante de la société Umicore France
sur le marché des produits de couverture en zinc et a ainsi
nécessairement impacté les ventes de ces produits aux façonniers et aux
distributeurs qui n’ont pas le statut de centre VM Zinc bien que les sociétés Umicore n’ont été condamnées que pour avoir abusé de leur position dominante "en liant les centres VM Zinc, l’enseigne Asturienne, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l’enseigne Point P, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l’enseigne Larivière, appartenant au groupe Larivière-SIG, par des obligations d’achats exclusifs en produits VM Zinc
entre 1999 et la fin 2007", ce dont il résulte que les façonniers n’ont
jamais été concernés par la pratique en cause, la cour d’appel a violé
l’article L. 464-2 du code de commerce et le communiqué du 16 mai 2011
relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ;
2°/
qu’il incombe à l’Autorité de délimiter les marchés pertinents et de
déterminer la valeur des ventes en relation avec l’infraction pour fixer
le montant de la sanction ; qu’en reprochant au contraire aux sociétés Umicore
de ne pas démontrer, "ce qui leur appartient de faire, que la valeur
des ventes retenue aurait inclus" des ventes sans lien avec
l’infraction, "ni quel montant serait concerné", la cour d’appel a
inversé la charge de la preuve en violation des articles 102 du TFUE, L.
420-2 et L 464-2 du code de commerce ainsi que du communiqué du 16 mai
2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ;
3°/
que pour fixer le montant de la valeur des ventes constituant la base
de calcul du montant de la sanction, le juge de la concurrence ne doit
pas intégrer dans les termes de son analyse des valeurs de ventes sans
lien avec l’infraction ; qu’en affirmant "qu’il importe peu que les
produits destinés à recouvrir les façades aient été inclus dans la
valeur des ventes des produits EEP plutôt que dans celle des produits de
couverture dès lors que l’Autorité a établi une moyenne des valeurs des
ventes réalisées sur ces deux marchés", quand la décision déférée
reconnaît elle-même expressément que les produits de "façades" et
"ornements" constituent des « marchés distincts » et que leur chiffre
d’affaires doit être exclu de la valeur des ventes et quand il
appartient au contraire au juge de la concurrence de déterminer avec une
grande précision la valeur des seules ventes en relation avec
l’infraction, ce qui exclut nécessairement toute approximation, la cour
d’appel a violé l’article L. 464-2 du code de commerce et le communiqué
du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions
pécuniaires. »
Réponse de la Cour
42. D’une part, l’arrêt retient que la pratique en cause a renforcé la position dominante de la société Umicore France
sur le marché des produits de couverture en zinc. De cette
appréciation, la cour d’appel a justement déduit que les ventes de ces
produits aux façonniers et aux distributeurs, n’auraient-ils pas eu le
statut de centre VM Zinc, entraient dans le champ des ventes en relation avec l’infraction.
43. D’autre part, c’est sans inverser la charge de la preuve que, répondant aux sociétés Umicore
qui soutenaient, à propos des marchés pertinents, que l’Autorité avait
retenu dans ces marchés des produits qui n’auraient pas dû s’y trouver,
la cour d’appel a retenu que les tableaux produits à l’appui de cette
contestation ne permettaient pas de constater que des ventes de produits
qui ne concerneraient pas les marchés pertinents auraient été, de façon
erronée, repris dans le calcul de la moyenne de valeur des ventes entre
1999 et 2007 opéré par l’Autorité.
44.
Enfin, le grief de la troisième branche exploite une erreur de plume qui
a fait écrire à la cour d’appel « les produits destinés à recouvrir les
façades » au lieu des « accessoires et des profilés », pour répondre à
la contestation, par les sociétés Umicore, de l’intégration de ces éléments dans la valeur des vente, et qui doit être rectifiée selon ce que la raison commande.
45. Le moyen, pour partie inopérant, n’est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° V 18-18.582 ;
REJETTE les pourvois n° P 18-19.933 et n° H 18-18.501 ;
Président : Mme Mouillard
Rapporteur : Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller
Avocat général : Mme Pénichon
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié - SCP Baraduc, Duhamel et Rameix
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