Arrêt n°653 du 12 novembre 2020 (18-23.479) - Cour de cassation - Chambre commerciale, financière et économique - ECLI:FR:CCASS:2020:CO00653
Responsabilité dilictuelle ou quasi délictuelleCasssation partielle
Sommaire :
Il résulte de l’article 1382, devenu 1240, du code civil que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manque contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
Par conséquent, prive sa décision de base légale la cour d’appel qui, pour déclarer une société de classification responsable des dommages causés à la marchandise à l’occasion de son transport à bord d’un navire ayant subi une avarie imputable à l’inondation d’une cale, retient que la société de classification, qui, au cours d’une inspection quinquennale et de visites occasionnelles, avait remarqué la médiocrité du revêtement interne des ballasts rendant prévisible leur dégradation à brève échéance, n’avait prescrit l’inspection annuelle de l’ensemble de ces éléments qu’au mois de février 1999, ce qui n’avait pas permis de la réaliser avant l’appareillage du navire en septembre 1999, et que cette inspection aurait dû être prescrite dès le mois de juin 1998, conformément aux règles de classification applicables, sans préciser la règle, à laquelle elle se référait, ni son contenu, notamment quant aux critères relatifs à l’état du revêtement des ballasts entraînant l’obligation, pour la société de classification, d’ordonner une inspection annuelle de ces éléments.
Demandeur(s) : La société Lloyd’s Register of Shipping
Défendeur(s) : la société Charaf Corporation, société anonyme ; et autres
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Lloyd’s Register of Shipping du désistement de son pourvoi en ce qu’il est dirigé contre les sociétés Charaf Corporation et Syndicate 5678.
Faits et procédure
2. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 15 décembre 2017), par un contrat du 28 juillet 1999, la société SHB France a vendu à la société marocaine Charaf Corporation (la société Charaf) une cargaison d’engrais assurée auprès de la Compagnie africaine d’assurances, aux droits de laquelle est venue la société Axa assurances Maroc (la société Axa). En vue de son transport du port de [...] à celui de [...], la société SHB France a, selon une charte-partie du 19 août 1999, affrété au voyage le navire [...] dont la société égyptienne Mahoney Shipping & Marine Services (la société Mahoney)
est l’armateur. Ayant rencontré des conditions de navigation difficiles
au cours du transport, le navire, dont l’une des cales avait pris
l’eau, s’est réfugié le 5 octobre 1999 dans les ports de Saint-Malo puis
de Brest, où il a été retenu par l’autorité maritime en raison de
déficiences graves de navigabilité avant d’être déclaré abandonné par la
société Mahoney,
le 27 novembre 1999. La cargaison, chargée sur le navire le 20
septembre 1999, ayant été cédée par adjudication, dans le cadre d’une
vente de sauvetage organisée à l’initiative des sociétés Charaf et Axa, ces dernières ont assigné en paiement de dommages-intérêts la société Mahoney et la société britannique Lloyd’s Register of Shipping (la société Lloyd’s), qui avait procédé à la classification du navire.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La société Lloyd’s
fait grief à l’arrêt de la déclarer responsable des dommages causés à
la marchandise et, en conséquence, de la condamner in solidum avec la
société Mahoney à payer une certaine somme à la société Axa,
alors « que seul un manquement au Règlement édicté par la société de
classification qui fait la loi des parties et qui détermine les
obligations des experts de la société de classification constitue une
faute de nature à engager la responsabilité de cette dernière à l’égard
de l’assureur de la marchandise transportée ; qu’en retenant la
responsabilité de la société de classification au motif que son expert
aurait agi en violation des « règles de classification applicables » en
ne prescrivant pas d’inspection annuelle avant que ne soit conclue la
charte-partie d’affrètement au voyage, sans préciser la règle qui aurait
été ainsi méconnue, quand la société de classification faisait valoir
qu’elle avait respecté le Règlement et que l’expert n’avait identifié
aucune règle à laquelle elle aurait manqué, la cour d’appel a privé sa
décision de base légale au regard de l’article 1382, devenu 1240, du
code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 1382, devenu 1240, du code civil :
4.
Il résulte de ce texte que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le
fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel
dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
5. Pour déclarer la société Lloyd’s
responsable des dommages causés à la marchandise, l’arrêt, après avoir
constaté que ceux-ci étaient imputables à l’inondation d’une cale en
raison de l’impossibilité d’assèchement des ballasts et de défauts
d’étanchéité affectant le bordé de fond et les panneaux de cale, retient
que le navire avait subi une inspection spéciale quinquennale entre les
mois de février et juin 1998, puis sept visites occasionnelles entre
les mois d’octobre 1998 et août 1999, qu’en juin 1998, la société de
classification, qui avait remarqué la médiocrité du revêtement interne
des ballasts rendant prévisible leur dégradation à brève échéance,
n’avait prescrit une visite annuelle que sur l’un d’entre eux,
l’inspection annuelle de l’ensemble de ces éléments n’ayant été ordonnée
qu’en février 1999, ce qui n’avait pas permis de la réaliser avant
l’appareillage du navire en septembre 1999, et qu’elle aurait dû être
prescrite dès le mois de juin 1998, conformément aux règles de
classification applicables.
6. En se
déterminant ainsi, sans préciser la règle, à laquelle elle se référait,
ni son contenu, notamment quant aux critères relatifs à l’état du
revêtement des ballasts entraînant l’obligation, pour la société de
classification, d’ordonner une inspection annuelle de ces éléments, la
cour d’appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déclare la société Lloyd’s Register of Shipping responsable des dommages causés à la marchandise et qu’il la condamne in solidum avec la société Mahoney Shipping & Marine Services à payer à la société Axa assurances Maroc
la contre-valeur en euros de 4 120 018 dirhams, sauf à déduire la somme
de 82 322,47 euros, l’arrêt rendu le 15 décembre 2017, entre les
parties, par la cour d’appel de Rennes ;
Remet,
sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se
trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Caen
;
Condamne la société Axa assurances Maroc aux dépens ;
Président : M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président
Rapporteur : Mme Kass-Danno, conseiller référendaire
Avocat(s) :
SCP Waquet, Farge et Hazan - SARL Corlay
Partager cette page