Arrêt n°636 du 12 novembre 2020 (19-10.579) - Cour de cassation - Chambre commerciale, financière et économique - ECLI:FR:CCASS:2020:CO00636
Conflit des loisRejet
Sommaire :
N’a pas dénaturé le droit positif luxembourgeois, la cour d’appel qui, appréciant souverainement la teneur et la portée de l’article 452 du code de commerce du Grand Duché de Luxembourg, a retenu que l’action d’un créancier dont elle était saisie contre un débiteur ayant fait l’objet, sur le territoire de cet Etat, d’un jugement déclaratif de faillite, se heurtait à la règle de suspension des poursuites individuelles dont bénéficiait le débiteur en vertu de ce texte.
Demandeur(s) : société agricole du Domaine de Palayson et des grands châteaux de Villepey et autre(s) ;
Défendeur(s) : Mme O... F... et autre(s) ;
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 15 novembre 2018), la société agricole Domaine de Palayson et des grands châteaux de Villepey (la société Palayson), propriétaire d’un domaine viticole et d’un ensemble immobilier attenant, est détenue majoritairement par la société Château Holding, dont les actionnaires sont M. et Mme R... U... (les époux U...), lesquels détiennent également le reliquat d’actions de la société Palayson. Le 10 décembre 2007, la société Palayson a souscrit auprès de la société Landsbanki Luxembourg (la banque), filiale de droit luxembourgeois d’une banque de droit islandais, un prêt « Equity Release
» d’un montant de 7 850 000 euros, diminué ensuite à concurrence de 4
000 000 euros, remboursable in fine le 20 décembre 2027, seuls les
intérêts étant payés pendant la durée du prêt. En garantie de ce prêt,
la société Palayson
a consenti une affectation hypothécaire de son actif immobilier et un
nantissement sur un contrat d’assurance-vie souscrit par les époux U... auprès de la société Lex Life & Pension, de droit luxembourgeois, appartenant au groupe Landsbanki.
2.
Par un jugement d’un tribunal luxembourgeois du 8 octobre 2008, la
banque a été admise au bénéfice de la procédure de sursis de paiement,
convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 12 décembre 2008,
Mme F... étant désignée liquidateur.
3. Les intérêts du prêt n’étant plus réglés depuis le 27 août 2010, la banque a, le 22 février 2011, mis en demeure la société Palayson de régler les sommes dues dans un délai de huit jours, à défaut de quoi la déchéance du terme serait acquise.
4. Entre-temps et par un acte du 1er février 2011, la société Palayson a assigné la banque, son liquidateur et la société Lex Life & Pension,
devant le tribunal de grande instance de Draguignan pour obtenir la
nullité de l’affectation hypothécaire et du nantissement, et voir fixer
le montant du capital restant dû au titre du prêt à la somme de 1 828
564,40 euros, cette somme demeurant remboursable au plus tard le 20
décembre 2027. Par un jugement du 11 septembre 2014, le tribunal a
déclaré l’action recevable, et rejeté les demandes de la société Palayson.
5. Par un jugement du 30 novembre 2015, la société Palayson a été mise en redressement judiciaire, la société Pellier étant désignée mandataire judiciaire. Elle a fait l’objet d’un plan de continuation le 9 janvier 2017, la société Pellier
étant nommée commissaire à l’exécution du plan. La banque a déclaré sa
créance en principal et intérêts échus et à échoir, à titre privilégié,
qui a été contestée.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et cinquième branches, ci-après annexé
6.
En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure
civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement
motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner
la cassation.
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, et quatrième branches
Enoncé du moyen
7. La société Palayson et la société Pellier,
ès qualités, font grief à l’arrêt d’infirmer le jugement du 11
septembre 2014 et de déclarer leurs demandes irrecevables, alors :
«
2°/ qu’il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit
étranger d’en rechercher, soit d’office, soit à la demande d’une partie
qui l’invoque, la teneur avec le concours des parties et personnellement
s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution
conforme au droit positif étranger, sans dénaturation ; que la
jurisprudence luxembourgeoise pose que l’action en nullité et visant à
voir dire qu’aucune obligation de remboursement n’incombe à l’emprunteur
ne constitue pas une poursuite individuelle dont la suspension est
imposée par l’article 452 du code de commerce luxembourgeois, sauf à ce
que cette demande vise également à obtenir des dommages et intérêts de
la personne sujette à la procédure collective ; qu’en retenant que les
demandes principales des exposants étaient irrecevables du seul fait
qu’elles « impliquaient une conséquence patrimoniale dont la cause est
antérieure à la liquidation judiciaire », la cour d’appel a dénaturé le
droit étranger en violation de l’article 3 du code civil ;
3°/
qu’il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit
étranger d’en rechercher, soit d’office, soit à la demande d’une partie
qui l’invoque, la teneur avec le concours des parties et personnellement
s’il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution
conforme au droit positif étranger ; qu’il doit pour ce faire confronter
les différentes sources du droit étranger invoquées par les parties ;
qu’en l’espèce il était fait état, pour justifier de la recevabilité des
demandes principales de l’exposante au regard du droit luxembourgeois
(demandes en résolution ou nullité et à voir dire et juger que la
société Palayson
n’est plus débitrice de l’obligation de rembourser le prêt), d’un arrêt
de la cour d’appel du Luxembourg du 3 avril 2014 aux termes duquel «
les demandes tendant à voir constater l’inexistence, sinon à voir
prononcer la nullité du contrat de prêt et du contrat de gage, (les
emprunteurs) entendent voir dire qu’aucune obligation de remboursement
ne leur incombe. Dans la mesure où la demande ne tend pas à la
reconnaissance d’une créance au profit des appelants, mais tend à faire
cesser leur situation de débiteurs à l’égard de la banque, elle ne tombe
pas dans le champ d’application de l’article 452 du code de commerce.
Cette demande ne constitue pas une poursuite individuelle dont la
suspension est imposée par l’article 452 du code de commerce » ; qu’en
se fondant sur le seul certificat de coutume fourni par la partie
adverse et la consultation d’un professeur français sans tenir compte de
l’interprétation jurisprudentielle luxembourgeoise de l’article 452 du
code de commerce luxembourgeois, la cour d’appel a manqué de base légale
au regard de l’article 3 du code civil ;
4°/
que le juge ne peut écarter les pièces du débat sans les examiner ;
qu’en l’espèce il était fait état, pour justifier de la recevabilité des
demandes principales de l’exposante au regard du droit luxembourgeois,
d’un arrêt de la cour d’appel du Luxembourg du 3 avril 2014 qui retenait
la recevabilité de l’action en nullité en ce qu’elle tend à voir
constater l’absence d’une créance du chef de la banque, ce qui était
confirmé par une consultation du professeur C...
rappelant que la faillite de droit luxembourgeois s’apparente au droit
français sous l’empire de la loi de 1967 qui reconnaît la recevabilité
de l’action en nullité, et a été reconnu par deux arrêts des cours
d’appel de Poitiers (3 juillet 2018) et Paris (12 novembre 2015), tous
deux définitifs ; qu’en se fondant sur les seules pièces produites par
la banque sans examiner celles produites par la société Palayson
pour établir la teneur du droit luxembourgeois, la cour d’appel a violé
les articles 455 et 458 du code civil ensemble l’article 6-1 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. »
Réponse de la Cour
8.
L’arrêt, après avoir énoncé que l’article 452 du code de commerce du
Grand Duché du Luxembourg dispose qu’à partir du jugement déclaratif de
faillite, toute action mobilière ou immobilière, toute voie d’exécution
sur les meubles ou sur les immeubles ne pourra être suivie, intentée ou
exercée que contre les curateurs de la faillite, retient que, selon le
certificat de coutume produit aux débats, le principe de la suspension
des poursuites individuelles résultant de ce texte fait que toutes les
actions patrimoniales introduites postérieurement au jugement
d’ouverture de la procédure sont irrecevables, si elles sont exercées
par des créanciers chirographaires dont la créance est née avant
l’ouverture de la procédure de liquidation et qu’un tel principe n’est
pas seulement général et absolu, mais aussi d’ordre public et doit être
soulevé d’office par le juge, et que selon la consultation rédigée par
M. V... ,
au regard du principe posé par ce texte, non seulement une demande de
dommages-intérêts est irrecevable, mais aussi la demande d’annulation de
l’affectation hypothécaire, de même que la demande en nullité du
contrat de prêt, combinée à une demande en limitation des restitutions
dues. L’arrêt retient que la société Palayson,
qui a saisi le tribunal par un acte du 1er février 2011, postérieur à
l’ouverture de la liquidation judiciaire de la banque, d’une demande
d’annulation des affectations hypothécaires et qui, en cause d’appel,
présente des demandes de nullité et de résolution du contrat de prêt, et
de dommages-intérêts, et demande par ailleurs, en cas de succès de
l’action en nullité, à ne pas être condamnée à la restitution du capital
emprunté, tandis que la créance de la banque est née antérieurement à
l’ouverture de la procédure de liquidation, agit en se prévalant de
créances antérieures au jugement d’ouverture. Il en déduit que le succès
des actions ainsi engagées ne pourrait qu’affecter le patrimoine de la
banque et, par suite, le gage des créanciers, que ces actions
présentent, en conséquence, un caractère patrimonial et se trouvent
soumises au principe de suspension des poursuites individuelles.
9.
La cour d’appel, qui n’était pas tenue de s’expliquer sur les éléments
de preuve qu’elle décidait d’écarter et qui a, dans l’exercice de son
appréciation souveraine de la teneur et de la portée du droit positif
luxembourgeois, sans dénaturation, et par un arrêt motivé, retenu que
l’action de la société Palayson
et de son liquidateur se heurtait à la règle de la suspension des
poursuites individuelles dont bénéficiait la banque, a légalement
justifié sa décision.
10. Le moyen n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Président : M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président
Rapporteur : Mme Bélaval
Avocat général : Mme Guinamant, avocat général référendaire
Avocat(s) : SARL Corlay - SARL Cabinet Munier-Apaire
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