Arrêt n°618 du 04 novembre 2020 (19-17.911) - Cour de cassation - Chambre commerciale, financière et économique - ECLI:FR:CCASS:2020:CO00618
BourseCassation partielle
Sommaire :
Aucun texte ne subordonne la saisine de l’autorité judiciaire pour l’application de l’article L. 621-12 du code monétaire et financier à l’exercice préalable d’autres procédures et les dispositions de ce texte, qui organisent le droit de visite des enquêteurs de l’AMF et le recours devant le premier président de la cour d’appel, assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et du droit d’obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la décision prescrivant la visite avec les nécessités de la lutte contre les manquements et les infractions aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les manipulations de marché et la divulgation illicite d’informations privilégiées ou tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protections des investisseurs et du bon fonctionnement des marchés ou relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, de sorte que l’ingérence qu’il prévoit dans le droit au respect de la vie privée et des correspondances n’est pas, en elle-même, disproportionnée au regard du but légitime poursuivi. Il s’ensuit qu’un premier président, qui a relevé que la mesure prévue par l’article L. 621-12 du code monétaire et financier ne revêtait pas un caractère subsidiaire, a statué à bon droit sans avoir à justifier autrement la proportionnalité de la mesure qu’il confirmait.
Demandeur(s) : L’Autorité des marchés financiers (AMF) autorité administrative indépendante
Défendeur(s) : la société AB science, société anonyme ; et autres
Intervention
1. Il est donné acte à l’ordre des avocats du barreau de Paris de son intervention volontaire au soutien de la société AB science, M. F..., Mme Q... , M. L... et M. K... .
Faits et procédure
2.
Selon l’ordonnance attaquée, rendue par le premier président d’une cour
d’appel (Paris, 29 mai 2019), un juge des libertés et de la détention
a, sur le fondement des articles L. 465-1, L. 465-3 et L. 621-12 du code
monétaire et financier autorisé des enquêteurs de l’Autorité des marchés financiers (l’AMF) à procéder à des visites et des saisies dans des locaux susceptibles d’être occupés par les sociétés AB science (la société AB) et AMY situés [...] , dans des locaux et dépendances situés [...] susceptibles d’être occupés par M. K... , dans des locaux et dépendances situés [...] susceptibles d’être occupés par M. L... , dans des locaux et dépendances situés [...] susceptibles d’être occupés par M. F..., ainsi que dans des locaux et dépendances situés [...] susceptibles d’être occupés par Mme Q... , en vue de rechercher la preuve de manquements d’initiés ou de délits d’initiés.
3. La société AB, M. F..., Mme Q... , M. L... et M. K...
ont relevé appel de l’ordonnance d’autorisation et exercé un recours
contre le déroulement des opérations de visite, effectuées le 26 avril
2018.
Sur les premiers moyens des pourvois incidents, rédigés en termes similaires ou identiques, réunis, qui sont préalables
Enoncé des moyens
4. La société AB, M. F..., Mme Q... , M. L... et M. K... font grief à l’ordonnance du premier président d’autoriser les visites et saisies sollicitées par l’AMF, alors :
«
1°/ que les visites et saisies domiciliaires, qui constituent une
ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et du
domicile, doivent être strictement nécessaires et proportionnées au but
recherché par l’autorité de poursuite, et ne peuvent donc être
valablement mises en oeuvre que s’il n’est pas possible à ladite
autorité de parvenir à son but par des moyens moins contraignants ;
qu’il suit de là qu’en matière de recherche des preuves des infractions
de marché, le recours, par l’AMF,
à la visite domiciliaire prévue à l’article L. 621-12 du code monétaire
et financier, est subsidiaire à la mise en oeuvre de l’article L.
621-10 du même code et réservée strictement aux cas où la mise en oeuvre
des procédés permis par ce dernier texte est insuffisante ; qu’en
retenant au contraire que la procédure prévue à l’article L. 621-12 du
code monétaire et financier ne serait pas subsidiaire par rapport aux
autres procédures pouvant être utilisées, le conseiller délégué par le
premier président de la cour d’appel de Paris a violé ce texte, par
fausse interprétation, ensemble l’article 8 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
2°/
que le juge doit vérifier, d’une manière concrète et effective, le
caractère proportionné de l’atteinte au droit au respect de la vie
privée et du domicile résultant d’une visite domiciliaire ; qu’en
affirmant que l’AMF
n’avait pas à rendre compte de son choix de recourir à la procédure de
visite domiciliaire et en s’affranchissant lui-même de tout contrôle
effectif et circonstancié du caractère proportionné ou non de l’atteinte
résultant d’une telle mesure, le conseiller délégué a de plus fort
violé les textes susvisés.
3°/ que les
visites et saisies domiciliaires, qui constituent une ingérence dans
l’exercice du droit au respect de la vie privée et du domicile, doivent
être strictement nécessaires et proportionnées au but recherché par
l’autorité de poursuite, et ne peuvent donc être valablement mises en
oeuvre que s’il n’est pas possible à ladite autorité de parvenir à son
but par des moyens moins contraignants ; qu’il suit de là qu’en matière
de recherche des preuves des infractions de marché, le recours, par l’AMF,
à la visite domiciliaire prévue à l’article L. 621-12 du code monétaire
et financier est subsidiaire à la mise en oeuvre de l’article L. 621-10
du même code et réservé strictement aux cas où la mise en oeuvre des
procédés permis par ce dernier texte est insuffisante ; qu’en retenant
au contraire que la procédure prévue à l’article L. 621-12 du code
monétaire et financier ne serait pas subsidiaire par rapport aux autres
procédures pouvant être utilisées, la cour d’appel a violé ce texte, par
fausse interprétation, ensemble l’article 8 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
4°/
qu’il appartient au juge des libertés et de la détention de vérifier
qu’est fondée la demande d’autorisation d’effectuer des visites, de
procéder à la saisie de documents et au recueil ; d’où il suit qu’en se
déterminant par une référence à l’absence d’obligation de l’AMF
de justifier de son choix de recourir à la procédure de l’article L.
621-12 du code monétaire et financier et à la circonstance que le juge
des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris
avait validé ce choix, la cour, pourtant saisie par l’effet dévolutif de
l’appel, a refusé d’exercer son office et commis un déni de justice, en
violation des articles 4 du code civil et 12 du code de procédure
civile ;
5°/ qu’il appartient au juge des
libertés et de la détention de vérifier qu’est fondée la demande
d’autorisation d’effectuer des visites, de procéder à la saisie de
documents et au recueil ; d’où il suit qu’en se bornant à rappeler
l’article 8, § 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales, sans examiner la situation de
fait qui lui était soumise à partir de laquelle il était soutenu que les
mesures autorisées par le juge des libertés et de la détention étaient
manifestement disproportionnées quant aux buts poursuivis, la cour
d’appel a refusé de trancher le litige et commis un déni de justice, en
violation des articles 4 du code civil et 12 du code de procédure civile
;
6°/ qu’à tout le moins, en ne
recherchant pas, comme elle y était invitée si les mesures autorisées
par le juge des libertés et de la détention n’étaient pas ici clairement
disproportionnées par rapport aux buts poursuivis, la cour d’appel a
privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 621-12 du
code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
5.
Aucun texte ne subordonne la saisine de l’autorité judiciaire pour
l’application de l’article L. 621-12 du code monétaire et financier à
l’exercice préalable d’autres procédures et les dispositions de ce
texte, qui organisent le droit de visite des enquêteurs de l’AMF
et le recours devant le premier président de la cour d’appel, assurent
la conciliation du principe de la liberté individuelle et du droit
d’obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la décision prescrivant
la visite avec les nécessités de la lutte contre les manquements et
infractions aux dispositions législatives ou réglementaires visant à
protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les
manipulations de marché et la divulgation illicite d’informations
privilégiées ou tout autre manquement de nature à porter atteinte à la
protection des investisseurs et du bon fonctionnement des marchés ou
relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le
financement du terrorisme, de sorte que l’ingérence qu’il prévoit dans
le droit au respect de la vie privée et des correspondances n’est pas,
en elle-même, disproportionnée au regard du but légitime poursuivi. Il
s’ensuit que le premier président, qui a relevé que la mesure prévue par
l’article L. 621-12 du code monétaire et financier ne revêtait pas un
caractère subsidiaire, a statué à bon droit sans avoir à justifier
autrement la proportionnalité de la mesure qu’il confirmait.
6. Les moyens ne sont donc pas fondés.
Sur les seconds moyens des pourvois incidents, rédigés en termes pour partie similaires, réunis, qui sont préalables
Enoncé des moyens
7. La société AB, M. F..., M. L... , Mme Q... et M. K... font grief à l’ordonnance du premier président de déclarer les saisies régulières, alors :
«
1°/ que le secret médical étant général et absolu, une visite
domiciliaire dans les locaux d’une entreprise pharmaceutique spécialisée
dans la recherche médicale et maniant comme telle des informations
couvertes par le secret médical doit, à peine de nullité, avoir lieu en
présence d’un magistrat et d’un membre du conseil de l’ordre des
médecins, dès l’instant qu’elle est susceptible de mettre les agents de
l’autorité effectuant la visite en contact avec des documents ou
informations couverts par le secret ; qu’il suit de là que la visite est
intégralement nulle, lorsqu’elle a eu lieu hors la présence d’un
magistrat et d’un membre du conseil de l’ordre des médecins et a donné
lieu à la saisie de documents couverts par le secret médical, peu
important que ces documents soient marginaux dans la masse des documents
saisis ou qu’ils n’aient donné lieu à aucune utilisation ; que le
conseiller délégué du premier président de la cour d’appel de Paris
avait constaté que, lors des opérations de visite réalisées dans les
locaux de la société AB, des courriels couverts par le secret médical avaient été saisis, ce dont il résultait que la visite avait mis les agents de l’AMF
en contact avec des informations couvertes par le secret médical et
qu’elle était irrégulière, pour n’avoir pas eu lieu en présence d’un
magistrat et d’un membre du conseil de l’ordre des médecins ; qu’en
retenant néanmoins, pour refuser d’annuler l’intégralité des opérations
de visite et cantonner leur nullité à la seule saisie des courriels en
cause, que la protection spécifique du secret médical n’avait pas
vocation à s’appliquer, le conseiller délégué, qui n’a pas tiré les
conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles
L. 621-12, alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de
procédure pénale ;
2°/ que le juge doit
assurer un respect strict et effectif du secret médical, ce qui lui
impose, en cas de visite domiciliaire dans les locaux d’une entreprise
pharmaceutique spécialisée dans la recherche médicale, de vérifier de
manière concrète que les éléments saisis par l’autorité ayant effectué
la visite étaient, soit exclus du champ du secret, soit anonymisés ;
qu’en se déterminant pourtant par la considération que la collecte de
données cliniques de patients par une société pharmaceutique était
"censée être effectuée de manière anonymisée", pour en déduire que la
visite n’avait pas lieu d’être annulée pour défaut de présence d’un
représentant de l’ordre des médecins, donc en s’affranchissant de tout
contrôle effectif du caractère secret ou non des documents et
informations auxquels avait pu accéder l’AMF
à l’occasion de la visite, le conseiller délégué a violé, par refus
d’application, l’article 56-3 du code de procédure pénale et l’article
L. 621-12 du code monétaire et financier ;
3°/
qu’en se déterminant par la considération que la collecte de données
cliniques de patients par une société pharmaceutique était "censée être
effectuée de manière anonymisée", de sorte qu’il "ne sembl[ait] pas", au
cas présent, qu’il soit nécessaire d’appliquer la protection spécifique
du secret médical, le conseiller délégué a statué par des motifs
hypothétiques, en méconnaissance de l’article 455 du code de procédure
civile.
4°/ que l’officier de police
judiciaire veille au respect du secret professionnel et des droits de la
défense conformément aux dispositions du troisième alinéa de l’article
56 du code de procédure pénale qui prescrit la présence de la personne
responsable de l’ordre à laquelle appartient l’intéressé (art. 56-3) ;
qu’ainsi, la présence d’un membre du conseil de l’ordre des médecins
s’impose lorsque les opérations de visite domiciliaire et de saisie sont
autorisées par le juge des libertés et de la détention dans une société
pharmaceutique détentrice d’informations à caractère médical, peu
important que certaines informations puissent être anonymisées, de sorte
qu’en statuant comme elle l’a fait, à l’aide d’une considération
inopérante, la cour d’appel a violé les articles L. 621-12 du code
monétaire et financier et 56-3 du code de procédure pénale ;
5°/
que les motifs inintelligibles équivalent à un défaut de motifs ; qu’en
affirmant que, "sauf cas très exceptionnel, les articles L. 621-21,
alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure
pénale
n’ont pas vocation à s’appliquer, ce qui ne semble
pas être le cas en l’espèce", la cour d’appel a statué par une
considération inintelligible, en violation de l’article 455 du code de
procédure civile ;
6°/ que le motif
dubitatif équivaut à un défaut de motifs ; qu’ainsi, en toute hypothèse,
en affirmant que "ce ne semble pas être le cas en l’espèce", la cour
d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
7°/
que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit
applicables ; qu’en ne précisant pas dans quel "cas très exceptionnel"
les articles L. 621-12, alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3
du code de procédure pénale auraient vocation à s’appliquer aux visites
domiciliaires, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au
regard de l’article 12 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8.
Le secret médical couvre l’ensemble des informations concernant la
personne venues à la connaissance du professionnel de santé. Il est
institué dans l’intérêt des patients et s’impose à tout médecin.
9.
Selon l’article 56-3 du code de procédure pénale, les perquisitions
dans le cabinet d’un médecin sont effectuées par un magistrat et en
présence de la personne responsable de l’ordre des médecins ou de son
représentant.
10. Après avoir relevé que la société AB
était une société pharmaceutique ayant pour objet la recherche, le
développement et la commercialisation d’une classe de molécules
thérapeutiques utilisées dans le traitement des cancers, des maladies
inflammatoires ou neurodégénératives, l’ordonnance énonce que la
collecte de données cliniques de patients par une société pharmaceutique
est censée être effectuée de manière anonymisée, de sorte que, sauf cas
exceptionnel, qui ne semble pas être le cas en l’espèce, les articles
L. 621-21 alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de
procédure pénale entourant d’une protection spécifique les visites
domiciliaires et les perquisitions réalisées dans le cabinet d’un
médecin n’ont pas vocation à s’appliquer. Ayant ensuite relevé que trois
courriels saisis dans la messagerie de M. K...
contenaient des demandes de conseils formulées par des particuliers qui
y dévoilaient leur identité et la pathologie dont ils étaient atteints,
le premier président, estimant que ces informations étaient couvertes
par le secret médical, en a annulé la saisie. En l’état de ces motifs,
exempts d’insuffisance, dont il résulte que l’établissement visité ne
pouvait être assimilé à un cabinet médical et que, hormis les trois
courriels précités, les appelants ne démontraient pas que d’autres
documents comportant des données couvertes par le secret médical
auraient pu y être appréhendés, le premier président a statué à bon
droit.
11. Les moyens ne sont donc pas fondés.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
12. L’AMF
fait grief à l’ordonnance du premier président de déclarer les
opérations de visite et saisie régulières, à l’exception de trois
courriels des 17 avril 2018, 12 janvier 2018 et 8 janvier 2017, et de
lui faire interdiction d’en faire un quelconque usage, alors :
«
1°/ que pour statuer comme il l’a fait, l’auteur de l’ordonnance
attaquée relève que "sauf cas très exceptionnel, les articles L. 621-12
alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du code de procédure
pénale entourant d’une protection spécifique les visites domiciliaires
et les perquisitions réalisées dans le cabinet d’un médecin, n’ont pas
vocation à s’appliquer, ce qui ne semble pas être le cas en l’espèce" ;
qu’en statuant ainsi par des motifs inintelligibles équivalant à un
défaut de motifs, l’auteur de l’ordonnance attaquée, n’a pas satisfait
aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile qu’il a violé
;
2°/ que le motif dubitatif équivaut au
défaut de motifs ; qu’en statuant par le motif dubitatif, à le supposer
même intelligible, selon lequel ce ne semble pas être le cas en
l’espèce", l’auteur de l’ordonnance attaquée a derechef violé l’article
455 du code de procédure civile ;
3°/ que
le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont
applicables ; qu’à supposer qu’il faille comprendre que l’espèce
n’aurait pas correspondu au cas "très exceptionnel" dans lequel les
articles L. 621-12, alinéa 11 du code monétaire et financier et 56-3 du
code de procédure pénale pourraient s’appliquer à des visites
domiciliaires réalisées hors le cabinet d’un médecin, l’auteur de
l’ordonnance attaquée, faute d’avoir précisé le fondement juridique de
sa décision, n’aurait pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer
son contrôle et aurait violé l’article 12 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
13.
Le moyen, qui critique, non les motifs justifiant l’annulation de la
saisie de trois courriels mais ceux ayant conduit le premier président à
déclarer régulières les autres saisies effectuées dans les locaux de la
société AB sans qu’il ait été fait application des dispositions de l’article 56-3 du code de procédure pénale, est inopérant.
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
14. L’AMF
fait grief à l’ordonnance du premier président de déclarer les
opérations de visite et saisies du 26 avril 2018 régulières à
l’exception des courriels protégés par le privilège légal et de lui
interdire d’en faire un usage quelconque, alors :
«
1°/ que constitue la divulgation à un tiers d’une correspondance par
courrier électronique le fait pour l’expéditeur de ce courrier
électronique d’en rendre destinataire en copie une autre personne que
son destinataire principal ; qu’en relevant, d’une part, qu’il ressort
de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 la condition que
l’avocat doit être l’expéditeur ou le destinataire du courriel, ce qui
n’exclurait pas que d’autres correspondants apparaissent en qualité de
destinataire ou expéditeur, tout en admettant, d’autre part, que le fait
de divulguer, notamment par voie de transfert, à des tiers des
correspondances couvertes par le secret professionnel leur fait perdre
la protection du privilège légal, l’auteur de l’ordonnance attaquée, qui
a statué par des motifs incohérents, équivalant à un défaut de motifs,
n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure
civile qu’il a violé ;
2°/ que dans le
cas où le client d’un avocat rend un tiers destinataire en copie d’un
courrier électronique qu’il adresse à cet avocat, seul un examen in
concreto de ce courrier électronique est de nature à révéler s’il entre
dans les prévisions de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 ;
qu’en décidant au contraire qu’il ressort de ce texte la condition que
l’avocat doit être l’expéditeur ou le destinataire du courriel, ce qui
n’exclurait pas que d’autres correspondants apparaissent en qualité de
destinataire ou expéditeur, la seule exception étant que l’avocat ne
figure qu’en copie, l’auteur de l’ordonnance attaquée a violé par fausse
interprétation l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 ;
3°/
qu’il appartenait aux requérants de verser aux débats les courriers
électroniques qu’ils prétendaient ne pouvoir être saisis en précisant
pour chacun les raisons qui les auraient rendus insaisissables ; qu’en
l’absence de cette production, à laquelle ne pouvait se substituer une
simple liste de ces courriers, même assortie de la précision de la
qualité de leurs expéditeurs et destinataires, l’auteur de l’ordonnance
attaquée, qui n’était pas en mesure de vérifier s’ils étaient couverts
par le secret professionnel, ne pouvait que rejeter la demande de
restitution dont il était saisi ; qu’en décidant le contraire, il a
violé l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, ensemble l’article
L. 621-12 du code monétaire et financier ;
4°/
qu’en se déterminant par voie de disposition générale sur la portée de
l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, sans même procéder à une
analyse, fût-elle sommaire, de la pièce 16 des requérants, l’auteur de
l’ordonnance attaquée a privé sa décision de base légale au regard de ce
texte, ensemble l’article L. 621-12 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 :
15.
Selon ce texte, les consultations adressées par un avocat à son client
ou destinées à celui-ci et les correspondances échangées entre le client
et son avocat sont couvertes par le secret professionnel.
16.
Pour annuler la saisie des correspondances constituant la pièce n° 16
des appelants, le premier président, après avoir indiqué les avoir
examinées concrètement, a constaté que seuls les courriels échangés
entre les dirigeants et salariés des entreprises visitées et leurs
avocats étaient couverts par le secret, que les échanges entre deux
correspondants pour lesquels un avocat était en copie ne pouvaient
bénéficier de la protection légale, que seuls les échanges où un avocat
était expéditeur ou destinataire du courriel pouvait bénéficier de cette
protection et que le fait, pour les sociétés, de divulguer à des tiers
des correspondances couvertes par le secret professionnel leur faisait
perdre la protection attachée au secret.
17.
En se déterminant ainsi, sans identifier précisément les
correspondances en cause et sans indiquer ce qu’il résultait de leur
examen concret, alors que l’AMF
contestait la liste des messages produite par les appelants en faisant
valoir qu’elle ne permettait pas d’identifier précisément qui étaient
les auteurs ou les destinataires des courriels en cause et, faute de
permettre un examen concret, ne pouvait se substituer à leur production,
le premier président a privé sa décision de base légale.
Et sur le troisième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
18. L’AMF
fait grief à l’ordonnance du premier président de déclarer les
opérations de visite et saisies du 26 avril 2018 régulières à
l’exception des documents antérieurs au 1er septembre 2014 et de lui
interdire d’en faire un usage quelconque, alors :
«
1°/ que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ne
comportait aucune restriction temporelle au champ de la saisie des
documents et qu’il appartenait aux demandeurs au recours d’établir, pour
chacun d’eux, en quoi ils ne seraient pas entrés dans les prévisions de
l’autorisation ; qu’en statuant comme il l’a fait par des motifs
revenant à inverser la charge de la preuve, l’auteur de l’ordonnance
attaquée a violé l’article 1353 du code civil, ensemble l’article L.
621-12 du code monétaire et financier ;
2°/
qu’en statuant comme il l’a fait, sans procéder à aucune analyse, même
sommaire, de ces documents, l’auteur de l’ordonnance attaquée, qui n’a
pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle sur les
raisons pour lesquelles ces documents ne seraient pas entrés dans les
prévisions de l’autorisation, a privé sa décision de base légale au
regard de l’article L. 621-12 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 621-12 du code monétaire et financier :
19. S’il résulte de ce texte que les enquêteurs de l’AMF
ne peuvent appréhender que les documents se rapportant aux agissements
prohibés retenus par l’ordonnance d’autorisation de visite et saisies
domiciliaires, il ne leur est pas interdit de saisir des documents pour
partie utiles à la preuve desdits agissements.
20.
Pour annuler la saisie de documents antérieurs au 1er septembre 2014,
le premier président, après avoir relevé que des éléments préalables au
début de la période d’enquête, fixé au 1er septembre 2014, pouvaient
être de nature à apporter un éclairage aux soupçons de délits d’initiés,
a retenu qu’il était difficile de voir en quoi les saisies antérieures à
cette date étaient susceptibles d’apporter un quelconque éclairage aux
agissements précités.
21. En se déterminant ainsi, sans préciser, par une analyse concrète des pièces saisies par les enquêteurs de l’AMF,
en quoi la saisie de celles-ci n’entrait pas dans le champ de
l’autorisation délivrée par le juge des libertés et de la détention, le
premier président a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE
ET ANNULE, mais seulement en ce qu’elle déclare irrégulière la saisie
des courriels protégés par le privilège légal et des documents
antérieurs au 1er septembre 2014, en ordonne la restitution aux
requérants et interdit à l’AMF
d’en faire un quelconque usage, l’ordonnance rendue le 29 mai 2019,
entre les parties, par le délégué du premier président de la cour
d’appel de Paris ;
Remet, sur ces points,
l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cette
ordonnance et les renvoie devant le premier président de la cour
d’appel de Paris ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Président : Mme Mouillard
Rapporteur : Mme Daubigney, conseiller
Avocat général : M. Debacq
Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard - SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret - SCP Boutet et Hourdeaux - SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre
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